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Revue générale
État des lieux et perspectives de la protonthérapie Current situation and perspectives of proton therapy J. Doyen a , P.-Y. Bondiau a , K. Bénézéry a , M.-È. Chand a , J. Thariat a , A. Leysalle a , J.-P. Gérard a , J.-L. Habrand b , J.-M. Hannoun-Lévi a,∗ a b
Pôle de radiothérapie, centre Antoine-Lacassagne, université Nice-Sophia, 33, avenue de Valombrose, 06000 Nice, France Département de radiothérapie, centre Franc¸ois-Baclesse, 3, avenue du Général-Harris, 14076 Caen cedex 05, France
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Rec¸u le 10 novembre 2014 ´ 2014 Accepté le 26 decembre Mots clés : Protonthérapie Radiothérapie Hadronthérapie Cancer
r é s u m é Certaines tumeurs rares et de l’enfant sont de bonnes indications de protonthérapie, qui permet une forte probabilité de contrôle tumoral sans toxicité sévère ; la multiplication des centres de traitement s’est accompagnée d’une accumulation de données dosimétriques et cliniques pour d’autres cancers. L’objectif de cette étude est de faire une mise au point sur les indications potentielles de protonthérapie. Une recherche a été faite sur Medline avec les mots clés suivants : proton beam radiotherapy, cancer, heavy particle, charged particle. Aucun essai de phase III comparant la protonthérapie avec la meilleure photonthérapie n’a pour l’instant été publié, mais de nombreuses études rétrospectives ont montré des avantages dosimétriques et cliniques potentiels importants, laissant présager d’un avantage en termes de toxicité pour la protonthérapie, en particulier lorsque la contrainte de dose implique des organes en parallèle (tumeurs thoraciques et abdominales) ; de nombreux essais de phase 0, I, II, III et IV sont en cours pour déterminer la place de la protonthérapie dans les cancers les plus fréquents. L’utilisation de cette technique dans les cancers les plus fréquents est en expansion dans le cadre d’essais, mais certaines indications pourraient être envisagées devant des avantages dosimétriques majeurs in silico avec la protonthérapie. © 2015 Publie´ par Elsevier Masson SAS pour la Société française de radiothérapie oncologique (SFRO).
a b s t r a c t Keywords: Proton beam therapy Radiotherapy Particle therapy Cancer
Proton beam therapy is indicated as a treatment for some rare tumours and paediatric tumours because the technique allows a good local control with minimal toxicity; the growing number of centres that use proton beam therapy is associated with an increase of dosimetric and clinical data for other malignant tumours as well. This paper reviews potential indications of proton beam therapy. A systematic review on Medline was performed with the following keywords proton beam therapy, cancer, heavy particle, charged particle. No phase III trial has been published using proton beam therapy in comparison with the best photon therapy, but numerous retrospective and dosimetric studies have revealed an advantage of proton beam therapy compared to photons, above all in tumours next to parallel organs at risk (thoracic and abdominal tumours). This could be accompanied with a better safety profile and/or a better tumoural control; numerous phase 0, I, II, III and IV studies are ongoing to examine these hypotheses in more common cancers. Use of proton beam therapy is growing for common cancers within clinical trials but some indications could be applied sooner since in silico analysis showed major advantages with this technique. © 2015 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of the Société française de radiothérapie oncologique (SFRO).
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.-M. Hannoun-Lévi). http://dx.doi.org/10.1016/j.canrad.2014.12.010 1278-3218/© 2015 Publie´ par Elsevier Masson SAS pour la Société française de radiothérapie oncologique (SFRO).
Pour citer cet article : Doyen J, et al. État des lieux et perspectives de la protonthérapie. Cancer Radiother (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.canrad.2014.12.010
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1. Feuille de route de la radiothérapie dans le plan Cancer 2014–2015 Le troisième plan Cancer, présenté par le président de la République en février 2014, fixe les objectifs à atteindre en cancérologie pour les cinq prochaines années [1]. Certains de ces objectifs font plus spécifiquement référence à la radiothérapie et notamment à la protonthérapie. Parmi eux, nous pouvons retenir : dans l’objectif 2 (garantir la qualité et la sécurité des prises en charge), l’action 2.9 proposant de « définir dans chaque discipline de prise en charge ce qui relève d’un équipement de centre de proximité et ce qui relève d’une structure de recours intégrant des techniques hautement spécialisées ». Il sera donc nécessaire de définir des centres de radiothérapie de recours au niveau national pour les techniques particulièrement complexes (protonthérapie, radiothérapie peropératoire) et structurer leur collaboration avec les centres de proximité. Également, dans l’objectif 2 (adapter les prises en charge des enfants, adolescents et jeunes adultes), l’action 2.15 proposant « d’identifier et labelliser des centres de référence au niveau national pour les prises en charge des enfants atteints de tumeurs rares ». Il s’agira de mettre en place une organisation nationale, reposant sur des centres de référence labellisés par l’Institut national du cancer (Inca), en charge d’assurer une proposition thérapeutique adaptée et l’orientation des enfants concernés vers des équipes spécialisées dans des situations particulières ou complexes identifiées au plan national (cancers très rares de l’enfant ou atteints de indication de recours à des techniques très spécialisées comme la protonthérapie). Les synthèses thématiques mettent en avant l’importance de « répondre aux besoins des enfants, adolescents et jeunes adultes atteints de cancer » et de « garantir des prises en charges adaptées et de qualité ». Au-delà de la structuration interrégionale qui a été faite lors des précédents plans cancer, les situations rares des cancers de l’enfant, identifiées au plan national (cancers très rares ou questionnement sur l’accès à des techniques très spécialisées comme la protonthérapie) feront l’objet d’un processus de proposition thérapeutique national avec l’orientation des enfants concernés vers des équipes très spécialisées. Il s’agit donc de formaliser les situations de recours en cancérologie pédiatrique. L’objectif 3 (assurer à chacun l’accès à la technique de radiothérapie la plus adaptée) précise dans son action 3.16 qu’il est nécessaire de « réguler au niveau national l’offre en équipement lourd, particulièrement coûteux (par exemple : protonthérapie) ». Enfin, nous pouvons également citer les objectifs 4 « faire évoluer les formations et les métiers de la cancérologie », 8 « réduire les risques de séquelles et de seconds cancers (systématiser la prévention et la prise en charge des séquelles » et 13 « se donner les moyens d’une recherche innovante » concourant tous les 3 à une amélioration et à une rationalisation de la dispensation des soins dans un domaine technologique en cours d’exploration.
