JEUR, 2005, 18, 73-79
©
Masson, Paris, 2005
Article original
Faisabilité des échelles d’auto-évaluation de la douleur aux urgences Feasibility of self-report pain scales in the emergency room A.-S. PRULIÈRE (1), J.-F. FINANCE (1), P. LAFFORGUE (1), P. GUILLOTIN (1), J.-P. LAURENT (1), A. CHANSOU (1), M. OLIVIER (2) (1) SAU, Centre Hospitalier du Val d’Ariège, Chemin Barrau, 09000 Saint-Jean-de-Verges (2) SAU, Hôpital Purpan, Toulouse.
RÉSUMÉ Objectif : Trois échelles d’auto-évaluation de l’intensité de la douleur sont actuellement à la disposition des équipes soignantes : l’échelle verbale simple (EVS), l’échelle numérique (EN) et l’échelle visuelle analogique (EVA). Notre étude s’est intéressée à la faisabilité comparée de ces trois échelles dans un service d’accueil des urgences (SAU). Matériel et méthode : Etude prospective comparative randomisée sur population ouverte de 518 patients, réalisée pendant 6 semaines non consécutives entre mars et juin 2002. Nous avons évalué pour chaque échelle le taux de réponse, le temps de réponse, la facilité d’explication du soignant et la compréhension du patient. Nous avons également comparé la faisabilité de ces trois échelles dans la population générale, puis selon l’âge, selon les motifs de consultation et selon la présence de facteurs d’incompréhension. Résultats : Dans la population générale, la faisabilité de l’EVS et de l’EN s’avère significativement meilleure que celle de l’EVA. Chez les sujets de plus de 65 ans, notamment en présence de facteurs d’incompréhension, l’EVS est la méthode de choix. Selon les motifs de consultations, aucune méthode ne semble supérieure aux autres. Enfin, l’utilisation de l’EN est plébiscitée par le personnel soignant. Conclusion : Cette analyse montre que l’EVS et l’EN sont des échelles performantes pour l’évaluation de l’intensité de la douleur dans un SAU, l’EVS devant être privilégiée chez les patients aux capacités d’abstraction ou de communication altérées. Contrairement aux recommandations officielles, l’EVA n’est probablement pas la meilleure méthode. Mots-clés : Douleur. Urgence. Echelles d’auto-évaluation.
SUMMARY Background : Three self-report pain intensity scales are currently available for medical teams: the Verbal Descriptor Scale (VDS), the Numerical Rating Scale (NRS) and the Visual Analog Scale (VAS). Our study aimed at comparing the feasibility of these three scales in an Emergency Department (ED). Methods : We performed a prospective and comparative randomized study on an open population of 518 patients during 6 non-consecutive weeks between March and June 2002. For each scale, we assessed the response rate, the response time, the ability for the medical team to easily provide explanations and the patient’s understanding. We also compared these three scales in the general population, as well as according to age, according to the reasons for the consultation and according to the presence of factors of incomprehension. Results : In the general population, the feasibility of the VDS and of the NRS turned out to be significantly better than that of the VAS. In subjects over 65, in the presence of factors of lack of comprehension, the VDS was the standard method. Regarding the reasons for the consultations, no method was superior to another. Finally, the caregiver staff appear to prefer the NRS.
Tirés à part : A. Chansou, à l’adresse ci-dessus. E-mail :
[email protected]
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A.-S. PRULIÈRE ET COLLABORATEURS
Conclusions : This analysis shows that the VDS and the NRS are efficient scales for assessing pain intensity in the ED. In patients with impaired abstraction or communication capacities, the VDS should be preferred. Key-words: Pain. Emergency. Self-report scales.
