L’Encéphale (2012) 38, S67-S69
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Endophénotypes et troubles du spectre autistique Endophenotypes and autism spectrum disorders M. Sokolowskya,*, E. Fakrab, J.-M. Azorinb aService bSHU
de Pédopsychiatrie, Hôpital Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 9, France Psychiatrie Adultes – Pavillon Solaris, Hôpital Sainte Marguerite, 13274 Marseille cedex 9, France
MOTS-CLÉS Endophénotype ; Autisme ; Facteurs de risque
KEYWORDS Endophenotype; Autism; Risk factors
Résumé Les facteurs génétiques des troubles autistiques restent inconnus après 30 ans de recherches. Le concept d’endophénotype semble une voie d’approche de ces facteurs. L’existence de « phénotypes élargis » chez les apparenté sains permet d’approcher ces endophénotypes. Ces « Phénotypes élargis » incluent des signes cliniques, des anomalies cérébrales morphologiques et fonctionnelles permettant d’approcher la physiopathologie des TSA et la physiologie cérébrale. À terme la connaissance des endophénotypes des TSA devrait permettre l’identification des facteurs génétiques de risque de TSA. Cette connaissance pose des questions éthiques quand aux notions de « porteurs sains » et d’un éventuel diagnostic anténatal. © 2012 L’Encéphale, Paris, 2012 Summary Genetic factors of ASD stay unknown after 30 years of research. The concept of “endophenotype” seems an interesting approach toward these factors. “Enlarged phenotypes” in families of ASD persons could lead to the definition of ASD endophenotypes. “Enlarged phenotypes” include clinical symptoms, morphological and functional brain anomalies enlightening ASD physiopathology and brain physiology. Knowledge of endophenotypes will lead to ASD genetic risk factors. This knowledge will open ethical questions about prenatal diagnosis. © 2012 L’Encéphale, Paris, 2012
Les troubles du spectre autistique sont les plus génétiquement déterminés des troubles mentaux et, toutes pathologies confondues, parmi les troubles complexes les plus génétiquement déterminés [1]. Dès 1977, l’étude de Folstein et Rutter [2] sur les jumeaux monozygotes montrait que le phénotype associé à la prédisposition génétique autistique inclut des altérations cognitives et sociales s’étendant bien au delà du trouble tel que défini alors. Dans le suivi du groupe des jumeaux ne validant pas les critères diagnostiques de trouble autistique, la majorité à l’âge adulte présentait des altérations cognitives et/ou sociales qui pour les plus sévères validaient alors les critères de TSA [3].
*Correspondance. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Sokolowsky) © L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés.
L’analyse de l’environnement familial des enfants TSA retrouve des altérations qualitatives similaires des interactions sociales, de la communication, des activités chez les ascendants et collatéraux, bien que ne validant pas quantitativement les critères de TSA [4]. Les individus présentant un TSA représentent en fait une faible proportion des individus apparentés présentant une expression atténuée du phénotype. Ce « phénotype large » ou ce « variant élargi » est retrouvé chez 20-30 % des apparentés [5,6]. Le spectre des symptômes autistiques est donc bien plus large que le spectre des troubles autistiques. Le risque génétique de TSA ne se distribue pas de façon mendélienne. Plusieurs gènes interagissent probablement
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entre eux pour produire le phénotype selon un modèle multi local avec épistasie. Au moins 3-4 gènes prédisposant seraient impliqués [7], avec près de 15 loci [8]. Le polymorphisme et l’hétérogénéité clinique des TSA est un reflet du polymorphisme génétique. D’autres facteurs comme le sexe et l’environnement influencent l’expression phénotypique. L’intervention de mécanismes épigénétiques comme les défauts de méthylation de l’ADN sont probables [9,10]. Si les TSA sont hautement héritables, l’identification des gènes de susceptibilité reste vaine. En raison de la probable hétérogénéité génétique, mais aussi de notre ignorance de la physiopathologie des TSA, ce qui ne permet pas la recherche de gènes candidats. Les études de linkage sur la totalité du génome des TSA et de leurs apparentés ont produit de maigres résultats, en regard de la complexité et du coût de telles études. Ces résultats constituent cependant une première étape vers l’identification des locus de susceptibilité. Une douzaine d’études a été publiée ces dix dernières années dans le cadre « Autism Project Consortium 2007 ». L’intérêt se centre autour de quelques régions [11] : • Chr 7q région AUTs 1 ; • Chr 2q, Lamb 2005 ; • 17q ; • 11q12-13. Reste à préciser le rôle de ces locus ; ce qui s’annonce bien difficile. Les études de linkage ont surtout mis en lumière l’absence de reproduction des résultats entre les différentes études. Ce qui souligne l’extension de l’hétérogénéité du déterminisme génétique des TSA. Le phénotype TSA, comme tout phénotype, exprime la coopération de son génotype avec l’environnement. Les modèles de troubles complexes génétiquement déterminés sont un ballet interactivement chorégraphié impliquant génotype, environnement et facteurs épigénétiques d’où émerge le phénotype particulier. La psychiatrie rencontre peu de succès dans l’identification de gènes ou de locus « coupables » du développement de catégories de troubles mentaux tels que référencés dans les classifications. Les raisons en sont multiples. Ces catégories de trouble sont souvent hétérogènes et recouvrent probablement des dimensions de pathologies distinctes. Le déterminisme de ces pathologies est multifactoriel et, lorsqu’un déterminisme génétique est impliqué, il est au moins polygénique, du moins au niveau des gènes candidats. Enfin le cerveau est le plus complexe de tous les organes. C’est même l’objet le plus complexe de l’univers.
