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Douleurs, 2004, 5, 5, cahier 2
SYMPOSIUM
Expérience clinique avec l’hydromorphone D’après la communication du Dr Marie-Cécile Douard, Service d’anesthésie-réanimation chirurgicale, Unité d’évaluation et de traitement de la douleur, Hôpital Saint-Louis, Paris (75).
LA ROTATION EN THÉORIE La rotation des opioïdes est le changement d’un opioïde par un autre. Elle peut se faire soit sur indication clinique, comme pratiquée en France, soit systématique à intervalles fixes permettant de faire une économie de récepteurs [1]. Elle est indiquée en cas d’épuisement ou échappement thérapeutique, d’effets secondaires majeurs (troubles cognitifs ou digestifs), de toxicité (transformation de la morphine en normorphine responsable de myoclonies) ou d’accumulation de métabolites actifs. Il s’agit alors d’utiliser un produit sans métabolites actifs, l’hydromorphone (Sophidone® LP) qui possède une fonction cétone en position 6 évitant la formation et l’accumulation de métabolite 6 glucuronide ou avec une action sur d’autres types de récepteurs. La rotation s’effectue au moyen de coefficients de conversion (tableau 1). L’hydromorphone (Sophidone® LP) est un agoniste sélectif des récepteurs µ, indiqué dans le traitement des douleurs cancéreuses intenses en cas de résistance ou d’intolérance à la morphine. Il est 7,5 fois plus puissant que la morphine, ce qui signifie qu’il y a équianalgésie entre 30 mg de morphine et 4 mg d’hydromorphone LP. Certaines équipes le prescrivent même en cas d’insuffisance rénale [2]. L’utilisation de ce médicament s’accompagne d’une diminution des nausées ou des vomissements et des troubles cognitifs. LA ROTATION EN PRATIQUE Nous avons dans notre service l’expérience de 25 patients cancéreux (19 avec une tumeur solide, 6 avec un cancer hématologique), âgés de 62 ans en moyenne, traités par de
la morphine LP orale à la dose moyenne de 147+/-111 mg/j et des extrêmes entre 40 et 600 mg/j. Une rotation des opioïdes a été indiquée, pour une intolérance digestive majeure chez 10 patients (constituant un 1er groupe, recevant par ailleurs des doses moyennes de morphine de 63+/-11 mg/j), pour des troubles cognitifs ou une somnolence majeurs chez 6 patients (groupe 2, dose moyenne de morphine de 170+/-33 mg/j), pour des hallucinations ou une confusion sévère (signes de surdosage) chez les 9 autres (groupe 3, 232+/-153 mg/j).
Modalités pratiques de la rotation de la morphine LP vers l’hydromorphone LP (Sophidone® LP) Calculer la dose totale de morphine consommée par jour (morphine LP + interdoses de morphine à libération immédiate, LI). Diviser la dose totale de morphine orale par 7,5 (coefficient de conversion). Le résultat est la dose journalière de Sophidone® LP. Maintenir ou équilibrer les interdoses de morphine LI par jour. Faire des prescriptions anticipées selon l’évaluation de la douleur du malade.
88 % de patients satisfaits Parmi les 25 patients suivis, pour 2 d’entre eux il manquait des données, pour un autre la rotation a induit un effet secondaire (après 36 heures d’analgésie parfaite, survenue
Tableau 1 Recommandations pour la pratique clinique : prise en charge de la douleur au cours du cancer chez l’adulte en médecine ambulatoire. ANDEM/Service des études/octobre 1995 ou SOR FNCLCC 1996 Coefficients de conversion pour la rotation des opioïdes : morphine ➞ autre opioïde Morphine 1 Oxycodone 2 20 mg de morphine orale = 10 mg d’oxycodone Hydromorphone 7,5 30 mg de morphine orale = 4 mg d’hydromorphone Fentanyl transdermique 100 60 mg de morphine orale = 25 µg/h (600 µg/j) de fentanyl transdermique
2S8 d’un syndrome de sevrage, plus ou moins contrôlé par la reprise de la morphine LP et LI ; un 2ème essai de rotation, à la demande du patient, mais sur la base d’un ratio de 5, a été réussi avec une antalgie stable au bout de 48 heures). Les 22 autres patients ont été satisfaits de la rotation, avec disparition complète des effets secondaires pour la moitié d’entre eux et amélioration très nette pour l’autre moitié. L’antalgie, stabilisée au bout de 7 jours en moyenne, a été de bonne qualité pour la majorité d’entre eux ;un patient a eu un traitement antalgique complété par une cimentoplastie vertébrale, un autre par une radiothérapie. L’intensité de la douleur, mesurée par échelle visuelle analogique (EVA), a significativement diminué après substitution de la morphine par l’hydromorphone dans les 3 groupes (p<0,0001 pour le groupe 1, p=0,0001 pour les groupes 2 et 3). Coefficient de conversion à 7,5 ou 5 ? Au moment de la rotation des opioïdes, la dose de morphine prescrite était en moyenne de 147+/-111 mg/j. Le ratio de conversion utilisé étant de 7,5, la dose de Sophidone® LP équianalgésique était alors de 19+/-15 mg/j. Or, la dose d’équilibre obtenue au cours du suivi est de 29/+-26 mg/j de Sophidone® LP, correspondant finalement à un ratio de 5 et non plus 7,5. En pratique, cela n’implique pas de prendre un ratio de 5, mais en revanche la prescription de Sophidone® LP doit s’accompagner de prescriptions anticipées (de Sophidone® LP et interdoses de morphine LI). Enfin, l’augmentation progressive des doses de Sophidone® LP a été régulière et faible dans le groupe 1, et particulière-
Douleurs, 2004, 5, 5, cahier 2 ment marquée pour les groupes 2 et 3 avant de s’atténuer. Pendant la première semaine après la mise en route de la Sophidone®, jusqu’à J 7 il faut donc penser à adapter les doses. Finalement, Sophidone® LP permet une rotation des opioïdes dans de bonnes conditions, avec peu d’effets indésirables, pour une analgésie de bonne qualité, et un ratio de conversion morphine/hydromorphone de 1/7,5. Il faut être prudent chez les patients avec de fortes doses de morphine avant la rotation, le ratio d’analgésie étant probablement plus faible, mais néanmoins respecter le coefficient de conversion de 7,5, en prévenant les patients et en leur donnant la possibilité d’augmenter les doses de Sophidone® LP si besoin et de recourir à des interdoses de morphine à libération immédiate (prescriptions anticipées). "
RÉFÉRENCES 1. Bruera E, Pereira J, Watanabe S, Belzile M, Kuehn N, Hanson J. Opioid rotation in patients with cancer pain. A retrospective comparison of dose ratios between methadone, hydromorphone, and morphine. Cancer 1996; 78: 852-7. 2. Lee MA, Lang ME, Tiernan EJ. Retrospective study of the use of hydromorphone in palliative care patients with normal and abnormal urea and creatinine. Palliat Med 2001; 15: 26-34.