Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011) 138, 565—571
MÉMOIRE ORIGINAL
Évaluation d’une information pour prévenir et prendre en charge les réactions mains-pieds secondaires aux traitements anti-angiogéniques Evaluation of information about prophylactic treatment and management of hand-foot reactions caused by antiangiogenic therapies P. Guyot-Caquelin a, L. Geoffrois b, A. Barbaud a, P. Trechot c, J.-L. Schmutz a, F. Granel-Brocard a,∗ a
Service de dermatologie, hôpitaux de Brabois, CHU, bâtiment des spécialités médicales Philippe-Canton, rue du Morvan, 54500 Vandoeuvre-les-Nancy, France b Centre de lutte contre le cancer de Lorraine Alexis-Vautrin, 6, avenue de Bourgogne-Brabois,54500 Vandoeuvre-les-Nancy, France c Service de pharmacologie, hôpital Central, 29, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 54030 Nancy cedex, France Rec ¸u le 21 octobre 2010 ; accepté le 3 mai 2011 Disponible sur Internet le 23 juin 2011
MOTS CLÉS Traitement anti-angiogénique ; Réaction mains-pieds ; Information du patient ; Éducation thérapeutique
∗
Résumé Introduction. — Les thérapeutiques anti-angiogéniques se compliquent de réactions mains-pieds (RMP) invalidantes qui incitent parfois les oncologues à modifier leur traitement. Des mesures préventives et curatives sont proposées dans la littérature, mais non évaluées. L’objectif de ce travail était d’étudier l’information dispensée sur la RMP et l’observance des soins préconisés pour la prévention des RMP. Patients et méthodes. — Pendant 19 mois, 51 patients sous traitement anti-angiogénique ont été suivis. À chaque consultation, un examen clinique était effectué, avec évaluation de l’observance des traitements topiques et des conseils donnés. À l’issue de l’étude, la perception de l’information était évaluée à l’aide d’un questionnaire, en consultation ou par téléphone. Résultats. — Bien que tous les patients aient été informés, 11 parmi 39 déclaraient ne pas l’avoir été. Il n’y avait pas de différence d’observance des soins locaux selon que l’information était dispensée par le dermatologue ou par l’oncologue. Onze patients sur 51 ont consulté un podologue durant l’étude et neuf ont porté des semelles. Les traitements locaux ont été suivis par 22 patients sur 40, dont neuf qui les ont appliqués dès le début du traitement. Il existe un lien
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Granel-Brocard).
0151-9638/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annder.2011.05.007
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P. Guyot-Caquelin et al. significatif entre l’observance des soins locaux et la survenue d’une RMP (p = 0,028), à préciser par une étude randomisée avec de plus grands effectifs. Conclusion. — Cette étude souligne les difficultés de mise en œuvre d’un programme de prévention de la RMP et doit faire réfléchir aux modalités de mise en place d’une éducation thérapeutique multidisciplinaire et à une prise en charge financière des traitements préventifs et curatifs. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Antiangiogenic drugs; Hand-foot reaction; Patient information; Education programme
Summary Background. — Antiangiogenic agents may be associated with severe hand-foot reactions (HFR) requiring dose adjustment by oncologists. Many preventive and curative treatments are described in the literature but their efficacy has not been assessed in clinical trials. The aim of this study was to examine information given to patients about HFR and to evaluate compliance with prophylactic therapy for this complication. Patients and methods. — Fifty-one patients receiving antiangiogenic therapy were followed up for a period of 19 months. At each visit, a dermatological examination was performed, compliance with topical treatment was assessed and advice was provided. At the end of the study, patients’ perception of the information given was assessed by means of a questionnaire, completed either during consultations or by telephone. Results. — Although all patients were given information about HFR, 11 of 39 subjects claimed they had received no such information. There was no difference regarding compliance with topical treatment whether the information was provided by a dermatologist or an oncologist. Eleven patients consulted a podiatrist and nine patients used soft insoles. Twenty-two of 40 patients used topical treatments, with nine using such treatment from the outset. A statistically significant correlation was noted between compliance with preventive topical therapy and onset of HFR (P = 0.028), and this finding merits confirmation in a larger-scale study. Conclusion. — This study highlights the difficulties in implementing a programme to prevent HFR and suggests the value of providing multidisciplinary therapeutic education and of financing preventive and curative care. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Les thérapies ciblées ont considérablement transformé la thérapeutique en cancérologie. Avec ces nouvelles substances sont apparus des effets secondaires cutanés, qui mettent rarement en jeu le pronostic vital mais peuvent être très invalidants et obliger à suspendre le traitement anticancéreux [1]. Plusieurs cibles sont actuellement visées pour inhiber l’angiogenèse : le bevacizumab (Avastin® ) est un anticorps monoclonal inhibiteur du vascular endothelial growth-factor (VEGF) ; des inhibiteurs multikinases comme le sunitinib (Sutent® ) et le sorafenib (Nexavar® ) bloquent les récepteurs du VEGF [2,3]. Ces deux dernières molécules sont également utilisées couramment dans le cancer du rein depuis 2006, mais leurs indications seront probablement étendues à d’autres cancers dans les années à venir. Le sunitinib a déjà l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans les tumeurs gastro-intestinales depuis 2006 et le sorafenib dans l’hépatocarcinome depuis 2007. Ces molécules induisent de nombreux effets secondaires cutanés. Le plus invalidant est l’érythrodysesthésie palmoplantaire (EPP), qui atteint 10 à 62 % des patients sous sorafenib et 10 à 28 % de ceux sous sunitinib [4]. L’EPP secondaire aux traitements anti-angiogéniques diffère de celle associée aux chimiothérapies anticancéreuses classiques par son aspect clinique hyperkératosique, avec des lésions bien limitées à type de « cornes » sur les zones de pression et de frottement. Les deux variétés d’EPP sont cependant confondues par certains auteurs et la nomenclature reste
floue dans la littérature, avec de nombreux termes consacrés tels que hand-foot syndrome, hand foot skin reaction, « érythème acral » ou « réaction de Burgdorf ». Nous avons fait le choix d’utiliser dans ce travail le terme de « réaction mains-pieds » (RMP) pour nommer les EPP secondaires aux traitements anti-angiogéniques, tandis que le terme d’EPP sera conservé pour désigner la forme dite « classique », secondaire aux autres traitements oncologiques. Les EPP sont particulièrement douloureuses mais il n’y a pas de corrélation entre la présentation clinique et les douleurs, des patients rapportant un véritable handicap fonctionnel alors que leurs lésions paraissent cliniquement peu sévères. Les RMP peuvent être extrêmement invalidantes et conduire à des modifications de posologie, voire à l’arrêt du traitement anti-angiogénique ; elles sont alors le plus souvent régressives après l’arrêt. Il est recommandé dans la littérature de les prévenir par des soins de pédicurie sur les hyperkératoses préalables, d’appliquer des émollients sur les paumes et les plantes dès le début du traitement et de porter des semelles absorbantes [4—7]. L’objectif principal de ce travail était d’évaluer, avec une équipe de cancérologie, le retentissement de l’information et l’observance des soins préconisés dans la prévention et la prise en charge des RMP secondaires aux traitements anti-angiogéniques. L’objectif secondaire était d’évaluer l’efficacité des traitements locaux dans la RMP.
Les réactions mains-pieds secondaires aux traitements anti-angiogéniques
Patients et méthodes Il s’agit d’une étude prospective portant sur les patients suivis au centre de lutte contre le cancer de Lorraine (Centre Alexis-Vautrin), recevant un des traitements antiangiogéniques sorafenib, sunitinib ou bevacizumab, entre septembre 2008 et mars 2010. Les malades étaient vus au décours de l’instauration du traitement anti-angiogénique par l’oncologue systématiquement, et par le dermatologue autant que possible. L’examen palmoplantaire initial était réalisé par l’oncologue ou le dermatologue. Une information était délivrée au patient par l’oncologue ou le dermatologue, expliquant la RMP à l’aide de mots simples et d’exemples concrets : les signes annonciateurs, les symptômes (« brûlures », « rougeurs », « douleurs », « cornes »), les conséquences sur les actes de la vie quotidienne (difficultés au chaussage, à la marche, à la préhension d’objets chauds. . .). Il y était recommandé de suivre les conseils suivants : éviter le contact prolongé des mains et des pieds dans l’eau chaude, éviter les traumatismes, porter des chaussures confortables, larges et sans talon, appliquer souvent des émollients sur les paumes et les plantes, de préférence sous occlusion au moindre symptôme de RMP [1,8,9]. Il était conseillé aux patients de consulter un podologue-pédicure (ordonnance remise), particulièrement en cas d’hyperkératose préexistante, pour étudier la statique plantaire (détection des éventuelles malpositions plantaires) et