Estime de soi et démobilisation scolaire des adolescents

Estime de soi et démobilisation scolaire des adolescents

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Estime de soi et démobilisation scolaire des adolescents Self-esteem and school demobilization of adolescents E. Bardou a,∗ , N. Oubrayrie-Roussel a , O. Lescarret b a

Laboratoire psychologie du développement et processus de socialisation, E.A. 1687, université Toulouse 2, maison de la recherche, bureau C446, 5, allées Antonio-Machado, 31058 Toulouse cedex 9, France b Laboratoire psychologie du développement et processus de socialisation, E.A. 1687, université de Nîmes, maison de la recherche de l’université Toulouse 2, bureau C446, 5, allées Antonio-Machado, 31058 Toulouse cedex 9, France

Résumé Objectif. – L’objectif de cette recherche est d’identifier les processus psychologiques sous-jacents au phénomène de démobilisation scolaire et de mettre en avant les facteurs protecteurs du décrochage scolaire, en s’intéressant particulièrement à l’impact de l’estime de soi des adolescents. Patients et méthode. – Nous avons procédé à la passation puis à la validation statistique de deux échelles (estime de soi et mobilisation scolaire) auprès d’un échantillon de 405 collégiens permettant la mise à l’épreuve de notre hypothèse, avec des analyses de régression linéaires. Résultats. – Les résultats confortent l’hypothèse selon laquelle l’estime de soi présente des effets sur la mobilisation scolaire. Plus l’estime de soi est élevée, notamment le soi socio-émotionnel et le soi scolaire, plus la mobilisation scolaire est importante, laissant supposer que le contrôle des émotions mais aussi l’évaluation que le jeune fait de ses compétences scolaires, permettraient de gérer les processus de compétition et de lutte pour la reconnaissance sociale auxquels les collégiens se trouvent confrontés, par l’expression de mobiles forts sur l’école et les savoirs. Conclusion. – En conclusion, les résultats de cette recherche nous amènent à penser que l’estime de soi constitue une dimension préventive de la démobilisation scolaire. Ils soulignent l’intérêt de questionner plus tôt chez les adolescents, leur mobilisation scolaire, conc¸ue comme un processus en co-construction, en différenciant les dimensions du rapport à l’école, du rapport aux savoirs et de l’engagement dans le travail scolaire, tout en tenant compte de leur estime de soi. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Estime de soi ; Identité ; Démobilisation scolaire ; Rapport au savoir ; Décrochage ; Adolescence

Abstract Objective. – The objective of this research is to identify the psychological processes underlying the phenomenon of school demobilization and highlight the protective factors of dropping out, with particular attention to the impact of self-esteem of adolescents. Methods. – We proceeded to the award and the statistical validation of two scales (self-esteem and school mobilization) with a sample of 405 college students for the testing of our hypothesis, with linear regression analyzes. Results. – The results support the hypothesis that self-esteem has an effect on school mobilization. More self-esteem is high, especially the so socio-emotional and academic self, more school mobilization is strong, suggesting that emotional control but also the assessment that the young because of his academic skills, would manage the process of competition and struggle for social recognition that college students are confronted by the expression of strong mobile on the school and knowledge. Conclusion. – In conclusion, the results of this research suggest that self-esteem is a preventive dimension of demobilization school. They underline the importance of questioning earlier in adolescents, their school mobilization, conceived as a co-construction, by differentiating the dimensions of the report to the school’s relation to knowledge and engagement in school work, taking into account their self-esteem. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Self-esteem; Identity; School demobilization; Relation to knowledge; Dropout; Adolescence



Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (E. Bardou).

