Endocardite infectieuse. Épidémiologie, physiopathologie et anatomopathologie

Endocardite infectieuse. Épidémiologie, physiopathologie et anatomopathologie

Presse Med. 2019; 48: 513–521 Dossier thématique Endocardite infectieuse. Épidémiologie, physiopathologie et anatomopathologie Mise au point ENDOC...

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Presse Med. 2019; 48: 513–521

Dossier thématique

Endocardite infectieuse. Épidémiologie, physiopathologie et anatomopathologie

Mise au point

ENDOCARDITE

en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com

Bernard Iung

Disponible sur internet le : 2 mai 2019

AP–HP, hôpital Bichat, université Paris Diderot, DHU Fire, 75877 Paris, France

Correspondance : Bernard Iung, Hôpital Bichat, service de cardiologie, 46, rue Henri-Huchard, 75877 Paris cedex 18, France. [email protected]

Points essentiels L'incidence de l'endocardite infectieuse est estimée autour de 30 cas par million d'habitants et par an dans les études en population générale conduites dans les pays occidentaux. L'incidence de l'endocardite infectieuse est nettement accrue chez les patients ayant une prothèse valvulaire et plus encore en cas d'antécédent d'endocardite. L'épidémiologie de l'endocardite infectieuse a évolué. Elle survient chez des patients âgés et elle est le plus souvent due au staphylocoque. La physiopathologie de l'endocardite infectieuse fait intervenir des interactions complexes entre les micro-organismes circulants, l'endothélium valvulaire lésé et les défenses immunitaires de l'hôte. Les principales lésions de l'endocardite infectieuse sont les végétations qui sont causes d'embolies et les destructions du tissu valvulaire ou péri-valvulaire à l'origine de régurgitations aiguës.

Key points Infective endocarditis. Epidemiology, pathophysiology and histopathology

tome 48 > n85 > mai 2019 https://doi.org/10.1016/j.lpm.2019.04.009 © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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The annual incidence of infective endocarditis is estimated around 30 cases per million inhabitants in population-based studies performed in western countries. The incidence of infective endocarditis is markedly increased in patients with prosthetic heart valves and, particularly, in patients with prior infective endocarditis. The epidemiology of infective endocarditis has changed ; it occurs now in older patients and Staphylococcus has become the most frequent responsible microorganism. The pathophysiology of infective endocarditis results of complex interactions between circulating microorganisms, diseased valvular endothelium, and host defences. The main lesions of IE are vegetations which cause emboli and destruction of valvular and/or perivalvular tissues leasing to acute valvular regurgitations.

Mise au point

B. Iung

L'

épidémiologie de l'endocardite infectieuse a été sujette à d'importantes modifications au cours des dernières décennies. Des évaluations épidémiologiques menées en population générale ont permis récemment de mieux connaître ses caractéristiques épidémiologiques, en particulier son incidence selon les différentes cardiopathies sous-jacentes. La physiopathologie complexe de l'endocardite infectieuse est à l'origine d'un ensemble de lésions valvulaires et péri-valvulaires qui sont les causes des principales complications.

Épidémiologie Incidence globale Une évaluation fiable de l'épidémiologie de l'endocardite infectieuse, en particulier de son incidence, ne peut être issue que d'analyses effectuées en population générale, car les données issues de centres hospitaliers tertiaires comportent un biais de recrutement vers les formes les plus graves. Ces analyses doivent en outre porter sur des populations numériquement importantes en raison de la rareté de l'endocardite. Une enquête épidémiologique a été menée en France en 1991, 1999 et 2008 selon la même méthodologie. Un des avantages de ces