réaliser au besoin des semelles orthopédiques et des soins de pédicurie [5]. Une ordonnance comportant un émollient était remise au patient ; le Dexeryl® , mélange glycérol—vaseline—paraffine (Pierre-Fabre Médicament), avait été choisi à cet effet en raison de son remboursement partiel. Le patient était invité à appliquer quotidiennement l’émollient sur les mains et les pieds dès le début du traitement anti-angiogénique. En cas d’hyperkératose préalable, une préparation à l’urée était prescrite (urée 30 g, eau purifiée 40 g), Excipial® lipocrème 30 g (Laboratoire Spirig). Sur la même ordonnance figurait un dermocorticoïde de classe très forte (clobétasol) à appliquer en cas d’inflammation intense, en expliquant au patient les bonnes pratiques d’utilisation (utilisation exclusivement palmoplantaire, de durée limitée, une seule fois par jour). Les coordonnées du service de dermatologie étaient laissées au patient. Un suivi dermatologique était institué tous les mois. À chaque consultation étaient relevés les éventuels effets secondaires cutanés notés par le patient durant la cure et ceux mis en évidence par l’examen clinique. L’observance des traitements préconisés était évaluée. La sévérité de la RMP était évaluée selon la classification en trois grades définie par le National Cancer Institue (Tableau 1) [10]. La poursuite, la diminution ou l’arrêt du traitement étaient discutés avec les oncologues. Au décours de la première consultation, les éléments suivants étaient répertoriés : âge, sexe, localisation du cancer, date du début du traitement anti-angiogénique. L’observance des conseils et prescriptions était évaluée durant l’étude et la perception de l’information était recueillie en consultation ou par téléphone à l’issue de l’étude. La saisie des données a été réalisée à l’aide du logiciel Excel (Microsoft). L’analyse statistique a été réalisée à l’aide
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Tableau 1 Classification selon le National Cancer Institute (NCI). Grades NCI
Définition NCI
1 2
Modification cutanée sans douleur Modification cutanée avec inconfort n’interférant pas avec les activités de la vie quotidienne Modification cutanée avec inconfort interférant avec les activités de la vie quotidienne
3
du logiciel SAS, version 9.2, par le service d’épidémiologie et d’évaluation clinique du CHU de Nancy. L’analyse statistique a comporté une description des caractéristiques socio-démographiques des patients, de la maladie et des RMP observées sous traitements anti-angiogéniques, de leurs mesures préventives et de l’information rec ¸ue à l’introduction du traitement. Pour cette partie descriptive, les variables quantitatives ont été exprimées par leur moyenne, leur écart-type et leurs valeurs minimale et maximale ; les variables qualitatives ont été exprimées par leur effectif et leur fréquence. L’incidence des RMP a été calculée avec son intervalle de confiance à 95 %. Les caractéristiques des sujets ont été comparées, selon qu’ils avaient ou non développé une RMP, pour les variables quantitatives par un test t de Student ou test de rang (Mann et Whitney) en l’absence de distribution normale des variables, et pour les variables qualitatives par un test du Chi2 ou un test exact de Fisher en fonction des conditions d’application. Le seuil de signification (p) retenu était de 5 %.
Résultats Cinquante et un patients ont été inclus, sept sous sorafenib, 38 sous sunitinib et six sous bevacizumab. Il y avait 36 hommes et 15 femmes, d’âge moyen 63 ans (38 à 78 ans). Quarante-cinq patients étaient atteints de cancer rénal à cellules claires (tumeur de Gravitz) et six patients d’un autre type de cancer. Les données n’ont pas pu être recueillies et analysées de manière exhaustive, car huit patients étaient décédés en mai 2010 et certaines données n’étaient pas interprétables. Trente-deux patients (62,7 %) de l’étude ont développé une RMP. Ces RMP étaient de grade 1 chez 16 patients, de grade 2 chez dix patients et de grade 3 chez six patients. Parmi les 38 patients sous sunitinib, 26 ont présenté une RMP (68 %, IC 95 %, [53,2 %—82,8 %]) dont 14 de grade 1, sept de grade 2 et cinq de grade 3. Parmi les sept patients sous sorafenib, trois ont présenté une RMP dont deux de grade 2 et un de grade 1. Parmi les six patients sous bevacizumab : trois ont eu une RMP, un de grade 1, un de grade 2 et un de grade 3. La survenue de la RMP a conduit à une modification de posologie chez dix patients. Aucun arrêt définitif de traitement n’a été préconisé. La totalité des patients ont rec ¸u une information sur la RMP au moment de la mise en route du traitement antiangiogénique. Parmi les 39 ayant pu être interrogés sur ce point, 11 ont cependant déclaré ne pas avoir été infor-
