Enjeux éthiques et cliniques de la consultation anténatale dans le cadre des malformations de membres

Enjeux éthiques et cliniques de la consultation anténatale dans le cadre des malformations de membres

Éthique et santé (2017) 14, 19—24 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com ARTICLE ORIGINAL Enjeux éthiques et cliniques de la ...

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Éthique et santé (2017) 14, 19—24

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

ARTICLE ORIGINAL

Enjeux éthiques et cliniques de la consultation anténatale dans le cadre des malformations de membres Ethical and clinical issues of antenatal consultation in the context of limb malformations N. Brennetot Centre de référence des malformations des membres chez l’enfant, hôpitaux de Saint-Maurice, 14, rue du Val-d’Osne, 94410 Saint-Maurice, France Disponible sur Internet le 17 janvier 2017

MOTS CLÉS Diagnostic anténatal ; Malformations de membres ; Normalité ; Éthique

Résumé La pratique de la consultation anténatale pluriprofessionnelle dans un centre de référence malformations de membres nous amène à une réflexion sur les enjeux cliniques et éthiques, chaque consultation étant singulière. Comment accueille-t-on des couples sous le choc d’un diagnostic anténatal pour l’aider à penser « l’enfant réel » en faisant le deuil de « l’enfant imaginaire » ? Il est primordial de prendre le temps et de réfléchir au cas par cas cette pratique particulière qui bouscule les équipes médicales dans leurs habitudes. Le patient (fœtus) étant présent/absent, nous pouvons évoquer un véritable déplacement du sujet—patient vers le couple. Comment concilier la temporalité psychique du couple et la temporalité médicale ? La communication de l’information médicale sur l’enfant à naître peut être vécue par le couple comme une « sur-information ». Qu’est ce qui est bien ou mieux de dire ? Comment garder une certaine neutralité dans la présentation du diagnostic ? La notion de « normalité » est questionnée, interrogée. On sait l’importance des mots dits au sujet de l’enfant et leur impact dans la relation enfant/parents. Comment, en tant que soignant, arriver à ne pas juger (à la place du couple) si la malformation découverte est « acceptable » ou « pas acceptable » ? Comment résister à la banalisation et à la routine dans nos pratiques pour ne pas minimiser la malformation par « bonne intention », pour rassurer le couple sur l’avenir de l’enfant à naître ? © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2016.11.002 1765-4629/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

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N. Brennetot

KEYWORDS Prenatal diagnosis; Limb malformation; Normal body; Medical ethics

Summary Antenatal consultation in a multiprofessional reference center for limb malformations leads us to consider various clinical and ethical issues, given that every encounter is unique. How do we treat couples, still reeling from the shock of prenatal diagnosis, in order to help them think of ‘‘the real child’’ and mourn ‘‘the imaginary child’’? It is necessary to take the time and think carefully to each case separately in this particular clinical practice that challenges the medical teams’ common practices. The patient (fetus) being present/absent, we can evoke a real translation of the patient subject into the couple. How to reconcile the couple’s mental temporality with the medical temporality? Communicating medical information on the unborn child can be experienced by the couple as ‘‘information-overload’’. What is good or better to say? How to keep a certain neutrality when announcing the diagnosis? The concept of ‘‘normality’’ is questioned. We know the importance of the words we use to talk about the child and their impact on child/parent relationship. How do healthcare professionals manage not to judge (in place of the couple) whether the discovered malformation is ‘‘acceptable’’ or ‘‘unacceptable’’? How to resist banalization and routine in our practice and avoid minimizing the malformation in order to reassure the couple about the future of the unborn child? © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Depuis la pratique systématique d’échographies lors du suivi de grossesse, des consultations anténatales pluridisciplinaires sont assurées dans le service. La découverte d’une malformation des membres se fait souvent au décours de l’échographie du deuxième trimestre et de plus en plus lors du premier trimestre. Quand une anomalie est dépistée en échographie de première intention, le couple est orienté vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN) qui confirmera le diagnostic et mettra en lien le couple avec les différents spécialistes et centres de références. Dans le centre de référence malformations de membres, l’équipe est constituée de médecins/chirurgiens, d’un kinésithérapeute, d’un ergothérapeute, d’une psychologue, d’une orthophoniste et d’une assistante sociale. Les enfants suivis naissent avec des agénésies1 la prise en charge des enfants et des familles y est globale et pluriprofessionnelle. La clinique anténatale nous amène à nous interroger, à réfléchir quotidiennement sur notre positionnement et le choix des mots que nous utilisons face aux couples qui nous sont adressés comme le rappelle Didier Pilliard [1]. La particularité de l’anténatale consiste dans le fait qu’il s’agit d’abord d’un patient (bébé/fœtus) présent/absent en même temps, un patient qu’on ne voit pas, qu’on n’examine pas. Mais en même temps, nous abordons toutes ses possibilités/limitations fonctionnelles et bien d’autres choses aussi de son devenir en tant que personne : ses acquisitions futures, son autonomie possible, sa scolarité. . . L’écoute et l’intervention des professionnels dans cette consultation face au couple consultant se veut neutre et particulièrement dans les cas de demande d’interruption