Fig. 1. Représentation de la distribution d’un faisceau de protons avec épargne des tissus sains en aval du volume cible.
manière plus générale, la diminution de la toxicité des radiations ionisantes par la protonthérapie permet d’envisager trois nouveaux axes d’amélioration de l’indice thérapeutique en cancérologie : • une augmentation de la taille des champs d’irradiation est possible permettant ainsi de proposer une radiothérapie à des patients atteints de tumeur étendue jusqu’alors inaccessible par une technique d’irradiation par photons du fait d’un risque de toxicité trop important (création de nouvelles indications d’irradiation à prétention curative pour certaines tumeurs très étendues : sarcomes rétropéritonéaux, etc.) ; • la diminution du risque de complication permet par voie de conséquence de proposer une augmentation de la dose d’irradiation délivrée au niveau du volume cible et ainsi prétendre à une augmentation du taux de contrôle local de la maladie avec une possible incidence sur la survie globale ; • il est également possible de proposer des traitements, dits « hypofractionnés » c’est-à-dire dont le nombre de fractions est réduit, réduisant ainsi le nombre de déplacements avec impact direct non seulement sur la qualité de vie des patients mais également sur la charge financière que cela représente pour l’assurance maladie (troisième plan Cancer : objectif 3 ; Action 3.13 et 17.2).
2. Avantages de la protonthérapie
3. État des lieux de la protonthérapie
Du fait de leurs propriétés physiques au sein de la matière, les protons libèrent la quasi-totalité de leur énergie au sein du volume à traiter alors que la dose résiduelle délivrée aux organes à risque se trouvant en arrière du volume cible est proche de zéro. Ainsi, la protonthérapie contribue à une protection efficace des effets délétères des radiations ionisantes (Fig. 1). L’avantage de la protonthérapie sur la photonthérapie en termes d’épargne des tissus sains permet d’envisager une diminution du risque de la carcinogenèse radio-induite par diminution de la dose intégrale (énergie déposée par le rayonnement dans la totalité de la matière exposée) ainsi qu’une diminution significative des risques cardiovasculaires induits par les radiations ionisantes [2]. D’une
3.1. Protonthérapie nationale et internationale C’est à l’université de Berkeley, Californie, qu’Ernest O. Lawrence a inventé en 1929 le premier cyclotron (ce qui lui valut le prix Nobel de physique dix ans plus tard). Depuis cette période, la protonthérapie a toujours fait l’objet de nombreux travaux scientifiques. Mais c’est surtout depuis cinq à six ans que l’on assiste à un engouement des communautés médicales et scientifiques pour cette modalité thérapeutique, comme en témoigne le nombre grandissant de publications sur ce sujet. Parallèlement à cet essor scientifique, de la protonthérapie, le nombre d’installations d’accélérateurs a considérablement
Pour citer cet article : Doyen J, et al. État des lieux et perspectives de la protonthérapie. Cancer Radiother (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.canrad.2014.12.010
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augmenté, tant en Amérique du Nord (14 installations) qu’en Europe (15 installations) et en Asie (15 installations) [3,4]. 3.2. Protonthérapie au centre Antoine-Lacassagne de Nice En France, le centre de lutte contre le cancer Antoine-Lacassagne de Nice a traité le premier patient par protons de faible énergie (65 MeV) en 1991 et a développé depuis, en partenariat avec le centre de protonthérapie d’Orsay (institut Curie), la protonthérapie oculaire avec à ce jour près de 10 000 patients traités en France (10 % des tumeurs oculaires traitées par protons au niveau mondial). Depuis plusieurs années, le centre Antoine-Lacassagne de Nice, avec le soutien du ministère de la Santé et des collectivités locales, a su mettre en place une nouvelle plate-forme de protonthérapie de haute énergie. L’installation de ce synchrocyclotron supraconducteur (S2C2) a été élaborée dans le cadre d’un partenariat industriel franco-belge entre la société IBA (leader mondial sur le marché de la production des cyclotrons) et la société nic¸oise AIMA. Ce S2C2, (Proteus OneTM ), est le premier accélérateur de ce niveau de technicité jamais implanté dans le monde (nouvelle technologie permettant un gain de poids et d’espace). Il est en cours d’installation et sera opérationnel sur le plan thérapeutique dans le courant de l’année 2015. Dès lors, le centre Antoine-Lacassagne, en partenariat avec le centre d’Orsay mobilise ses ressources afin de répondre à la feuille de route de la radiothérapie proposée par le troisième plan Cancer dans le cadre de l’évaluation de la protonthérapie en France. Actuellement, quatre à cinq nouveaux projets d’installation d’accélérateurs proton sont en cours d’élaboration au plan national, permettant d’envisager une activité de protonthérapie nationale répartie sur environ cinq à six centres d’ici 2020. 4. Feuille de route du développement de la protonthérapie en France Sur la base d’un rationnel physique et dosimétrique et en respectant la feuille de route fixée par le troisième plan Cancer, l’un des objectifs majeurs est de faciliter et d’améliorer la prise en charge des enfants et des adultes jeunes atteints de cancer (objectif 2). Par ailleurs, il s’agira également de préciser la place de la protonthérapie dans d’autres indications en dehors de celles d’ores et déjà validées et remboursées (tumeurs primitives de l’œil, tumeurs de l’enfant, chordomes et chondrosarcomes de la base du crâne et du rachis – classification commune des actes médicaux 2014, acte ZZNL045). Ces nouvelles indications devront être précisées dans un esprit de « médecine personnalisée » basé sur une méthodologie rigoureuse d’analyse des données cliniques et dosimétriques. Des partenariats pourront être établis entre les différents établissements sanitaires, pour les patients qui seront référés à un centre de recours de protonthérapie comme ceux de Nice ou d’Orsay à ce jour. En effet, de manière à répondre au mieux aux objectifs 2 et 3 du troisième plan Cancer (objectif 2 : création de centres de recours ; objectif 3 : régulation des équipements lourds et coûteux), il sera nécessaire d’analyser la place de la protonthérapie au niveau des cinq à six centres existants ou en cours d’installation d’ici 2020. Cela permettra d’étudier avec précision les modalités de création de nouvelles structures de traitement de fac¸on rationnelle et efficiente sur le plan médico-économique en lien avec les indications qui auront été retenues. L’analyse du service médical rendu selon la Haute Autorité de santé (HAS), c’est-à-dire comme devant être pris en charge par l’assurance maladie dans un contexte médico-économique contraint, doit s’appuyer sur la mise en place d’essais thérapeutiques multicentriques de phases II et III ainsi que des observatoires (phase IV) pour les patients irradiés par protons mais hors essais thérapeutiques. Ces programmes de recherche et développement