568 Tableau 2
P. Guyot-Caquelin et al. Résultats sur l’évaluation de l’information et de l’observance des soins préconisés.
Observance traitements topiques Au début du traitement anti-angiogénique Au début des symptômes Aléatoire Non Donnée manquante
Cause de non-suivi podologique (40 patients) N’a pas rec ¸u l’information Absence de gêne Ne sait pas Obstacle financier Absence d’efficacité Port de semelles Non Oui Donnée manquante Cause d’absence de port de semelles (35 patients) N’a pas rec ¸u l’information Absence de gêne Ne sait pas Obstacle financier Pas d’indication Absence d’efficacité
Réaction n = 32 (62,7 %)
n
%/moy
n
%/moy
4
21
2 7 6
10,5 36,8 31,5
5 13 3 6 5
15,6 40,6 9,3 18,7 15,6
2 3 0 4
22,2 33,3 44,4
3 2 2 2
33,3 22,2 22,2 22,2
16 3
84,2 15,8
24 8
75 25
5 9 1 1
31,3 56,3 6,3 6,3
4 12 5 2 1
16,7 50 20,8 8,3 4,2
14 3 2
73,6 15,7 10,5
21 6 5
65,6 18,7 15,6
3 8 3 1 1
18,8 50 18,8 6,3 6,3
9 6 2 1 1
50 35,7 7,1 3,6 3,6
p**
0,028
Cause de non-observance des traitements topiques (18 patients) N’a pas eu l’information Absence de gêne Manque de temps Ne sait pas Suivi podologique Non Oui
Pas de réaction n = 19 (37,3 %)
Observance émollient : au début du traitement anti-angiogénique + au début des symptômes ; non-observance émollient : aléatoire + non. *p: test du Chi2 pour variables qualitatives, test issu d’un test de Student pour les variables quantitatives.
més ; 15 patients ont dit avoir été informés par l’oncologue et le dermatologue et 13 patients par l’oncologue seul (Tableaux 2 et 3). Chez 12 patients, nous n’avons pu obtenir de réponse (huit patients décédés, quatre réponses non interprétables). Pour six patients sur 39, il existait une difficulté de compréhension. Neuf patients ont déclaré ne pas avoir rec ¸u d’information sur les soins de podologie. Parmi les 51 patients, 11 ont eu un suivi podologique et neuf ont porté des semelles : deux dès l’initiation du traitement, sept au cours du traitement en raison de la survenue de RMP. Chez deux patients, l’indication du port de semelles n’était pas retenue par le podologue. Les causes de nonobservance des soins de podologie (40 patients) étaient les suivantes : neuf patients ont déclaré ne pas avoir été informés, 21 ne pas avoir eu de gêne fonctionnelle, trois des difficultés financières, 1 une absence d’efficacité et six ne se sont pas prononcés. Concernant les traitements topiques,
ils ont été suivis chez 22 des 40 patients, dans neuf cas dès le début du traitement et 13 patients ont attendu l’apparition de symptômes. Les causes de non-observance étaient les suivantes : cinq patients n’auraient pas eu l’information, cinq n’ont pas ressenti une gêne suffisamment importante, deux ont manqué de temps et six ne se sont pas prononcés. La différence entre les âges et le sexe dans l’observance des traitements locaux était non significative. Aucun lien significatif n’a été mis en évidence entre l’observance et les grades de la RMP. Il n’y avait pas de différence dans l’observance des traitements que l’information soit donnée par l’oncologue ou par le dermatologue. Parmi les 19 patients n’ayant pas eu de RMP, quatre avaient observé le traitement topique dès le début du traitement anti-angiogénique contre cinq parmi les 32 ayant eu une RMP. Inversement, parmi les neuf patients ayant observé l’application recommandée de topiques dès le début du trai-
Les réactions mains-pieds secondaires aux traitements anti-angiogéniques Tableau 3
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Résultats sur l’observance des traitements topiques en fonction de l’information. Observance des topiques n = 22 (55 %)
Non-observance ou aléatoire n = 18 (45 %)
n
%/moy
ETa
n
%/moy
ETa
Âge
22
61,2
10,4
18
61,1
13,7
Sexe Masculin Féminin
15 7
68,2 31,8
14 4
77,8 22,2
Information sur la réaction main-pied Non Oui Donnée manquante
4 17 1
18,2 77,2 4,5
7 11
38,9 61,1
4 0 9 8 1
18,2 0 40,9 36,3 4,5
7 0 4 7
38,9 0 22,2 38,9
Modalités d’information Pas d’information Dermatologue seul Oncologue seul Oncologue et dermatologue Donnée manquante
p**
0,976 0,499
0,17
0,274
7
**p : test du Chi2 pour variables qualitatives, test issu d’un test de Student pour les variables quantitatives. a Écart-type.
