Entre déontologisme et utilitarisme : retour sur les enjeux éthiques de la maîtrise des dépenses de santé

Entre déontologisme et utilitarisme : retour sur les enjeux éthiques de la maîtrise des dépenses de santé

Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Médecine & Droit 2015 (2015) 1–7 Bioéthique Entre déontologisme et utilitarisme : retou...

329KB Sizes 3 Downloads 152 Views

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com Médecine & Droit 2015 (2015) 1–7

Bioéthique

Entre déontologisme et utilitarisme : retour sur les enjeux éthiques de la maîtrise des dépenses de santé夽 Health, ethics and money Eric Martinez (Directeur des affaires juridiques, Directeur adjoint de la recherche et de l’innovation, CHRU de Montpellier, Docteur en droit, H.D.R.) ∗ , Rodolphe Bourret (Directeur général adjoint, Directeur de la recherche et de l’innovation, CHRU de Montpellier, Docteur des universités, HDR droit, chercheur associé UMR 5815 « Dynamique du droit », université de Montpellier, H.D.R.) , Franc¸ois Vialla (Professeur de droit privé à l’université de Montpellier, Directeur du Centre européen d’études et de recherche droit & santé UMR5815, université de Montpellier) Centre hospitalier régional et universitaire, centre administratif A.-Bénech, avenue du Doyen-Gaston-Giraud, 34295 Montpellier cedex 5, France

Résumé L’avis 101 (santé, éthique et argent) permet au CCNE d’accorder une attention particulière à la confrontation entre utilitarisme et déontologisme1 . Si le Comité reconnaît que la démarche utilitariste permet de « mettre en relief les intérêts contradictoires qui traversent la société » et éclaire ainsi le débat démocratique, il ne confère pas à l’utilitarisme une valeur équivalente au déontologisme, garant de la valeur inconditionnelle de la personne humaine. © 2015 Publi´e par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Utilitarisme ; Tarification à l’activité (T2A)

Abstract Opinion no 101 “Health, ethics and money” allows the National Consultative Ethics Committee to place special attention to confrontational approach between utilitarianism and “deontologism”. The Committee agreed utilitarian attitude can help “to highlight the contradictory interests that pervade society” and offered some clarification to democratic debate. However, this committee doesn’t give to utilitarianism a value equivalent to “deontologism”, guarantor of unconditional value of the human person. © 2015 Published by Elsevier Masson SAS. Keywords: Utilitarianism 夽 Pour une version plus complète de cet article, se reporter à l’ouvrage « Les grands avis du Comité consultatif national d’éthique », sous la direction de F. Vialla et d’E. Martinez, L.G.D.J. -Lextenso éditions, 2013, page 200, « Éthique déontologique et utilitarisme ». ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Martinez). 1 CCNE, Avis no 101, 28 juin 2007, « Santé, éthique et argent : les enjeux éthiques de la contrainte budgétaire sur les dépenses de santé en milieu hospitalier ». Note 7, page 8 : « Dans la perspective « égalitariste » (inspirée de E. Kant), est juste l’action qui respecte la dignité de la personne humaine. Le concept de « dignité » désigne une valeur inconditionnelle, à la différence du « prix » qui qualifie une valeur relative à l’usage d’un bien ou à l’utilité d’un service. Dans cette conception égalitariste de la justice (que l’article 2 du code de déontologie médicale fran¸cais a privilégié), chacun doit être soigné en fonction de ses besoins, sans égard à ses conditions d’existence, son âge, à sa position hiérarchique ou son degré de rentabilité sociale. Étrangère à l’apparence physique, à la santé psychique et somatique, la dignité a le sens d’une grandeur morale qui impose un devoir d’hospitalité inconditionnel. L’utilitarisme à l’inverse fait valoir l’exigence d’une distribution rationnelle des services de soin en fonction des besoins à l’échelle collective. De ce point de vue, être juste c’est être équitable. Par conséquent, il n’est pas nécessairement conforme au devoir de justice d’investir des sommes d’argent considérables sur un trop petit nombre de cas ».

http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2014.12.002 1246-7391/© 2015 Publi´e par Elsevier Masson SAS.