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cliniques, mais aussi de recherche fondamentale physiques et biologiques pourront bénéficier du soutien du consortium France Hadron labellisé « projet Grand emprunt 2011 ». Des programmes d’enseignement et de formation nationaux et internationaux pourront également être mis en place afin de faciliter et de promouvoir de fac¸on cohérente et adaptée l’installation de nouvelles structures de protonthérapie (objectif 4 du troisième plan Cancer). 5. Place de la protonthérapie dans les traitements de lutte contre le cancer La protonthérapie ne représente à ce jour que moins de 1 % des traitements de radiothérapie. Depuis quelques années, de nombreuses études ont démontré un potentiel très important de l’hadronthérapie pour la plupart des cancers. En effet les nouveaux prototypes d’accélérateur de protons permettent une irradiation plus précise, avec modulation de l’intensité, « pixel par pixel ». Les prototypes sont miniaturisés faisant chuter leur coût d’un facteur 2 à 3 avec une démocratisation possible de la technique dans les prochaines décennies. À ce jour, la classification commune des actes médicaux reconnaît les indications de protonthérapie sous l’acte ZZNL045 : « tumeurs primitives de l’œil, tumeurs de l’enfant, chordomes et chondrosarcomes de la base du crâne et du rachis ». Actuellement, il n’y a aucune étude de phase III publiée prouvant une amélioration de la prise en charge thérapeutique par protons par rapport aux photons. Cela représente une problématique classique en radiothérapie car, d’une part, l’évolution technologique est plus rapide que la réalisation des essais (de plus en plus complexes, longs et coûteux) et, d’autre part, les différences dosimétriques observées peuvent ne pas rendre éthique la réalisation de tels essais (comme pour les indications actuelles de protonthérapie). Cette problématique peut en partie être résolue par des études dosimétriques pour prédire le contrôle tumoral en fonction de la dose délivrée, et/ou les gains potentiels en termes de réduction de la toxicité. Trois exemples de techniques d’irradiation sans niveau de preuve de grade A (excepté pour l’ORL pour la radiothérapie conformationnelle avec modulation d’intensité [RCMI], mais l’essai s’est achevé après le remboursement de l’acte) peuvent être rappelés : • la RCMI, qui permet de faire chuter la dose à distance de la cible en modulant l’intensité du faisceau durant la délivrance des photons : ◦ irradiations ORL, de la base du crâne et de la voûte, tumeur du rachis, tumeur de prostate (actes ZZNL050, ZZNL051 et ZZNL054 de la classification commune des actes médicaux), • la TomotherapyTM qui permet une irradiation de très grands volumes avec modulation d’intensité : ◦ sarcomes, médulloblastome, irradiation corporelle totale (actes ZZMK024 et ZZMK025 de la classification commune des actes médicaux), • la radiothérapie stéréotaxique qui permet une irradiation de petits volumes avec une précision millimétrique, équivalent à une chirurgie (d’où le terme de radiochirurgie) : métastases en faible nombre et de croissance lente, tumeurs bénignes difficilement opérables, tumeurs pulmonaires de stade T1 ou T2 N0M0 : ◦ radiothérapie stéréotaxique intracrânienne (actes ZZNL049, ZZNL055, ZANL001, ZZNL058, ZZNL059, ZZMP012 et ZZMP016 de la classification commune des actes médicaux), ◦ radiothérapie stéréotaxique extracrânienne (actes ZZNL052, ZZNL060 et ZZMP013 de la classification commune des actes médicaux). De même, les indications actuelles d’irradiation par protons n’ont pas bénéficié d’études de niveau de preuve scientifique de
Pour citer cet article : Doyen J, et al. État des lieux et perspectives de la protonthérapie. Cancer Radiother (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.canrad.2014.12.010
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grade A (méthodologie de la HAS) devant les avantages évidents de la précision de la délivrance de dose permettant d’augmenter les doses délivrées (et donc potentiellement le contrôle tumoral), sans augmenter les toxicités (exemples : toutes les indications décrites dans l’acte ZZNL045). Selon le site tumoral et le type histologique, la réalisation d’essais de phase III qui nécessitent de longs suivis et des années d’étude peut s’avérer inutile et non éthique devant les avantage évidents au niveau dosimétrique [5]. Schématiquement, on peut considérer les critères permettant de discuter une protonthérapie de haute énergie pour un patient donné comme étant essentiellement basés sur une analyse clinique et/ou dosimétrique : • la protonthérapie permet d’augmenter la dose délivrée à la tumeur et donc d’en améliorer potentiellement sa probabilité de contrôle local et/ou ; • la protonthérapie permet de diminuer la toxicité et/ou ; • la protonthérapie permet d’obtenir le même effet clinique (contrôle tumoral et toxicités) mais en un nombre de séances significativement réduit. 