1 Une agénésie de membre(s), couramment appelée amputation « congénitale », est un défaut de développement survenu lors du stade embryonnaire : un enfant agénésique présente des malformations avec absence congénitale (visible à la naissance) d’une partie squelettique tant aux membres inférieurs qu’aux membres supérieurs.

médicale de grossesse (IMG) après un diagnostic de malformation de membre. Le déroulement de chaque consultation est unique et singulier même s’il s’agit d’une même malformation. Des questions éthiques interrogent nos habitudes, croyances, qu’elles soient professionnelles, culturelles voire philosophiques. En effet, la pratique d’échographies pendant la grossesse donne une matérialité très concrète au fœtus, qui n’est plus seulement pensé et imaginé mais aussi « vu » dans des échographies extrêmement sophistiquées, qui le montrent jusqu’aux plus petits détails [2,3]. Cependant, la médecine fœtale nous donne parfois l’illusion de tout maîtriser, tout voir : c’est « la promesse de l’enfant parfait ». En réalité, beaucoup de malformations échappent encore à l’échographe et à l’œil aiguisé de l’échographiste. La découverte ne se fait alors qu’au moment de la naissance de l’enfant, ce qui met les parents dans un état de colère et d’incompréhension, « pourquoi il (elle) n’a rien vu ? ! ». L’annonce d’une malformation chez l’enfant à naître arrive comme une réelle effraction dans le projet d’enfant du couple. Des consultations anténatales s’organisent dans les services hospitaliers pour informer les couples sur l’anomalie découverte et les possibilités thérapeutiques. Dans le centre de référence, l’équipe a ressenti assez vite le besoin d’organiser une consultation pluriprofessionnelle associant un médecin orthopédiste spécialisé, un ergothérapeute ou un kinésithérapeute, suivant la nature de la malformation, et une psychologue. Il est nécessaire de rappeler qu’il s’agit d’une consultation d’abord médicale : les adresseurs sollicitent les compétences du médecin spécialisé, mais ce qui est proposé et ce qui s’y passe dépassent largement l’aspect médical au sens strict. Le couple vient rencontrer une équipe spécialisée dans la prise en charge des enfants avec des malformations de membres. Les consultations anténatales sont demandées principalement par les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) ou alors par des obstétriciens, échographistes, généticiens, ou encore par des couples recherchant des informations concernant la malformation découverte chez leur enfant à naître. La consultation se fait dans un

Enjeux éthiques et cliniques de la consultation anténatale délai raisonnable pour répondre à l’angoisse du couple, mais pas immédiatement après l’annonce du diagnostic non plus, car l’expérience nous montre qu’un temps de latence est souvent nécessaire pour que la pensée et l’écoute soient possibles. Nous nous posons malgré tout à chaque situation la question du délai entre l’annonce et cette consultation ; il est presque impossible de poser une norme, les situations étant singulières et complexes et demandant ainsi une réflexion.