Comment rechercher les gènes candidats au phénotype TSA ? En recherchant des altérations comportementales ou des anomalies cérébrales, morphologiques ou fonctionnelles, avec une connexion génétique. C’est l’objectif du concept d’endophénotype en psychiatrie, utilisé dans les schizophrénies et les troubles bipolaires. Pour qu’un marqueur soit considéré comme un endophénotype, il doit répondre à 5 critères : • 1. Le marqueur est associé avec la pathologie dans la population ; • 2. Le marqueur est héritable ;
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• 3. La présence du marqueur est constante que la pathologie soit active ou inactive ; • 4. Dans la famille le marqueur et la pathologie sont liés ; • 5. Le marqueur retrouvé chez les membres affectés de la famille doit être retrouvé chez les membres non affectés à un taux plus élevé que dans la population générale. Mais la tâche est complexe. Les TSA ne forment pas une catégorie de troubles, mais une dimension de troubles dont le spectre d’expression clinique va du plus dense au plus ténu voire à l’indécelable. Les TSA présentent une grande hétérogénéité clinique et, semble t-il, génétique. Nous savons mesurer l’intensité des 3 syndromes constitutifs du trouble : altération qualitative des interactions sociales, altération qualitative de la communication et activités restreintes et stéréotypées. Sur le plan para clinique l’imagerie cérébrale a permis d’établir un catalogue d’anomalies cérébrales morphologiques et fonctionnelles dont aucune n’est spécifique, mais retrouvées chez les apparentés indemnes de TSA. Si la corrélation statistique de ces anomalies cérébrales avec le phénotype TSA est établie, nous ne savons pas faire le lien physiopathologique entre ces anomalies cérébrales et les syndromes comportementaux du phénotype TSA.
Symptômes cliniques La recherche s’est orientée vers le niveau symptomatique avec l’évitement du regard. Nacewicz et Dalton [12], ont retenu ce symptôme majeur de TSA et l’ont recherché dans la fratrie indemne d’enfants TSA. Pour retrouver le même taux d’évitement du regard dans la fratrie indemne que chez les enfants TSA. La comparaison des IRM cérébrales des deux groupes retrouve une identique hypotrophie de l’amygdale cérébrale. L’amygdale cérébrale est impliquée dans la poursuite oculaire et la reconnaissance faciale. Or il semble que les enfants victimes de TSA soient en difficulté pour reconnaitre les émotions traduites par les expressions faciales. Leurs frères indemnes de TSA sont eux capables de reconnaissance des émotions sur les visages. Hypothèse, les frères indemnes pourraient avoir développé des systèmes palliatifs aux fonctions défaillantes de l’amygdale hypotrophiée. Hypothèse qui ouvre une cascade d’hypothèses conséquentes. Sur le plan pathogénique, si l’altération phénotypale au niveau de l’amygdale est la même, des facteurs environnementaux sont-ils impliqués dans le développement ou le non développement de circuits de suppléance ? Si des circuits de suppléance se sont développés sous l’action de l’environnement chez les frères indemnes, ne pourrait-on pas modifier l’environnement des TSA pour permettre le développement de ces suppléances ? La modification de l’environnement des enfants victimes de TSA est à la base de toutes les stratégies de soin actuellement validées. Mais ces modifi cations sont, pour l’heure, totalement empiriques. Nacewicz et Dalton utilisent ensuite l’IRM fonctionnelle pour examiner l’activité cérébrale entrante et sortante de l’amygdale lorsque les TSA regardent des images de visages exprimant différentes émotions. Pour constater un déficit des connections de l’amygdale avec le cortex préfrontal et une hypertrophie des connections de l’amygdale avec des structures cérébrales archaïques, impliquées dans le traitement
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des émotions comme les hippocampes. Ces anomalies de connexion de l’amygdale sont corrélées avec les anomalies du traitement des émotions portées par le visage suggérant que l’altération de ces connexions contribue directement à l’incapacitation sociale des TSA. Reste à identifier les locus responsables.