6. Indications potentielles de protonthérapie de haute énergie La protonthérapie, du fait de sa précision, permet de délivrer de très hauts niveaux de doses à quelques millimètres près d’organes à risque très sensibles vis-à-vis de la dose maximale rec¸ue (organes en série). C’est cette propriété qui est utilisée pour justifier l’utilisation de la protonthérapie dans les indications actuelles. D’autres tumeurs à proximité immédiate d’organes en série pourraient bénéficier de l’utilisation de la protonthérapie, comme, par exemple, les carcinomes indifférenciés de type nasopharyngé du cavum, les tumeurs sinusales et parasinusales de la tête et du cou, certains méningiomes ou autres tumeurs intracrâniennes bénignes, les tumeurs des glandes salivaires très radiorésistantes, les liposarcomes rétropéritonéaux proches du rachis et de l’intestin. D’autre part, lorsque la dose moyenne aux organes à risque va limiter la délivrance de la dose à la cible (organes en parallèle), la protonthérapie de haute énergie tient alors une place très intéressante par rapport aux photons X. Dans ces cas, la dose de prescription par protons pourra être augmentée, parfois de plus de la moitié par rapport à une photonthérapie (voir les exemples organe par organe ci-après), permettant de supposer une supériorité en termes de contrôle tumoral, ou sinon en termes de toxicité, à dose de prescription équivalente. Cela peut être intéressant pour : • toutes les tumeurs thoraciques par diminution du risque d’alvéolite radique, et du risque de coronaropathie, toutes les tumeurs abdominales par diminution du risque d’atteinte hépatique, intestinale et rénale ; • toutes les tumeurs pelviennes par diminution du risque d’atteinte intestinale, vésicale, prostatique et du bulbe pénien ; • toutes les tumeurs encéphaliques par diminution du risque d’asthénie, du risque d’hypertension intracrânienne, et des risques d’atteinte cognitive ; • toutes les tumeurs proches des os avec une irradiation d’un grand volume de mœlle osseuse, par diminution du risque de pancytopénie ; • peut-être pour les membres inférieurs par diminution du risque de lymphœdème. Pour le moment, la protonthérapie de haute énergie est peu utilisée dans le but d’améliorer les toxicités aux organes en parallèle mais de nombreux essais sont en cours afin de répondre à la question. L’irradiation des médulloblastomes en est un rare exemple
(amélioration de la toxicité aux poumons, à la mœlle osseuse, diminution du risque de cancers radio-induits). Nous décrivons ci-après organe par organe, les avantages théoriques de la protonthérapie sur la photonthérapie. 6.1. Tumeurs malignes de la tête et du cou On y distingue les tumeurs indifférenciées du nasopharynx, les carcinomes épidermoïdes, les tumeurs malignes des sinus paranasaux et de la cavité nasale. 6.1.1. Carcinomes épidermoïdes de la sphère ORL Ils représentent en 2012 en France 11 316 nouveaux cas par an (3,8 % des cancers) avec 3192 décès par an (2,7 % des décès par cancer) (rapport de l’Inca de 2012). Les études ont montré un avantage de la protonthérapie comparée à la meilleure technique de radiothérapie par photons (tomothérapie/arcthérapie volumétrique modulée), vis-à-vis de la protection des glandes salivaires, de la mœlle, du tronc cérébral et des structures nerveuses de la base du crâne [6,7]. Les différences ne sont toutefois pas significatives cliniquement pour tous les patients et imposent de réaliser, pour chaque patient, une dosimétrie de tomothérapie/arcthérapie volumétrique modulée et une dosimétrie de protonthérapie afin de valider la meilleure technique [6]. La probabilité de contrôle tumoral après radiothérapie augmente avec la dose totale délivrée [8]. L’utilisation de la protonthérapie pourrait ainsi permettre, grâce à une augmentation de dose par rapport à la photonthérapie, d’augmenter le contrôle tumoral. La plupart des essais en cours ne comparent pour l’instant que les deux types de rayonnement (photons contre protons), à dose égale, sans tester l’hypothèse de l’escalade de dose mais principalement pour démontrer un avantage en toxicité (NCT01893307). Une récente étude vient notamment de démontrer la faisabilité d’une irradiation par protonthérapie en association avec de la chimiothérapie, jusqu’à 70 Gy avec des doses par séance de 2,12 Gy pour le volume irradié à haute dose [9]. Dans cette étude, le taux de réponse clinique complète était très élevé (93,3 %), tout en permettant une très bonne épargne des organes à risque : taux de mucites de grade 2 de 0 %, et taux de mucites de grade 4 de 0 %. 6.1.2. Tumeurs indifférenciées du nasopharynx Ces tumeurs sont beaucoup plus rares en Europe (incidence de moins de 10 cas pour 100 000 habitants par an) mais leur situation anatomique proche des yeux et des nerfs de la base du crâne en fait une indication potentielle de protonthérapie. Pour le moment, il n’a été réalisée qu’une étude dosimétrique montrant un net avantage de la meilleure protonthérapie sur la meilleure photonthérapie (arcthérapie volumétrique modulée), surtout en ce qui concerne l’épargne des volumes recevant des doses moyennes à faibles (baisse de 5–6 Gy de la dose rec¸ue par les parotides par exemple) [10]. 6.1.3. Tumeurs malignes des sinus paranasaux et de la cavité nasale Ces tumeurs sont encore plus rares (incidence de 0,5 cas pour 100 000 habitants) et sont une indication classique de protonthérapie. Une méta-analyse récente a montré que l’hadronthérapie, par rapport à une photonthérapie et à dose équivalente, permettait d’améliorer la probabilité de survie sans rechute dans ce groupe de maladies [11]. Une des hypothèses pour cette amélioration serait l’obtention d’une meilleure couverture. Ce résultat est très encourageant pour les futures études de protonthérapie car le doute existait quand à une sensibilité extrême de la distribution de dose dans la région ORL, notamment par la grande variation anatomique des tissus possible en cours d’irradiation (amaigrissement, sécrétions, incertitude de repositionnement) [12,13] par rapport à une
Pour citer cet article : Doyen J, et al. État des lieux et perspectives de la protonthérapie. Cancer Radiother (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.canrad.2014.12.010
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photonthérapie où la distribution de dose y est beaucoup moins sensible. 