2

E. Martinez et al. / Médecine & Droit 2015 (2015) 1–7

Par décision no 2013-682 DC du 19 décembre 2013, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, adoptée par l’Assemblée nationale le 3 décembre. Le Conseil a écarté l’essentiel des griefs des requérants2 . Le dossier de presse de présentation du projet de loi3 précise que « respecter l’objectif d’une augmentation de 2,4 % des dépenses d’assurance maladie nécessite (. . .) un effort d’économie par rapport à la croissance spontanée des dépenses, qui s’élève à 2,4 milliards d’euros »4 . Le dossier de presse ajoute que « pour les établissements de santé, les mesures d’économies représenteront 577 milliards d’euros [et] résulteront : • d’économies sur les produits de santé (. . .) ; • de mesures d’efficience à l’hôpital, notamment par le biais de la politique des achats et du renforcement de la pertinence des prises en charge ». Au « chapitre » consacré à la réforme du financement des établissements de santé5 , le dossier de presse précise que : « Le système de financement des établissements de santé repose aujourd’hui en grande partie sur la tarification à l’activité. Si la T2A a permis un rééquilibrage des moyens accordés aux établissements, celle-ci présente un certain nombre de limites, identifiées dans de nombreux rapports. Ces limites invitent à réfléchir plus largement à l’ensemble du financement des établissements de santé. Un comité de réforme du financement (CORETAH) a donc été installé fin 2012 avec pour objectif la conduite d’une réflexion autour de 4 axes : • faire évoluer le financement des établissements de santé en lien avec la réaffirmation du service public hospitalier dans la loi et la future définition d’un service public territorial de santé ; • prendre en compte dans le financement des établissements la promotion du parcours de soin et la problématique du décloisonnement en lien avec la Stratégie nationale de santé ; • intégrer dans le financement des établissements des critères de qualité et de pertinence et favoriser la prise en compte de l’innovation ; • simplifier et rendre plus lisible le système de financement et faire évoluer les règles de pilotage de l’ONDAM. » Les mesures proposées consistent à :

2 À l’exception d’une réserve d’interprétation portant sur l’article 8 (taux de prélèvement sur les contrats d’assurance-vie ayant respecté la durée de conservation) et de certaines dispositions de l’article 14 (méconnaissance de l’égalité devant les charges publiques). 3 http://www.economie.gouv.fr/projet-de-loi-de-financement-de-lasecurite-sociale-pour-2014. 4 Page 20 du document. 5 Page 28 du document.

• « expérimenter des tarifications au parcours pour améliorer les prises en charge : mise en place expérimentale d’un financement innovant en radiothérapie pour le traitement des cancers du sein et de la prostate ; • [conduire] une expérimentation autour de la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique (. . .) ; • assurer un financement adapté des activités isolées afin de permettre le maintien, lorsque c’est nécessaire, d’une offre hospitalière de proximité ; • mettre en œuvre une dégressivité tarifaire pour réguler les effets inflationnistes de la tarification à l’activité (T2A). » Ce contexte légitime un retour vers les réflexions conduites par le Comité consultatif national d’éthique dans la recherche d’une conciliation entre les principes éthiques et les impératifs économiques6 . En particulier, l’avis no 1017 s’intéresse aux répercussions des contraintes budgétaires résultant de la détermination du niveau de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie par le Parlement et de la mise en œuvre de la tarification à l’activité sur l’exercice des missions de l’hôpital. Le Comité constate que les pressions budgétaires tendent à occulter l’aspect éthique dont la dimension politique exclut d’en laisser la responsabilité aux seuls acteurs hospitaliers. Il en appelle à un débat de société sur l’évaluation de la portée et des conséquences des différentes stratégies possibles d’amélioration du rapport coût/efficacité, à la lumière des missions qui sont assignées à l’hôpital. L’avis s’interroge sur le point de savoir s’il est juste de limiter les soins à une personne parce que sa prise en charge paraît trop élevée par rapport aux ressources disponibles. « Faut-il (. . .) sacrifier le principe de l’égalité de tous face à la maladie afin de répartir plus équitablement les biens et services sanitaires ? » C’est ce que tendrait à justifier une approche qualifiée d’ « utilitariste », issue de la pensée de J.S. Mill8 , conforme à une justice distributive, qui semble de plus en plus l’emporter sur une conception « égalitariste » inspirée d’E. Kant et soucieuse de la dignité de la personne humaine. Pour l’utilitarisme, la morale d’une action dépend de sa capacité à conduire au plus grand bonheur du plus grand nombre de personnes concernées. Selon le Comité, « les contraintes éthiques et économiques du système hospitalier, comme celles du cadre plus général de la démocratie, s’inscrivent précisément entre ces deux concepts apparemment inconciliables de « valeur inconditionnelle » de la personne et de « satisfaction du plus grand nombre ». Au regard de la notion de rentabilité, il estime que la santé publique n’est pas un bien ordinaire mais constitue « la pierre angulaire d’un service public qui maintient un lien essentiel avec les citoyens ».

6 Raja C., « Économie et santé : principes éthiques et impératifs économiques : ¨ grands avis d’une apparente contradiction vers une réelle conciliation », in Les du Comité consultatif national d’éthique¨, sous la direction de F. Vialla et d’ E. Martinez, L.G.D.J. - Lextenso éditions, 2013, page 713. 7 Avis no 101, 28 juin 2007, op. cit. 8 Mill J. S., « L’utilitarisme » (trad. G. Tanesse), Flammarion « Champs », Paris, [1861], 1988, p. 48.

