C. R. Acad. Sci. Paris, t. 1, Série IV, p. 269–273, 2000 Techniques astronomiques/Astronomical techniques
Facteur de bruit d’une chaîne de cinématographie ultrarapide : application à la fusion par confinement inertiel Aurélia SECROUN 4, rue des Dames-de-France, 51390 Gueux, France Courriel :
[email protected] (Reçu le 21 juin 1999, accepté le 23 novembre 1999)
Résumé.
La fusion par confinement inertiel reproduit en laboratoire l’état thermodynamique du cœur des étoiles, ouvrant ainsi une porte sur les paramètres des modèles stellaires existants. Afin de déterminer ces paramètres, la cinématographie ultrarapide apporte une instrumentation, dédiée aux phénomènes picosecondes, pour laquelle il est indispensable de connaître la précision des mesures. Dans ce sens, nous proposons un modèle du facteur de bruit de la chaîne instrumentale étudiée, puis nous confrontons ce modèle aux résultats des expériences que nous avons mises en œuvre. 2000 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS facteur de bruit / cinématographie ultrarapide / caméra à balayage / intensificateur / galette de microcanaux
Noise factor of a high–speed cinematography system Abstract.
Inertial confinement fusion simulates in a laboratory the thermodynamic state of the center of stars, thus leading to the determination of stellar parameters. In order to reach that aim, high-speed cinematography brings up instruments specifically adapted to picosecond measurement, for which it is necessary to know the final precision. A model of the noise factor of the instruments under study is introduced and confronted to the experimental results obtained. 2000 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS noise factor / high–speed cinematography / streak camera / intensifier / microchannel plate
The Phébus laser today, and the MégaJoule laser in the future, is of particular interest for many scientists, among which astronomers, for it can simulate at a small scale the thermonuclear fusion taking place at the center of stars. Within the frame of Inertial Confinement Fusion (ICF) experimentations, high-speed cinematography instrumentation helps understanding the physical phenomenon taking place at the time scale of nuclear fusion. Nevertheless, extreme temporal conditions (picosecond and less) make the signal of interest sensitive to instrumental noise, so that it becomes necessary to analyse it, in a view to improve instrumental performances. The noise factor allows to evaluate that noise. The value of the noise factor represents the loss in the signal to noise ratio due to the noise added by the instrument. It is defined in equation (1) as the ratio of input to output signal to noise ratios. A value of 1 Note présentée par Pierre E NCRENAZ. S1296-2147(00)00107-4/FLA 2000 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
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ASTROPHYSIQUE
Abridged English version
A. Secroun
describes a noiseless instrument. The noise factor is related to the detective quantum efficiency (commonly denoted DQE) as the inverse of its square. The theoretical model of the noise factor we introduce here is based on the association of each element of the chain, that is to say in order: a photocathode, an electrooptical lens, and a phosphor screen, all three combined into a streak camera, followed by a photocathode, a microchannel plate, and a phosphor screen, again combined into a microchannel plate intensifier. The individual noise factors are presented in equations (2) (photocathode), (3) (electrooptics), (4) (phosphor screen) and (5) (microchannel plate). Their combination is obtained as the product of individual noise factors. Thus our streak camera shows a theoretical noise factor between 3.2 and 3.5, whereas our intensifier shows a value of about 2.8. We conducted ICF experimentations (involving a picosecond impulse light source) in order to confront theoretical results. In both cases, we obtained good agreement between theory and experimentation. For the streak camera, the noise factor was evaluated to 3.5 ± 0.3 and we showed that it is due mostly to the photocathode conversion and the electrooptics transmission. We also showed that noise is additive, poissonnian and statistically independent of signal [10]. As for the intensifier, its noise factor was evaluated to 2.8 ± 0.2 and showed independent of the gain of the microchannel plate. Noise here is mostly due to the photocathode conversion. In conclusion, thanks to these results, we may dimension a high-speed cinematography system including a streak camera. It is usual to use an output signal to noise ratio of at least 10 as a criterion, thus: 1. if the input signal level is higher than 0.5 W · cm−2 , then the streak camera associated to a cooled CCD camera will be sufficient; 2. if the input signal level is smaller than 0.5 W · cm−2 , then it is necessary to add an intermediate microchannel plate intensifier between the streak camera and the CCD camera. This reference level (0.5 W · cm−2 ) depends largely on the instruments, and improving the noise factor of the streak camera would allow to reduce it.