0222-9617/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2012.07.003

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1. Introduction Les difficultés scolaires représentent les motifs de consultation de plus en plus fréquents en pédopsychiatrie. La démobilisation scolaire est un signe qui peut dévoiler la souffrance de l’enfant dont les causes sont multiples. L’école peut produire de la pathologie même si elle peut refléter la projection de difficultés plus personnelles [1]. Nous nous interrogeons sur les facteurs qui, dans la vie psychique de l’enfant peuvent venir troubler le cheminement des processus cognitifs et affectifs et constituer autant d’entraves à l’acquisition des savoirs. L’objectif de cette recherche est d’identifier les processus psychologiques sous-jacents au phénomène de démobilisation scolaire et de mettre en avant les facteurs protecteurs du décrochage scolaire, en s’intéressant particulièrement à l’impact de l’estime de soi des adolescents [2]. 1.1. L’estime de soi L’adolescence en tant que crise identitaire et période de remise en question des rapports intellectuels, affectifs et sociaux que les sujets établissent avec eux-mêmes et autrui, nous amène à nous intéresser à la notion d’estime de soi. 1.1.1. Distinctions conceptuelles L’estime de soi est une dimension essentielle de l’identité, qui renvoie à la valeur qu’un individu attribue à sa propre personne [3]. Bien plus qu’un simple trait de personnalité, elle est l’ensemble des jugements positifs ou négatifs, correspondant à « la dimension évaluative du concept de soi, c’est-à-dire à l’ensemble des représentations dont l’individu dispose à propos de lui-même et à l’approbation ou à la désapprobation qu’un sujet porte sur lui-même » [4]. Nous considérons actuellement l’estime de soi comme une construction multidimensionnelle, constituée de facteurs plus ou moins indépendants renvoyant à des domaines d’activités particuliers. 1.1.2. Les fonctions de l’estime de soi De nombreux auteurs [5] ont précisé l’influence de l’estime de soi sur le comportement, intervenant de fac¸on prépondérante dans l’adaptation psychosociale d’un sujet. Une estime de soi positive favorise l’épanouissement et l’affirmation de la personnalité ainsi qu’une meilleure résistance au stress ; elle constitue un facteur de motivation, notamment dans le domaine solaire. Alors qu’une estime de soi négative a tendance à minimiser les potentialités du sujet, à rendre difficile son intégration et adaptation scolaire et sociale. 1.1.3. Les relations circulaires entre l’estime de soi et l’échec scolaire De nombreux travaux en psychologie de développement tendent à dévoiler les relations complexes entre l’estime de soi et l’échec scolaire [6,7]. Cependant, les conclusions contradictoires de ces études ne permettent pas de connaître le sens de la relation entre l’estime de soi et le niveau scolaire, renvoyant à l’hypothèse d’un lien circulaire et d’interrelations

mutuelles [3,7,8]. Dans un sens, l’échec scolaire peut être lié à une mauvaise opinion de soi [9], qu’elle en soit l’origine ou la conséquence. Les résultats d’une recherche menée par Oubrayrie et al. [10] montrent que la probabilité d’être en réussite scolaire augmente d’autant plus que le sujet présente un haut niveau d’estime de soi. Dans le même sens, Martinot [9] dévoile que « des conceptions de soi positives favorisent une accentuation de l’effort, une persévérance lors de difficultés, une utilisation des capacités et des stratégies acquises, ou encore une efficacité accrue ». Toutefois, un élève en réussite scolaire peut avoir tendance à sous-estimer ses potentialités face aux exigences scolaires et à se déprécier, voire se dévaloriser [11]. Les résultats d’études antérieures mettent en évidence que les expériences d’échec scolaire ont plutôt tendance à conduire à une dévalorisation de soi, tout comme les expériences de réussite scolaire ont plutôt tendance à conduire à une valorisation de soi. Cela nous amène à nous centrer sur la notion de démobilisation scolaire. En effet, la question de la réussite/échec scolaire s’inscrit dans une dialectique identitaire particulièrement délicate à l’adolescence. On peut penser alors la démobilisation scolaire comme un acte d’opposition, une manière d’existence contre, ou à défaut d’existence révélant une forme d’expression identitaire. L’adolescent en très grande difficulté attaque les liens, amenant à de possibles ruptures identitaires, familiales, physiques mais aussi scolaires.

1.2. La (dé)mobilisation scolaire Au-delà de l’obligation sociale que représente la scolarité dans notre société, se posent la question de la signification de l’école et celle du coût psychologique de l’investissement scolaire pour chaque adolescent, conférant à la notion de mobilisation scolaire l’idée d’un processus psychologique, se situant bien en amont de l’échec ou de la réussite scolaire.