E. Martinez et al. / Médecine & Droit 2015 (2015) 1–7

L’avis souligne la nécessité de prendre conscience que les bénéfices pour la collectivité de l’exercice de ses missions par l’hôpital « ne se résument pas aux actes cotés par la T2A » mais s’étendent à l’innovation, à la prévention et à l’éducation pour la santé, susceptibles de réduire à terme les coûts de prise en charge. Pour le Comité, « réintégrer la dimension éthique et humaine dans les dépenses de santé » permettrait « à l’hôpital de remplir de manière équilibrée l’ensemble de ses missions, et pas uniquement les plus techniques ou les plus spectaculaires ». La problématique de l’opposition entre le déontologisme et l’utilitarisme dépasse le domaine de la seule gestion hospitalière et s’attache à la santé publique et aux politiques de santé. Or, le concept de santé est plus aisé à cerner lorsqu’il concerne un individu que lorsqu’il fait référence à une population9 . En dépit du préambule de la constitution de l’Organisation mondiale de la santé10 , il est admis que « cette belle déclaration de principe n’offre pas une définition juridiquement opératoire »11 . La santé « est un état et non une catégorie juridique »12 . À l’inverse, la santé publique désigne l’intervention des pouvoirs publics qui fixent des règles d’organisation et de financement des professions, des institutions, des soins curatifs et de la prévention. Elle relève par conséquent de choix démocratiques. La notion de santé publique n’est pas l’affaire des seuls experts mais appartient à tous. En mettant progressivement l’accent sur la réduction des risques et l’implication des usagers, les textes de la dernière décennie13 contribuent à forger une conception démocratique de la santé. Pour autant, cette approche conduit à arbitrer entre l’autonomie individuelle et le bien public qui doit être celui des politiques de santé publique14 . La gestion des ressources relève bien de la sphère éthique. Si l’opposition entre déontologisme et utilitarisme permet de fixer de nécessaires repères dans la pensée éthique (1), elle s’inscrit au cœur des conflits de valeurs qui constituent son moteur (2) et permettent son dépassement (3).

1. Déontologisme, utilitarisme : entre deux éthiques, choisir la moindre ? Au détriment de l’éthique utilitariste, considérée comme essentiellement tournée vers des préoccupations économiques et peu soucieuse de l’humain, l’éthique déontologique est habituellement perc¸ue comme plus morale.

9 Laplege A., Fagot-Largeault A., Spira A., « Santé publique », in « Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale», sous la direction de Canto-Sperber M., P.U.F., Quadrige, tome 2, pages 1711 et suivantes. 10 « La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale ». 11 Truchet D., « Droit de la santé publique », Mémento Dalloz, 7e édition, page 16. 12 Truchet D., op. cit. 13 Loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, J.O. du 5 mars 2002, page 4145, loi no 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, J.O. du 22 juillet 2009, page 12184. 14 Laplege A., Fagot-Largeault A., Spira A., « Santé publique », op. cit.

3

1.1. Le déontologisme : l’impératif catégorique et la valeur intrinsèque des actes G. Durand15 rappelle que « le déontologisme et l’école déontologique désignent (. . .) la doctrine des moralistes anglais de la fin du XXe siècle qui s’opposent à l’école ontologique16 et à l’école utilitariste ». Ce courant est directement issu de la philosophie d’E. Kant, qui fonde la morale sur la raison et l’autonomie du sujet et non sur des postulats métaphysiques ou la fin17 . A. Berten précise qu’une éthique déontologique pose « que certains actes sont moralement obligatoires ou prohibés, sans égards pour leurs conséquences dans le monde »18 . Morale de l’action, la morale de Kant considère que rien ne peut être conc¸u comme absolument et intrinsèquement bon à l’exception de la « bonne volonté ». Cette « bonne volonté » consiste à agir par devoir, du grec « deondeontos », et non conformément à ses intérêts ou à une fin. L’« impératif catégorique » kantien considère qu’ « une volonté libre et une volonté soumise à des lois morales sont (. . .) une seule et même chose »19 . Kant définit le sujet de bonne volonté comme « celui qui essaie de faire de la loi subjective de sa volonté une loi qui puisse être aussi une loi universelle »20 . Pour Kant, la moralité d’un acte suppose qu’il soit accompli « par devoir » ou par « respect pour la loi » qui doit « prévaloir sur toute considération concernant le bien-être ou le bonheur de l’agent moral ou des autres personnes »21 . La « valeur intrinsèque des actes » distingue radicalement l’éthique déontologique de l’éthique conséquentialiste. La première considère en effet que certains actes sont bons ou mauvais en eux-mêmes, pour ainsi dire par définition, indépendamment des fins poursuivies. La prohibition de la torture et du mensonge illustre cette position morale. Le respect des droits subjectifs d’autrui et « le caractère absolu des droits de l’homme » opposent encore de manière radicale le déontologisme du conséquentialisme. Ces droits constituent ainsi des contraintes s’imposant à l’analyse d’une situation concrète et non des éléments variables susceptibles d’évoluer en fonction du but recherché.