enquêtes était de comporter une validation de chaque cas utilisant la classification de Duke à partir des dossiers médicaux. L'enquête effectuée en 2008 concernait 32 % de la population française adulte et rapportait une incidence de 34 cas d'endocardites par million d'habitants et par an, classées comme certaines selon la classification de Duke [1]. Il existait une nette prédominance masculine (incidence annuelle de 51 cas par million chez les hommes vs 16 chez les femmes). Chez les hommes, l'incidence annuelle était < 30 cas par million avant l'âge de 50 ans et augmentait à près de 200 cas par million entre 75 et 79 ans [1]. D'autres études ont été menées en Australie, en Italie et aux États-Unis sur des bases régionales et ont rapporté une incidence annuelle entre 40 et 80 cas d'endocardite par million d'habitants (tableau I) [2–4]. Des données plus récentes proviennent de registres nationaux conduits en Angleterre et au Danemark et sont basées sur les codes diagnostiques hospitaliers [5–7]. Dans l'étude anglaise, les données étaient concordantes avec l'enquête nationale française, l'incidence annuelle de l'endocardite infectieuse étant estimée à 36 cas par million d'habitants [5].

TABLEAU I Incidence de l'endocardite infectieuse et caractéristiques des patients dans 4 études conduites en population générale Séries Pays 1

Population source (millions) Années Cas d'endocardite (n)

Sy et al. [2]

Fedeli et al. [3]

Selton-Suty et al. [1]

Toyoda et al. [4]

Australie

Italie

France

États-Unis

6,6

4,9

15,3



2000–2006

2000–2008

2008

1998–2013

1536

1863

497

75 829

3

Incidence annuelle (par million d'habitants)

47

44

34

773

Âge moyen ou médian âge (ans)

62

68

62

62

Hommes (%)

64

62

74

59

Endocardite sur prothèse (%)

13



21

14

Endocardite liée aux soins (%)

30



27

53

44

412

36

39

23

2

36

36

26

2

11



Microbiologie (%) Staphylocoques Streptocoques Enterocoques

2

514

3

7

2

Autres

11

16

12

10

Non indentifiée

13



5

25

14

19

23

24 % à 3 mois

Mortalité hospitalière (%) 1

9

Population adulte correspondant aux cas d'endocardite. Données microbiologiques sur 608 patients. Incidence ajustée sur l'âge et le sexe.

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La mortalité précoce demeure élevée, entre 15 et 25 % durant la période hospitalière ou les 3 premiers mois [1–4].

Microbiologie Le staphylocoque est le micro-organisme désormais le plus souvent à l'origine de l'endocardite infectieuse, suivi par les streptocoques d'origine bucco-dentaire, puis l'entérocoque. Le tableau I détaille la répartition des micro-organismes dans les principales études menées en population générale. De façon concordante, la porte d'entrée la plus fréquente est cutanée, suivie par les portes d'entrée bucco-dentaires et digestives [8]. La fréquence des endocardites à hémocultures négatives est devenue faible, entre 5 et 10 %, en raison des progrès des techniques d'identification microbiologique et du recours aux sérologies. La prédominance du staphylocoque est le plus souvent rapportée à l'augmentation de fréquence des endocardites liées aux soins. Ceci regroupe les endocardites nosocomiales (acquises en milieu hospitalier) et nosohusiales (acquises lors de procédures de soins en dehors du milieu hospitalier). L'ensemble des endocardites liées aux soins représente 30 à 50 % de l'ensemble des endocardites et 40 à 50 % sont dues au staphylocoque doré (tableau I). Leur mortalité intrahospitalière est plus élevée que celle des endocardites acquises en milieu communautaire [4]. Les endocardites postopératoires sont définies par leur survenue durant la première année suivant une chirurgie valvulaire. Leur profil microbiologique est caractérisé par la prédominance du staphylocoque doré et du staphylocoque à coagulase négative alors que les streptocoques sont rares. Après la première année, la répartition des micro-organismes des endocardites sur prothèses implantées chirurgicalement est voisine de celle des endocardites sur valve native. La répartition des micro-organismes est différente dans les endocardites après implantation de prothèse par cathéter (TAVI), notamment en raison d'une fréquence accrue d'Enterococcus faecalis [9]. Ces différences ne semblent pas imputables au type de prothèse ou à son mode d'implantation, mais surtout à la population étudiée. En effet, E. faecalis est plus souvent responsable d'endocardite chez le sujet âgé, y compris sur valve native, avec une fréquence de 22 % chez les patients de plus de 80 ans, ce qui représente une fréquence deux fois plus élevée que chez les patients âgés de moins de 65 ans [10].