La douleur est un symptôme fondamental dans l’évaluation diagnostique d’un patient. C’est un signe subjectif complexe et multifactoriel dont il est nécessaire d’admettre la réalité en considérant la personne souffrante dans sa globalité. Une mesure précise de ce symptôme permet de la prendre en charge. Trois échelles d’auto-évaluation, c’est-à-dire fondées sur la description par le patient de l’intensité de sa douleur, sont à la disposition des équipes soignantes : l’échelle numérique (EN), l’échelle visuelle analogique (EVA), et l’échelle verbale simple (EVS). Ces échelles d’auto-évaluation apparaissent aux urgences plus adaptées que les échelles d’hétéro-évaluation [1-3]. Elles sont reproductibles, plus sensibles, plus rapides, plus faciles à mettre en œuvre [4-8]. En France, l’évaluation de l’intensité de la douleur des patients arrivant aux urgences n’est recommandée que depuis une circulaire ministérielle de 1999. L’EVA semble avoir été arbitrairement choisie sans qu’une évaluation comparative des différentes échelles ait été réalisée. Notre étude s’est intéressée à la faisabilité comparée de ces trois échelles d’auto-évaluation, c’est-à-dire à leur rapidité et à leur facilité d’utilisation, en s’attachant à restreindre nos critères d’exclusions primaires afin de tester les échelles sur la plus large population possible. MATÉRIEL ET MÉTHODE Une étude prospective comparative, randomisée sur une population ouverte, a été réalisée pendant 6 semaines non consécutives, de mars à juin 2002. Les critères d’inclusion ont été les suivants : toute personne algique, quel que soit le motif de consultation, de 15 ans ou plus, pris en charge en premier par l’infirmière d’orientation et d’accueil (IOA), avec un Glasgow à 15, et acceptant de participer. Les critères d’exclusion ont été les patients non douloureux, les enfants de moins de 15 ans, les patients pris en charge par le SAMU, un score de Glasgow inférieur à 15, un refus de participer ou une surcharge de travail. À chaque patient a été présenté une seule échelle parmi les trois étudiées. Pour des raisons pratiques, la même échelle a été testée pendant une semaine entière, l’ordre d’utilisation des échelles étant aléatoire. Ce choix de procédure a impliqué la répartition des patients en trois groupes. Nous nous sommes assurés de l’absence de l’effet enquêteur dans notre étude, et également que les trois
groupes regroupant les patients ayant répondu à une même échelle soient comparables par le sexe, l’âge et le motif de consultation. Les trois échelles d’auto-évaluation proposées ont été : – l’échelle numérique (EN), avec laquelle le soignant demande au patient de choisir un chiffre de 0 à 10, 0 correspondant à l’absence de douleur et 10 correspondant à une douleur maximale imaginable ; elle peut être présentée oralement ou avec un support écrit ; – l’échelle visuelle analogique (EVA), se présentant sous la forme d’une réglette de 10 cm, comportant une face « patient » et une face « évaluateur » : sur la face « patient », il existe une ligne bleue continue, non graduée, orientée de gauche à droite, présentant à gauche l’indication « absence de douleur » et à droite l’indication « douleur maximale imaginable » ; le patient doit indiquer l’intensité de sa douleur en mobilisant un curseur entre ces deux extrémités, du côté « évaluateur », la ligne est graduée, ce qui permet à celui-ci de qualifier de 0 à 100 la douleur ressentie ; – l’échelle verbale simple (EVS), constituée d’une liste de 5 qualificatifs classés par ordre croissant d’intensité auxquels peuvent être attribuées des valeurs numériques (0 = douleur nulle, 1 = douleur légère, 2 = douleur modérée, 3 = douleur importante, 4 = douleur insupportable) ; de même que l’échelle numérique, elle peut avoir une présentation verbale ou écrite. Les critères retenus dans notre étude pour définir la faisabilité d’une échelle ont été : la compréhension du patient évaluée