15

Durand G., op.cit., page 363. Le courant ontologique est centré sur la recherche de la fin, « la visée de la vie bonne » comme sens de la vie humaine. La moralité des actions de la vie humaine s’apprécie par conséquent au regard de leur orientation vers et de leur contribution à cette fin. Pour Aristote et Thomas d’Acquin, la loi morale est centrée sur les vertus (cf. Durand G., pages 359 et suivantes, op. cit.). 17 Durand G., op.cit., page 361 et suivantes. 18 Berten A., « Déontologisme», in « Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale», sous la direction de Canto-Sperber M., P.U.F., Quadrige, tome 1, pages 477 et suivantes. 19 Kant E., « Fondements de la métaphysique des mœurs », Paris, Vrin, 1987, cité par Durand G. 20 Durand G., op.cit. 21 Berten A., « Déontologisme», op.cit. 16

4

E. Martinez et al. / Médecine & Droit 2015 (2015) 1–7

Surtout, l’éthique déontologique cultive essentiellement une « conscience des limites »22 . Toutefois, ces contraintes demeurent formulées négativement. En distinguant une formule négative (« tu ne mentiras pas ») d’une formule positive (« tu diras la vérité »), le déontologisme laisse à chacun une large marge d’appréciation dans le cadre des limites imposées. La question de l’intention occupe également une place essentielle dans cette théorie morale. Le caractère moral de l’intention n’exclut en effet pas les conséquences non voulues, les effets secondaires ou le double effet. Le conséquentialisme serait-il moins hypocrite lorsqu’il considère l’acte juste comme celui qui aboutit à un meilleur résultat général ? Abstrait, rigoriste23 , le déontologisme n’échappe pas à la critique. Son abstraction peine à définir des principes propres à guider l’action dans les situations concrètes. Rigoureuses, voire rigides, les règles absolues qu’il reconnaît s’adaptent mal à la diversité des situations réelles. Le caractère absolu des principes moraux se fonde en définitive sur une approche « intuitive » qui conduit à désigner les doctrines déontologistes d’« intuitionnistes »24 . D’autres préfèrent parler de « sens commun », plus tourné vers un respect des « traditions morales » que vers une conscience innée du bien et du mal. Est-il intellectuellement satisfaisant de fonder les caractères absolu et impératif de principes moraux sur l’intuition ou la tradition morale ? Le déontologisme contemporain, qualifié de « modéré »25 , a évolué vers le contractualisme, avec J. Rawls26 , et l’éthique de la discussion, avec J. Habermas27 . Pour J. Rawls, les obligations morales résultent d’un accord des volontés, trouvé après une discussion entre individus « rationnels ». J. Habermas complète cette conception en posant que les règles morales résultent d’une délibération. Toutefois, s’il considère bien les normes morales comme contraignantes, J. Habermas concilie les courants déontologiste et utilitariste en considérant que la validité d’une norme dépend de l’acceptation de ses conséquences par les personnes concernées.

1.2. L’utilitarisme : la morale des conséquences Rattaché aux philosophies hédonistes et, à l’origine à Épicure, le courant utilitariste est issu de D. Hume et surtout de J. Bentham et de J.S. Mill. Pour ces auteurs, la moralité consiste à maximiser le bonheur et à minimiser la misère. Une action est qualifiée de bonne si elle poursuit cette fin. L’utilité détermine par conséquent le jugement moral et s’attache aux conséquences d’un acte, d’où la dénomination de courant conséquentialiste pour faire référence à cette école.

22

Berten A., op.cit. Berten A., page 481, op.cit. 24 Berten A., page 481, op.cit. 25 Berten A., page 482, op.cit. 26 Rawls J., « Théorie de la justice », Points essais, no 354, avril 2009. 27 Habermas J., Théorie ¨ ¨ de l’agir communicationnel¨, Paris, Fayard, 1987, De l’éthique de la discussion¨, Paris, Cerf, 1992. 23