Une consultation protocolisée Dans ses aspects concrets, l’installation à cette consultation est protocolisée : les professionnels ne portent pas de blouse, il n’y a pas d’auscultation de patient, nous nous installons devant le bureau en cercle, et nous laissons deux chaises vides pour que le couple s’installe. L’objectif est de s’éloigner de la représentation d’une médecine toute puissante et paternaliste ; il est de favoriser une atmosphère propice au dialogue. Du point de vue organisationnel, nous réservons une heure pour cette consultation sur un créneau calme dans le service. La salle d’attente est vide. Nous évitons au couple de croiser les enfants atteints de diverses malformations que nous suivons dans le service. Se confronter à la vue des enfants atteints de malformations peut être extrêmement déstabilisant pour certains couples encore dans un état de sidération et de choc sous l’effet de l’annonce. Voir la malformation qui se matérialise à ce moment-là du parcours peut être extrêmement violent et éprouvant. L’objectif central de la consultation anténatale reste la transmission d’une information médicale la plus complète possible, mais il est nécessaire d’accorder un temps initial de parole donné au couple pour aller à sa rencontre, essayer de comprendre son histoire et l’histoire de la grossesse jusqu’au moment de l’annonce du diagnostic [4,5]. Nous revenons avec le couple sur les mots employés par l’échographiste lors de l’annonce du diagnostic, car nous connaissons l’impact important de ces mots sur les représentations des futurs parents : « Il y a une jambe qui est très courte, il va être handicapé pour marcher, vous avez le droit de demander une interruption de grossesse. . . », « . . .il y a une jambe beaucoup plus courte que l’autre mais ne vous inquiétez pas, il va pouvoir marcher avec une prothèse. . . ». Il est certain qu’appréhender leur état psychologique nous permet d’ajuster et d’adapter au mieux notre discours à leurs fragilités et besoins du moment. Autrement dit, il s’agit de s’adresser à eux en reconnaissant leur singularité sous le principe de la bienfaisance dont parlent Beauchamp et Childress [6]. La consultation s’articule autour de quelques points principaux : • informer le couple sur l’anomalie découverte à l’échographie : l’information concerne l’aspect même du ou des membres malformés, les causes éventuelles, les possibilités fonctionnelles et les possibilités de prise en charge médicale (chirurgie, appareillage. . .) ; • transmettre notre expérience d’accompagnement des enfants avec une malformation similaire, concernant la qualité de vie, l’autonomie. . . ;

21 • répondre aux questions du couple, l’accompagner dans sa réflexion, notamment dans les situations de demande d’IMG (interruption médicale de grossesse) ; • aider le couple à imaginer l’enfant à naître dans sa globalité car il ne pense bien souvent plus qu’à la malformation du bébé, ¨ce qui lui manque ¨. Il est certes question de donner des informations mais aussi une écoute spécifique qui permet la pensée malgré le choc de l’annonce. Sous l’effet de la sidération, les couples sont souvent déstabilisés, au moment de l’annonce du diagnostic l’histoire des personnes se fige, le cerveau est « gelé », « le déni, la colère sont autant de sentiments qui se bousculent et font obstacle à une réelle capacité de penser. . ., l’incapacité d’avoir des projets. . . » [7].

Les enjeux psychologiques de la consultation anténatale Un couple qui décide d’avoir un enfant passe par un processus psychique progressif qui les prépare à la parentalité, « prendre le rôle de parent ». Pour ce faire, l’enfant est fantasmé, pensé : comment sera-t-il ? À qui ressemblera-til ? Cette image fantasmée de l’enfant donne une naissance psychique à « l’enfant imaginaire » qui est étroitement liée à l’histoire de vie de chacun. À la naissance, « l’enfant imaginaire » est confronté à « l’enfant réel » qui naît. Pour les parents que nous rencontrons, il existe un écart important entre les deux, ce qui exige un travail de deuil, autrement dit renoncer à l’image de l’enfant attendu et fantasmé d’avant l’annonce de la malformation. Ce travail psychique douloureux est nécessaire pour pouvoir accueillir l’enfant qui naît. Ce deuil est impossible pour certains couples nous observons des dépressions maternelles qui durent plusieurs années après la naissance de l’enfant. Les réactions habituelles observées face au choc de l’annonce du diagnostic sont : la sidération, le déni, la colère puis la culpabilité et la dépression. La colère est souvent projetée vers l’équipe qui annonce la malformation [8,9]. Nous nous efforc ¸ons de privilégier l’expression du couple, qui a la possibilité de bénéficier d’un entretien psychologique après la consultation pluriprofessionnelle quand le besoin se fait sentir. Nous parlons d’un patient absent et à la fois présent dans le ventre de la mère à ce moment-là ; pour l’équipe il y a un transfert du sujet—patient (le fœtus) vers le couple lui-même : dans quel état d’esprit est-il ? Quelles sont ses attentes vis-à-vis de la consultation ? Cette pratique clinique particulière bouscule l’équipe médicale dans ses habitudes de consultation classique, où il s’agit d’un patient qu’on examine, qu’on touche et qu’on soigne. Les professionnels médicaux se retrouvent face à la colère, l’angoisse et la détresse psychologique de l’autre, une agressivité projetée vers l’enfant porté par exemple : « depuis que je sais, j’espère qu’il va arrêter de bouger, je ne supporte plus de le sentir. . . », « . . . on est encore jeunes, on peut avoir d’autres enfants normaux. . . ». Les propos sont parfois violents à entendre pour l’équipe. Il est alors nécessaire de pouvoir prendre « la juste distance » avec ses projections personnelles pour pouvoir bien écouter l’autre,