par le soignant et le taux d’obtention de réponse (compliance du patient), son temps de réponse, la facilité d’explication par le soignant au patient. Le recueil des données s’est réalisé de la façon suivante : chaque patient inclus, interrogé par l’IOA, a évalué sa douleur au moyen de l’échelle qui lui a été présentée. L’IOA a relevé sur un questionnaire « patient », l’âge, le sexe, le taux et le temps de réponse, la facilité d’explication de l’échelle au patient et sa compréhension. Le motif de consultation (médical, médico-chirurgical ou traumatique) et les pathologies préexistantes pouvant gêner la réalisation de l’évaluation ont également été précisés sur le questionnaire. Au terme de l’enquête, un questionnaire « soignant » a été remis aux infirmiers (au nombre de 23) ayant participé à l’étude : il permet d’analyser le ressenti des soi-
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FAISABILITÉ DES ÉCHELLES D’AUTO-ÉVALUATION DE LA DOULEUR
la population générale). La proportion de consultation pour motif médico-chirurgical reste stable à travers les âges. Dans la population générale, la comparaison de faisabilité des trois échelles a mis en évidence un taux de nonréponse significativement moindre pour l’EVS. Le temps de réponse médian est significativement moins long pour l’EVS et l’EN (respectivement 13 et 15 secondes versus 24 secondes pour l’EVA). Les explications nécessaires à la compréhension de l’EVA ont été ressenties par le personnel soignant comme plus difficiles que pour l’EVS et l’EN. De plus, un quart de la population générale ne comprend pas l’EVA. La compréhension de l’EVS est significativement meilleure : 93,5 % versus 85,6 % pour l’EN et 75,9 % pour l’EVA (tableau I et fig. 1). La comparaison de faisabilité des trois échelles selon l’âge met en évidence que chez les plus de 65 ans, l’EVS obtient significativement le moindre taux d’obtention de nonréponse. L’EVS est également jugée comme étant significativement la plus facile chez les moins de 65 ans et la moins difficile chez les plus de 65 ans. La compréhension est significativement meilleure pour l’EVS chez les plus de 65 ans (fig. 2). Le temps de réponse est également significativement moins long avec l’EVS. Chez les moins de 65 ans, le temps médian de réponse est plus long avec l’EVA (fig. 3). Selon le motif de consultation, le taux d’obtention de non-réponse est significativement plus important pour l’EVA, en ce qui concerne les consultations médicales et
gnants par rapport aux trois échelles et leur avis sur celle qui semble la plus adaptée à l’urgence. Nous avons comparé la faisabilité de ces trois échelles dans la population générale, puis selon l’âge (réparti arbitrairement selon deux classes, inférieure et supérieure à 65 ans), selon le motif de consultation, et enfin selon la présence ou non de facteurs d’incompréhension. L’analyse statistique a été réalisée par le service d’épidémiologie de la Faculté de Médecine de Toulouse. RÉSULTATS Notre recrutement est de 518 patients (265 hommes, 253 femmes), se répartissant en trois groupes respectivement de 201 patients avec l’EN, 155 patients avec l’EVS et 162 patients avec l’EVA. Ces 3 groupes sont significativement comparables par le sexe, l’âge et le motif de consultation. Le sex-ratio est proche de 1 pour les sujets de moins de 65 ans et concernant les consultations d’ordres médical ou traumatique. Il existe une prédominance féminine chez les sujets âgés de plus de 65 ans et concernant les consultations médico-chirurgicales. L’âge moyen de notre population est de 45 ans, avec une médiane de 41 ans. Les consultations dans la population générale sont à majorité d’ordre traumatiques (61,4 % versus 22,8 % pour les consultations médicales). Par contre, les sujets âgés consultent plus pour des motifs médicaux (33,6 % versus 22,8 % pour
TABLEAU I. – Comparaison de la faisabilité des trois échelles dans la population générale. EN
EVS
