Etude du fonctionnement des zones organogènes du gamétophyte du Gymnogramme calomelanos L. (Pteridophytes, Filicinées)

Etude du fonctionnement des zones organogènes du gamétophyte du Gymnogramme calomelanos L. (Pteridophytes, Filicinées)

Flora, BcL 167, S, :315-:328 (1978) Etude du fonctionnement des zones organogimes du gametophyte du Gymnogramme calomelano8 L. (Pteridophytes, Filici...

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Flora, BcL 167, S, :315-:328 (1978)

Etude du fonctionnement des zones organogimes du gametophyte du Gymnogramme calomelano8 L. (Pteridophytes, Filicinees) MICHELE FAIVRE-BARON Universite Pierre et Marie Curie, Laboratoire de Biologie vegetale nO 5 U.E.R. 59, Batiment C, 2eme etage, 9 Quai Saint Bernard 752:30 Paris Cedex 05, France

Studies on the Functioning of the Apical Regions in the Gametophyte of a Fern: the Gymnogramme calomelano8 L. Key term index: Fougere, Gametophyte Gymnogramme calomelan08 L. Zone organogene, Dominance apicale.

Summary Studies on correlations of growth in the elementary system constituted by the young gametophyte of the Fern: Gymnogramme calomelano8 have shown prominent part played by the apical regions on the branching of the protonema. In addition, double way connections, which are probably induced by an acropete transfer of nutritional materials, have been demonstrated. In the branching phenomena the first and most important events take place in the wall of the fu· ture apical cell in which there appears a bulge which precedes the nuclear division. During the gametophyte's growth, apical zones become less and less sensitive to luminous shocks and, consequently, can more easily exert their dominance effects on the orther parts of the gametophytic tissues.

Introduction La formation du gametophyte du Gymnogramme calomelano8 resulte, dans les premiers stades, d'une croissance de «type apical). Le jeune filament provient de l'activiM de la seule cellule du sommet dont les divisions, uniquement transversales, assurent son developpement. Par la suite, cctte activiM sera part agee par Ie;;; cellules sous-jacentes qui participeront a l'elaboration de la palette (stade de la croissance bidirnensionnelle) ou cloisonnements transversaux et longitudinaux alternent. Enfin la zone merisMmatique assure l'edification du prothalle definitif. Des experiences precedentes (FAIVRE 1975), destinees a mieux comprendre la morphognese du gametophyte, ont montre que vis a vis de nombreux facteurs chimiques (sucres ou hormones de croissance) ou physiques (intensiM lumineuse fournie aux cultures), Ie filament et la palette reagissaient de fa<;on differente et me me souvent opposee. A la suite de cette constatation et en comparant nos travaux a ceux de LARPENTGOURGAUD (1969) et de LARPENT (1971), qui ont muvent assimile la ramification des protonemas de Bryophytes a l'etablissement de la croissance bidimensionnelle des Fougeres, nous avons eM amenee a considerer les deux constituants du jeune gametophyte - Ie filament et la palette - comme des
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Ainsi, l'activiM mitotique des cellules du filament est bloquee par la presence de la cellule apicale, ou par celIe de la palette lorsque la croissance bidimensionnelle est instalIee, ou encore par celIe de la zone merisMmatique quand Ie prothalle est developpe (FAIVRE-BARON sous presse). Toute interruption mecanique des connections filamentpalette, ou physiologique (plasmolyse) ou par choc lumineux, provoque une ou plusieurs ramifications du filament. II s'etablit rapidement des relations de preseance du premier regenerat forme sur les suivants dont Ie developpement, d'abord ralenti, finit par s'arreter. Ainsi, en perturb ant par des techniques variees, Ie fonctionnement des zones organogimes, nous avons cherche a mieux comprendre leur mode d'action.

Materiel et Techniques Les techniques d'ensemencement des spores du Gymnogramme calomelanos ont ete decrites precedemment (FAIVRE 1975). L'intensite lumineuse temoin de reference est de 750 Lux, lorsque seule une partie du gametophyte est maintenue a l'obscurite, un cache est realise a l'aide de papier d'aluminium, comme indique sur la Fig. 1. L'isolement des cellules a lieu sous une loupe binoculaire, avec de fines aiguilles metalliques. Pour les observations en microscopie optique et electronique Ie materiel est traite selon les techniques habituelles de la microscopie electronique deja decrites (FAIVRE 1977). Les coupes semi-fines sont faites a l'ultramicrotome et observees apres coloration au bleu de Toluidine a 0,2 % pendant 2 nm.

