Prévention du rhumatisme articulaire aigu en Afrique sub-saharienne et au Burkina-Faso

Prévention du rhumatisme articulaire aigu en Afrique sub-saharienne et au Burkina-Faso

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Prévention du rhumatisme articulaire aigu en Afrique sub-saharienne et au Burkina-Faso

P. Menu1, M. Berthonneau1, A. Lassale1, N. Kaboré1, A. Heraudeau2, J. Aumasson3, J.-L. Pécriaux4 (†) Service médico-chirurgical de cardiologie, Centre hospitalier universitaire de Poitiers Centre hospitalier Sud-Bretagne, Lorient 3 Conseil général de la Vienne, Poitiers 4 Trésorier de l’Association Anima sana in corpore sano [email protected] 1 2

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ntre 1980 et 2000, plusieurs pays du nord Maghreb, sous l’impulsion de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont lancé des programmes de prévention du rhumatisme articulaire aigu (RAA) par la prise en charge des angines streptococciques afin de lutter contre la survenue des complications valvulaires de cette pathologie. En 2010, le projet « 1 000 cœurs pour l’Afrique », présenté par la Chaîne de l’Espoir a reçu le soutien de la commission européenne. Le développement de la chirurgie cardiaque dans cette région d’Afrique ne pouvait se concevoir que dans un plan global comprenant : • en amont, la prévention du RAA, • et sur l’ensemble du territoire, le dépistage précoce par échocardiographie des valvulopathies.

très faible (89 % d’analphabétisme dans la province de Gagna). Les liens entre « savoir et santé » ont fait l’objet de multiples rapports. Pour être réellement efficace et durable, la prévention du RAA devait s’appuyer sur deux éléments clés, l’éducation et la fourniture de médicaments gratuits. Le Conseil général de la Vienne a depuis plus de 30 ans développé un partenariat de proximité basé sur les échanges mutuels et sur la multiplication des jumelages entre les communes de la Vienne et les villages burkinabés. Certains médecins et chirurgiens du centre hospitalier universitaire de

Poitiers, en particulier en chirurgie pédiatrique, ont développé des relations privilégiées avec leurs collèges du centre hospitalier Charles-deGaulle à Ouagadougou. Avec la Chaîne de l’Espoir, nous avons initié et entouré le projet de création d’un service de chirurgie cardiaque au nouveau centre hospitalier universitaire Blaise-Campâoré. D’emblée, il nous a semblé indispensable et logique d’adosser ce programme à un projet de prévention du RAA et de dépistage précoce et intensif par échocardiographie des cardiopathies valvulaires chez l’adolescent.

Thème et rationnel du projet Les programmes de l’OMS en Afrique du Nord ont été remarquablement efficaces [1] sur l’incidence du RAA, alors que cette pathologie reste extrêmement tenace et meurtrière en Afrique sub-saharienne. Dans cette région de la planète, c’est la première cause des maladies valvulaires chez l’enfant. Le plus inquiétant est que la maîtrise de la lecture en Afrique sub-saharienne est encore 40

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Le but de ce travail est d’analyser les démarches, les difficultés et les obstacles que nous avons rencontrés et la façon dont ce projet a pu être mené à bien grâce au soutien du Conseil général et de la bourse que nous avons obtenue auprès de la Fédération française de cardiologie.

Objectifs du projet L’objectif principal était de réduire à 1 % la morbidité et le handicap causé par le RAA chez les enfants de moins de 16 ans dans trois provinces du Burkina (Pô, Koudougou, Banfora). Selon le rapport 2008 de l’OMS, le Burkina est une des zones au monde où le traitement systématique correct des angines à streptocoque est inexistant et où la prévention primaire du RAA est insuffisante. Le Burkina-Faso est un pays faisant partie de l’ouest africain marqué par une certaine stabilité politique depuis 1984. Le pays reste économiquement très en retard, classé dans les 10 pays les plus pauvres du monde. Dans un contexte sanitaire et économique précaire, ces différentes pathologies infantiles constituent un véritable problème de santé publique. Les angines sont extrême-

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ment répandues et leur traitement avec des antibiotiques reste trop souvent marginal ; ainsi, le RAA est toujours une pathologie fréquente au Burkina parmi les enfants de moins de 16 ans [2]. Cette situation est d’autant plus dramatique que le prix du traitement initial efficace est très faible, alors que les conséquences économiques, sociales et humaines en son absence sont très importantes. Les excellents travaux de Martina Bjorkmann et Jakob Svensson, « Power to the people: Evidence from a randomized field experiment on community monitoring in Uganda » rapporté par Esther Duflo, titulaire de la chaire « Savoirs contre pauvreté » au Collège de France prouve qu’une intervention à la base, sans intervention de la hiérarchie, semble avoir des effets beaucoup plus importants que certaines campagnes mondiales de l’ONU, de l’UNICEF ou de la Croix-Rouge internationale, respectant un parcours intégrant chaque échelon de la hiérarchie. Par l’action de proximité, il est possible que le fait de motiver et de rendre responsable les acteurs locaux permette d’installer durablement un cercle vertueux entre demande et offre [3].