EVA
n = 201
n = 155
n = 162
Oui
177 (88,0 %)
149 (96,1 %)
125 (77,2 %)
Non
24 (11,9 %)
6 (3,9 %)
37 (22,8 %)
p < 0,001 (test du F2)
5 (2,5 %)
0 (0 %)
11 (6,8 %)
p < 0,001 (test du F2)
Taux d’obtention de réponse
dont refus erronée
2 (1,0 %)
1 (0,7 %)
2 (1,2 %)
temps > 2 min
17 (8,5 %)
5 (3,2 %)
24 (14,8 %)
Temps de réponse
n = 179
n = 149
n = 125
moyenne (écart type)
20,3 (r 17,5)
15,3 (r 8,5)
30,5 (r 18,5)
médiane (mini/maxi)
15 (5/120)
13 (5/48)
24 (10/112)
Facilité d’explication
n = 201
n = 155
n = 162
Très facile
90 (44,8 %)
101 (65,2 %)
56 (34,6 %)
Facile
72 (35,8 %)
38 (24,5 %)
52 (32,1 %)
Difficile
31 (15,4 %)
12 (7,7 %)
45 (27,8 %)
8 (4,0 %)
4 (2,6 %)
9 (5,5 %)
Très difficile Taux de compréhension
n = 201
n = 155
n = 125
Oui
172 (85,6 %)
145 (93,5 %)
123 (75,9 %)
Non
29 (14,4 %)
10 (6,5 %)
39 (24,1 %)
n = 179
n = 149
n = 125
Moyenne (écart type)
4,9 (r 2,2)
2,2 (r 0,8)
43,6 (r 22,5)
Médiane (mini/maxi)
5 (1/10)
2 (1/4)
44 (8/95)
Scores
Risque
p < 0,001 (test du F2) p = 0001 (test de Kruskall et Wallis)
p < 0,001 (test du F2)
p < 0,001 (test du F2)
76
A.-S. PRULIÈRE ET COLLABORATEURS
25 20
taux de non réponse
15
temps de réponse
10
taux de non compréhension
5
35 30 25 20 15 10 5 0
taux de non réponse motif traumatique taux de non réponse motif médical
1
0 1
2
3
EN
EVS
EVA
EN
Fig. 1. – Comparaison de la faisabilité des trois échelles dans la population générale.
90 80 70 60 50 40 30 20 10 0
taux de non réponse < 65 ans taux de non réponse > 65 ans difficulté d'explication > 65 ans taux de compréhension > 65 ans 1
2
EN
EVS
EVS
temps de réponse motif traumatique temps de réponse motif médical temps de réponse motif médico-chirurgical 2
EN
EVA
temps de réponse < 65 ans temps de réponse > 65 ans
EVA
30 25 20 15 10 5 0 1
Fig. 2. – Comparaison de la faisabilité des trois échelles selon l’âge.
3
Fig. 4. – Comparaison du taux de non-réponse aux trois échelles selon le motif de consultation.
3
40 35 30 25 20 15 10 5 0
2
EVS
3 EVA
Fig. 5. – Comparaison du temps de réponse aux trois échelles selon le motif de consultation.
100
facilité d'explication motif traumatique facilité d'explication motif médical facilité d'explication motif médico-chirurgical
80 60 40 20
1
2 EN
EVS
3 EVA
0 1
2 EN
EVS
3 EVA
Fig. 3. – Comparaison du temps de réponse aux trois échelles selon l’âge.
Fig. 6. – Comparaison de la facilité d’explication des trois échelles selon le motif de consultation.
traumatiques (fig. 4). De plus, pour ces mêmes motifs de consultations, le temps médian mis pour compléter l’EVA est significativement plus long. Pour les consultations médico-chirurgicales, le temps médian de réponse est significativement moins long pour l’EVS (fig. 5). La facilité d’explication à travers les différents motifs de consultation est significativement en faveur de l’EVS (fig. 6). Enfin, la compréhension de l’EVS pour les motifs médicaux et traumatologiques est significativement meilleure (fig. 7).
En matière de faisabilité en fonction des facteurs d’incompréhension, on constate que 116 patients présentent au moins un facteur gênant la compréhension des échelles. Cinquante pour cent des patients de plus de 65 ans présentent principalement un déficit neurologique (cognitif, sensitif ou moteur), un déficit visuel ou auditif. Quinze pour cent des patients de moins de 65 ans présentent un trouble psychiatrique, un problème de compréhension de la langue (étrangers) ou un trouble de la
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FAISABILITÉ DES ÉCHELLES D’AUTO-ÉVALUATION DE LA DOULEUR 100 taux de compréhension motif traumatique
80 60
taux de compréhension motif médical
40
taux de compréhension motif médico-chirurgical
20 0 1
2 EN
EVS
3
taux de compréhension en présence de facteur d’incompréhension temps de réponse sans facteur d’incompréhension temps de réponse en présence de facteur d’incompréhension
1 EN
EVA
Fig. 7. – Compréhension des trois échelles selon le motif de consultation.