Fig. 1. Dispositifrealise dans une boite de Petri a l'aide de papier d'aluminium de fSQon a supprimer toute action de la llimiere sur une zone precise du gametophytc du G1jmnogramme calomelanos.

Resultats I. Perturbation du fonctionnement des zones organogenes par variation de l'intensite lumineuse fournie aux gametophytes A. Influence des zones apicales sur Ie developpement du filament L'importance de l'intensiM lumineuse fournie aux cultures, sur Ie developpement des gametophytes a deja fait l'objet de nombreux travaux (MITRA, ALLSOPP et WAREING 1959, MOHR 1962, MILLER J. H. et MILLER P. M. 1961, 1963, OOTAKI 1965, KATO

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1968, DAVIS 1971, DONAHER et PARTANEN 1971, FAIVRE 1975). Pour notre part, nous avons constate que Ie transfert de germinations cultivees a l'obscurite, sous une forte intcnsite lumineuse, provoquait un arret irreversible du fonctionnement de l'apicale, tandis que Ie filament se ramifiait et regenerait un ou plusieurs axes. Des experiences complement aires ont ete realisees sur Ie meme type de material et nous permettent de constater que: 1. Si, inversement au cas precedent, des protonemas de 4 cellules, ages de 3 jours, sont transplantes dc 750 Lux a l'obscurite, on observe, quelques jours plus tard, l'aspect globuleux de l'apicale qui a cesse toute activite mitotique tandis que la sous apicale se ramifie en une formation tubulaire sans di vision pre ala ble. Quand Ie gametophyte est reporte sous l'intensite lumineuse d'origine (750 Lux), l'apparition, au sommet de cette formation, d'une nouvelle apicale de regeneration (Fig. 2), montre que Ie noyau de la cellule sous-apicale s'est deplace en direction de la ramification. L'activite organogene de l'apicale est irreversiblement arretee. La cellule apicale apparait donc tres sensible aux variations brut ales d'eclairement: elle cesse definitivement d'assurer la croissance de l'axe primitif. 2. Quand un gametophyte cultive a la lumiere est, de la meme faQon, transporte a l'obscurite mais apres destruction de son apicale, une cellule de ramification apparait, qui subira une importante elongation (Fig. 3). A la difference du cas precedent, l'elongation a lieu apres la formation d'une cloison longitudinale, isolant Ie nouvel axe de celui d'origine. 3. Si de jeunes gametophytes, constitues d'un protonema et d'une palette de quelques cellules sont mis a l'obscurite, quelques jours plus tard, la forme de la cellule apicale est modifiee; elle devient tubulaire sans division prealable (Fig. 4). La plus grande partie des elements cytoplasmiques migre a l'extremite de cette cellule, mais il n'y a aucune manifestation de reprise d'activite mitotique du filament. La cellule apicale, bien que transformee morphologiquement, continue a exercer sa dominance sur les cellules sous-jacentes. 4. Le transfert a l'obscurite d'un prothalle differencie, avec zone meristematique, ne provoque aucune modification morphologique de l'ensemble du gametophyte, 10 jours plus tard. La croissance est cependant ralentie; elle n'est plus que du 1/3 de celIe des temoins demeures sous 750 Lux. II est ainsi interes3ant de comparer les reactions des differentes zones organogenes: cellule apicale du filament, de la palette et meristeme prothallien, en fonction d'un meme facteur: la transition brutale de la lumiere a l'obscurite.

B. Influence du filament sur Ie developpement des zones organogenes Apres avoir mis en evidence l'influence des zones organogenes sur Ie comportement des cellules du protonema, ilconvient de rechercher correlativement Ie role que peuvent jouer les cellules du protonema sur l'activite des zones organogenes. Nous avons ainsi pu constater: 1. Si, quelques jours apres la germination, la cell ule a pi cale seule est maintenue al'obscurite, on observe dix jours plus tard qu'elle s'est divisee plusieurs fois, donnant

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Fig. 2 a 8. Ca: cellule apicale; Cpo coupu.re; F: filament; Gt: gametophyte t6moin; Pa: palette; R: regenerat; r: ramification: Za: zone apicale. Observation in vivo. Fig. 2. Gametophyte transfere a 3 jours, de 750 Lux a I'obscurite puis remis Ie 8eme jour sou.s 750 Lux. Deux jours plus tard (10 jours) une nouvelle cellule apicale (Ca2) apparait.