6.2. Carcinomes bronchiques non à petites cellules Ils représentent en 2012 en France 39 495 nouveaux cas par an (13,2 % des cancers) avec 29 949 décès par an (25,3 % des décès par cancer) (rapport de l’Inca de 2012), soit la première cause de mortalité par cancer, et la première cause de mortalité en France en 2012. Il existe un effet dose dans les carcinomes bronchiques avec une probabilité de survie qui augmente avec la dose totale délivrée surtout en diminuant celle de rechute locale [14]. Le problème de cette escalade de dose est qu’elle ne peut se faire sans irradier un large volume de poumon, augmentant le risque d’alvéolite radique sévère entre autres. L’irradiation par protons permet de diminuer d’au moins 30 % les doses délivrées au poumon sain quand elle est comparée à la meilleure technique de photonthérapie [15–18] laissant ainsi penser qu’une escalade dose par protons serait possible avec une éventuelle amélioration du contrôle tumoral. Un essai randomisé a débuté en 2013, coordonné par le Radiation Therapy Oncology Group (RTOG) aux États-Unis et randomise les patients entre un traitement par photons X ou par protons avec nécessité de respecter les contraintes de dose aux organes à risque ce qui peut amener à réduire au final la dose de prescription en fonction des cas (NCT00495040 ; il existe un autre essai similaire, NCT01993810). L’essai du RTOG 0617 randomisait avec une irradiation par photons, les doses de 60 et 74 Gy, et une chimiothérapie à base de cétuximab ou pas. L’analyse des résultats, présentés au congrès annuel de l’American Society for Therapeutic Radiology and Oncology (ASTRO) de 2012 montrait de fac¸on étonnante une probabilité de survie inférieure dans le bras forte dose [19,20] avec pour hypothèse la possibilité d’un choix de marge moins important pour l’établissement des volumes cibles anatomocliniques et prévisionnels afin de respecter les contraintes de dose. L’utilisation d’une protonthérapie pourrait empêcher cette attitude. La chimioradiothérapie concomitante des carcinomes bronchiques non à petites cellules localement évolués est parfois difficile à réaliser à cause des masses multiples et de l’état général du patient. Ainsi, la chimiothérapie n’est parfois pas réalisée. Augmenter la dose par séance par protons est faisable et a permis, lors d’une comparaison rétrospective dans une cohorte de 119 personnes, malgré l’absence de chimiothérapie, d’obtenir une survie identique à celle d’autres patients qui ont rec¸u une chimioradiothérapie avec des photons [21]. La protonthérapie a a priori comblé le manque de la chimiothérapie mais cela reste à démontrer au cours d’un essai randomisé. Une critique fréquente de l’irradiation des tumeurs thoraciques vient de l’incertitude liée au mouvement qui peut modifier considérablement la pénétration des protons dans les tissus [12] ; un récent article vient de confirmer la faisabilité d’une irradiation thoracique par protons, sans gating, mais à l’aide d’une scanographie quadridimensionnelle, pour déterminer un volume cible interne (IGTV, internal gross tumour volume) et en ne traitant les patients pour lesquels la mobilité tumorale n’excédait pas 5 mm [22]. Avec un suivi médian de 6,8 mois, il n’y a eu aucune toxicité de grade 4 ou 5. 6.3. Carcinomes mammaires Ils représentent en 2012 en France 48 763 nouveaux cas par an (16,3 % des cancers) avec 11 886 décès par an (10,1 % des décès par cancer) (rapport de l’Inca de 2012), soit la troisième cause de mortalité par cancer. L’irradiation des cancers du sein permet à la fois de diminuer le risque de rechute locale et à distance sous la forme de métastases, diminuant par la même le nombre de décès par cancer [23]. Le bénéfice de l’apport de la radiothérapie mammaire sur la mortalité est de 3,8 % à 15 ans. Ce bénéfice disparaissait dans les anciennes études en raison de la toxicité cardiovasculaire
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induite par la radiothérapie à très long terme (sténoses coronariennes) et en raison de l’apparition de seconds cancers liés à la radiothérapie (cancers du poumon, leucémie, cancers de la sphère ORL) [2,24]. Le bénéfice de la radiothérapie sur la mortalité avec les plus récentes études persiste enfin, avec une légère atténuation, de par ces complications cardiaques et cancéreuses, avec une diminution du bénéfice de 3,8 % à 3 % (0,8 % environ de mortalité par complication) [23]. L’enjeu est d’identifier les patientes qui sont le plus à risque de ces complications. Elles correspondent aux patientes chez qui une dosimétrie par radiothérapie classique prévoyait une dose moyenne au cœur de plus de 1 Gy, ce qui correspond le plus souvent aux patientes atteintes d’un cancer du sein gauche, et/ou avec une atteinte ganglionnaire massive nécessitant de grands faisceaux d’irradiation, et/ou avec une anatomie défavorable (thorax convexe, seins volumineux). En ce qui concerne les cancers radio-induits, les facteurs de risque les mieux identifiés sont un âge inférieur à 60 ans, de gros volumes d’irradiation (nécessité d’irradier plusieurs aires ganglionnaires) [24]. L’avantage de la protonthérapie dans ces cas-là est de réduire l’irradiation cardiaque, en moyenne proche de 0–1 Gy, faisant anticiper une disparition quasi complète des complications cardiaques à long terme. L’autre avantage de la protonthérapie est de faire drastiquement chuter les volumes d’irradiation à faible dose [25], faisant également prédire une diminution des cancers radio-induits. Les premières séries d’irradiation mammaire par protons viennent d’être publiées et confirment la réduction des volumes d’irradiation [26–28]. Plusieurs essais sont en cours, notamment un essai de phase II évaluant la toxicité à moyen et long terme de patientes atteintes d’un cancer du sein de stades II et III nécessitant une irradiation mammaire et ganglionnaire impliquant une irradiation cardiaque (NCT01758445). 6.4. Mésothéliomes Les mésothéliomes entraînent environ un millier de décès par an en France. L’irradiation après chirurgie de mésothéliome, afin de stériliser définitivement la plèvre tumorale dont l’exérèse est rarement complète, permettrait d’améliorer la probabilité de contrôle tumoral local, mais la dose nécessaire (50 à 60 Gy) est souvent difficile à atteindre à cause de l’irradiation massive du poumon restant, avec des cas rapportés de décès dus à la toxicité pulmonaire radique [29]. L’irradiation par protons pourrait être possible pour tous les patients aux vues d’une récente étude qui montre une chute très importante de l’irradiation du poumon par rapport à la meilleure technique d’irradiation par photons (RCMI) (0,2 Gy de dose moyenne contre 6,1 Gy), du rein (58 %) et du foie (9,5 Gy d’irradiation moyenne en moins) [30]. Une récente étude a montré qu’une irradiation avant chirurgie à hauteur de 25 Gy en 5 séances permettait d’obtenir un taux impressionnant de 84 % de survivants à 3 ans dans le sous-type épithélial [31]. Les taux de complications grade 3 à 5 étaient toutefois non négligeables, et empêchent une escalade de dose avec les photons X ; cette escalade, compte tenu des études dosimétriques avec la protonthérapie, sera largement réalisable avec celle-ci. Une étude pourrait être envisagée afin d’étudier l’efficacité d’une irradiation adjuvante par protons dans les mésothéliomes opérés. Aucun essai dédié au mésothéliome n’a pour l’instant été démarré. 6.5. Carcinomes œsophagiens/estomac Les cancers de l’œsophage représentent 4615 nouveaux cas par an (1,5 % des cancers) avec 3140 décès par an (2,7 % des décès par cancer) en France en 2012 (rapport de l’Inca de 2012). Les patients irradiés par protons au Japon ont pu bénéficier d’une escalade de dose de plus de 20 Gy par rapport aux doses classiques délivrées par photons (78 Gy contre 50,4 Gy) sans augmentation de la