ENDOCARDITE

matériel prothétique, l'incidence est plus élevée, entre 4 et 6 pour 1000 [5–7]. Les comparaisons d'incidence de l'endocardite selon le type de substitut valvulaire nécessitent des populations importantes, car il existe de nombreux facteurs de confusion, en particulier l'âge, qui est un facteur de risque d'endocardite et qui diffère selon le type de prothèse valvulaire implantée. Dans une étude sur la base de donnée nationale danoise, l'incidence de l'endocardite était plus élevée en présence d'une bioprothèse que d'une prothèse mécanique, y compris après ajustement pour les facteurs de confusion [11]. L'incidence de l'endocardite après TAVI est estimée entre 11 et 16 pour 1000 [9]. Ces chiffres doivent également tenir compte de facteurs de risque plus fréquents chez les patients traités par TAVI que chez ceux traité par remplacement valvulaire chirurgical, en particulier un âge plus avancé et une fréquence accrue de fuites paraprothétiques et d'implantation de stimulateurs cardiaques. Chez un patient porteur d'une prothèse valvulaire, qui est donc déjà à haut risque d'endocardite, l'implantation d'un stimulateur cardiaque accroît le risque d'endocardite [11]. Dans une étude comportant une analyse ajustée sur les caractéristiques des patients, l'incidence de l'endocardite ne différait pas entre TAVI et remplacement valvulaire aortique chirurgical par bioprothèse [12]. L'incidence de l'endocardite infectieuse est plus élevée dans l'année qui suit l'implantation d'une prothèse, qu'il s'agisse d'un remplacement valvulaire chirurgical ou d'un TAVI. Le risque d'endocardite est particulièrement élevé après l'implantation par cathéter d'une prothèse valvulaire de type Melody en position pulmonaire [13]. L'incidence annuelle de l'endocardite sur matériel de stimulation est estimée entre 0,5 et 2 pour 1000, elle augmente avec le nombre de sondes de stimulation et en présence d'un défibrillateur [5,7]. L'incidence de l'endocardite infectieuse est particulièrement élevée, entre 10 et 15 pour 1000 chez les patients qui ont déjà présenté un épisode d'endocardite [5,6]. L'incidence de l'endocardite est faible chez l'enfant, inférieure à 10 cas par million et par an. Elle est plus élevée chez les adultes atteints d'une cardiopathie congénitale, avec une incidence annuelle globale estimée à 1,3 pour 1000, mais avec une hétérogénéité importante selon le type de cardiopathie [14]. Le risque est le plus élevé chez les patients opérés avec des shunts palliatifs ou des tubes prothétiques.

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Influence des cardiopathies sous-jacentes

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Évolution de l'incidence et des caractéristiques de l'endocardite L'évolution de l'incidence de l'endocardite infectieuse a fait l'objet d'évaluations contradictoires ces dernières années. Dans les enquêtes épidémiologiques françaises, l'incidence standardisée de l'endocardite ne différait pas entre les trois enquêtes conduites en 1991, 1999 et 2008 [15]. Une augmentation de l'incidence de l'endocardite a été rapportée notamment d'après les données du Royaume-Uni entre 2000 et 2013 [16].

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Dans les études en population générale, 13 à 21 % des endocardites surviennent sur des prothèses valvulaires, environ 13 % sur des dispositifs de stimulation et 6 à 7 % chez les patients ayant des antécédents d'endocardite [1–4]. L'incidence de l'endocardite varie considérablement en fonction du type de cardiopathie sous-jacente (figure 1). En présence d'une valvulopathie native, l'incidence est de l'ordre de 1 à 3 pour 1000 ; en présence d'une prothèse valvulaire ou d'une chirurgie valvulaire conservatrice avec implantation de

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Figure 1 Incidence de l'endocardite selon le type de cardiopathie préexistante Incidence annuelle par million de patients et par an. CMH : cardiomyopathie hypertrophique.