22 et dans le même temps avoir de l’empathie, se mettre à la place de l’autre pour mieux le comprendre. Cependant, il est impossible d’être à la place de l’autre, d’autant plus que trop d’empathie peut empêcher un positionnement dit « professionnel » et appelle des affects et un jugement personnel qui peuvent parfois nuire dans les situations de soins. Il s’agit pour l’équipe de ne pas aller trop vite et de respecter le rythme de chacun afin d’informer le couple de la fac ¸on la plus adaptée possible. La temporalité psychique des sujets accueillis est bien souvent en décalage avec la temporalité médicale. Alain de Broca [7] insiste sur la nécessité d’une rencontre entre le soignant et le patient, il faut s’accorder du temps pour que cette rencontre soit possible : « . . .le soignant accompagnateur devra suivre les rythmes de la personne malade qui avancera comme elle peut. . . ». L’équipe doit concilier l’obligation d’informer et la prise en compte du cheminement psychologique du couple après l’annonce du diagnostic. L’équipe doit parfois faire face à une « surdité psychique » chez le couple : la colère, la révolte et le refus de cette situation peuvent empêcher le couple de recevoir les informations. Par ailleurs, les silences sont fréquents dans ce type de consultation. L’équipe est amenée à supporter ces « silences nécessaires », qui permettent pour le couple, l’élaboration psychique et la mentalisation de l’annonce de la malformation pour le couple. Mais les silences sont parfois source d’angoisse pour les membres de l’équipe, qui peuvent être tentés de « remplir » ce vide en se focalisant sur les aspects médicaux-techniques. Rompre ce silence est alors une fac ¸on de se défendre contre sa propre angoisse, mais écouter c’est avant tout se taire. Le médecin peut être tenté par le désir de tout maîtriser : « . . .de remplir le temps par le ‘‘faire’’, le mouvement et l’action qui sont parfois vains. . .le médecin risque alors de se réfugier derrière les protocoles. . . » [7]. Il est donc important de comprendre que cette consultation particulière est difficile à la fois pour le couple et pour l’équipe. Par conséquent il est nécessaire de construire un cadre favorisant les échanges entre l’équipe et le couple dans un climat de confiance. Ce cadre est basé sur le savoir partagé entre les membres de l’équipe pluriprofessionnelle. Chaque professionnel peut s’appuyer sur le savoir de l’autre pour répondre au mieux aux attentes du couple. En effet, il est nécessaire de ne pas travailler uniquement avec sa propre et seule subjectivité. La présence du psychologue, permet la distanciation nécessaire par rapport à la charge émotionnelle exprimée par le couple ainsi que la compréhension des phénomènes psychiques en jeu dans la consultation.