Pour citer cet article : Doyen J, et al. État des lieux et perspectives de la protonthérapie. Cancer Radiother (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.canrad.2014.12.010
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toxicité et permettant d’avoir un taux de contrôle local de 84,4 % à 5 ans alors que les patients étaient majoritairement atteints d’un cancer localement évolué [32]. Les différences génétiques entre les cohortes asiatiques avec les cohortes européennes peuvent amener à penser à ne pas pouvoir extrapoler ces résultats aux européens/occidentaux. Des études doivent être réalisées pour permettre une escalade de dose. Un essai de phase III est en cours aux États-Unis afin de comparer à doses équivalentes (50,4 Gy) une irradiation par protons et une RCMI par photons (NCT01512589, objectif primaire : survie sans progression) dans les cancers de l’estomac et de l’œsophage relevant d’une radiothérapie, non métastatiques. 6.6. Adénocarcinome du pancréas Les cancers du pancréas représentent 11 662 nouveaux cas de cancers par an (3,9 % des cancers, incidence en constante augmentation) en France en 2012. Les volumes d’irradiation ne peuvent être étendus avec les techniques de RCMI par photons, ne couvrant pas toutes les aires ganglionnaires potentiellement envahies. Dans une étude, l’irradiation par protons a permis de couvrir des zones habituellement non ciblées par les photons grâce à l’épargne de l’intestin grêle, des reins et du foie [33]. Une autre étude analysant la protonthérapie avant une chirurgie a montré la faisabilité d’une irradiation à très forte dose par séance (25 Gy en 5 séances de 5 Gy), associée à une chimiothérapie par capécitabine [34]. Finalement, une comparaison dosimétrique d’une RCMI et d’une protonthérapie a confirmé la supériorité de la protonthérapie sur tous les critères d’évaluation : réduction de la dose de 47 à 15,4 % pour le volume d’intestin recevant 20 Gy, de 2,3 % contre 20 % pour le volume d’estomac recevant 20 Gy, de 27,3 % contre 50,5 % pour le volume de rein recevant 18 Gy faisant prédire des taux de toxicité de la protonthérapie très inférieurs à ceux d’une RCMI par photon [35]. L’essai franc¸ais récent LAP-07, qui a relancé la controverse de l’intérêt de la radiothérapie dans le cancer du pancréas localement évolué (stable ou en réponse après chimiothérapie), n’a pas montré de bénéfice évident, mis à part une survie sans rechute locale et sans symptôme prolongée de plusieurs mois [36]. La réalisation d’une irradiation par protons dans de plus grands volumes et avec de plus fortes doses pourrait permettre l’obtention de résultats plus favorables. Dix essais sont en cours (clinical.trial.gov), notamment un essai de phase II étudiant l’utilisation de fortes dose de protonthérapie (59,4 Gy) pour les cancers du pancréas non opérables (NCT00685763) et un essai de phase II étudiant l’utilisation d’une protonthérapie à fortes doses (si R2, 59,4 Gy) en situation postopératoire (NCT01553019). 6.7. Cholangiocarcinome Les cholangiocarcinomes sont des tumeurs du foie dont l’incidence est en constante augmentation en France (2000 cas par an en France). L’invasion locorégionale souvent importante rend le traitement par irradiation difficile, même avec une RCMI/arcthérapie volumétrique modulée, en raison de l’irradiation trop importante du foie sain. L’irradiation est souvent proposée après une chirurgie incomplète de fac¸on à augmenter les taux de survie locale, mais à des doses de 50 Gy environ, d’où des taux de rechute locale et à distance très élevés, avec un pronostic n’excédant pas 6 mois en moyenne si les patients ne sont pas opérés [37]. Une escalade de dose par protons, associée à une chimiothérapie, a été récemment testée avec succès pour des tumeurs inopérables, sans toxicité, à des doses jamais atteintes pour des grands volumes dans cette pathologie, jusqu’à 70 Gy en moyenne [38]. Dans cette étude, le taux de contrôle local à un an était de 83,1 % contre 22,2 % si les doses atteintes étaient respectivement de plus ou de moins de 70 Gy. L’irradiation par protons devrait donc être étudiée lors d’études de phase 2. Deux essais,
analysant l’utilité de la protonthérapie pour des tumeurs hépatiques non résécables, sont en cours (cholangiocarcinome/carcinome hépatocellulaire ; NCT00976898 ; dose jusqu’à atteintes des contraintes), et analysant la dose maximale tolérée dans cette indication (phase I, NCT00465023). 6.8. Hépatocarcinome Les hépatocarcinomes sont des tumeurs radiorésistantes dont le traitement par chirurgie peut prolonger la survie de quelques mois voire années, voire permettre une guérison si une transplantation est réalisée avec correction du facteur causal. Les patients non opérables car fragiles de par leurs comorbidités peuvent bénéficier de traitements locaux très efficaces comme la radiothérapie stéréotaxique et la radiofréquence, qui sont associés à un taux de contrôle local proche de 90 %. Toutefois certaines tumeurs sont d’emblée très volumineuses (plus de 5 cm), ou mal situées (proche du pédicule hépatique, et/ou très centrales dans le foie) et difficiles d’accès pour ces thérapeutiques car il pourrait y avoir des lésions du foie sain dues au traitement, trop importantes. L’irradiation par protons a montré dans ces cas-là, par rapport à la meilleure irradiation par photons, et pour des grands volumes, la possibilité de délivrer des doses bien plus élevées sans toxicité hépatique : à partir du seuil de 6,3 cm, le risque de toxicité hépatique sévère était de 94,5 % avec la meilleure RCMI contre 6,2 % pour l’irradiation par protons, montrant donc son intérêt également dans cette situation [39]. 