Différentes études ont conduit à des conclusions discordantes (tableau II) [4,15–24]. Ces discordances peuvent être rapportées notamment à la prise en compte insuffisante de certains facteurs de confusion et à l'absence d'information sur les microorganismes responsables. La relation temporelle avec la modification des recommandations d'antibioprophylaxie n'a été étudiée spécifiquement que dans l'étude britannique, mais son interprétation a fait l'objet de critiques méthodologiques. En ce qui concerne les caractéristiques des patients, l'âge a augmenté lors des dernières décennies, ce qui correspond à l'évolution de l'épidémiologie des valvulopathies qui sont devenues majoritairement d'origine dégénérative [25]. La proportion des endocardites dues au staphylocoque a augmenté, ce qui correspond également aux constatations des enquêtes en population générale [25].

L'endocardite dans les pays en voie de développement

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Il n'existe pas de grande série permettant d'estimer l'incidence de l'endocardite dans les pays en voie de développement. Sur le plan qualitatif, la présentation est très différente de celle des pays occidentaux [26]. Les patients sont nettement plus jeunes,

ce qui correspond à la persistance de l'endémie rhumatismale, qui est à l'origine de valvulopathies sévères chez les adultes jeunes. Le streptocoque demeure le micro-organisme le plus souvent responsable et les endocardites à hémocultures négatives sont plus fréquentes. Selon les estimations du Global Burden Disease, l'endocardite était responsable de 65 000 décès dans le monde en 2013 [27].

Physiopathologie La survenue d'une bactériémie sur une valve pathologique ou un matériel étranger est à l'origine d'interactions complexes entre le micro-organisme, l'endothélium valvulaire et les réactions immunitaires de l'hôte [28]. L'endothélium valvulaire normal est résistant à infection, mais son altération en raison d'une valvulopathie native expose les composants de la matrice extracellulaire du sous-endothélium qui sont thrombogènes et déclenchent une adhésion et une activation des plaquettes, suivie d'une colonisation rapide par les micro-organismes circulants, qui infectent ensuite les cellules endothéliales. Il existe des différences d'affinité des micro-organismes pour l'endothélium valvulaire et le thrombus qui dépendent de molécules d'adhésion (MSCRAMM : microbial surface component reacting

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TABLEAU II Études d'évolution de l'incidence de l'endocardite infectieuse chez l'adulte Années

Pays

Diagnostic d'EI

Évaluation de la prescription d'antibioprophylaxie

Augmentation d'incidence

Microbiologie documentée

Dayer et al. [16]

2000–2013

Angleterre

Codages hospitaliers, base nationale

Oui

Oui

Non

DeSimone et al. [17]

1999–2010

États-Unis

Base nationale NIS, base spécifique du comté d'Olmsted

Non

Non (Streptococcus viridans)

Oui

Duval et al. [15]

1991, 1999, 2008

France

Enquête nationale avec validation

Non

Non

Oui

Bikdeli et al. [18]

1999–2010

États-Unis

Codages hospitaliers, base nationale Medicare, âge  65 ans

Non

Non

Non

DeSimone et al. [19]

1999–2013

États-Unis

Base spécifique du comté d'Olmsted

Non

Non (EI à Streptocoques)

Oui

Pant et al. [20]

2000–2011

États-Unis

Codages hospitaliers, Base nationale NIS

Non

Oui (EI à Streptocoques et Entérocoques)

Oui

Mackie et al. [21]

2002–2013

Canada

Codages hospitaliers (Base de l'Institut canadien d'information sur la santé)

Globale, mais pas pour les EI à streptocoques

Oui (74 %)

Keller et al. [22]

2005–2014

Allemagne

Codages hospitaliers, base nationale

Non

Oui

Oui

Van den Brink et al. [23]