Le rôle du psychologue Chaque professionnel de l’équipe répond à la détresse du couple en apportant des réponses différentes et complémentaires selon le champ de compétences de chacun. Le médecin évoque les possibilités chirurgicales et d’appareillage, tandis que l’ergothérapeute par exemple développe les réalisations concrètes de la vie quotidienne et les adaptations possibles. Cependant, devant la détresse psychique d’un couple, chacun est amené à réagir en fonction de sa personnalité, sa sensibilité, de son expérience

N. Brennetot clinique et de ses convictions. Le psychologue est là pour accueillir cette détresse psychique et permettre sa prise de conscience et sa verbalisation. Le psychologue offre au couple un espace d’écoute spécifique au sein même de la consultation anténatale. Il prend le rôle d’un médiateur entre le couple et les professionnels médicaux en portant une attention particulière aux interactions et au déroulement des échanges entre l’un et les autres. L’objectif est de faire les ajustements nécessaires dans le choix des mots afin de respecter la singularité de chaque couple. Il est question pour le psychologue de faire une traduction du couple vers l’équipe, en interprétant la métacommunication (la gestuelle, le regard, la voix qui change) pour porter à l’attention de l’équipe la fac ¸on dont sont rec ¸ues les informations sur le plan émotionnel. Inversement, le psychologue peut reprendre les propos de l’équipe en s’assurant de la bonne compréhension des informations données, qui sont parfois très techniques et difficiles à comprendre : par exemple les prévisions d’inégalité de membre en fin de croissance, les chirurgies d’allongement de membre, l’aspect technique et fonctionnel d’une prothèse de marche, etc. Le psychologue essaie d’amener le couple à partager sa représentation du handicap et de la malformation avec l’équipe. Cette représentation est intimement liée au parcours de vie de chacun mais aussi aspects culturels, religieux voire familiaux. Il est nécessaire de comprendre comment le couple, et même chaque individu, perc ¸oit la malformation et ses implications pour que l’équipe puisse l’accompagner de manière adaptée. En effet, dans la plupart des situations, les ressentis et les réactions sont différentes pour chacun, ce qui rend la communication difficile au sein du couple. Un couple nous livre à la fin d’une consultation : « . . .on n’arrive pas à en parler depuis l’annonce, chacun est triste à sa fac¸on et de son côté. . . ». Nous constatons parfois aussi dans notre clinique un sentiment de honte, qui suit une pensée chargée d’agressivité vis-à-vis du bébé porté. Une maman nous explique, effondrée : « . . .que depuis l’annonce de la malformation elle n’espère qu’une chose c’est que le bébé arrête de bouger et meurt seul. . . » (une maman qui a fait une demande d’IMG suite au diagnostic d’une agénésie de la main), « . . .j’ai eu une vie très difficile, j’ai beaucoup souffert de la méchanceté des enfants, je ne pourrai pas élever un enfant avec une main qui manque, je ne saurai pas lui donner le courage qu’il faut pour faire face aux moqueries. . . » (cette personne a souffert d’obésité pendant son enfance). Ces paroles que le couple nous livre au moment de la consultation sont pourtant importantes à dire et à élaborer. Après la consultation, nous prenons le temps d’échanger dans le cadre d’un « débriefing », ce qui permet de croiser nos regards sur une même situation mais aussi de pouvoir exprimer nos propres ressentis, afin de trouver la distance professionnelle et ne pas se laisser envahir par l’angoisse du couple. Dans le cadre médical formalisé de la consultation anténatale, le psychologue est donc le garant de la prise en compte de la dimension psychique des sujets. Ce qui se passe dans cette consultation a valeur d’action préventive à part entière.

Enjeux éthiques et cliniques de la consultation anténatale En effet, Michel Soulé [2,3], parlant de la clinique périnatale, souligne qu’il y a une continuité psychique entre la vie fœtale et l’enfance, dans la relation précoce fœtus/parents, ce qui se passe pendant la grossesse laisse des traces physiques et psychiques, La plupart des couples nous font part de leur angoisse, de leur peur, de leur culpabilité et du sentiment d’ambivalence vis-à-vis de ce futur enfant qui ne correspond plus à leurs projections : « Je pense que c’est de ma faute, il y a bien une raison ? J’ai pris un traitement en début de grossesse. . . », « si j’ai le choix, je ne veux pas mettre au monde un enfant malheureux » ; nous pouvons évoquer une réelle blessure narcissique de n’avoir pas « réussi à faire un enfant normal ». Permettre la verbalisation de ces ressentis difficiles à reconnaître et accompagner le couple dans ce travail psychique permet de le préparer à accueillir au mieux cet enfant différent. Cet accompagnement précoce permet de minimiser le risque des troubles affectifs dans la relation entre le bébé et ses parents. Le soutien à la parentalité doit commencer dès la période anténatale.

