Épisode psychotique aigu au décours d’une hospitalisation en réanimation médicale

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C O N T R I B U T I O N S O R I G I N A L E S © 2004, Masson, Paris Presse Med 2004; 33: 934-6 Cas clinique Épisode psychotique aigu au décours ...

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© 2004, Masson, Paris

Presse Med 2004; 33: 934-6

Cas clinique

Épisode psychotique aigu au décours d’une hospitalisation en réanimation médicale

Service hospitalouniversitaire de psychiatrie de Rennes, Centre hospitalier Guillaume Régnier Rennes (35)

Correspondance : Dominique Drapier Chef de clinique-assistant Tél. : 02 99 33 39 37 Fax : 02 99 33 39 72 [email protected]

Dominique Drapier, Alexis Roubini, Sosane Gault, Caroline Pelle, Francis Eudier, Bruno Millet

Summary

Résumé

Acute episode of psychosis during hospitalisation in a medical intensive care unit

Introduction Les troubles psychiatriques sont un motif fréquent de consultation pour les patients hospitalisés dans les services de réanimation. La survenue chez une patiente d’une décompensation psychotique aiguë permet de discuter plusieurs hypothèses. Observation Chez une patiente âgée de 27 ans est survenue une première décompensation psychotique aiguë au cours d’une hospitalisation en réanimation pour tentative de suicide médicamenteuse au propranolol et au bromazépam. Commentaires Des facteurs de stress peuvent contribuer à une décompensation psychotique aiguë. Des influences pharmacologiques peuvent aussi l’expliquer en raison de la iatrogénie de molécules ingérées volontairement, mais aussi de la responsabilité éventuelle des thérapeutiques utilisées en réanimation. Selon une hypothèse, chez cette patiente une certaine quantité de dopamine a pu passer dans le système nerveux central à la faveur d’une altération de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique secondaire à une hypoperfusion sévère.

Introduction Psychiatric disorders are frequently reported in intensive care units (ICU). The occurrence of an acute psychotic decompensation in a patient opens the debate with several hypotheses. Case report A primary episode of acute psychotic decompensation occurred in a 27 year-old woman during hospitalisation in an intensive care unit due to attempted suicide following ingestion of propanolol and bronazepam. Discussion Factors of stress can contribute to the onset of acute psychotic decompensation. The influence of pharmacological products can also explain the latter because of the iatrogenics of molecules ingested purposefully, but also the eventual responsibility of the treatments used in resuscitation. According to one hypothesis, a certain quantity of dopamine in this patient could have passed into the central nervous system that benefited from an alteration in the permeability of the haematoencephalic barrier secondary to severe hypoperfusion. D. Drapier, A. Roubini, S. Gault, C. Pelle, F. Eudier, B. Millet Presse Med 2004; 33: 934-6 © 2004, Masson, Paris

Reçu le 15 septembre 2003 Accepté le 23 décembre 2003

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es troubles psychiatriques dans les services de réanimation sont un motif fréquent de demande de consultation en psychiatrie de liaison. Les aspects cliniques habituellement rencontrés sont la confusion, les troubles délirants, les syndromes dépressifs et les 1 troubles anxieux .Il apparaît que la présentation clinique de ces troubles n’est jamais univoque dans ce contexte de réanimation et que les intrications avec des pathologies cardiaques,neurologiques,etc.et pharmacologiques rendent difficiles l’interprétation étiologique des troubles.

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Observation Madame B. âgée de 27 ans, a été admise en réanimation pour prise en charge d’une tentative de suicide médicamenteuse au propranonol et au bromazépam. Dans ses antécédents, on note un syndrome dépressif à l’âge de 18 ans. Une première hospitalisation en psychiatrie avait eu lieu 3 mois auparavant pour dépression et tentative de suicide médicamenteuse sur trouble de la personnalité (émotionnellement labile). Lors de son admission en réanimation, devant l’importance de l’hypoten28 août 2004 • tome 33 • n°14 • cahier 1

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sion artérielle, de la bradycardie et des troubles de conduction, un cathéter central par voie jugulaire est posé permettant l’administration intraveineuse de dopamine, d’atropine et d’isoprénaline parallèlement au remplissage vasculaire. Une première consultation psychiatrique a lieu en réanimation 2 jours après son admission et conclue à un état dépressif sévère avec idéations suicidaires. L’évolution clinique est favorable, permettant l’arrêt du traitement cardiotrope 4 jours plus tard. Une réévaluation psychiatrique 3 jours après son transfert en service de médecine trouve un délire de mécanisme hallucinatoire visuel : « je vois mon cœur marcher avec des bras et des jambes » et imaginatif, sur des thèmes fantastiques, persécutifs et hypocondriaques ainsi que des troubles du comportement à type d’agitation psychomotrice avec une désorganisation de la pensée. Il n’existait pas de désorientation temporo-spatiale, pas d’obnubilation de la conscience,

Encadré 1 Principales molécules susceptibles

de déclencher des hallucinations visuelles • Carbamazépine

• Rifatidine

• Chloroquine

• Salbutamol

• Pénicilline

• Flécaïne

• Cotrimoxazole

• Triamcinolone

• Époétine

• Atropine

• Produits de contraste

• Phénylpropanolamine

pas de fausse reconnaissance, pas de trouble thymique. Admise en psychiatrie le lendemain, il n’existe plus aucun délire, sans traitement antipsychotique particulier. La thymie est dépressive, avec des idées suicidaires peu structurées mais persistantes, sur un trouble de personnalité de type dépendance affective avec labilité des émotions et du comportement. L’évolution sous traitement antidépresseur dans le service de psychiatrie est rapidement favorable, avec une sortie définitive. La patiente n’a jamais eu de récidive délirante à l’heure actuelle (2 ans de suivi).