1. Introduction Le laser Phébus, aujourd’hui, et, à plus forte raison, le laser MégaJoule, prochainement mis en place, intéresse bien des scientifiques, et les astronomes sont tout autant concernés que les physiciens du nucléaire, car l’énergie (respectivement 6 kJ et 1,8 MJ) que doit apporter l’installation permet de reproduire à petite échelle la fusion thermonucléaire qui a lieu dans le cœur des étoiles. Dans ces expérimentations de fusion par confinement inertiel (FCI), la cinématographie ultrarapide apporte une instrumentation indispensable à la compréhension des phénomènes physiques impliqués aux échelles de temps de la fusion nucléaire. Néanmoins, les conditions temporelles extrêmes (picoseconde et moins) rendent le signal d’intérêt sensible au bruit instrumental, qu’il devient nécessaire d’analyser, en vue d’améliorer les performances globales de la chaîne instrumentale. Le facteur de bruit offre un moyen d’évaluer ce bruit. La valeur du facteur de bruit exprime la perte dans le rapport signal bruit, conséquente au bruit apporté par l’instrument. Le facteur de bruit est défini dans l’équation (1) comme le quotient du rapport signal bruit d’entrée RSB i (le plus souvent poissonnien) au rapport signal bruit de sortie RSB o . Une valeur de 1 est obtenue pour un instrument parfait, autrement dit sans bruit. Il est important de noter que, dans le cas où les calculs sont réalisés pixel à pixel, le rapport signal bruit d’entrée doit être ramené au plan de sortie, en prenant en compte la fonction d’appareil de l’instrument d’intérêt (qui inclut les notions de résolution et de grandissement). F=
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(RSB i )filtré RSB o
(1)
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2. Modèle du facteur de bruit La chaîne instrumentale de notre étude comprend une caméra à balayage de fente et un intensificateur à galette de microcanaux. La caméra à balayage de fente est composée d’une photocathode S20, d’une optique électronique, et d’un écran luminophore de type P20. L’intensificateur à galette de microcanaux est composé d’une photocathode S20, d’une galette de microcanaux, et d’un écran luminophore de type P20. Nous proposons ici un modèle du facteur de bruit de l’ensemble en le décomposant élément par élément. 2.1. Émission de la source L’émission des photons par une source ponctuelle et impulsionnelle est couramment représentée par une loi de Poisson, dont le paramètre est le nombre de photons émis. 2.2. Conversion photoélectronique dans la photocathode Dans le domaine des longueurs d’onde visibles, un photon incident sur la photocathode donne ou non naissance à un électron, selon un processus aléatoire comparable à une sélection binaire. Ainsi le coefficient de conversion η de la photocathode (10 à 20% selon la longueur d’onde), peut être interprété comme le paramètre d’une loi binomiale. Le facteur de bruit correspondant à la composition d’une loi de Poisson et d’une loi binomiale est défini par : 1 Fphotocathode = √ η
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2.3. Transmission de l’optique électronique L’optique électronique, comme une optique classique, présente un diaphragme d’ouverture qui ne laisse passer qu’une partie des électrons incidents. Elle introduit un coefficient de transmission T typiquement de 80 à 90%, dont le caractère aléatoire est décrit par une loi binomiale (de paramètre T ). Le facteur de bruit de l’optique électronique est donné par l’équation : 1 Foptique = √ T
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2.4. Gain de l’écran luminophore Par similarité avec le cas du scintillateur traité dans [2], et dans le cas d’une source poissonnienne et d’un processus d’émission poissonnien de moyenne g¯, nous avons dérivé le facteur de bruit de l’écran luminophore : r 1 (4) Fcran = 1 + g¯ Le gain de l’écran luminophore est généralement grand (typiquement de plusieurs dizaines à quelques centaines de photons émis pour un électron incident) et sa distribution est étroite, de sorte que le facteur de bruit peut être approximé par la valeur 1. 2.5. Multiplication dans la galette de microcanaux En entrée de la galette de microcanaux [5], l’ouverture géométrique (rapport de la surface ouverte des microcanaux à la surface totale) définit un processus de sélection de type binomial, dans lequel le paramètre est donné par la valeur de l’ouverture γ (typiquement 63%). Au sein de chaque microcanal, le processus de multiplication (émission secondaire) des électrons met en jeu des gains successifs, dont chacun suit le modèle de gain de l’écran luminophore. Si le canal est