Imagerie cérébrale fonctionnelle Les cerveaux des parents de TSA présentent des anomalies dans les régions impliquées dans les processus de cognition sociale similaires à celles retrouvées chez les TSA [13]. Les cerveaux des parents présentent également des anomalies quantitatives de matière grise dans les gyrus pré et post centraux. Ces gyrus sont impliqués dans la planification, l’exécution et la régulation du mouvement de même que dans la compréhension des structures faciales complexes. Par ailleurs Peterson retrouve une hypotrophie de la substance blanche dans les fibres issues des zones du cervelet impliquées dans la reconnaissance faciale. Déficit encore de la substance blanche dans le cortex frontal impliqué dans la reconnaissance des états mentaux d’autrui et dans l’élaboration de réponses adéquates. Pour Peterson l’étape suivante est la recherche chez les parents de TSA des signes cliniques du TSA bien que n’en validant pas les critères quantitatifs afin d’établir des critères de sélection pour des études génétiques visant à identifier les gènes candidats dans la cognition sociale.
Endophénotypes ou phénotypes élargis ? Dans le domaine des TSA, nous sommes encore loin de l’identification d’endophénotypes permettant de rechercher les loci candidats. Nos connaissances actuelles ne portent que sur des phénotypes intermédiaires qui diffèrent des endophénotypes par l’absence de connexion directe avec le génotype. Ils n’en ont pas moins un rôle clé dans le processus biologique conduisant au phénotype TSA. Ces phénotypes intermédiaires nous permettent d’avancer dans la découverte de la physiopathologie des TSA et dans la compréhension du fonctionnement du cerveau. Sur le plan clinique la détermination d’endophénotypes permettrait, théoriquement, un repérage précoce du trouble dans les familles à risque ainsi qu’un traitement précoce des altérations des interactions sociales.
Endophénotypes des TSA, mais pour quoi faire ? La recherche des facteurs génétiques impliqués dans les TSA soulève néanmoins des questions d’éthique. En s’étendant aux membres non symptomatiques de la famille elle fait apparaitre chez certains individus la notion d’un « phénotype élargi de TSA », les confrontant à un risque individuel de pathologie ultérieure et à un risque pour leur descendance. La révélation d’un « phénotype élargi de TSA » chez les parents d’un enfant symptomatique risque de réactiver chez eux un sentiment de culpabilité, non seulement naturel, mais
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aussi de reviviscence post-traumatique après les aberrations de ces 60 dernières années sur la causalité environnementale exclusive des Troubles autistiques. Certains irréductibles voyant dans la notion d’endophénotypes du TSA, la confirmation de leur croyance environnementale. Sans parler de la réactivation possible de la mythologie bien française de « l’hérédo dégénérescence » encore latente dans notre culture. Enfin devant le drame individuel et familial des TSA, devant le coût astronomique de leur diagnostic et de la prise en charge, force est de se poser la question de l’usage qui pourrait être fait de la découverte d’un pool de loci impliqués dans le déterminisme des TSA. Une telle découverte ouvrirait inéluctablement la question d’un diagnostic prénatal. Avec quelles conséquences ? Nous savons que le déterminisme du phénotype TSA est loin d’être une causalité linéaire comme dans la trisomie 21. La faillite croissante de notre système de santé laissera-t-elle encore un espace à la réflexion ?
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec cet article.
Références [1] Rutter M. Genetic studies of autism: from 1970s into the millennium. J Abnorm Child Psychol 2000;28:3-14. [2] Folstein S, Rutter M. Infantile autism: a genetic study of 21 twin pairs. J Child Psychol Psychiatry 1997;18:297-321. [3] Bailey A, Le Couteur A, Gottesman I, et al. Autism as a strongly genetic disorder: evidence from a British twin study. Psychol Med 1995;25:63-77. [4] Bolton P, Macdonald H, Pickles A, et al. A case control family history study of autism. J Child Psychol Psychiatry 1994;35:877-900. [5] de Jonge MV. The search for endophenotypic markers of autism spectrum disorders. 2006, 192 p. [6] Fombonne E, Bolton P, Prior J, Jordan H, Rutter, M. A family study of autism: Cognitive patterns and levels in parents and siblings. J Child Psychol Psychiatry 1997;38:667-83 [7] Pickles A, Bolton P, Macdonald H, et al. Latent class analysis of recurrence risks for complex phenotypes with selection and measurement error: a twin and family study of autism. Am J Hum Genet 1995;54:717-26. [8] Risch N. Linkage strategies for genetically complex traits. Am J Hum Genet 1999;46:222-53. [9] Abdomalsky HM, Smith CL, Faraone SW, et al. Methylomics in psychiatry: Modulation of gene-environment interactions may be through DNA methylation. Am J Med Genet B Neuropsychiatr Genet 2004;127:51-9. [10] Lamb JA, Barnby G, Bonora E, et al. Analysis of IMGSAC autismsuceptibility loci: Evidence for sex limited and parent of origin specific effects. J Med Genet 2005;42:132-7. [11] Bachelli E, Maestrini E. Autism spectrum disorders: Molecular genetics advances. American Am J Med Genet C Semin Med Genet 2006;142:13-23. [12] Dalton KM, Nersesian MM, McDuffie A, et al. Presented at the International Meeting for Autism Research – Montreal Canada – June 1-2, 2006. [13] Peterson E, Schmidt GL, Tregellasa JR, et al. A voxel-based morphometry study of gray matter in parents of children with autism. NeuroReport 2006;17;1289-92.