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des cellules dont l'elongation est tres reduite en depit de l'absence de lumiere (Fig. 5). Par la suite elle se cloisonne obliquement, prend une forme spherique et cesse tout fonctionnement, tandis que les cellules du filament placees it la lumiere, regenerent normalement de nouveaux axes (Fig. 6). La comparaison de ces derniers resultats avec celui obtenu lorsque la germination est mise, toute entiere, it l'obscurite permet de mettre en evidence l'existence de correIati ons it double sens, probablement de nature trophique, et dans tous les cas conditionnees par Ie niveau d'energie lumineuse. De meme une palette de quelques cellules, mise seule it l'obscurite, poursuit un developpement normal, mais tres ralenti par rapport it un gametophyte temoin (Fig. 7); sa cellule apicale ne subit pas de modification, contrairement it ce qui se produit quand l'ensemble du gametophyte est it l'obscurite. Enfin un prothaUe plus developpe dont Ie protonema demeure seul it la lumiere, reagit de la meme fa!,)on par un ralentissement de croissance sans modification morphologique. Ces resultats obtenus sur des gametophytes en croissance bidimensionnelle, mettent en evidence, comme dans Ie cas des gametophytes en croissance unidimensionnelle, l'influence du filament sur les zones apicales. 2. Si Ie protonema seul d'un gametophyte filamenteux ou en debut de croissance bidimensionnelle est maintenu it l'obscurite, Ie fonctionnement des zones actives se poursuit de fa!,)on identique mais ralentie par rapport it celui d'une germination temoin. La lumiere est donc indispensable it l'activite de la cellule organogene mais la presence du filament it l'obscurite entraine dans tous les cas un ralentissement du developpement de la palette ou du prothalle par rapport aux temoins. Ce ralentissement est pro bablement provoque par une diminution de l'apport de materiel energetique necessaire. II y a donc bien u~ transport de substances nutritives du filament vers la palette.

II. Developpement des zones apicales isolees A. Cellule apicale Des cellules apicales appartenant it de jeunes filaments ont ete isolees et leur comportement alors compare it celui d'autres cellules du filament placees dans les memes conditions.

Fig. 3. Filament isole

a 10 jours et place a l'obscurite, a 12 jours une cellule apicale de regeneration

est formee. Fig. 4. Gametophyte place a l'obscurite apres l'initiation de la croissance bidimensionnelle (5 jours). Cinq jours plus tard la cellule apicale prend une forme tubulaire. Fig. 5. Cellule apicale d'un filament de 3 jours placee seule a l'obscurite. Cinq jours plug tard, elle s'est divisee formant plusieurs cellules courtes. Fig. 6. Cellule apicale d'un filament de 3 jours, placee seule

a l'obscurite; 7 jours plus tard, elle cesse

de fonctionner, Ie filament se ramifie. Fig. 7. Palette temoin(GT) et palette (Pa) placee seule a l'obscurite (15 jours). Fig. 8. Regeneration d'une cellule apicale isolee.

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Fig. 9-18

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On peut observer les cas suivants: 1. Dne cellule apicale isoIee, poursuit son developpement dans l'axe primitif, exactement comme s'il s'agissait d'une cellule sporale au moment de la germination; elle forme d'abord un filament de quelques cellules seulement puis une palette (Fig. 8). Si l'on compare 6 a 7 jours plus tard Ie gametophyte Mmoin a celui neoforme, a partir de l'apicale isoIee, on constate que ce dernier manifeste un net retard, ce qui permet de conclure que l'absence du protonema retarde l'activiM morphogime de la cellule apicale. 2. Dne cellule de filament isoIee, bourgeonne laMralement une hernie (Fig. 9) qui deviendra l'apicale du nouvel axe (Fig. 10). II y a rotation de 90° de l'axe de croissance par rapport a l'axe primitif du gametophyte. II apparait que l'edification d'un gametophyte ne peut se faire qu'a partir d'une cellule possedant une forme hemispherique ou en «verre de montre». On retrouve cette forme caracMristique dans la premiere cellule issue de la spore, puis chez les apicales. Quand une cellule cylindrique de filament est isoIee et regenere, elle doit d'abord obligatoirement permettre l'edifica~ tion laMrale d'un tel type cellula ire hemispherique, ce qui retarde sa regeneration par rapport a une cellule apicale.