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représenté comme un ensemble de K étages de gains moyens g¯j , j = 1, . . . , K, le facteur de bruit de l’étape de multiplication est exprimé par : r 1 1 1 + + + ··· Fmultiplication = 1 + g¯1 g¯1 g¯2 g¯1 g¯2 g¯3 Dans la pratique, la galette de microcanaux est insérée dans un intensificateur à double focalisation de proximité. La conséquence de cette configuration est que le premier électron incident sur la paroi d’un canal est nettement plus énergétique que les électrons des chocs suivants. Ceci revient à dire que g¯1 g¯j > 1, j > 2. Malheureusement, g¯1 est seulement un peu plus grand que 1 (au maximum 10) et g¯j > 1, j > 2, ce qui apporte une contribution au bruit en principe non négligeable. En fait, elle le devient dans notre cas, car, à ce point de la chaîne, le signal est déjà statistiquement fort. En fait, la galette de microcanaux est un élément bruyant, sauf à la saturation [4], qui apparaît dès que quelques photoélectrons sont incidents dans un canal, ce qui est bien notre cas. Ainsi, le facteur de bruit correspondant est proche de 1. Au total, le facteur de bruit de la galette de microcanaux est donné, en première approximation, par : 1 Fgmc = √ γ
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2.6. Bilan de la caméra à balayage de fente La caméra à balayage de fente est essentiellement une suite de lois binomiales qui sont composées avec la loi de Poisson initiale. Ainsi, elle conserve la loi de Poisson, avec seulement un changement de paramètre, produit des différents coefficients (de transmission ou de conversion) impliqués. Le facteur de bruit théorique ainsi obtenu √1 est compris entre 3,2 et 3,5 pour ηphotocathode = 10% et Toptique entre ηT
80 et 90%. 2.7. Bilan de l’intensificateur à galette de microcanaux L’intensificateur à galette de microcanaux transforme la loi de Poisson initiale en une autre loi statistique, que nous ne pouvons déterminer simplement [1,3,9]. Néanmoins, nous obtenons un facteur de bruit théorique √1ηγ , évalué à environ 2,8 pour ηphotocathode = 20% et γgmc = 63%. 3. Mesure expérimentale du facteur de bruit Les mesures de facteur de bruit que nous avons mises en œuvre reconstituent les conditions expérimentales de la FCI, à savoir l’utilisation d’un signal source impulsionnel picoseconde de haute énergie. Nous avons utilisé une caméra CCD pour l’enregistrement des données sous forme d’images. 3.1. La caméra à balayage de fente Nous avons observé un facteur de bruit constant représentant une perte sur la qualité du signal d’un facteur 3,5 ± 0,3. Ce résultat est tout à fait cohérent avec la valeur théorique attendue. Il en découle que le bruit dans la caméra à balayage de fente est dû essentiellement aux bruits de conversion de la photocathode et de transmission de l’optique électronique. Nous avons montré par ailleurs que ce bruit est additif, poissonnien et indépendant (statistiquement) du signal [10]. 3.2. L’intensificateur à galette de microcanaux Pour l’intensificateur à galette de microcanaux, nous obtenons un facteur de bruit expérimental d’environ 2,8 ± 0,2. Le facteur de bruit mesuré est cohérent avec le modèle introduit, ainsi que les résultats des études préalables qui ont montré un facteur compris entre 1,2 et 3 [6–8].
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4. Conclusion Nous avons vu que le rapport signal bruit de la chaîne de cinématographie est indépendant du gain de la galette de microcanaux. De plus, le facteur de bruit est constant et égal au produit des facteurs de bruit des éléments constituant ladite chaîne. Les expérimentations et le modèle introduit concordent, montrant qu’au premier ordre, ce sont les bruits de conversion dans la photocathode et de transmission de l’optique électronique qui priment dans la caméra à balayage de fente, et les bruits de conversion de la photocathode et l’ouverture de la galette de microcanaux dans l’intensificateur à galette de microcanaux. Ces résultats nous donnent une première approche au dimensionnement d’une chaîne de cinématographie ultrarapide utilisée dans les expérimentations de FCI. En effet, afin d’obtenir un rapport signal bruit correct en sortie, à savoir au moins égal à 10, deux situations se présentent : (1) si le niveau de signal incident sur la chaîne est supérieur à 0,5 W · cm−2 , il suffit d’utiliser la caméra à balayage de fente seule, associée à une caméra CCD refroidie (pour l’enregistrement des données) ; (2) si le niveau de signal incident est inférieur à 0,5 W · cm−2 , il est alors nécessaire d’utiliser un intensificateur à galette de microcanaux intermédiaire entre la caméra à balayage de fente et la caméra CCD. Le seuil (0,5 W · cm−2 ) dépend largement des instruments, et l’amélioration du facteur de bruit de la caméra à balayage de fente (coefficient de conversion de la photocathode et transmission de l’optique électronique) permettrait de le réduire. Remerciements. Ce travail a été réalisé dans le cadre de ma thèse grâce au soutien financier du CEA et de Photonis (anciennement Philips Photonique).
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