Les enjeux éthiques La clinique anténatale impose des questions éthiques permanentes aux praticiens [10]. Rappelons ici que la réflexion éthique générale désigne la volonté de prendre une décision juste et responsable en regard des référentiels de l’éthique : la morale, le droit et la déontologie. Dans l’exercice clinique auprès des patients, nous nous trouvons parfois dans des « zones d’incertitudes » qui bousculent nos valeurs humaines et notre sentiment de responsabilité. En tant que soignant, comment concilier l’envie de rassurer et « prendre soin de l’autre » tout en ne pensant pas à sa place et en lui laissant la liberté de penser ? Même si nous n’avons pas de décision à prendre quant à une interruption de grossesse, contrairement aux centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal, notre discours sur les enfants que nous suivons participe pleinement à orienter le couple dans sa fac ¸on de penser/juger la gravité de la situation de l’enfant à naître. Il est de toute évidence difficile de ne pas penser à notre responsabilité avec les équipes du diagnostic anténatale dans la question de l’eugénisme. Pour pousser le raisonnement plus loin : un ensemble de personnes est amené à prendre la décision ou à participer à la décision d’une interruption de grossesse pour tel ou tel type de malformation jugée sévère sur le plan des soins et des appareillages. Ainsi, sur quoi pouvons ou devons-nous nous appuyer pour savoir ce qui est bien ou mieux de dire aux couples consultants ? « . . .Votre enfant aura une vie strictement normale. . . » ou « . . .votre enfant va faire les mêmes acquisitions que les autres enfants, fréquenter les crèches et écoles ordinaires, . . . », « sa différence ne va pas l’empêcher de se développer et apprendre comme les autres enfants. . . ». Une réflexion vive anime l’équipe sur la notion de normalité. Il est par exemple utilisé habituellement l’expression : « différence visible » pour les malformations de membres qui n’impliquent pas de gêne fonctionnelle. « À moins d’être très sévère, la malformation n’est pas un handicap en soi. Elle signifie une différence par rapport aux autres individus.

23 C’est le patient, et avant lui ses parents, qui vont transformer cette différence en handicap » [9]. Mais rappelons ici que les choses ne vont pas de soi et ne sont pas aussi simples que nous voudrions bien le penser. Philippe Sanchez [11] remarque d’ailleurs la complexité de l’usage du mot handicap : « J’associais ‘‘être handicapé’’ au fait d’être dépendant d’autrui pour accomplir les actes de la vie quotidienne. . . », mais dans les représentations sociales, le handicap renvoie souvent aux anomalies anatomiques et physiologiques considérées selon une norme donnée. L’Organisation mondiale de la santé propose une classification internationale des handicaps, 1980 : « . . .un enchaînement causal dans lequel une maladie ou un trouble cause des déficiences, provoquant des incapacités, qui entraînent des handicaps, entendus comme désavantages sociaux » [11]. Certains parents utilisent l’expression « handicap social », expliquant que les questions et les regards insistants sur leur enfant ont des répercussions sur la vie relationnelle et l’estime de soi de leurs enfants. Il est nécessaire de ne pas céder à la tentation de la banalisation des malformations visibles et peu gênantes sur le plan fonctionnel, comme les agénésies de doigts ou de la main, dans le souci de rassurer sur l’avenir de l’enfant à naître. Nous devons toujours éviter la routine dans nos pratiques professionnelles : les réunions cliniques, l’analyse des pratiques professionnelles et les formations continus sont fondamentales. Ces temps d’échanges et de formations permettent de trouver la bonne distance professionnelle, de prendre le recul nécessaire pour réfléchir et évaluer ce que nous faisons et ce que nous disons aux patients. Ménager des temps de réflexion en équipe permet de croiser les regards sur les situations cliniques et ainsi avoir l’approche la plus juste possible. Concernant le principe d’autonomie évoqué par Beauchamp et Childress [6], il n’est pas question d’imposer notre point de vue mais de préserver toujours l’autonomie du sujet et sa liberté de penser ; cependant il est important de dire ici que la malformation des membres et rare, il est alors difficile de se représenter les enfants avec une agénésie de main, par exemple, faire leur lacets, fermer leur manteau et faire toutes les activités bien souvent en totale autonomie fonctionnelle. Citons encore un paradoxe qui amène de la confusion : les enfants porteurs de malformations de membres sont « différents » et pas « malades », font certaines choses différemment des autres : ceci est souvent difficile à dire pour les professionnels et à entendre pour les parents : « On fréquente les hôpitaux quand on est malade. . . ». On sait l’importance des mots dits au sujet de l’enfant et leur impact dans la relation enfant/parents, et plus tard la relation de l’enfant à son corps et aux groupes de pairs. La difficulté pour les soignants consiste souvent à trouver des formulations, une fac ¸on de décrire la malformation, ses répercussions dans la vie quotidienne, tout en évitant la dramatisation, d’une part, et la banalisation, d’autre part. Autrement dit une position « neutre » ou avec une juste distance professionnelle qui consiste à ne pas faire intervenir sa position personnelle : philosophique, politiques, culturelle, religieuse. . .Adopter une attitude neutre tout en respectant la singularité psychique, les particularités individuelles de l’entité couple dans chaque situation, en donnant les mêmes