Si J. Bentham28 a élaboré une arithmétique29 des plaisirs individuels30 , J.S. Mill31 élargit la notion de plaisir et y ajoute la capacité de la personne à faire abstraction de ses intérêts par pur altruisme, ce qui éloigne radicalement l’éthique utilitariste de la pensée économique libérale et néo-libérale32 . La dimension la plus altruiste de l’utilitarisme se traduit par le principe du plus grand bonheur pour le plus grand nombre. En l’absence de critère a priori, comme pour le déontologisme, la moralité dépend avant tout des conséquences. J. Rawls dans sa « Théorie de la justice »33 , considère que le conséquentialisme ne se préoccupe pas des questions de justice et d’équité dans la répartition des biens mais vise à promouvoir une conception déterminée du bien : sa maximisation. Il en découle la possibilité de sacrifier un individu dans la mesure où le bien global s’en trouve maximisé. Or, un tel calcul utilitariste méconnaît non seulement la valeur qui s’attache de manière irréductible à chaque personne mais néglige également le droit de chacun aux mêmes droits et libertés34 . Pour J. Rawls, les autres doivent toujours être considérés comme des fins et jamais comme des moyens. Le principal reproche adressé à l’utilitarisme concerne sa capacité à prendre en considération la personne humaine, dans une confusion entre « impartialité » et « impersonnalité »35 . L’utilitarisme n’accorde en effet aucune importance aux projets personnels. Seule importe l’utilité sociale. Dès lors, les droits fondamentaux eux-mêmes pourraient être sacrifiés sur l’autel de l’augmentation du bien-être global. Le véritable danger ne serait-il pas de fonder les décisions individuelles et les choix collectifs sur un unique critère ? 2. Les conflits de valeurs, moteurs de la réflexion éthique, sont-ils bons pour la santé ? Pour P. Le Coz, « la visée du questionnement éthique est de mettre la pensée en crise, d’élucider ses contradictions et ses apories, sans préjuger qu’elles sont solubles pour autant. Une attitude éthique consiste à maintenir l’acuité de notre conscience des conflits de valeurs en présence, en résistant à la tentation de « décider » au sens étymologique du terme (caedere, « couper en tranchant »). »36 28

1748–1832. Malaurie Ph., « Anthologie de la pensée juridique », Éditions Cujas, 1996, pages 147 et suivantes. 30 « L’idée de perfection n’est plus une chimère (pour celui qui a) mis en ordre les notions fondamentales ». J. Bentham considère « les actions humaines uniquement par leurs effets en bien et en mal ». « Je passe au profit pur tous les plaisirs, je passe en perte toutes les peines », in Malaurie Ph., op. cit. 31 1806–1873. 32 Genereux J., « La dissociété », Points essais, Éditions du Seuil, no 592, 3e édition 2011 ; Dardot P. et Laval C., « La nouvelle raison du monde », La découverte, Poche, 2010. 33 Rawls J., Théorie ¨ de la Justice¨, op. cit. 34 Berten A., op.cit. 35 Audard C., « Utilitarisme », in « Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale», sous la direction de Canto-Sperber M., P.U.F., Quadrige, tome 2, pages 2001 et suivantes. 36 Le Coz P., L’exigence ¨ éthique et la tarification à l’activité à l’hôpital¨, Revue de philosophie économique, volume 10, no 1. 29

E. Martinez et al. / Médecine & Droit 2015 (2015) 1–7

Selon cet auteur37 , « les conflits de valeur qui alimentent une réflexion éthique apparaissent quand le décideur est le siège d’émotions qui l’inclinent tour à tour dans des directions opposées sans qu’il puisse stabiliser ce processus de révision émotionnelle ». Or si « la visée du questionnement éthique est de mettre la pensée en crise, d’élucider ses contradictions et ses apories, sans préjuger qu’elles sont solubles pour autant38 (. . .) en voulant éviter d’absolutiser une émotion au détriment d’une autre pour sauvegarder la tension entre déontologisme et utilitarisme, nous pouvons aboutir à paralyser la décision ». L’auteur ajoute que « l’avantage du mécanisme de tarification à l’activité est de donner une impulsion nouvelle à l’équité, en élargissant le spectre des émotions ressenties par les soignants, du champ des personnes malades à la sphère des établissements de santé auxquels appartiennent les décideurs. Les acteurs hospitaliers peuvent trouver matière à de nouvelles expériences émotionnelles dans le fait qu’ils sont impliqués de plus près dans la gestion de l’institution sanitaire à laquelle leur destin se trouve scellé par la tarification à l’activité. Ils sont accessibles à de nouvelles émotions telles que la crainte que leur structure d’exercice ne tombe en faillite, ou, positivement, la gratification de favoriser la compétitivité de leur structure (pôle ou établissement) ». Le C.C.N.E. met en exergue l’incapacité de la tarification à l’activité à rendre compte des différents aspects de la mission de soigner. Mettant en garde contre « la tyrannie du tout quantitatif », il recommande, dans l’avis 101, « d’adapter les échelles d’évaluation des activités en vue de traiter de manière appropriée les différentes missions de l’hôpital » (actes techniques, prévention, éducation à la santé, solidarité et lien social, recherche, innovation. . .). P. Le Coz explique que « le risque de la valorisation abusive de l’acte technique [est d’] entraîner un alignement pur et simple de l’hôpital sur le modèle de l’entreprise, aboutissant à faire de la santé un produit comme un autre (. . .). » Le danger serait de payer « la réduction des coûts économiques » d’une perte de la « signification sociale de refuge de la souffrance humaine » qui est celle de l’hôpital. « Plutôt qu’à une diversification des émotions capable de dynamiser le processus révisionnel, la tarification de l’activité pourrait aboutir à sa perversion, en attaquant à sa racine les émotions de base comme la compassion ou la crainte, par la production de nouvelles émotions telles que la mauvaise conscience de soigner des patients coûteux pour l’hôpital ». L’instruction DGOS/RH3/2012/300 du 31 juillet 2012 relative à l’appel à candidatures auprès des agences régionales de santé pour l’accompagnement de projets sur l’évaluation et la prévention des risques psychosociaux dans les établissements publics ou privés de santé se réfère au rapport 39 Gollac et ¨ Le Coz P., L’exigence éthique (. . .)¨, op. cit. ¨Une attitude éthique consiste à maintenir l’acuité de notre conscience des conflits de valeurs en présence, en résistant à la tentation de « décider » au sens étymologique du terme (caedere, « couper en tranchant »)¨, Le Coz P., op. cit. 39 « Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser », rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au

