La Revue de médecine interne 33 (2012) 223–226
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Communication brève
Embolie gazeuse de révélation tardive après ponction transpariétale pulmonaire Late revelation of air embolism after transthoracic needle biopsy O. Bylicki a,∗,b , V. Zarza a , A. Marfisi-Dubost c , L. Odier a , V. Thomsom d , M. Perol a , D. Arpin a a
Service de pneumologie, hôpital de la Croix-Rousse, rue de la Croix-Rousse, 69004 Lyon, France Service de pneumologie, hôpital d’instruction des armées Desgenettes, 106, boulevard Pinel, 69003 Lyon, France c Service de réanimation, hôpital Édouard-Herriot, place d’Arsonval, 69007 Lyon, France d Service de radiologie, hôpital de la Croix-Rousse, rue de la Croix-Rousse, 69004 Lyon, France b
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Disponible sur Internet le 16 février 2012 Mots clés : Embolie gazeuse Ponction transpariétale Complications Cancer pulmonaire Biopsie sous scanner
r é s u m é Introduction. – La ponction biopsie transpariétale est un geste de radiologie interventionnelle couramment effectué dans l’exploration d’un nodule pulmonaire. Ce geste est en général bien toléré. La survenue d’une embolie gazeuse après une ponction biopsie pulmonaire transpariétale est extrêmement rare. Observation. – Nous rapportons le cas d’une femme de 62 ans ayant présenté dans les suites d’une ponction transpariétale à l’aiguille d’un infiltrat pulmonaire des signes neurologiques à type d’agitation, de syndrome méningé et d’hémiplégie évocateurs d’embolie gazeuse. L’évolution a été favorable grâce au traitement par oxygénothérapie hyperbare. Conclusion. – L’embolie gazeuse est une complication rare des biopsies pulmonaires transpariétales survenant le plus souvent dans les minutes qui suivent le geste. Le caractère retardé de l’embolie gazeuse par rapport à la biopsie rapporté ici est exceptionnel. Le risque est plus important dans les biopsies d’infiltrats que de nodules. La survenue d’un pneumothorax potentiellement responsable d’une surpression ou d’une hémorragie alvéolaire au décours d’une biopsie pulmonaire transpariétale doit inciter à une surveillance accrue. © 2012 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
a b s t r a c t Keywords: Air embolism Percutaneous transthoracic needle biopsy Adverse events Lung cancer CT-guided biopsy
Introduction. – Percutaneous transthoracic needle biopsy is a useful and common procedure in the investigation of a lung nodule. The occurrence of air embolism after percutaneous transthoracic needle biopsy is extremely rare. Case report. – We report a 62-year-old woman who presented with neurological signs including restlessness, meningeal signs and focal neurologic deficits 4 hours after percutaneous transthoracic lung biopsy, related to air embolism. The outcome was favorable with hyperbaric oxygen therapy. Conclusion. – Percutaneous transthoracic needle biopsy complicated by air embolism has been rarely reported. It usually occurs within minutes after the biopsy. The late onset of this adverse event in our patient is exceptional. Air embolism occurs more frequently after biopsy of lung infiltrates compared to nodules. Occurrence of a pneumothorax or an intraalveolar haemorrhage following a percutaneous transthoracic needle biopsy may be warning manifestations and justify a close monitoring. © 2012 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Introduction La ponction biopsie transpariétale est un geste de radiologie réalisé en pratique courante dans le bilan d’un nodule pulmonaire. Ce geste est en général bien toléré et exceptionnellement compliqué
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (O. Bylicki).
d’une embolie gazeuse. Nous rapportons ici l’observation d’une patiente de 62 ans victime d’une embolie gazeuse d’apparition retardée après ponction biopsie pulmonaire transpariétale. 2. Observation Une femme âgée de 62 ans, gauchère, non francophone, était hospitalisée en janvier 2010 pour l’exploration de lésions pulmonaires au cours d’un bilan d’altération de l’état général évoluant
0248-8663/$ – see front matter © 2012 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2012.01.009
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Fig. 2. Scanner thoracique post-ponction biopsie transpariétale : pneumothorax apical (1), hémorragie alvéolaire (2) et emphysème sur le trajet de ponction (3).