B. Palette Dne jeune palette, separee de son protonema au 7eme jour de sa germination, a une croissance bien ralentie par rapport a celIe d'un gametophyte Mmoin. Si l'on compare de plus, 8 jours plus tard, la palette regeneree sur Ie protonema d'origine a celle qui en a eM separee, on constate que la premiere a un developpement presque normal et voisin du Mmoin tandis que Ia seconde se developpe tres lentement. Ceci est d' autant

Fig. 9 a 16. Ca: cellule apicale; Cp: coupure; Cv: cellule en "verre de montre"; Dp: deformation de la paroi; Pa: palette; R: regenerat; Sp: spore. Fig. 9. Regeneration d'une cellule de filament, isolee in vivo. Fig. 10. Regeneration d'une cellule de filament, isolee in vivo. Fig. 11. Palette de 14 jours, isolee depuis 8 jours in vivo. Fig. 12. Palette de regeneration de 8 jours in vivo. Fig. 13. Deformation de la paroi des cellules dufilament en voie de ramification in vivo. Fig. 14 a 16. Glut. Osm., Bleu de Toluidine; coupes semi-fines. Fig. 14. Mitose de regeneration de la cellule sporale. Fig. 15. Individualisation d'une nouvelle apicale a partir de la cellule sporale. Fig. 16. Mitose dans l'apicale nooformee. Fig. 17 et 18. Glut.·Osm. Coupes ultra-fines dans une cellule en voie de regeneration. d: dictyosome; P: paroi; p: plasmalemme; Vg: vesicule Golgienne. Fig. 17. AP, TCH.Ag (Thiery). Accumulation de depots de nature polysaccharidique dans la paroi (X 72000). Fig. 18. AcU, Pb. Abondance de vesicules Golgiennes dans ce type de cellule. ( X 23000). 22

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plus marque que la premiere n'a que 8 jours tandis que la seconde est deja agee de 14 (Fig. 11 et Fig. 12). Cette observation confirme encore l'existence de systemes correlatifs dans Ie sens filament- palette. III. Etude microscopique de l'apparition d'un nouvel axe L'examen, au microscope, de l'apparition d'une nouvelle apicale sur un axe deja etabli, montre que la deformation de la paroi precede la division nucleaire (Fig. 13). Sur l'une des parois laterales de la cellule en voie de regeneration, une hernie se produit, dans laquelle s'engagent chloroplastes et noyau; dans les conditions normales, la mitose se produit alors et la cellule-fille, en «verre de montre», s'individualise (Fig. 14 et 15). Elle possede donc cette forme Mmispherique caracteristique des apicales de filament. La deformation de la paroi est Ie phenomene Ie plus marquant de l'edification d'un nouvel axe. A partir de cette premiere cellule de ramification, Ie filament se forme par une division transversale (Fig. 16). II est interessant de souligner" que Ie noyau n'intervient pas directement des Ie depart, dans ces processus; Ie role primordial etant celui tenu par la paroi dont la plasticite apparait comme la condition principale de la regeneration des cellules. Des figures obtenues en microscopie electronique montrent dans ces zones une forte accumulation de depots de nature polysaccharidique dans la paroi (Fig. 17), ainsi qu'une grande abondance de vesicules Goigiennes issues de dictyosomes voisins (Fig. 18). Ceci confirme Ie fait qu'une forte activite de synthese, au niveau de la paroi, apparait au moment de la ramification du filament.

Discussion I. Phenomene de dominance des zones organogenes

A. Dominance de la cellule apicale et dissociation des phenomenes de division et de ramification Toute interruption dans les relations entre Ie filament germinatif et la zone apicale du gametophyte des Fougeres, entraine une ramification du filament, consecutive a la reprise d'activite mitotique des cellules qui Ie constituent. Ces atteintes a l'integrite du gametophyte peuvent etre obtenues par separation mecanique (ITO 1962, OOTAKI 1967, FAIVRE 1970), par plasmolyse (OOTAKI 1968, FAIVRE-BARON", sous pressel ou choc lumineux (OOTAKI 1965; FAIVRE-BARON, sous pressel· Nous avons provo que un arret irreversible du fonctionnement de l'apicale de Gymnogramme calomelanos, en transferant des filaments ne comprenant que quelques cellules, de la lumiere a l'obscurite. Comme dans l'experience inverse,la modification physiologique de la cellule apicale, probablement due ici au choc provo que par un arret brutal des syntheses glucidiques realisees en presence de lumiere, supprime sa preseance sur l'ensemble du protonema dont les cellules bourgeonnent. Selon OOTAKI (1965) Ie gradient apico-baml d'activite qui existe dans Ie filament du Pteris vittata et qui est en relation avec une forme de croissance purement terminale, disparait quand l'activite physiologique de toutes les cellules est brutalement accrue ou