2005–2011

Pays-Bas

Codages hospitaliers, base nationale

Non

Globale et EI à S. viridans

Oui

Thornhill et al. [24]

2003–2015

États-Unis

Base nationale Medicare + autres bases d'assurances

Oui

Oui (surtout patients à haut risque)

Non

Toyoda et al. [4]

1998–2013

États-Unis

Codages hospitaliers (2 états)

Non

Non

Oui

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diffèrent et sont mal connus en ce qui concerne les microorganismes à développement intracellulaire exclusif, comme Coxiella burnetii et Bartonella. Certains micro-organismes, en particulier le staphylocoque doré, accompagnent leur prolifération de la formation d'un biofilm conduisant à un agrégat plaquettaire enchâssé dans un réseau de polysaccharides et de protéines. La formation d'un biofilm favorise la virulence de l'infection, notamment en protégeant les micro-organismes des défenses immunitaires et des traitements antimicrobiens. Le biofilm semble jouer un rôle particulièrement important dans les endocardites sur prothèse et sur matériel de stimulation, alors que son rôle n'est pas prouvé dans les endocardites sur valves natives [28]. La colonisation du thrombus fibrino-plaquettaire par les micro-organismes circulants déclenche une réaction immunitaire activant les monocytes circulants qui sécrètent du facteur tissulaire et des cytokines. L'invasion du tissu valvulaire par les

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with adhesive matrix molecules). Des protéines se liant au fibrinogène ou à la fibronectine sont présentes à la surface des micro-organismes. Certains micro-organismes comme le staphylocoque doré peuvent également se lier directement aux cellules endothéliales. Les propriétés de ces nombreuses molécules d'adhésion expliquent la prédominance des cocci gram positifs comme micro-organismes responsables. Les capacités particulières d'adhésion du staphylocoque doré peuvent être rapportées à leur fréquence prédominante dans les endocardites survenant en l'absence de valvulopathie préexistante. L'adhésion des micro-organismes est également favorisée par l'expression des intégrines par les cellules endothéliales en réponse à l'inflammation. Après la face d'adhésion, les microorganismes peuvent être internalisés par les cellules endothéliales où ils peuvent proliférer et diffuser ou persister en échappant aux antibiotiques et au système immunitaire. Les mécanismes de colonisation de l'endothélium valvulaire

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ENDOCARDITE

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micro-organismes puis les cellules inflammatoires est à l'origine des principales lésions et complications de l'endocardite infectieuse [28] :  les végétations correspondent à un thrombus septique, dont la croissance est favorisée par l'activation de l'hémostase par les cytokines. Les micro-organismes qui ont colonisé les végétations sont d'accès difficile aux antibiotiques et aux défenses immunitaires ;  les mutilations valvulaires (perforations ou déchirures) et périvalvulaires (abcès) sont les conséquences de la destruction de la matrice extracellulaire par les enzymes protéolytiques libérés par les micro-organismes et les cellules inflammatoires ;  l'activation du système immunitaire entraîne la formation de complexes immuns circulants qui peuvent entraîner ensuite des lésions auto-immunes comme la glomérulonéphrite, les taches de Roth au fond d'œil et les nodosités d'Osler. La présence du facteur rhumatoïde est un critère mineur de la classification de Duke. Des anticorps dirigés contre le cytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA) sont détectés dans l'endocardite infectieuse chez près d'un quart des patients. Des modèles animaux expérimentaux ont montré que l'endocardite peut survenir à l'issue de bactériémies brèves avec un inoculum important, mais aussi de bactériémies répétées ou persistantes avec un inoculum faible. Ces bactériémies répétées de faible intensité correspondent à des situations de la vie quotidienne aussi banales que le brossage des dents et la mastication et sont favorisées par une mauvaise hygiène bucco-dentaire. Les endocardites postopératoires sur prothèse valvulaire sont généralement liées à une contamination péri-opératoire. De même, les endocardites sur matériel de stimulation sont le plus souvent secondaires à une contamination cutanée durant l'implantation ou le remplacement du matériel.