Fig. 1. Scanner thoracique montrant la zone de ponction biopsie transpariétale : image alvéolo-intertitielle de l’apex gauche.
depuis plusieurs mois. Dans ses antécédents, on notait une tuberculose pulmonaire ancienne et un tabagisme actif de plus de 30 paquets/année. Devant une perte de poids de 30 kg et l’existence d’un Quantiféron® positif, un traitement antituberculeux d’épreuve avait été préalablement instauré avec succès (reprise de 10 kg et amélioration de l’état général). En revanche, le scanner thoracique récemment réalisé retrouvait un nodule spiculé du lobe inférieur droit (LID) évolutif sur un an (17 contre 9 mm) et une infiltration du lobe supérieur gauche (LSG) (Fig. 1) également évolutive. L’examen clinique était non informatif hormis l’existence d’une toux sans expectoration. Le bilan biologique retrouvait une élévation isolée de la CRP à 19 mg/L. Une tomographie par émission de positons (TEP scanner) objectivait un hypermétabolisme intense du nodule du LID (SUV 5,4) et plus modéré de l’infiltration apicale gauche (SUV 3,6). Une première ponction biopsie transpariétale du nodule du LID permettait de mettre en évidence un adénocarcinome dont le profil immunohistochimique (TTF1+, CK7+) était compatible avec une origine bronchique primitive. Après une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), il était alors décidé la réalisation d’une seconde ponction biopsie transpariétale de la lésion de l’apex gauche. Mi-février 2010, la patiente subissait donc une nouvelle ponction biopsie transpariétale de l’infiltration lobaire supérieure gauche. La ponction était réalisée en décubitus ventral avec une aiguille de 18 G co-axial. Le geste radiologique se compliquait, malgré l’absence d’effort de toux ou d’inspiration, d’un pneumothorax localisé, d’une hémorragie alvéolaire non symptomatique ainsi que d’un emphysème sous-cutané localisé en position parascapulaire (Fig. 2). Environ quatre heures après le geste, la patiente
présentait subitement un état d’obnubilation et d’agitation incontrôlable dans un contexte de douleurs diffuses. Ces symptômes s’atténuaient momentanément après la survenue de plusieurs épisodes de vomissements en jets. Devant ce tableau possiblement évocateur d’hypertension intracrânienne, un scanner cérébral injecté était réalisé en urgence et considéré comme normal, malgré des artéfacts liés à l’agitation de la patiente. Une ponction lombaire montrait un liquide clair normoglycorachique, normoprotéinorachique et acellulaire. Malgré ces investigations rassurantes, l’état clinique de la patiente se dégradait rapidement avec apparition d’une prostration, d’une raideur méningée irréductible et surtout d’une hémiplégie gauche complète associée à une aphasie. L’hypothèse d’une embolie gazeuse systémique (EGS) était alors évoquée et la patiente était transférée vers un service de réanimation disposant d’un caisson hyperbare. Le bilan biologique réalisé en réanimation retrouvait alors une troponine élevée à 10 g/L avec sus-décalage du segment ST dans le territoire antéroseptal à l’ECG. Grâce à une sédation, la patiente pouvait bénéficier d’une première séance d’oxygénothérapie hyperbare de huit heures. Après quatre séances d’oxygénothérapie hyperbare (soit 20 heures cumulées), la situation clinique s’améliorait avec récupération des déficits neurologiques, des fonctions supérieures et normalisation de la troponine. Après six jours de soins intensifs, la patiente revenait dans le service sans aucune séquelle neurologique. La coronarographie alors réalisée ne révélait aucune sténose ou argument pour une origine athéromateuse à l’accident coronarien aigu, témoignant a posteriori d’une probable embolie gazeuse intracoronarienne associée au tableau neurologique. L’analyse de la biopsie de la seconde ponction biopsie transpariétale objectivait l’existence d’un adénocarcinome dont le profil immunohistochimique (TTFI−, CK7+) était distinct de celui observé sur le nodule du LID, témoignant donc probablement de l’existence de deux cancers bronchiques primitifs synchrones. Le dossier de la patiente était donc revu en RCP, et il était décidé la réalisation d’une irradiation stéréotaxique bifocale des deux lésions pulmonaires (cT1aN0M0) suivi d’une surveillance simple. Le bilan à 12 mois montrait une stabilité de l’état général et des lésions tomodensitométriques. 3. Discussion La ponction biopsie thoracique transpariétale est un geste habituellement bien toléré. Les complications les plus fréquentes des ponctions biopsies transpariétales sont le pneumothorax (27 %),