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diminuee. De semblables reponses aux chocs lumineux du Draparnaldia sont interpretees par KERIMIAN (1970) comme une rupture des liens intercellulaires, occasionne par des modifications brut ales des conditions de culture. Ce result at met en evidence un fait important: la deformation de la paroi permettant la ramification laterale d'une cellule est independante de la division du noyau et la precede toujours; en effet a l'obscurite Ie regenerat est sous forme tubulaire sans cloisonnement de separation avec la cellule-mere, Ie noyau y est cependant engage avec la majorite des elements du cytoplasme: il y a eu un changement d'axe de croissance, sans division. Nous savons que l'obscurite, bien que ralentissant fortement les mitoses des germinations ne les bloque pas totalement, iI est donc probable que l'apicale, dans les conditions ci-dessus, exerce encore pendant un certain temps son action mitostatique sur les cellules sous-jacentes. Ce fait est verifie par Ie transfert a l'obscurite d'un filament isole de sa palette ou les memes phenomenes se produisent mais iI y a division et donc cloison entre la cellule-mere et Ie regenerat. A l'obscurite, en l'absence de l'apicale, les deux phenomenes - bombement de la paroi et division - peuvent se produire; en sa presence, me me si elle bloque encore les mitoses des. cellules du filament, elle ne peut s'opposer aux modifications de la paroi necessaires ala ramificfl,tion qui est donc un phenomene precedant la mitose et gouvernee par un processus different. FEVRE et al. (1975) et LARPENT (1970, 1973) sont arriVES a des conclusions semblables chez les Champignons: les ramifications assez longues sont d'abord sans noyau, ce dernier ne participe pas directement a la formation du bourgeon.

B. Renforcement de la dominance au cours de la croissance du gametophyte Nous avons vu, qu'au cours de la croissance du gametophyte, la palette puis la zone meristematique du prothalle bidimensionnel prennent successivement Ie relais de la cellule apicale pour dominer, de la meme fayon les cellules du protonema. A noter que la dominance de la cellule apicale n'est pas modifiee par les alterations de sa morphologie dues a l'absence de lumiere (apicales filamenteuses) et que de plus, elle est la seule capable de subir de telles deformations. Par contre, s'il s'agit d'un prothalle plus age iI n'y a ni alteration de sa morphologie ni, par voie de consequence, perturbation du fonctionnement de la zone meristematique. La difference de comportement entre les zones apicales est encore mise en evidence en faisant subir aces seules regions des variations d'eclairement. Ainsi, une cellule apicale placee a l'obscurite cesse rapidement toute activite mitotique et Ie filament regenere, tandis qu'une jeune palette ou un prothalle, dans les memes conditions, poursuivent leur developpement. Nous pouvons donc en deduire que les zones organogenes deviennent de moins en moins sensibles aux variations d'intensite lumineuse et, par consequent, que leur effet de dominance se maintient plus aisement. Nous rejoignons ici les conclusions de LARPENT et aL (1973) qui constatent aussi que Ie vieillissement du thalle des Champignons s'accompagne d'un renforcement de la dominance apicale et done de l'inhibition des rameaux lateraux. 22*