Anatomie pathologique Histologie

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La physiopathologie de l'endocardite est à l'origine de lésions histologiques valvulaires qui ne sont pas spécifiques individuellement, mais dont la conjonction a une valeur diagnostique. Une classification anatomo-pathologique basée sur des critères majeurs et mineurs permet de classer le diagnostic d'endocardite en certain, possible ou rejeté (tableau III) [29]. L'examen anatomo-pathologique est plus sensible que la culture de valve pour le diagnostic d'endocardite infectieuse. Le diagnostic anatomo-pathologique ne concerne bien évidemment que les patients opérés et sa valeur est rétrospective. La contribution du diagnostic anatomo-pathologique est particulièrement importante en cas d'endocardite à hémocultures négatives. Ceci souligne l'importance d'un examen anatomo-pathologique systématique de toutes les valves explantées.

TABLEAU III Critères anatomo-pathologiques et histologiques pour le diagnostic d'endocardite infectieuse. D'après Lepidi et al. [29] Critères majeurs Végétation Infiltrat inflammatoire avec présence de polynucléaires Présence de micro-organismes dans le tissu valvulaire

Critères mineurs Infiltrat de cellules mononuclées (macrophages et lymphocytes) Nécrose Néovascularisation Fibrose Calcifications

Endocardite certaine : 2 critères majeurs ou un critère majeur et 3 critères mineurs ; endocardite possible : un critère majeur et 2 critères mineurs ; endocardite exclue : pas de critère majeur.

Lésions macroscopiques et conséquences Végétations Les végétations sont des thrombi septiques, qui sont le plus souvent implantés sur le versant d'amont des feuillets valvulaires ou des shunts, ce qui correspond aux zones de basse pression où les conditions rhéologiques favorisent l'agrégation plaquettaire sur le tissu valvulaire pathologique ou sur un matériel étranger (figure 2). Les végétations sont rarement à l'origine d'une obstruction valvulaire. Leur principale complication est l'embolie par fragmentation ou par migration de la totalité de la végétation. En cas d'endocardite du cœur gauche, la localisation des embolies est le plus souvent cérébrale, suivie par les localisations abdominales. Les embolies issues des endocardites du cœur droit sont pulmonaires. Les embolies sont le plus souvent à l'origine d'infarctus ischémiques, plus rarement d'infections métastatiques causant des abcès. Le dépistage des lésions intracardiaques à l'aide de la réalisation systématique d'imageries par résonance magnétique chez les patients présentant une endocardite aiguë met plus souvent en évidence des infarctus cérébraux que des abcès cérébraux. Les hémorragies cérébrales sont plus rares que les accidents vasculaires ischémiques et sont la conséquence d'une hémorragie secondaire compliquant un accident vasculaire cérébral initialement ischémique ou d'une hémorragie primaire, en particulier en cas de rupture d'anévrysme mycotique. De même, en ce qui concerne les lésions abdominales, les infarctus sont les lésions les plus fréquentes, le plus souvent de localisation splénique, suivie par les localisations rénales et hépatiques, alors que les abcès et les lésions hémorragiques sont plus rares. Il existe un continuum entre la taille de la végétation et le risque embolique. Le seuil de longueur maximale des végétations

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ENDOCARDITE

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Figure 2 Endocardite mitrale Végétations du feuillet postérieur (flèches) (Courtoisie Dr Raffoul).

Figure 3

Mutilations valvulaires et péri-valvulaires Les destructions tissulaires consécutives à l'invasion de l'endothélium valvulaire et à la réaction inflammatoire atteignent les valves et les tissus péri-valvulaires. Les lésions des valves natives débutent par des abcédations fragilisant le tissu valvulaire, qui évoluent vers des déchirures ou des perforations à l'origine de régurgitations valvulaires (figure 3). La diffusion de l'infection à la périphérie des valves cause des abcès péri-valvulaires qui consistent initialement en un épaississement qui évolue rapidement vers la détersion et la formation de néocavités. Ces néocavités sont circulantes lorsqu'elles sont fistulisées vers les cavités ou les vaisseaux adjacents. Elles causent des régurgitations péri-valvulaires lorsqu'elles sont fistulisées dans les cavités d'amont et d'aval de la valve. La formation d'abcès péri-valvulaires est favorisée par la virulence des micro-organismes, comme le staphylocoque doré, ainsi que par la présence de matériel étranger et sont donc plus fréquentes dans les endocardites sur prothèse que dans les endocardites sur valve native. Les abcès péri-valvulaires sont plus fréquents dans les localisations aortiques que mitrales.