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Organisation, préparation financement du programme Nous avons réalisé et déposé trois dossiers, en réponse à des appels à projets : l’un auprès de l’UNF3S dans le cadre du projet mère-enfant pour l’Afrique, l’autre auprès de la Fédération française de cardiologie dans la rubrique Prévention et le dernier auprès du Conseil général de la Vienne (CGV) dans le cadre des projets éducation-santé. Même si chaque dossier répondait aux critères particuliers de chaque organisme, ils avaient en commun une même « philosophie » et une même approche basée sur trois éléments : développer sur place les compétences des acteurs pour les autonomiser le plus vite possible (transfert des compétences), favoriser les relations de proximité, les contacts individuels, et réduire au maximum les dépenses de fonctionnement. L’esprit de ces projets repose enfin sur la même analyse, développer l’éducation (lecture, écriture) qui est un préalable indispensable à une action de santé durable. Les trois demandes ont reçu un avis favorable et sur un budget initial de 40 000 €, nous avons obtenu un accord de 5 000 € de l’UNF3S, autant de la Fédération française de cardiologie et de 7 000 € du CGV. Par voie d’affichage, via le bureau des étudiants du CREM, une réunion d’information a été organisée et devant une cinquantaine d’étudiants, les grandes lignes du projet ont été présentées. Sur curriculum vitae anonymes et lettres de motivation, dix étudiants ont été retenus et avec des anciens opérés du cœur et quelques médecins concernés, un groupe de travail a été formé. Le programme initial, pour lequel l’aide de la Fédération française de cardiologie avait été demandée, était programmé pour trois ans. Une première année basée essentielle41

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ment sur la formation, sur la préparation des documents et la création de contacts locaux afin d’organiser les missions dans les meilleures conditions. La deuxième année, les missions sur le territoire, auront deux objectifs précis : analyser les compétences diagnostiques et curatives du personnel du service de santé à différents niveaux, et réaliser une campagne d’information massive dans les collèges auprès des 42

groupes de parents d’enfants, et sur les marchés par des réunions organisées par les responsables locaux. La troisième année aura comme mission de poursuivre la campagne de sensibilisation dans des régions nouvelles et de retourner dans les régions visitées les deux premières années pour évaluer l’impact à distance du travail effectué. A l’occasion de la réception des maires de différentes communes

burkinabées avec leurs homologues de la Vienne, une stratégie est mise en place et trois provinces acceptent et sont choisies pour lancer le programme. Il s’agit de trois provinces rurales correspondant aux trois climats différents du Burkina, une dans la zone sahélienne, une dans la zone soudano-sahélienne et une dans la zone soudano-guinéenne. L’organisation s’appuie sur un chef de projet (Pr P. Menu), le responsable de l’international au sein du Conseil général de la Vienne (J. Aumasson), une organisation indépendante non gouvernementale, l’association Anima sana in corpore sano (AASICS), une association de parrainage pour la formation à l’université de Poitiers, des étudiants en médecine burkinabés regroupés sous l’enseigne BIFIDA. La sélection des étudiants a été faite de façon anonyme. Sept étudiants ont été retenus pour les trois missions de 2011 ; ils ont travaillé en binôme avec six étudiants burkinabés sur place. Chaque mission est couverte par une assurance humanitaire prise en charge par la Chaîne de l’Espoir. Des séminaires de formation au diagnostic et au dépistage de l’angine ont précédé la réalisation d’un diaporama, d’affiches et de documents entièrement réalisés par les étudiants. En 2011, il y a eu trois missions, une dans la périphérie de Ouagadougou, une dans la province de Pô et une dans la province de Banfora. Le tableau 1 résume les impacts de ces missions auprès des populations. Chaque mission était suivie d’un « debriefing » en présence de tous les acteurs de la mission effectuée et des étudiants devant assurer les missions à venir, en soulignant les points faibles et les améliorations à apporter à chaque nouvelle mission. Le bilan financier a toujours été réalisé par notre comptable. Les médicaments que nous avons donnés dans chaque dispensaire ont été achetés sur place à la pharmacie centrale d’achat.