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II. Action du filament sur la palette Nous avons pu montre, jusqu'a present, dans ce systeme simplifie que represente Ie gametophyte du Gymnogramme calomelano8, l'existence de correlations de croissance dans Ie sens: zone apicale (donneur) vers Ie filament (recepteur). La mise en evidence de correlations a double sens constitue un facteur de complexiM lie a la differenciation morphologique ou physiologique des deux constituants que l'on a donc raison d'assimiler a des organes distincts. Les reactions des differentes zones organogl'mes, a la lumiere et a 1'0bscuriM sont resumees dans la Fig. 19, nous pouvons en tirer les conclusions suivantes: La presence du filament ala lumiere permet a l'apicale, maintenue a I'obscuriM, de se diviser alors qU'eIIe en est incapable quand I'ensemble du gametophyte est a l'obscuriM. Cependant les cellules formees ne s'allongent pas et restent au contraire tres courtes. On est done conduit a envisager l'existence d'un transport, du filament vers I'apicale, de substances declenchant la mitose mais aussi d'un facteur inhibiteur de I'elongation. Cependant les divisions cessent bientot, ce qui traduit un affaibIisseJ'!1ent du pouvoir d'appel apical, a l'obscuriM. La lumiere serait donc necessaire pour maintenir la translocation des maMriaux nutritifs permettant les divisions. Le fait qu'un gametophyte dont la palette est maintenue a l'obscuriM conserve une morphogenese normale mais a croissance ralentie, tandis que place entierement a

gametophyte

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Fig. 19. Representation d'experiences de transfert de la lumiere a l'obscurite, de l'ensemble du game. tophyte du Gymnogramme calomelano8 ou d'une zone bien precise de celui.ci, a l'aide de caches en papier d'aluminium.

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l'obscurite, Ron apicale subit une importante transformation morpologique, confirme la presence d'un facteur prenant naissance dans Ie filament et transmis en direction de la palette. Une information suppIementaire est apporMe par l'evolution normale, mais nettement plus lente des apicaleR ou palettes mises seules a la lumiere. II leur manque l'apport de maMriaux nutritifs venant du filament et qui ne peuvent etre synthetises a l'obscuriM. De meme une palette isolee se developpe beaucoup plus lentement que celIe de regeneration, formee sur Ie filament d'origine. On peut deduire de ces resultats l'existence de correlations a double sens entre les zones apicales du gametophyte et Ie filament. Si les zones apicales exercent sur les cellules sous-jacentes une «dominance» bloquant leurs divisions, en retour, une translocation acropete de maMriaux synthetises dans Ie filament a la lumiere, est mise en evidence et permet un bon taux de croissance. De tels effets a double sens ont egalement eM observes par LARPENT (1966) sur certains Champignons commc Ie Rhizoctonia, par GAILLARD et L'HARDy-HALOS (1976) ou Ie comportement des 2 initiales de Dictyota dichotoma est influence par la fronde sous-jacente, et sur des pI antes superieures (CHAMPAGNAT 1974). II est tres tentant d'expliquer les comportements respectifs du filament et de la palette par l'existence d'un pouvoir d'appel de maMriaux, au niveau des zones actives; maMriaux essentiellemeht fournis au debut de la germination par Ie filament; la palette puis Ie prothalle acquerant au fur et a mesure de leur developpement une plus grande autonomie. OOTAKI (1968) a adopM cette hypothese pour Pteris vittata et considere, comme LARPENT (1971) pour les Bryales, que l'accumulation de cytoplasme dans les regions anMrieures des cellules est une manifestation des translocations polaires.

III. Caracteristiques des cellules apicales A. Caractere «apical» intrinseque ou de position? La croissance filamenteuse, qu'il s'agisse des Fougeres, des Champignons ou des Bryales, est caracMrisee par Ie fonctionnement d'une cellule apicale de forme hemispherique. Cette cellule «est-elle porteuse d'une modification pouvant etre transmise a sa descendance ou son fonctionement est-il impose du dehors», comme l'exprime CHAMPAGNAT (1974). Chez Gymnogramme, elle est capable de se former a partir de n'importe quelle cellule du filament si celui-ci a eM soustrait a l'influence de son apicale d'origine et, isoIee elle poursuit son developpement habituel, comme Ie ferait la cellule sporale. L'analogie de fonctionnement des regenerats et des cellules sporales de Pteris a eM aussi soulignee par KATO (1964). L'isolement de pleuridies de Ceramiacees a permis a L'HARDY-HALOS (1971) de deduire que Ie determinisme de la croissance pleuridienne n'est pas l'expression d'une proprieM cellulaire trans mise hereditairement mais resulte d'un esemble de correlations, de meme pour ITo (1962) l'activiM des zones apicales du Pteris n'est pas inherente a elle-meme, mais de nature passive. DENFFER et al. (1968) considerent egalement que la polariM des apicales des Algues ne se transmet pas, mais doit etre induite a nouveau apres chaque division cellulaire. Nous partageons ces points de vue.