1.2.1. Le rapport au savoir, une autre lecture de l’échec scolaire La notion de rapport au savoir développée selon la conception psychosociale de Charlot [12] pose tout à la fois la question de la singularité, du sens et du savoir. Le sens que les élèves confèrent à leur histoire et aux situations scolaires est un phénomène fondamental pour comprendre la réussite ou l’échec scolaire, de ce sens dépend la mobilisation scolaire des élèves, autrement dit, leur investissement dans l’activité intellectuelle requise par l’appropriation de savoirs [13]. En effet, pour de nombreux adolescents, l’institution scolaire ne revêt plus de sens dans la mesure où elle ne garantit plus l’avenir dans ce contexte économique en crise et renvoie plutôt à une désillusion, un lieu sans intérêt et pour beaucoup d’adolescents à une expérience éprouvante. Charlot [12] définit le rapport au savoir par l’ensemble organisé des relations qu’un sujet entretient avec tout ce qui relève de l’apprendre et du savoir. Ainsi, le processus de mobilisation permet d’appréhender :

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• le rapport à l’école : renvoyant au sens et à la valeur accordée à l’école [12] ; • le rapport à l’apprendre qui regroupe les conceptions autours des savoirs [14].

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de structure traditionnelle (parents en couple avec un ou plusieurs enfants) soit 70 % et sont issus d’un milieu socioculturel intermédiaire (54 %). 2.3. Matériel

1.2.2. De la démobilisation scolaire au décrochage La démobilisation est à comprendre comme le signe d’une interrogation du sens de la scolarité par les adolescents renvoyant à la notion d’un processus psychologique qui désigne sur un continuum, la perte de sens et de valeur accordée à l’école et aux savoirs. L’échec scolaire ou bien le décrochage scolaire, représentant l’état final ou l’expression du processus de démobilisation. Le décrochage désigne la rupture qui interrompt durablement la scolarité d’un élève à la suite d’un processus l’amenant à s’affranchir volontairement de l’obligation d’assiduité scolaire. La qualité de l’expérience scolaire est un des plus importants prédicteurs du décrochage scolaire. Parmi les facteurs de risque les plus importants sont relevés une faible estime de soi, une propension à somatiser et des états affectifs négatifs [15]. Dans une perspective socio-personnelle, l’abandon de la scolarité peut amener le sujet à une précarité socioprofessionnelle mais également à une menace de sa santé physique et psychologique [16] en empêchant la construction d’une identité positive [17–19]. Nous sommes bien à l’articulation du subjectif et de l’objectif, du personnel, du scolaire, permettant de prendre en compte la multiplicité et la conjonction de différents facteurs, et notamment l’incidence de la construction identitaire. Nous faisons l’hypothèse selon laquelle l’estime de soi joue un rôle sur la (dé)mobilisation scolaire des adolescents. 2. Patients et méthodes

Deux outils appréhendant les dimensions de notre étude font l’objet d’une présentation détaillée dans cette section. Chaque élève a rempli une échelle sur la mobilisation scolaire et une échelle sur l’estime de soi. La validité des deux échelles a été effectuée auprès de notre échantillon en respectant deux phases distinctes, la première avec l’analyse factorielle exploratoire en axe principaux sous SPSS 15, la seconde avec l’analyse factorielle confirmatoire sous LISREL 8.8 (modèle d’équations structurelles). 2.3.1. L’échelle de mobilisation scolaire (EMS) Nous avons construit une EMS car aucun des outils existants n’était adapté aux buts de notre recherche [20]. La version validée sous format de réponse de type Lickert en cinq points (de « pas du tout d’accord » à « tout à fait accord ») se compose de 21 items répartis dans trois dimensions : • la dimension du rapport à l’école, avec le thème du sens attribué à l’école et la notion de soutien relationnel (neuf items). Exemple : « Le collège c’est avant tout passer de bons moments avec mes copains/copines » ; • la dimension du rapport à l’apprendre avec le thème des relations avec les professeurs et les représentations sur les devoirs et les matières scolaires (neuf items). Exemple : « J’aime les devoirs et lec¸ons » ; • la dimension de l’engagement dans le travail scolaire à l’école et à la maison (trois items). Exemple : « Il m’arrive de ne plus avoir envie de faire les choses en classe ».