tement anti-angiogénique, cinq ont développé une RMP (un de grade 1, trois de grade 2 et un de grade 3) contre 27 parmi les 42 n’ayant pas suivi les recommandations.
Discussion L’objectif initial de ce travail était d’évaluer l’efficacité d’un traitement local préventif des RMP. L’étude s’est heurtée au problème de l’observance des patients, limitant la portée des résultats. Malgré cette limite, il semblerait que le traitement préventif local appliqué dès l’instauration du traitement anti-angiogénique diminue le risque de survenue d’une RMP. Ce résultat est à confirmer par une étude randomisée avec de plus grands effectifs. L’étude souligne aussi les difficultés de mise en œuvre d’un programme de prévention des RMP. L’éloignement des services de dermatologie et de cancérologie, qui ne permet pas une consultation en binôme dès l’initiation du traitement anti-angiogénique pour tous les patients, pourrait être en cause. Cependant, il n’est pas apparu de différence dans notre étude selon que l’information était dispensée par le dermatologue ou par l’oncologue. L’information sur les RMP est perfectible, car parmi 39 patients qui ont été interrogés et qui avaient tous rec ¸u l’information, 11 déclaraient ne pas avoir été informés. L’insuffisance d’information sur les soins à proposer (semelles absorbantes, consultation et soins de podologie, application d’émollients) a été exprimée par six patients. Or le manque d’information dispensée sur la maladie, réel ou perc ¸u comme tel, est une des causes de mauvaise observance [11,12]. La communication entre le praticien et le patient est un des éléments clé dans la stratégie pour augmenter l’observance [11]. Dans les affections chroniques, plusieurs éléments conditionnent la non-observance, comme le caractère
complexe des traitements, l’épuisement de la motivation ou le coût. Les effets secondaires de ces traitements anti-angiogéniques, dispensés au long cours, peuvent se superposer aux maladies chroniques par leur caractère répétitif. Or l’observance des traitements est plus élevée lors de maladies aiguës que lors de maladies chroniques [11]. Trente à 50 % des patients ne suivent pas les traitements ordonnés par les médecins et 5 à 7 % des ordonnances ne sont pas même délivrées [13,14]. Les conseils d’application des traitements topiques, de consultation de podologie/pédicurie et de port de semelles ont été dispensés irrégulièrement et l’observance des soins, lorsque ceux ci étaient préconisés, s’est avérée inconstante. S’il existe des méthodes objectives d’évaluation de l’observance pour les médicaments (dosages biologiques. . .) [11], la mesure de l’observance des topiques est plus délicate et plus difficile à quantifier. Dans notre étude, l’observance a été évaluée par simple questionnaire et donc peut être surestimée ; l’étude s’est probablement heurtée à un biais de désirabilité, les patients rapportant au médecin ce que celui-ci veut entendre [11]. Pour limiter ce biais, l’observance aurait pu être mesurée par la quantité de topiques utilisée, le nombre de tubes nécessaires, la fréquence de renouvellement des ordonnances. Parmi les causes de non-observance des traitements topiques, l’absence de gêne fonctionnelle est une explication avancée par cinq patients. La prescription de traitements pour les maladies asymptomatiques est un facteur prédictif de mauvaise observance [11]. Ces patients souffrent parfois d’autres effets secondaires extrêmement invalidants comme les mucites, les épigastralgies, la diarrhée, et l’application préventive ou curative de topiques cutanés passe souvent au second plan de leurs préoccupations. Deux patients ont spontanément mis en avant le caractère chronophage des soins émollients, que les
570 consultations de podologie-pédicurie demandaient un effort supplémentaire et étaient par conséquent rapidement abandonnées d’autant plus lorsque les résultats en cas de RMP ne satisfaisaient pas le patient. Treize patients ont attendu l’installation des symptômes pour suivre les traitements topiques. Parmi les autres causes relevées de non-suivi des soins de podologie-pédicurie, on note un obstacle financier chez trois patients. Le coût des traitements est un autre obstacle connu à l’observance [11]. Les soins de podologie sont mal remboursés, de même que les semelles lorsqu’elles sont réalisées sur mesure, sur avis du podologue. On peut supposer que si une paire de