Discussion Le cas de cette patiente permet de discuter plusieurs hypothèses.

HYPOTHÈSES PSYCHOPATHOLOGIQUES Le vécu de la réanimation par cette patiente nous apparaît comme pouvant participer à la genèse de ses 28 août 2004 • tome 33 • n°14 • cahier 1

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troubles. Pochard et Bellivier ont décrit 5 facteurs potentiellement responsables de décompensations : • la lumière, la disparition du rythme veille/sommeil étant à l’origine du maintien de troubles confusionnels, ainsi que les éclairages directs sur les patients, qui peuvent constituer un facteur stressant ; • le bruit, car mesuré dans un service de réanimation il est très nettement supérieur aux normes définies par 3 l’OMS . Les appareils tels que respirateurs, les cardioscopes munis d’alarme, les conversations du personnel sont principalement à l’origine de ces nuisances sonores ; • le manque de sommeil, souvent la conséquence du bruit,qui peut aboutir à une décompensation psychique 4 sur le mode délirant par le biais d’une modification des perceptions sensorielles ; • les difficultés ou l’impossibilité de communication avec le personnel soignant, soit en raison de leur indisponibilité soit en cas d’intubation endo-trachéale ; • la douleur provoquée par les soins ou les examens. La tolérance individuelle à tous ces facteurs de stress apparaît être un élément déterminant dans l’apparition et l’intensité de la symptomatologie. La perception de l’évènement par le sujet dépend de la personnalité et de l’état psychologique antérieurs qui sont des indices de 5 risque et de vulnérabilité . La reconnaissance et le décodage de l’information, en état de stress aigu, pourraient être perturbés, biaisant ainsi le sens et la signification du message et, de ce fait, les capacités de réponse comportementale et émotionnelle. Notre patiente a eu une décompensation psychotique,après échec des processus d’ajustement et d’adaptation qui auraient dû se mettre en place.Aucun élément clinique ne permettait d’évoquer une pathologie psychotique dissociative.Le stress semble être à l’origine de ses hallucinations, associé à une personnalité immature, l’absence d’antécédent de vécu de situation stressante, le sentiment d’isolement et d’abandon face à une situation nouvelle et angoissante.

❚ Prévention Une prise en charge psychologique du patient par l’équipe soignante et, quand cela est possible, par un consultant spécialisé, améliore les conditions de séjour en réanimation, facilite la restauration de l’autonomie, et réduit les risques de troubles psychiatriques parfois graves.Ainsi, permettre au malade d’avoir des périodes de sommeil ininterrompues, le placer dans un box individuel afin qu’il ne soit pas réveillé par les soins donnés à un autre malade, éviter les alarmes trop bruyantes qui favorisent son anxiété, laisser en place le minimum de cathéters et de fils au niveau des membres pour lui permettre une bonne mobilité, proposer au malade la radio ou la télévision pour lui donner des stimuli audiovisuels La Presse Médicale - 935

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moins anxiogènes que ceux de la réanimation, disposer une pendule avec calendrier dans sa chambre afin de lui assurer un repère temporel, le faire bénéficier d’une fenêtre ouvrant sur l’extérieur, sont autant de mesures qui permettent d’assurer une certaine prévention des 6 troubles psychiques .

ASPECTS PHARMACOLOGIQUES

Travail présenté sous forme de poster e au XLVI congrès

de Psychologie médicale et de psychiatrie de liaison, Lyon, 20 et 21 septembre 2001

Plusieurs arguments peuvent nous faire évoquer ce domaine étiologique. Le premier à examiner est la prise de propranolol. Ce produit peut être responsable de troubles psychotiques aigus avec des hallucinations visuelles prépondérantes, souvent terrifiantes, qui disparaissent avec ou sans traitement antipsychotique au bout 7 de 3 jours en moyenne , chez des patients ayant des antécédents psychiatriques ou non. Les mécanismes impliqués restent flous, mettant en jeu de toute façon des phénomènes de blocage des récepteurs sérotoni8 nergiques ou adrénergiques .Le caractère plus ou moins lipophile du produit et la dose ingérée favorisent proba9 blement le passage de la barrière hémato-encéphalique . L’atropine peut aussi être responsable de tableaux hallu10 cinatoires visuels comme le rapporte Fisher dans une observation. La prise en charge d’un patient ayant des troubles hallucinatoires visuels dans un contexte de polymédication impose donc une vigilance accrue par rapport aux effets indésirables des médicaments utilisés. L’encadré 1 rappelle les principales molécules suscep-

Références 1

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tibles de déclencher de telles hallucinations. La bradycardie intense de notre patiente a nécessité la prescription de dopamine en intraveineux, administrée par voie centrale. Classiquement, la dopamine ne franchit pas la barrière hémato-encéphalique et se limite à des effets périphériques, dont la cible est principalement car11 diaque.Federov et al. suggèrent que la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique pourrait varier en fonction de la pression de perfusion de celle-ci, et donc de son niveau d’oxygénation. Nous formulons donc, pour notre patiente, l’hypothèse qu’une certaine quantité de dopamine a pu franchir la barrière hémato-encéphalique au décours de moments d’hypotension et que celle-ci pourrait être à l’origine des symptômes évoqués. Cette hypothèse fait référence à la théorie dopaminergique de 12 la psychose .

Conclusion Les troubles délirants sont fréquents en réanimation. Il convient donc de s’y intéresser afin de les prévenir ou de les prendre en charge.Leur diagnostic est souvent mal aisé en raison des conditions difficiles d’examen ainsi que leur interprétation étiologique du fait de nombreuses intrications somatiques et pharmacologiques. Nous pouvons constater ici que plusieurs étiologies, en particulier médicamenteuses ou psychopathologiques, doivent être envisagées. ■

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