2.1. Procédures et démarches de la recherche Nous avons eu recours à une démarche quantitative lors de la phase extensive de la recherche, en procédant à la passation puis à la validation statistique des échelles auprès d’un échantillon de 405 collégiens. La passation s’est déroulée au sein de trois collèges, avec l’accord de l’Inspecteur d’Académie, en respectant l’anonymat et la confidentialité des données en accord avec les règles éthiques de la recherche en psychologie telles qu’elles sont exigées par le code de déontologie des psychologues. 2.2. Population L’enquête a été menée auprès de 405 adolescents franc¸ais (56 % de filles et 44 % de garc¸ons) âgés de 11 à 15 ans scolarisés en filière générale, inscrits dans trois collèges du département de la Corrèze de la sixième à la troisième. Leurs niveaux scolaires résultent de la moyenne aux trois trimestres. Nous notons une proportion similaire d’élèves en réussite (46 % ayant une moyenne supérieure à 14/20) et d’élèves moyens (45 % ayant une moyenne entre 10 et 13/20). Les élèves en difficulté représentent 8 % de notre échantillon (avec une moyenne inférieure à 10/20). Une majorité d’adolescents vivent dans une famille

La cohérence interne de la nouvelle EMS est satisfaisante dans sa valeur globale (␣ = 85), mais aussi dans chacune de ses dimensions, soit le rapport à l’école (␣ = 0,93), le rapport à l’apprendre (␣ = 84) et l’engagement dans le travail scolaire (␣ = 0,72). Un score global de mobilisation scolaire est obtenu, ainsi qu’un score par dimension. 2.3.2. L’échelle toulousaine d’estime de soi (ETES) Nous avons retenu l’ETES version adolescents [21,22] que nous avons validée auprès de notre échantillon sous une nouvelle version [2,23]. La version validée de l’échelle sous format de réponse de type Lickert en cinq points (de « jamais » à « très souvent ») se compose de 18 items répartis dans trois dimensions : • la première dimension aborde le soi socio-émotionnel (ou psychologique), soit huit items inversés au total. Le thème abordé est la représentation de l’état émotionnel et la représentation que le sujet a de ses interactions avec autrui. Exemple : « Je me trouve énervé(e) et tendu(e) » ; • la deuxième dimension correspond au soi physique, soit cinq items positifs au total. Le thème abordé est la représentation

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que le sujet a de son image corporelle. Exemple : « Mon visage et mon corps plaisent facilement » ; • la troisième dimension correspond au soi scolaire, soit cinq items positifs au total. Le thème abordé est la représentation des compétences du sujet dans le cadre scolaire. Exemple : « Je suis fièr(e) de mes résultats scolaires ». Les indicateurs de fiabilité calculés sont très satisfaisants pour les dimensions du soi socio-émotionnel (␣ = 0,85), du soi physique (␣ = 0,84) et du soi scolaire (␣ = 0,74) ainsi que pour le soi global (␣ = 0,84). Un score global et des sous scores par dimensions sont ainsi calculés permettant d’apprécier le niveau d’estime de soi du sujet. 3. Résultats Dans un premier temps, nous allons présenter des analyses descriptives simples (comparaison de moyennes) permettant de repérer l’effet du niveau scolaire sur l’estime de soi et la (dé)mobilisation scolaire, suivis, dans la partie suivante des résultats des analyses de corrélations de Pearson ayant permis de tester les liens entre l’estime de soi et la mobilisation scolaire. 3.1. Variations de l’estime de soi et de la (dé)mobilisation scolaire selon le niveau scolaire L’estime de soi générale varie significativement selon la moyenne scolaire avec une moyenne d’estime de soi plus faible chez les sujets en difficulté scolaire (M = 54,07 ; ET = 11,17) (t [37] = 4,87 ; p < 0,001) par rapport aux jeunes en réussite scolaire (M = 64,99 ; ET = 11,56), tout comme la dimension du soi scolaire (t [32] = 7,09 ; p < 0,001). Ces observations semblent confirmer les hypothèses de relations circulaires entre l’estime de soi et les performances, constatées dans les études antérieures. Concernant la mobilisation scolaire, des moyennes plus fortes sont également significatives pour les jeunes en réussite scolaire concernant la mobilisation scolaire générale (M = 96,408 ; ET = 19,34) par rapport aux jeunes en difficultés scolaires (M = 77,83 ; ET = 18,45) (t [39] = 4,66 ; p < 0,001) mais aussi les dimensions du rapport à l’apprendre (t [32] = 4,21 ; p < 0,001) et de l’engagement dans le travail scolaire (t [35] = 2,65 ; p < 0,005). Seule la dimension du rapport à l’école ne varie pas selon la moyenne scolaire. Ces observations vont dans le sens de la théorie psychosociale du rapport au savoir liant la réussite scolaire aux significations et aux valeurs que le sujet accorde à l’école et aux savoirs qui s’y enseignent. 3.2. Lien entre l’estime de soi et la (dé)mobilisation scolaire Le soi global s’avère fortement corrélé avec les scores de la mobilisation globale (r = 0,62, p < 0,01), du rapport à l’école (r = 0,61, p < 0,01) et du rapport à l’apprendre (r = 0,25, p < 0,01). Une tendance d’association est observée avec l’engagement dans le travail scolaire (r = 0,10, p < 0,05). Le soi socio-émotionnel est très fortement corrélé avec la mobilisation scolaire générale (r = 0,65, p < 0,01) et le rapport à