6.9. Lymphomes malins hodgkiniens de petit stade En 2010, en France, il y a eu 1723 nouveaux cas de maladie de Hodgkin, et 286 décès, tous stades confondus. Comme pour les carcinomes mammaires, les patients atteints d’une maladie de Hodgkin de stade I ou II ont une survie très longue, avec des taux de guérison avoisinant les 95 %, mais au prix d’une chimiothérapie complétée d’une radiothérapie des aires ganglionnaires initialement envahies, à des doses de 20–30 Gy [40]. Comme pour les carcinomes mammaires, une partie du bénéfice apporté par l’irradiation est perdu du fait de l’apparition de cancers radioinduits ou de maladies cardiovasculaires [41]. Étant donné le jeune âge et l’irradiation souvent médiastinale profonde, cela est encore plus vrai dans la maladie de Hodgkin que dans les carcinomes mammaires. Une récente étude dosimétrique a montré que les doses délivrées au cœur et aux organes sains adjacents (poumon, seins, mœlle) était bien inférieure avec la technique de protonthérapie (–30 à –50 %), en comparaison avec toutes les autres techniques d’irradiation par photons, avec même potentiellement un excès de complications pour les techniques plus modernes de photonthérapie par rapport aux technique plus anciennes, du fait d’une augmentation des irradiations faible dose [42]. Dans cette étude, la protonthérapie était la technique qui était associée à celle apportant le moins d’années de vie perdues (2,1 années de vie perdues pour l’irradiation classique contre 1,1 pour la RCMI/arcthérapie volumétrique modulée et 0,7 pour la protonthérapie), justifiant peut-être son utilisation préférentielle. Trois essais sont en cours : deux essais analysent de fac¸on prospective les données des patients traités pour une maladie de Hodgkin, sans modification des doses d’irradiation par rapport à une photonthérapie classique (phase 0, NCT01751412, NCT02070393) ; et un essai purement dosimétrique comparant de fac¸on prospective une protonthérapie, une radiothérapie conformationnelle tridimensionnelle et une RCMI (NCT00850200). 6.10. Sarcomes/tumeurs rétropéritonéales Il s’agit de tumeurs qui se présentent souvent comme de très volumineuses masses de 10 à 20 cm dont l’exérèse
Pour citer cet article : Doyen J, et al. État des lieux et perspectives de la protonthérapie. Cancer Radiother (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.canrad.2014.12.010
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chirurgicale reste le standard, mais qui est souvent incomplète. Une radiothérapie est alors proposée soit avant, soit après la chirurgie de fac¸on à augmenter le temps jusqu’à la rechute, mais avec des effets peu évidents en raison du niveau peu élevé des doses pouvant être délivrées avec les techniques actuelles, n’excédant pas les 50–54 Gy [43]. Une étude récente vient de démontrer la faisabilité d’une irradiation par protons de ces tumeurs, à des niveaux proches de 70 Gy, sans toxicité sévère [44], permettant d’envisager des études supplémentaires pour évaluer l’efficacité de la protonthérapie adjuvante de haute dose. Aucun essai n’a pour l’instant débuté dans ce sous-groupe de cancer (liposarcomes rétropéritonéaux). 6.11. Tumeurs pelviennes Le traitement des tumeurs pelviennes par protons, en particulier celui des cancers de la prostate, est sujet à controverse. Du fait de la distribution de dose des protons par rapport aux photons, la protonthérapie pourrait être préférée du fait de la diminution de l’irradiation des organes en parallèle (intestin grêle, vessie, mœlle osseuse), surtout lorsqu’une chimiothérapie est prévue dans le schéma de traitement. Dans le cancer de la prostate, pour l’instant un seul essai randomisé a posé la question de l’intérêt de la protonthérapie par rapport à la RCMI avec photons mais avec des techniques anciennes dans les deux bras de traitement, avec au final une équivalence de toxicité et d’efficacité antitumorale [45]. Dans cet essai, l’irradiation par protons n’était prévue que pour le boost. De nombreux essais sont en cours pour mieux évaluer la place de la protonthérapie dans le cancer de la prostate (15 essais sur clinical.trial.gov). Pour les cancers du rectum, du col et du canal anal, il n’existe aucune donnée clinique mais uniquement des données dosimétriques. Dans les carcinomes épidermoïdes du col, le boost par protons présentait une supériorité en termes d’épargne de tissus sains (urinaires et digestifs) par rapport à une arcthérapie [46]. Cependant, une curiethérapie interstitielle permettra, a priori, toujours une meilleure couverture tumorale et une meilleure épargne de tissu sains, du fait de l’absence de volume cible prévisionnel, comme cela l’a été démontré dans le cancer de la prostate [47]. Comparativement à la radiothérapie externe, la curiethérapie n’irradie que très peu les tissus sains ce qui permet en théorie une chute du risque de cancer radio-induit. Une récente étude a effectivement démontré que la curiethérapie de prostate n’augmentait pas ce risque par rapport à une chirurgie [48]. Deux essais de phase II sont en cours dans les carcinomes épidermoïdes du canal anal (NCT01858025) et du col (NCT01600040), évaluant avec des schémas standards, l’efficacité et la tolérance de la protonthérapie dans ces indications. Il n’y a aucun essai de démarré dans les cancers du rectum. 6.12. Ré-irradiations Généralement, quel que soit le cancer, une rechute en territoire irradié peut avoir lieu et est malheureusement parfois inopérable (tumeur cérébrale, pulmonaire, pelvienne, etc.). Dans ces cas-là, une ré-irradiation est parfois envisagée mais souvent avec des niveaux de doses plus faibles, et des volumes d’irradiation souvent inférieurs à ce qui aurait été fait si cela avait été une primoirradiation. Les taux de contrôle tumoral sont donc souvent faibles. Ce sous-dosage est dû au fait que les organes à risque ont déjà rec¸u tout ou partie de la dose maximale de tolérance. Une réirradiation pleine dose n’est souvent pas envisageable même avec les techniques les plus modernes de photonthérapie, alors que la protonthérapie, en raison de sa précision, pourrait être une très bonne solution pour délivrer des doses élevées afin d’augmenter les chances de contrôle locale. Plusieurs séries de ré-irradiation ont
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déjà été rapportées avec des doses effectivement plus élevées que ce qui aurait été fait en photonthérapie : chordomes, carcinomes bronchiques, tumeurs cérébrales [49–51]. Un seul essai a démarré, analysant l’efficacité d’une ré-irradiation thoracique par protons (phase II, NCT02204761) pour des rechutes uniquement thoraciques de mésothéliomes, de carcinome bronchique non à petites cellules, de carcinome bronchique à petites cellules, de thymome ou de carcinome thymique.