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:\1.

FAIVRE·BARON

B. Importance des modifications membranaires dans les phenomenes de ramification

Le bombement caracteristique de 1'une des faces des cellules apicales est un phenomene constant et interessant. Si 1'on compare Ie developpement d'une cellule apicale et d'une cellule intercalaire isoIees, on s'aperc;oit que la regeneration se fait dans I'axe originel pour I'apicale, c'est-a-dire suivant la face hemispherique, tandis que dans la cellule du filament une telle apicale doit d'abord se former. Or la deformation de laparoi cellulaire a lieu avant toute mitose. Le premier signal de la levee de dominance exercee par la cellule apicale d'origine se situe probablement au niveau membranaire et se traduit par une deformation parietale locale. Ce n'est qu'ensuite que se manifeste I'activite nucIeaire par I'apparition d'une mitose. Selon LARPENT (1971) cette modification laterale, dont les modalites apparaissent identiques chez les Champignons, serait sous Ie controle des RNA permettant la synthese de proteines enzymatiques impliquees dans les modifications de la paroi. Ces enzymes rompraient les liaisons disulfures (FEVRE et al. 1975) provoquant un relachement des parois et 1'equilibre forme par les syntheses nouvelles et la lyse partiel!e permettrait 1'edification de la ramificaticn. Cette interpretation etayee par de nombreux travaux (ROBSON et STOCKLEY 1962, NICKERSON 1963, FEVRE 1969, LARPENT 1970, LARPENT 1971, FEVRE et aL 1975) nous parait fort seduisante, aussi avons-nous realise une serie d'experiences sur la mise en evidence au niveau ultrastructural de groupes SR, des les premiers stades de la ramification du filament, ainsi que I'etude des reactions des gametophytes a des agents SR ou anti SR (FAIVRE-BARON, en preparation). Lorsqu'une cellule apicale cesse de fonctionner, comme par exemple, a la suite d'un choc lumineux, nous avons toujours constate qU'elle s'arrondissait et de hem ispherique devenait spherique, on peut alors en deduire, comme LARPENT et a1. (1971) sur les Champignons, que 1'equilibre entre la croissance apicale et Ie depot parietal a ete rompu, et que des gradients biochimiques, etablis par la croissance exclusivement apicale, conditionnent la mise en place de systemes enzymatiques a I'origine de possibles ramifications.

Conclusion Des differents resultats, obtenus au cours du present travail, nous pouvons tirer les trois faits importants suivants: 1. A cote de 1'influence des regions apicales sur Ie developpement potentiel des cellules du protonema, il existe correlativement des relp,tions trophique& directes dans Ie sens filament-zone organogene. On retrouve donc chez Ie gametophyte des Fougeres, comme cela a ete mis en evidence chez Ie sporophyte (CHENOU-FLEURY 1976), des relations reciproques entre zone de croissance dominee et zone a developpement inhibe; 2. II y a perte progressive de la sensibilite des zones organogenes aux variations d'intensite lumineuse, au cours de 1'evolution du gametophyte. Le comportement de la cellule apicale du filament, de la palette et du meristeme prothallien est different, ce qui fait envisager une modification de leur preseance au cours du vieillissement des germinations;

Fonctionnement des zones organoglmes chez une Fougere

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3. Au niveau cellulaire la ramification du filament, induite par la suppression ou l'arret du fonctionnement des zones apicales, commence par une deformation de la paroi, consecutive a des remaniements membranaires, qui permettra l'apparition d'une cellule hemispMrique: forme que possede toute cellule a la base de la regeneration. La division nucIeaire n'est qu'un phenomene secondaire qui peut meme ne pas avoir lieu, dans les conditions extremes: germinations transferees a l'obscurite par exemple. Ce dernier point appelle de nouveaux developpements dont la recherche d'apparition de proteines enzymatiques au niveau de la hernie, et en particulier l'intervention de syMmes a groupe SH pouvant jouer un role dans ces phenomenes: une rupture des liaisons S-S provoquant Ie relachement de la paroi necessaire au bourgeonnement. Une etude dans ce domaine est deja entreprise, les resultats en seront publies ulterieurement.

Remerciements Nous exprimons nos tres sinceres remerciements a Monsieur YVEs TOURTE pour l'aide qu'il nous a apportee, ainsi qu'a Mademoiselle CHRISTINE BARBIER pour sa collaboration technique.

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