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l’hémorragie alvéolaire (11 %) et les hémoptysies (7 %) [1,2]. L’EGS est une complication exceptionnelle de la ponction biopsie transpariétale avec une incidence qui varie de 0,02 [1] à 0,07 % [2] selon les séries. À notre connaissance, il existe 21 cas d’EGS post-ponction biopsie transpariétale publiés dans la littérature et nous en publions ici une nouvelle observation. Dans la plupart des cas publiés, l’EGS se manifeste par une symptomatologie riche et protéiforme associant, d’une part, perte de connaissance brutale, crises convulsives, ataxie et céphalées sur le plan neurologique et, d’autre part, hypotension, douleur thoracique et trouble du rythme pour ce qui concerne les symptômes cardiaques [3]. L’EGS doit être considérée comme une urgence thérapeutique. L’objectif primaire est la protection et la maintenance des fonctions vitales suivie d’un transfert médicalisé vers le caisson hyperbare dans les plus brefs délais. La mortalité de l’EGS est de 12 % dans la série de Bessereau et al. [4]. L’oxygénothérapie hyperbare est le traitement de référence de l’EGS [5]. Celle-ci permet la résorption des bulles de gaz pathogènes et la majoration de l’oxygène dissous, permettant la reperfusion des zones ischémiques. Malgré ce traitement, des séquelles neurologiques à type de déficit moteur peuvent perdurer en cas d’ischémie trop prolongée des tissus. Le délai entre le début des symptômes et la réalisation d’une oxygénothérapie hyperbare est en effet le facteur pronostique le plus important en termes de morbi-mortalité de l’EGS [5]. Sur le plan physiopathologique, la survenue d’une EGS correspond au passage d’air dans le système artériel systémique. On distingue classiquement les EGS d’origine artérielle dues à l’irruption d’air dans les veines pulmonaires ou directement dans les artères systémiques et les EGS d’origine veineuse qui surviennent lorsque de l’air entre dans le système veineux systémique. L’air est alors transporté jusqu’aux poumons à l’origine de dyspnée, troubles du rythme cardiaque, hypertension pulmonaire, insuffisance ventriculaire droite et parfois d’un arrêt cardiaque. Dans des conditions particulières (foramen ovale perméable, fistule pulmonaire), une embolie paradoxale peut alors être à l’origine d’occlusions artérielles systémiques terminales. Dans le cas d’une EGS survenant après ponction biopsie transpariétale, il s’agit le plus souvent d’une EGS d’origine artérielle, et trois types de mécanismes sont potentiellement en cause [5] : • de l’air peut être inspiré lors d’une effort de toux entraînant une surpression intrathoracique lorsque l’orifice du trocart se trouve dans une veine pulmonaire et que le mandrin est enlevé ; • la biopsie peut créer une microfistule entre le réseau veineux et l’arbre bronchique respiratoire. L’air intra-alvéolaire peut alors entrer dans la circulation veineuse pulmonaire ; • la biopsie peut conduire à l’introduction d’air directement dans la circulation artérielle bronchique même en l’absence de fistule artérioveineuse. La présence d’air dans un vaisseau artériel engendre alors une ischémie aiguë responsable d’une hypoxie tissulaire soit par obstruction du flux artériel, soit en créant un vasospasme. Les atteintes préférentielles concernent le cerveau et le cœur. Le tableau clinique décrit ici est compatible avec une embolie gazeuse, même si nous ne disposons pas d’une iconographie capable de l’attester, l’urgence de la situation initiale n’ayant pas permis de disposer de toute l’iconographie nécessaire. En effet, l’atteinte neurologique comportant un syndrome méningé bien qu’atypique a déjà été rapportée dans la littérature [6]. À l’inverse, l’atteinte coronarienne est classique et la co-existence simultanée de ces deux atteintes évocatrice. De plus, la normalité des examens complémentaires réalisés (PL, scanner cérébral et coronarographie) permet d’exclure la majorité des diagnostics différentiels. Surtout, la récupération complète des fonctions neurologiques et cardiaques