7. Conclusion En résumé, il existe en théorie un avantage de la protonthérapie sur les techniques classiques d’irradiation, pour un grand nombre de situations problématiques en cancérologie. Néanmoins, ces différences sont parfois non nécessaires et non significatives cliniquement, incitant, dans un premier temps, à la réalisation systématique d’une comparaison dosimétrique entre photons X et protons [52]. Les installations de protonthérapie/hadronthérapie en Europe, et notamment en France, permettant la réalisation de telles irradiations sont rares (une à Orsay, une autre à Nice en 2015). En pratique, même pour les indications validées, l’équipement franc¸ais ne répond pas actuellement aux besoins nationaux potentiels. Les indications actuelles de protonthérapie (ou hadronthérapie au sens large pour la radiothérapie par particules lourdes incluant protons et carbone) ne correspondent qu’à un recrutement de 8,5 patients pour 100 000 habitants par an, soit 5950 patients pour 70 000 000 habitants (environ la population franc¸aise) selon une étude de 2013 réalisée par le groupe Étoile dirigé par Patin et al. [53]. Les évolutions technologiques permettent actuellement de traiter beaucoup plus de patients pour chaque machine et les besoins devraient être largement couverts dans les décennies à venir. Entretemps, devant les études précédemment citées, les indications de protonthérapie devraient s’élargir à d’autres cancers que ceux mentionnés par la classification commune des actes médicaux (tumeurs primitives de l’œil, tumeurs de l’enfant, chordomes et chondrosarcomes de la base du crâne et du rachis). Des indications devraient rapidement être analysées devant les avantages de la protonthérapie sur la radiothérapie classique. Il s’agit notamment de patients jeunes (moins de 40 ans par exemple), atteints d’un cancer du sein, ou d’une maladie de Hodgkin, avec une bonne espérance de vie, et pour lesquelles l’irradiation laisse présager d’un sur-risque important de coronaropathie et de cancer radio-induit, comme démontré dans la littérature. Pour les autres cancers, compte tenu de la rareté des équipements de protonthérapie, et l’espérance de vie « trop faible » à long terme, il est pour l’instant difficile de proposer une irradiation par protons systématique, et même si la dosimétrie démontre un avantage certain pour la protection des organes à risque et la délivrance de la dose à la tumeur. Il sera proposé prochainement de mettre en place un registre (essai de phase IV) où seront inclus de manière prospective tous les patients traités par protons hors indications validés, avec le suivi de la toxicité et de la survie, comme cela se fait actuellement aux ÉtatsUnis et aux Pays-Bas (NCT01627093). Ce registre devra consigner de manière scrupuleuse toutes les données démographiques des patients, les caractéristiques tumorales, les dosimétries comparatives des meilleures photonthérapie et protonthérapie, le motif de décision de traitement par protons basé sur des différences de prédiction de toxicité (normal tissue complication probability, NTCP) ou de contrôle tumoral, et le suivi systématique de la toxicité et des évènements carcinologiques. Outre les indications classiques de protonthérapie, il sera nécessaire d’établir des critères stricts pour valider l’indication de protonthérapie dans des cas particuliers, et sans essai.
Pour citer cet article : Doyen J, et al. État des lieux et perspectives de la protonthérapie. Cancer Radiother (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.canrad.2014.12.010
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Ces critères pourraient prendre en compte : • l’espérance de vie du patient (liée à la fois aux comorbidités et au stade du cancer) ; • les avantages dosimétriques de la protonthérapie sur la meilleure radiothérapie photon disponible, ce qui implique de réaliser systématiquement une double dosimétrie protons/photons ; • l’existence de preuves de niveau de grade A prouvant un meilleur contrôle tumoral si on augmente les doses d’irradiation ; ou une meilleure épargne des tissus sains à doses équivalente. En dehors de ces critères, les indications de protonthérapie ne devraient être analysées que dans le cadre d’essais thérapeutiques spécifiques. L’intégration d’une analyse médico-économique systématique dans les futurs essais de protonthérapie sera également essentielle afin de bien évaluer son rapport coût/bénéfice, quoique les évolutions technologiques, entraîneront une évolution constante vers la réduction des coûts de la protonthérapie dans un avenir proche, peuvent rendre difficiles de telles études. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Anon. Plan cancer 2014–2019. Boulogne-Billancourt: Institut national du cancer; 2014. Disponible en ligne à l’adresse : http://www.e-cancer.fr/ publications/93-plan-cancer/762-plan-cancer-2014-2019 (accès le 26 septembre 2014). [2] Darby SC, Ewertz M, McGale P, Bennet AM, Blom-Goldman U, Bronnum D, et al. Risk of ischemic heart disease in women after radiotherapy for breast cancer. N Engl J Med 2013;368:987–98. [3] Particle Therapy Cooperative Group. Particle therapy facilities in operation [base de données sur Internet]. Villigen PSI: Particle Therapy Cooperative Group; 2014. Disponible en ligne à l’adresse : http://www.ptcog. ch/index.php/facilities-in-operation (accès le 15 avril 2014). [4] Habrand JL, Datchary J, Alapetite C, Bolle S, Calugaru V, Feuvret L, et al. Évolution des indications cliniques en hadronthérapie 2008–2012. Cancer Radiother 2013;17:400–6. [5] Hoppe BS, Flampouri S, Zaiden R, Slayton W, Sandler E, Ozdemir S, et al. Involved node proton therapy in combined modality therapy for Hodgkin lymphoma: results of a phase 2 study. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2014;89:1053–9. [6] Stuschke M, Kaiser A, Abu-Jawad J, Pottgen C, Levegrun S, Farr J. Reirradiation of recurrent head and neck carcinomas: comparison of robust intensitymodulated proton therapy treatment plans with helical tomotherapy. Radiat Oncol 2013;8:93. [7] van de Water TA, Lomax AJ, Bijl HP, de Jong ME, Schilstra C, Hug EB, et al. Potential benefits of scanned intensity-modulated proton therapy versus advanced photon therapy with regard to sparing of the salivary glands in oropharyngeal cancer. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2011;79:1216–24. [8] Fu KK, Pajak TF, Trotti A, Jones CU, Spencer SA, Phillips TL, et al. A Radiation Therapy Oncology Group (RTOG) phase III randomized study to compare hyperfractionation and two variants of accelerated fractionation to standard fractionation radiotherapy for head and neck squamous cell carcinomas: first report of RTOG 9003. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2000;48:7–16. [9] Frank SJ, Cox JD, Gillin M, Mohan R, Garden AS, Rosenthal DI, et al. Multifield optimization intensity-modulated proton therapy for head and neck tumors: a translation to practice. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2014;89:846–53. [10] Widesott L, Pierelli A, Fiorino C, Dell’oca I, Broggi S, Cattaneo GM, et al. Intensity-modulated proton therapy versus helical tomotherapy in nasopharynx cancer: planning comparison and NTCP evaluation. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2008;72:589–96. [11] Patel SH, Wang Z, Wong WW, Murad MH, Buckey CR, Mohammed K, et al. Charged particle therapy versus photon therapy for paranasal sinus and nasal cavity malignant diseases: a systematic review and meta-analysis. Lancet Oncol 2014;15:1027–38. [12] Lomax AJ, Pedroni E, Rutz H, Goitein G. The clinical potential of intensitymodulated proton therapy. Z Med Phys 2004;14:147–52. [13] Moyers MF, Miller DW, Bush DA, Slater JD. Methodologies and tools for proton beam design for lung tumors. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2001;49:1429–38. [14] Partridge M, Ramos M, Sardaro A, Brada M. Dose escalation for non-small cell lung cancer: analysis and modelling of published literature. Radiother Oncol 2011;99:6–11. [15] Gomez DR, Chang JY. Accelerated dose escalation with proton beam therapy for non-small cell lung cancer. J Thorac Dis 2014;6:348–55.
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Pour citer cet article : Doyen J, et al. État des lieux et perspectives de la protonthérapie. Cancer Radiother (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.canrad.2014.12.010