24 informations médicales n’est pas un exercice aisé. Je citerai ici l’exemple d’un couple que nous voyons en consultation anténatale : une demande d’IMG est faite pour une malformation sévère d’un membre inférieur. Nous nous retrouvons dans une situation extrêmement délicate de devoir transmettre des informations sur les possibilités fonctionnelles et thérapeutiques de cet enfant à naître, ce qui majore la culpabilité de ce couple qui avait décidé de ne pas garder cet enfant. Nous avons choisi nos mots. . . face à la tristesse et la souffrance de ce couple. Comment arriver à ne pas juger si la malformation découverte est « acceptable » ou « pas acceptable » pour le couple, si l’enfant aura une vie « normale » ou non, et ce qu’est ou non une vie normale pour chaque individu ? Une mère me disait en entretien à propos de sa petite fille « . . .elle a toujours besoin d’une prothèse pour marcher, ma fille ne peut pas porter les jupes, les robes et les chaussures qu’elle veut comme ses copines. . . ¸ca ce n’est pas une vie normale. . . ».

Conclusion Toute la difficulté de cette consultation spécifique est le choix des mots utilisés pour parler de cet enfant à naître ou pas. . . Il s’agit d’un subtil équilibre dans les mots choisis pour faire part aux parents de notre expérience des enfants que nous accompagnons (leurs capacités fonctionnelles, leur qualité de vie, l’aspect social et psychologique. . .). Le piège à éviter est de donner la promesse aux futurs parents d’un enfant « normal », qui se débrouillera très bien. Il est impossible de savoir comment sera cet enfant porteur d’une malformation, quels moyens psychiques il aura pour supporter le regard de l’autre voire les moqueries. Souffrira-t-il de sa différence ? La malformation l’empêchera-t-il de faire le métier qu’il voudra, le sport ou les loisirs désirés ? Même si nous sommes portés par le désir de rassurer les parents, il est difficile de prédire comment sera un enfant, comme pour n’importe quel autre enfant sans malformation, parce que chaque être est unique. La cohésion et la confiance dans l’équipe sont primordiales pour maintenir une qualité d’accueil et d’accompagnement avant et après la naissance de l’enfant porteur d’une malformation de membre.

N. Brennetot La temporalité psychique propre à chaque patient ne correspond pas toujours à la temporalité médicale. Les objectifs d’une équipe médicale ne coïncident pas toujours avec les besoins et attentes conscientes ou moins conscientes des patients. Chacun avance à son propre rythme, il est important de se mettre au pas de la personne. La réflexion pluriprofessionnelle est primordiale nos pratiques cliniques nous imposent des interrogations éthiques Pour ce faire, réfléchir de fac ¸on collégiale apparaît non seulement nécessaire mais absolument indispensable.

Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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