5

Bodier pour identifier six dimensions de risques à caractère psychosocial : • • • •

l’intensité du travail et le temps de travail ; les exigences émotionnelles ; le manque d’autonomie et de marges de manœuvre ; la mauvaise qualité des rapports sociaux et relations de travail, ; • les conflits de valeur ; • l’insécurité de la situation de travail. Concernant les conflits de valeurs, l’instruction identifie qu’une « souffrance éthique est ressentie par une personne à qui on demande d’agir en opposition avec ses valeurs professionnelles, sociales ou personnelles. Le conflit de valeurs peut venir de ce que le but du travail ou ses effets secondaires heurtent les convictions du travailleur, ou bien du fait qu’il doit travailler d’une fa¸con non conforme à sa conscience professionnelle ». Au regard des exigences émotionnelles, l’instruction précise qu’elles « sont liées à la nécessité de maîtriser et de fa¸conner ses propres émotions, afin notamment de maîtriser et fa¸conner celles ressenties par les personnes avec qui on interagit lors du travail. Devoir cacher ses émotions est également exigeant ». Le document ministériel ajoute que « ce qui fait qu’un risque pour la santé au travail est psychosocial, ce n’est pas sa manifestation, mais son origine : les risques psychosociaux seront définis comme les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ». Dès 2003, P. Canouï attire l’attention sur les enjeux éthiques de la souffrance des soignants : « 10 à 48 % (moyenne 25 %) des infirmières actives de pays occidentaux présentent un niveau élevé d’épuisement professionnel (burn out) quels que soient le milieu de travail et la spécialité. Les médecins sont aussi en difficulté psychologique avec un taux de dépression et de suicide nettement plus important que dans la population générale (statistique de la Caisse de retraite des médecins fran¸cais). »40 Parmi les manifestations de cette souffrance, l’auteur met en évidence « la déshumanisation de la relation à l’autre », qui « traduit une forme de sécheresse relationnelle ou de cynisme » et « correspond à un mode de défense psychologique afin de se protéger, aboutissant à ce que nos collègues américains ont appelé le « John Wayne syndrome » (cow-boy solitaire et invulnérable à toute émotion) et ce que les éthiciens nomment la « réification de la personne ». Lorsque la relation d’aide « tombe elle-même malade », il est permis d’interroger sur l’apport et les risques de ces émotions nouvelles mises en évidence par P. Le Coz.

37 38

travail, faisant suite à la demande du ministre du Travail, de L’emploi et de la Santé publié le 11 avril 2011. 40 Canouï P., « La souffrance des soignants : un risque humain, des enjeux éthiques », Revue internationale de soins palliatifs, 2003/2, volume 18, pages 101 à 104.