l’école (r = 0,78, p < 0,01). Le soi scolaire (r = 0,30, p < 0,01) et le soi physique (r = 0,18, p < 0,01) sont tous deux corrélés avec la mobilisation scolaire globale. Ces deux-mêmes dimensions, à savoir le soi physique (r = 0,20, p < 0,01) et le soi scolaire (r = 0,45, p < 0,01) sont aussi corrélées avec le rapport à l’apprendre. En d’autres termes, ces analyses de corrélations nous permettent de constater que les adolescent(e)s sont mobilisés scolairement lorsqu’ils (elles) présentent une estime de soi forte. Ces résultats confirment le lien supposé dans nos hypothèses entre l’estime de soi et la mobilisation scolaire, que nous allons maintenant tester à partir des analyses de régression hiérarchiques suivantes. 3.3. Effet déterminant de l’estime de soi sur la mobilisation scolaire générale L’hypothèse à tester suppose que plus l’estime de soi des adolescents est élevée, plus la mobilisation scolaire de ces derniers est forte. Un modèle de régression linéaire avec la procédure séquentielle a été réalisé en utilisant l’estime de soi et ses trois dimensions comme la variable indépendante et la mobilisation scolaire comme variable dépendante. Les résultats exposés cidessous démontrent une relation statistique significative entre les deux variables, à savoir que plus l’estime de soi est élevée, plus la mobilisation scolaire est forte. Concernant le soi physique, le coefficient n’est pas statistiquement significatif dans le modèle retenu. La direction du coefficient (positive) indique que lorsque l’estime de soi socio-émotionnelle et l’estime de soi scolaire sont élevées, la mobilisation scolaire a tendance à être plus forte. La procédure séquentielle nous permet de préciser le poids de chacune des deux dimensions du soi. Les résultats (Tableau 1, modèle 2) indiquent que la proportion de variance expliquée par les variables du soi émotionnel et du soi scolaire (modèle 2) est légèrement plus élevée (47,3 %) que dans le modèle 1 retenant uniquement le soi socio-émotionnel (43,1 %). La variable la plus prédictive de la mobilisation scolaire correspond au soi socio-émotionnel (β = 65 ; p < 0,001). La seconde variable qui contribue le plus à la prédiction est le soi scolaire (β = 21 ; p < 0,001) qui vient en second ordre d’importance (tant chez les filles que chez les garc¸ons et quel que soit l’âge). Ce contrôle des émotions dans la définition du soi s’avère donc important auprès des sujets, sur la mobilisation scolaire. Cela laisse supposer que le contrôle des émotions mais aussi l’évaluation que le jeune fait de ses compétences scolaires, permettraient de gérer le processus de compétition et de lutte pour la reconnaissance sociale auxquels les collégiens se trouvent confrontés, par l’expression de mobiles forts sur l’école et les savoirs. 3.4. Effet prédicteur de l’estime de soi sur le rapport à l’école L’analyse par sous-dimensions nous permet d’observer que le soi socio-émotionnel a un impact très important sur le rapport à l’école (β = 0,78 ; p < 0,001) expliquant 61,3 % de la variance totale (selon une procédure « pas à pas ») et cela, quel que soit le sexe. Ces résultats sont logiques du fait que le rapport à l’école