semelles absorbantes était distribuée à l’initiation du traitement anti-angiogénique, le port en serait assuré, mais en pratique cette mesure est difficile à mettre en œuvre pour des considérations financières. La consultation dermatologique a sa place dans la détection et la prise en charge précoce des RMP. Des RMP de grade 1 ont été diagnostiquées chez 16 patients sur 51 (31,3 %) ; il s’agissait d’une discrète hyperkératose ou d’un érythème modéré. La discrétion des symptômes relevés grâce à l’examen systématique dermatologique a peut être majoré l’incidence globale de la RMP, qui atteint dans notre étude 68 % pour le sunitinib contre 18,9 % d’incidence globale dans la méta-analyse menée par Chu et al. [15] et 5,3 % dans l’étude de phase 3 comparant le sunitinib à l’interféron dans le cancer rénal [16]. Les traitements préventifs et curatifs de la RMP sont nombreux mais mal codifiés. En pratique, l’évaluation de ces traitements paraît difficile car leur observance est aléatoire. Le suivi est d’abord fonction de l’information donnée et de sa compréhension. Il est important d’adapter son discours à chaque patient, en tenant compte de l’environnement socioculturel, du mode de vie, du niveau de compréhension et de la faisabilité du traitement préconisé. Les patients rec ¸oivent parfois ces traitements anti-angiogéniques pendant plusieurs années pour leur efficacité oncologique mais au prix d’effets secondaires, tels la RMP, qui réapparaissent à de chaque cure. On pourrait utiliser le modèle des maladies chroniques pour optimiser la prise en charge de la RMP et développer chez le patient des compétences d’auto-évaluation et d’auto-soins au sein d’un programme spécifique d’éducation thérapeutique [16]. Cette démarche s’est déjà inscrite dans plusieurs spécialités médicales telles la pneumologie avec les « écoles de l’asthme », en diabétologie mais également en dermatologie avec la dermatite atopique [17]. Selon Stalder l’éducation, parfois confondue avec l’information, ne doit pas être singulière mais commune à tous les patients, adaptée et interactive [18]. Il semble nécessaire d’élaborer un diagnostic éducatif personnalisé comportant une analyse des facteurs socio-environnementaux tels que la catégorie sociale (chez trois patients, le prix des prestations était un obstacle à l’observance), l’âge, le niveau et le style de vie, les caractéristiques socioculturelles. Il est important de définir avec le patient des objectifs : apprendre à reconnaître la RMP, la grader, comment y faire face. Nous avons constaté de nombreux échanges entre les malades patientant en salle d’attente au sujet des effets secondaires des traitements anti-angiogéniques et de la RMP ; des séances collectives pourraient être proposées sur ce thème. La pratique de
P. Guyot-Caquelin et al. l’auto-évaluation pourrait trouver sa place pour adapter au mieux les programmes de prévention. Une information adaptée et personnalisée devrait être faite et délivrée par l’oncologue. Une consultation de suivi systématique par un dermatologue et un podologue permettrait de déceler et de traiter précocement les RMP, de vérifier l’observance des traitements préventifs préconisés. Par ailleurs, cette étude souligne la nécessité d’une aide à la prise en charge financière des soins de pédicurie et semelles chez ces patients très invalidés par cette fréquente complication qui conduit parfois à des diminutions voire des arrêts du traitement oncologique. En conclusion, l’apparition des thérapies ciblées a engendré de nouvelles toxidermies. Ces réactions cutanées comme les RMP sont parfois très invalidantes et viennent s’ajouter aux effets non cutanés et à la néoplasie sousjacente. Il paraît important d’accompagner les patients au cours de leur traitement oncologique pour prévenir et traiter au mieux les réactions secondaires, en commenc ¸ant par délivrer une information avant le début du traitement oncologique. Il pourrait être envisagé un procédé d’éducation thérapeutique, adapté à chaque patient et commenc ¸ant dès le processus d’information sur le traitement anti-angiogénique. La proposition d’une information et de conseils se heurte à une difficulté d’adhésion du patient à ces mesures de prévention et doit nous faire réfléchir à la mise en place d’une éducation thérapeutique.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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