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Endocardite mitrale Perforation du feuillet antérieur (flèche), vue de la face atriale (Courtoisie Dr Raffoul).

Plus rarement, l'extension des destructions tissulaires péri-valvulaires peut être à l'origine de fistules entre différentes cavités cardiaques comme les fistules entre l'aorte et l'oreillette droite ou les communications interventriculaires. Les régurgitations valvulaires ou péri-valvulaires compliquant une endocardite infectieuse ont la particularité d'apparaître rapidement, ce qui les différencie des autres causes de valvulopathies qui sont le plus souvent à l'origine de régurgitations chroniques. Les régurgitations aiguës ou subaiguës compliquant l'endocardite entraînent une surcharge volumétrique dans une cavité ventriculaire qui ne s'est pas dilatée faute de temps, à la différence des valvulopathies chroniques. Cette surcharge de volume dans un ventricule non dilaté provoque une augmentation marquée des pressions télédiastoliques et donc des pressions de remplissage en amont. De plus, en l'absence de dilatation ventriculaire, le volume d'éjection systolique n'est pas augmenté et ne peut donc pas compenser le volume régurgitant. En l'absence d'adaptation ventriculaire, les régurgitations aiguës sont donc rapidement mal tolérées hémodynamiquement, ce qui explique leur impact pronostique particulièrement négatif dans l'endocardite. Complications vasculaires Les lésions vasculaires les plus fréquentes sont les embolies consécutives à la migration des végétations ou de leurs fragments. Les anévrysmes mycotiques sont dus à des embolies septiques dans les vasa vasorum ou dans la paroi artérielle et pourraient également faire intervenir une vascularite

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associé à la survenue d'embolies ayant des conséquences cliniques a été établi autour de 10 mm dans plusieurs études. Lorsque les embolies sont dépistées par des examens très sensibles, comme l'imagerie par résonance magnétique, le risque embolique augmente dès que la longueur de la végétation dépasse 4 mm [30]. Le risque embolique dépend d'autres facteurs que la taille de la végétation et le recours à un modèle multivarié permet d'estimer précocement le risque embolique en fonction de l'ensemble des caractéristiques des patients. Le risque embolique décroît rapidement après l'instauration du traitement antibiotique.

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immunologique. La prévalence des anévrysmes mycotiques est estimée entre 1 et 10 %, probablement sous-estimée en l'absence de dépistage systématique. Les anévrysmes mycotiques ne sont en effet symptomatiques que lorsqu'ils se rompent et causent des complications hémorragiques, particulièrement graves dans les localisations cérébrales. En conclusion, les données épidémiologiques récentes confirment l'hétérogénéité du risque d'endocardite infectieuse selon la cardiopathie sous-jacente et confirment son incidence élevée parmi les patients définis à haut risque. Outre les mesures de

prévention, une vigilance particulière est nécessaire en cas de suspicion d'endocardite chez un patient porteur d'une prothèse valvulaire et plus encore en cas d'antécédent d'endocardite. Les lésions causées par l'endocardite sont nombreuses et diverses et leur identification doit être précoce et précise en raison de leur contribution diagnostique et de leur importance pronostique. Déclaration de liens d'intérêts : consultant pour Edwards Lifesciences. Honoraires d'orateur : Boehringer Ingelheim, Novartis.

Références [1]

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tome 48 > n85 > mai 2019

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Endocardite infectieuse. Épidémiologie, physiopathologie et anatomopathologie