6

E. Martinez et al. / Médecine & Droit 2015 (2015) 1–7

Dans un contexte incertain, considérant le pluralisme des valeurs, J. Habermas41 rappelle que les réponses ne peuvent qu’être plurielles et qu’aucune démarche rationnelle ne peut dépasser ce pluralisme. S’il existe des valeurs « universalisables » telles que le respect de l’être humain ou de la planète, c’est de la discussion qu’émerge le bon choix. La question morale ne consiste plus à se demander ce qu’est la vie bonne mais « dans quelles conditions une norme est-elle valide ? »42 J. Rawls met en scène des personnes égales en droit mais inégales en situation, qui recherchent ensemble ce qui est juste. Sa « Théorie de la Justice » prône un droit égal pour tous tant que celui-ci n’empêche pas la liberté d’autrui de se réaliser et justifie les inégalités sociales sous réserve qu’elles « procurent le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société » et soient « liées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions d’égalité équitable des chances »43 . En ce sens, bien que la confrontation des théories morales déontologique et utilitariste traverse l’économie de la santé et les politiques de santé, elle doit être dépassée. Un tel dépassement trouve à s’incarner dans les valeurs de justice et d’égalité comme dans la pratique démocratique. 3. La justice et l’égalité : exigences collectives et démocratiques Pour P. Le Coz44 , s’exprimant au regard de la tarification à l’activité, il faut éviter « les risques de glissement de l’équité vers la rentabilité »45 . « La fragilité d’une vie humaine qui se cramponne fébrilement à elle-même joue en faveur de la compassion et de l’égalitarisme (éventuellement aveugle et sacrificiel) qui s’y rattache. Il existe ainsi une contradiction entre l’impératif d’intégrer les contraintes budgétaires dans les processus de décision afin de favoriser l’augmentation globale de la qualité de vie de la population et la compassion que nous inspire la perception sensible de patients incurables, âgés, atteints de handicaps majeurs ou de maladies dégénératives dont la vulnérabilité du visage évoque l’interdit d’abandonner et de tuer [Lévinas (1984)]. » « C’est la conscience du caractère insurmontable de cette contradiction qui sauvegarde la qualité éthique de la décision, en maintenant la dynamique de révision. » « La philosophie égalitariste qui a régi jusqu’alors les mœurs de nos hôpitaux est aujourd’hui en crise du fait des limites criantes de sa justification éthique par la prétendue menace du danger « utilitariste » vers une dérive sacrificielle de l’intérêt individuel sur l’autel de l’intérêt collectif. Il devient de plus en plus manifeste qu’elle glisse elle-même sur la pente du sacrifice des uns au bénéfice des autres. L’âge de l’individualisme,

où le soin pouvait être dispensé à tous, sans que la question du coût économique n’interfère dans les critères décisionnels, aura probablement été une parenthèse de notre histoire. » L’article de P. Le Coz s’attache à la réintroduction du principe d’équité dans la réflexion éthique des professionnels de santé. Concernant les règles d’attribution des ressources en santé, Durand G.46 souligne que la justice considère « les perspectives d’ensemble », tandis que l’équité témoigne du « souci de l’individu concret » et « appelle à corriger ce que la loi peut engendrer d’injustices concrètes ». Citant Aristote, l’auteur précise que « la nature propre de l’équité consiste à corriger la loi, dans la mesure où elle se montrerait insuffisante en raison de son caractère général »47 . L’équité constituerait-elle la voie à suivre dans la recherche d’une alternative à la confrontation entre les éthiques déontologiste et utilitariste ? Comment les concilier dans la perspective d’une juste répartition des ressources ? L’utilitarisme pourraitil s’affirmer comme un outil d’élaboration des décisions dans le cadre des limites déterminées par le déontologisme ? Si l’utilitarisme guide les décisions concrètes il demeure soumis au respect des droits fondamentaux. Il serait en effet paradoxal que le principe de dignité, si impératif et « cardinal » au regard du principe d’autonomie, perde de sa superbe lorsque le principe d’égalité s’affronte à la gestion des ressources dans un contexte de rareté ou en raison de conceptions de politique économique privilégiant la maîtrise des prélèvements obligatoires et de la redistribution des ressources. Dans son rapport du 20 mars 199848 , le Comité part du constat de l’augmentation des dépenses de santé dans les pays développés. Il souligne a priori qu’il n’y a pas lieu de porter un jugement éthique sur la tendance observée, le développement économique ayant pour but le bien-être des citoyens. Dès lors, le niveau des fruits des efforts individuels et collectifs qu’il est légitime de consacrer à la préservation de la santé doit résulter d’un choix effectué à l’issue d’un débat démocratique. Le Comité redoute que les contraintes financières ne conduisent à ériger la maîtrise des dépenses de santé en objectif essentiel de la politique de santé. Le Comité souhaite l’adaptation des « outils de la décision démocratique » aux enjeux collectifs dans le domaine de la santé. Le Comité souligne que les activités de santé ne constituent pas une charge pour l’économie (« même pour la part remboursée ») et sont un « élément important de la richesse du pays et de sa croissance ». Après avoir rappelé la complémentarité entre les approches économique et éthique, il indique que les « bases d’une approche éthique (. . .) ressortent des principes constitutionnels ou reconnus par les lois de la République ». Le débat éthique résulte de la combinaison de ces règles avec la détermination de priorités collectives et de la crainte d’un impact de ces priorités sur l’accès individuel aux soins. Le Comité recommande en conséquence de refuser « tout critère implicite

41

Habermas J., op. cit. Habermas J., op. cit. 43 Rawls J., «Théorie de la Justice», op. cit. 44 Le Coz P., L’exigence ¨ éthique (. . .)¨, op. cit. 45 Il n’est pourtant pas interdit de se demander si la première n’est pas le masque de la seconde. 42