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Tableau 1 Analyses de régression de l’estime de soi sur la mobilisation scolaire. Modèles 1 2

Variables

Bêta

R2

Changement de R2

F

Soi socio-émotionnel Soi socio-émotionnel Soi scolaire

0,62***

0,431 0,473

0,431 0,042

294,53* 173,91***

* p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001.

0,65*** 0,21***

Afin de ne pas alourdir la présentation, seuls les résultats significatifs sont présentés.

comprend le sens de l’école mais aussi le vécu relationnel, dimensions comprises aussi dans le soi socio-émotionnel. 3.5. Effet mesuré de l’estime de soi sur le rapport à l’apprendre Concernant le rapport à l’apprendre, il semble influencé par le soi scolaire (β = 0,45 ; p < 0,001), expliquant 20,5 % de la variance totale quel que soit l’âge ou le sexe (selon une procédure « pas à pas »). Cela semble cohérent dans la mesure où l’évaluation des compétences scolaires est étroitement liée à la représentation des matières scolaires et des devoirs. En d’autres termes, plus le jeune s’évalue positivement (notamment sur le plan scolaire), plus il sera mobilisé sur les savoirs. En effet, pour apprendre, il faut être pleinement assuré de sa capacité à apprendre et un jeune doté d’une faible estime de soi se trouve sans doute dans une situation plus vulnérable en matière d’apprentissage. 3.6. Effet mesuré de l’estime de soi sur l’engagement dans le travail scolaire Selon une procédure « pas à pas », l’analyse de régression révèle une mise en relation de l’estime de soi générale avec l’engagement dans le travail scolaire (β = 0,10 ; p < 0,05). L’estime de soi générale joue un rôle dans l’investissement du travail scolaire, qui nécessite a priori des représentations plus larges pour le processus de mise au travail scolaire expliquant 18 % de la variance totale. Ces résultats confirment la relation significative entre l’estime de soi et le rendement scolaire [18].

construction identitaire par l’expression d’un désir ou d’une résistance [12]. Les jeunes démobilisés scolairement peuvent se retrouver à terme en situation de décrochage, cumulant ainsi des comportements à risque. Éviter le décrochage scolaire des adolescents et ses conséquences (absentéisme, sentiment d’échec, fragilité d’estime de soi, etc.) est susceptible de contribuer efficacement à la promotion de la santé mentale des adolescents et donc à la prévention des conduites à risque. Sur le plan méthodologique, notre recherche contribue à la difficile opérationnalisation de la mobilisation scolaire, à travers les trois dimensions distinctes : le rapport à l’école, le rapport à l’apprendre et enfin l’engagement dans le travail scolaire, permettant de nuancer le positionnement de l’adolescent, ce dernier pouvant donner du sens à l’école sans avoir envie d’apprendre ou tout en ayant envie d’apprendre sans toutefois s’approprier ni investir les savoirs. De plus, l’ETES version adolescents a ainsi été validée pour la première fois, sur notre échantillon se déclinant en trois dimensions nouvelles : le soi socio-émotionnel, le soi solaire et le soi physique, se distinguant clairement des versions précédentes. En effet, le soi futur n’a pas été retenu dans les analyses de validation, ce qui coïncide avec des études antérieures [24]. Une nouvelle dimension apparaît, celle du soi socio-émotionnel, regroupant à la fois des items du soi social initial et d’autres du soi émotionnel initial, que nous pouvons aussi nommer le soi psychologique ou introspectif. La simplicité d’utilisation et d’analyse de l’échelle d’estime de soi en fait un instrument pratique et son application couvre un vaste champ, avec une spécificité d’application dans la problématique scolaire, par sa version courte. 5. Conclusion