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sous oxygénothérapie hyperbare est un argument majeur en faveur du diagnostic. Notre observation rapporte un intervalle libre de quatre heures entre la réalisation du geste et la survenue des complications, ce qui est inhabituel, l’EGS survenant habituellement immédiatement ou dans les minutes qui suivent le geste de ponction biopsie transpariétale. Bien que les symptômes soient survenus alors que la patiente était en décubitus dorsal et au lit strict, on ne peut exclure l’hypothèse d’un passage intempestif de la patiente en orthostatisme (du fait de la barrière linguistique) malgré une surveillance médicale attentive. Ce délai d’apparition tardif pourrait également résulter d’un contact retardé entre l’air bronchique et la rupture vasculaire avérée comme en témoigne l’hémorragie alvéolaire visualisée au scanner (Fig. 2), l’ensemble étant favorisé soit par un effort de toux secondaire (non retrouvé à l’interrogatoire a posteriori) ou par une surpression tardive engendrée par le pneumothorax cloisonné conduisant à l’ouverture retardée d’une fistule vasculobronchique. En effet, l’aspect radiologique de la lésion ponctionnée est particulier. Il associe une lésion parenchymateuse polylobée mal limitée, comportant en son sein une cavité aérique co-existant avec une structure vasculaire (Fig. 1). L’analyse de la littérature montre que l’embolie gazeuse après ponction biopsie transpariétale survient plutôt lors de biopsies d’infiltrations ou de pneumopathies interstitielles que des nodules intraparenchymateux [7,8]. On ne retrouve pas, à l’inverse de données sur la présence ou non d’un vaisseau à proximité de la zone de ponction, mais cette coïncidence constatée ici reste troublante. L’analyse des cas décrits montre également que l’embolie gazeuse est associée dans plus de 70 % des cas soit à un pneumothorax, soit à une hémorragie alvéolaire, soit à la co-existence de ces deux complications qui est retrouvée dans la majorité des cas décrits [7,8]. Cela laisse à penser que la présence de ces complications pourrait être un facteur prédictif de survenue d’une embolie gazeuse et fait recommander une surveillance particulièrement attentive, en cas de survenue concomitante d’un pneumothorax et d’une hémorragie alvéolaire post-ponction. 4. Conclusion L’embolie gazeuse est une complication rare des ponctions biopsies transpariétales survenant le plus souvent dans les minutes qui suivent le geste mais aussi, comme le relate notre observation, après un intervalle libre de plusieurs heures. Le caractère retardé de l’EGS par rapport à la ponction biopsie transpariétale décrit ici est exceptionnel et l’hypothèse d’un effort de toux ou d’inspiration passé inaperc¸u, voire d’un passage à l’orthostatisme intempestif de la patiente, peut être évoquée ici. La survenue conjointe d’un pneumothorax cloisonné potentiellement responsable d’une surpression et d’une hémorragie alvéolaire au cours d’une ponction biopsie transpariétale pourrait également être un facteur favorisant. La survenue concomitante de ces deux complications de la ponction biopsie transpariétale doit inciter à la prudence et à une surveillance accrue. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Richardson CM, Pointon KS, Manhire AR, Macfarlane JT. Percutaneous lung biopsies: a survey of UK practice based on 5444 biopsies. Br J Radiol 2002;75:731–5. [2] Sinner WN. Complications of percutaneous transthoracic needle aspiration biopsy. Acta Radiol Diagn (Stockh) 1976;17:813–28. [3] Murphy JM, Gleeson FV, Flower CD. Percutaneous needle biopsy of the lung and its impact on patient management. World J Surg 2001;25:373–80.
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