46

Durand G., page 271, op.cit. Aristote, « Éthique à Nicomaque », Livre V, X, 6, in Durand G., page 271, op.cit.. 48 Martinez E., « Manuel du Comité consultatif national d’éthique », Les Études hospitalières, 2004, page 332 et suivantes. 47

E. Martinez et al. / Médecine & Droit 2015 (2015) 1–7

de sélection » et de « doter le citoyen d’une procédure de médiation lui permettant (. . .) de soulever tout problème touchant à son accès aux soins ». Au-delà des différentes approches du principe de justice, et en particulier la différence entre la justice commutative (rendre à chacun son dû) et la justice distributive (distribution équitable des coûts et des bénéfices et juste accès aux ressources dans la société), la politique de santé est appelée à concilier la manière dont il doit être satisfait aux besoins de santé des individus et la gestion des moyens dans un contexte de rareté. Toutefois, les objectifs de la politique de santé sont la santé des individus et des populations et non les seules modalités d’allocation des ressources. Quels que puissent être les apports méthodologiques de la science économique49 , en dépit du contexte de rareté, une politique de santé ne saurait se réduire à un processus de gestion. Plus qu’un bien, la santé est « la condition de la jouissance de tout bien »50 . En ce sens, le Comité a rappelé avec constance51 que si les ressources nécessaires à la satisfaction des besoins de santé ne sont pas disponibles sans limites, la détermination de leur niveau, de la part de la richesse nationale qui leur est consacrée ne relève pas de la science économique mais d’un choix politique délibéré tel que la réduction de la part des prélèvements et des dépenses publiques dans l’économie. Comme le rappelle le Comité, la santé elle-même ne constitue pas seulement un coût mais une production de richesse. Le Comité reconnaît les apports respectifs du déontologisme, garant de la « valeur inconditionnelle » de la personne et de l’utilitarisme, qui aspire à la « satisfaction du plus grand nombre ». Dans cette « tension existante entre l’éthique personnaliste et l’éthique utilitariste » qui conduit à « arbitrer entre deux exigences contradictoires : d’une part être performant dans un environnement concurrentiel, d’autre part assumer une mission de service public expressément confiée à l’hôpital

49

Par exemple en termes d’analyses coût-bénéfice ou coût-efficacité. 50 Laplege A., Fagot-Largeault A., Spira A., « Santé publique », op. cit. 51 Avis (rapport) numéro 57 du 20 mars 1998, « Progrès technique, santé et modèle de société : la dimension éthique des choix collectifs », Les Cahiers, numéro 16, juillet 1999, page 3 ; Avis numéro 59 du 25 mai 1998, « Rapport sur le vieillissement », Les Cahiers, numéro 18, janvier 1999, page 3.

7

par le code de Santé publique », le C.C.N.E. estime que « la démarche utilitariste peut servir à mettre en relief les intérêts contradictoires qui traversent la société ». Dans cette optique, l’utilitarisme permet d’éclairer le débat démocratique. Pour autant, le Comité ne lui confère pas une valeur équivalente à l’éthique déontologique. « Le principe utilitariste (. . .) ne peut répondre aux exigences de justice s’il s’accomplit au prix d’un grand malheur pour un petit nombre ». Le Comité admet néanmoins que « ne pas tenir compte du caractère fini des ressources disponibles entraînerait forcément une restriction de l’accès aux soins qui serait aléatoire ou discriminatoire pour certaines populations de patients (. . .) ». Demeure que l’égalitarisme (au besoin « compassionnel ») auquel se réfère P. Le Coz ne disqualifie nullement la recherche constante d’une égalité accrue. K. Nielsen52 , lorsqu’il prône une plus grande égalité, ne vise pas un « nivellement égalitariste » mais aspire à fonder une théorie morale et politique soucieuse de permettre au « plus grand nombre de personnes d’accéder à l’autonomie morale et au plus grand respect de soi-même » dans une vision de la « justice comme égalité radicale »53 . Dès lors, au-delà de l’opposition quelque peu figée entre utilitarisme et déontologisme, respect de l’égalité, valeur éthique fondamentale, et caractère démocratique des décisions ont vocation à fonder la moralité des choix économiques et des politiques de santé avec pour seule ambition la recherche du bien des individus54 . Remerciements Cette étude a été réalisée avec le concours de la Structure fédérative de recherche « administration, sociologie et médico-économie de la santé » du CHRU de Montpellier et de l’université de Montpellier.

52 Nielsen K., « Faire foi de l’égalité », trad ; Duval R., Cahiers de recherche éthique, Montréal, no 18. 53 Duhamel A. et Mouelhi N., « Éthique », Gaëtan Morin éditeur, Canada, 2001, pages 129–148. 54 Audard C., « Justice », in « Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale», sous la direction de Canto-Sperber M., P.U.F., Quadrige, tome 1, pages 1001 et suivantes.