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Tableau 1. Populations informées, formées et éduquées. Mission 1

Mission 2

Mission 3

Total

Villages reçus

Communes burkinabées

12

10

14

36

Dispensaires/centre de soins visités

14

11

15

40

Personnels formés

51

48

74

173

Dose de médicaments fournis

258

> 1 000

650

Populations touchées

env 950

env 1 800

env 1 950

dont enfants < 10 ans

585

640

520

1

1

5

Emissions de radio

Les documents réalisés par les étudiants ont été réalisés sous forme d’affiches plastifiées, plus de la moitié de sites visités n’avaient pas d’électricité et de nombreuses séances ont eu lieu sur tableau noir. Chaque mission était composée par un double binôme comprenant deux étudiants en D4 de Poitiers et deux étudiants burkinabés, ce qui était indispensable pour une bonne partie des sites visités car, actuellement, la majorité des enfants de moins de 10 ans ne parlent pas français. Suite au conseil du Dr De Luca, pédiatre au centre hospitalier universitaire de Poitiers, une fiche cartonnée a servi de fil conducteur pour la formation des auxiliaires de santé utilisant le score de Mac Isaac : cette fiche était retrouvée et utilisée de façon régulière dans 7 des 10 centres de santé que nous avons évalués l’année suivante. Une seconde fiche a été laissée dans chaque centre pour évaluer notre action et analyser les améliorations possibles ; les étudiants locaux étaient chargés de récupérer ces fiches à distance mais nous n’avons malheureusement eu un retour que de 4 fiches sur 40 dispensaires. Il semble que cela ne soit pas si exceptionnel en Afrique ! Nous avons toutes les raisons de croire que ce qui a fonctionné au Brésil va être efficace aussi en Afrique [4]… Nous n’avons pas réalisé de mission la troisième année, pour deux raisons essentielles. Le nouveau secrétaire du ministre de la Santé burkinabé nous AMC pratique

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a demandé de modifier notre stratégie avec l’« exigence » de rémunérer les étudiants burkinabés qui, selon lui, ne pouvaient pas continuer à faire ce travail sans salaire ! Comme les étudiants poitevins étaient tous bénévoles et non payés (certains ont même accepté de prendre ces missions sur leurs journées de congés), nous n’avons pas accédé à cette demande. La seconde raison est que ce même secrétaire souhaitait que l’évaluation soit faite par les experts locaux et hiérarchiques du ministère payés par nous ! Nous avons bien entendu accepté que l’évaluation soit faite par eux à condition qu’ils les indemnisent eux-mêmes. Rien n’a donc été fait mais les contacts récents avec les autorités semblant plus favorables, nous espérons pouvoir relancer le programme l’année prochaine. Les leçons que nous tirons de ces missions : la chirurgie cardiaque qui devait débuter en mai 2011, à l’ouverture du nouveau centre, n’a toujours pas commencé : alors que tout est prêt, que l’anesthésiste est formé, que le chirurgien local vient de passer deux années en France et que l’équipe que nous animons avec la Chaîne de l’Espoir est prête à intervenir à tout moment et prend en charge tous les frais… les autorités du ministère de la Santé burkinabé tardent à donner le feu vert, argumentant d’autres choix prioritaires. L’action de prévention de proximité et d’éducation que nous avons menée a pu démontrer qu’elle était faisable et que le contact direct de

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municipalité à municipalité, de village à village, permettait de faire fonctionner les centres de soins de façon très homogène et rapide. Cela nous fortifie dans cette approche « par la base » préconisée par les travaux d’Esthel Duflo qui, elle-même, vient d’être « draftée » par Barak Obama pour animer le conseil de lutte contre la pauvreté et pour les affaires sociales à la Maison Blanche !

Conclusion Loin de nous décourager, cette expérience nous stimule car elle a permis de donner à plusieurs étudiants une ouverture sur le rôle de la médecine humanitaire, ses difficultés et ses intérêts. A une époque où les perspectives de la médecine hospitalière en France s’orientent vers un système plus gestionnaire et financier, c’est une bonne opportunité de pouvoir présenter une alternative à la générosité des jeunes futurs médecins. Cette expérience enrichissante nous incite surtout à persévérer avec le projet de dépistage des cardiopathies par échocardiographie nomade que nous préparons avec le Pr Jouven et la Chaîne de l’Espoir. Conflits d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt en relation avec cet article. Références [1] WHO program for the prevention of rheumatic fever / rheumatic heart disease in 16 developing countries: Report from phase I (1986-90).WHO cardiovascular diseases unit and principal investigators. Bull World Health Organ 1992;70:213-8. [2] Bertrand E. Approche critique de la prévention des cardiopathies rhumatismales en Afrique sub saharienne. Cardiol Trop 1994;20:85-90. [3] Duflo E. Développements humains, lutte contre la pauvreté. Ed. du Seuil . [4] Meira ZM, Goulart EM, Colosimo EA, et al. Long term follow up of rheumatic fever and predictors of severe rheumatic valvar disease in Brazilian children and adolescents. Heart 2005;91:1019-221.

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