4. Discussion Globalement, l’estime de soi et ses dimensions semblent influencer la mobilisation scolaire et ses trois dimensions. Plus précisément le soi socio-émotionnel prédit la mobilisation scolaire générale et le rapport à l’école alors que le soi scolaire prédit le rapport à l’apprendre. L’estime de soi générale, quant à elle, prédit l’engagement dans le travail scolaire. Nous pouvons souligner que le soi physique ne prédit pas la mobilisation scolaire ni une de ses dimensions. L’hypothèse de départ est confortée, à savoir que plus l’estime de soi (notamment générale, scolaire et socio-émotionnelle) des adolescents est élevée, plus la mobilisation scolaire de ces derniers est forte. Ces résultats vont dans le sens des études empiriques antérieures rapportant qu’une faible estime de soi à l’adolescence est associée à un décrochage scolaire prématuré [9]. La mobilisation scolaire est étroitement liée à la

En conclusion, cette recherche amène à considérer la combinaison de diverses approches pouvant expliquer l’arrêt de la scolarité, centrées notamment sur les facteurs identitaires, familiaux et les parcours scolaires. [25]. Plusieurs ouvertures de recherche sont aussi possibles. Concernant l’institution scolaire, il apparaît souhaitable d’élaborer des formations pour les enseignants, centrées sur les processus psychologiques à l’œuvre dans la scolarité. Du côté des adolescents, il y aurait un intérêt à questionner plus tôt dans la scolarité leur mobilisation scolaire, conc¸ue comme un processus en co-construction, en différenciant les dimensions du rapport à l’école, du rapport aux savoirs et de l’engagement dans le travail scolaire, tout en tenant compte de leur estime de soi. Les résultats de cette recherche, quelle que soit leur nature, empirique ou applicative, soulignent l’importance de l’estime

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E. Bardou et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 60 (2012) 435–440

de soi dans la prévention de la démobilisation scolaire. Il semble primordial de considérer les facteurs psychologiques de la démobilisation scolaire en agissant sur le sens accordé à l’école et en revalorisant l’estime de soi afin d’éviter le passage à l’acte du décrochage scolaire, notamment auprès des élèves non-conformes aux normes scolaires. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Catheline N. Psychopathologie de la scolarité : de la maternelle à l’université. Paris: Elsevier-Masson; 2012. [2] Bardou E. Représentation de l’engagement éducatif parental, estime de soi et mobilisation scolaire d’adolescents scolarisés de la 6e à la 3e . Thèse de doctorat nouveau régime en psychologie. Université Toulouse 2, 2011. [3] Rosenberg M. Conceiving the self. New York: Basic Books; 1979. [4] Coslin PG. Les conduites à risques à l’adolescence. Paris: Armand Colin; 2003. [5] Lescarret O, de Léonardis M, Oubrayrie N, Safont C. Pratiques éducatives familiales et réussite scolaire chez l’adolescent. In: Fine A, Laterrasse C, Zaouche-Gaudron CH, editors. À chacun sa famille. Approche pluridisciplinaire, 1. Toulouse: EUS; 1998. p. 259–73. [6] Harter S. Comprendre l’estime de soi de l’enfant et de l’adolescent. In: Bolognini M, Plancherel B, Nunez R, Bettschart W, editors. Préadolescence, théorie, recherche, clinique. Paris: ESF; 1998. p. 73–85. [7] Meyer R. Expérience éducative et positionnement de soi chez des élèves de collège. Rev Int Psychol Soc 1989;2(4):441–66. [8] Guay F, Roy A, Ratelle CF, Senécal C. Causal ordering of academic selfconcept, academic autonomous regulation, and academic achievement. Fifth SELF Biennial International Conference, 13–15 January, Al Ain, Émirats Arabes Unis, 2009. [9] Martinot D. Connaissance de soi et estime de soi : ingrédients pour la réussite scolaire. Rev Sci Educ 2001;30(3):483–502. [10] Oubrayrie N, Lescarret O, de Léonardis M. Le contrôle psychologique et l’évaluation de soi de l’enfance à l’adolescence. Enfance 1996;3: 383–403.

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