vigilance (état d’intoxication alcoolique le plus souvent) (tableau II). Nous avons abordé le taux de compréhension global aux trois échelles confondues, en fonction de la présence
TABLEAU II. – Répartition des facteurs d’incompréhension selon l’âge. Population générale n = 518
< 65 ans n = 399
t 65 ans n = 119
Aucun
402 (77,6 %)
344 (86,2 %)
58 (48,7 %)
Un ou plusieurs
116 (22,4 %)
55 (13,8 %)
61 (51,3 %)
Facteurs d’incompréhension
80 70 60 50 40 30 20 10 0
Trouble visuel
12
1
11
Trouble auditif
12
0
12
Troubles visuel et auditif
1
0
1
Trouble neurologique
26
8
18
Troubles neurologique et visuel
3
1
2
Troubles neurologique et auditif
1
0
1
Trouble psychiatrique
18
13
5
Troubles psychiatrique et neurologique
2
2
0
Troubles psychiatrique et auditif
1
0
1
Intoxication
7
7
0
Intoxication et trouble neurologique
1
1
0
Barrière de la langue
28
20
8
Langue et trouble visuel
1
1
0
Langue et trouble neurologique
1
0
1
2 EVS
3 EVA
Fig. 8. – Comparaison du taux de compréhension et du temps de réponse aux trois échelles en présence ou non de facteur d’incompréhension.
ou non de facteur d’incompréhension. Puis nous avons analysé le temps de réponse et le taux de compréhension pour chaque échelle entre les sujets sans facteur d’incompréhension et ceux en ayant un ou plusieurs. Parmi les facteurs d’incompréhension les plus représentés, on constate que le taux de compréhension global aux trois échelles confondues chez les personnes de plus de 65 ans est altéré (inférieur à 50 %) en cas de combinaison de plusieurs facteurs d’incompréhension, puis pour les troubles psychiatriques, neurologiques et auditifs. Chez les moins de 65 ans, mis à part les troubles neurologiques où le taux de compréhension est très altéré, aucun autre facteur n’entraîne un taux de compréhension inférieur à 50 %. Selon la présence ou non d’un ou plusieurs facteurs d’incompréhension, le taux de compréhension est peu diminué pour l’EVS, diminué pour l’EN, et très diminué pour l’EVA. De plus, le temps de réponse moyen varie moins pour l’EVS et l’EVA (mais pour celle-ci les temps de réponse sont beaucoup plus longs). Par contre, la variation du temps de réponse est grande pour l’EN et son écart-type augmente également (fig. 8). En fonction des facteurs d’incompréhension les plus fréquents, la différence des taux de compréhension n’est significative que pour deux facteurs : les intoxications où l’EN est mieux comprise que l’EVA (pas de données pour l’EVS), et les troubles neurologiques où l’EVS est nettement mieux comprise que l’EN et l’EVA. Pour les troubles psychiatriques, la comparaison entre les taux de compréhension est limite sur un plan statistique, mais l’EVS est mieux comprise que l’EN et l’EVA. Les troubles des fonctions supérieures (neurologiques, psychiatriques et intoxication) altèrent de façon significative le taux de compréhension de l’EVA (fig. 9). Enfin, les résultats du questionnaire soignant montre que l’évolution du ressenti des soignants vis-à-vis de l’EN est franchement positive (9 avis positifs versus 0 négatif), alors que les avis sur l’EVA sont divergents (même nombres d’avis positifs et négatifs). Pour l’EVS, la
78
A.-S. PRULIÈRE ET COLLABORATEURS
100
taux de compréhension intoxication
80
taux de compréhension trouble neurologique
60 40
taux de compréhension trouble psychiatrique
20 0 1
2 EN
EVS
3 EVA
Fig. 9. – Comparaison du taux de compréhension des trois échelles selon les motifs de consultation les plus fréquents.
faiblesse de l’effectif ne permet pas de déceler une évolution positive ou négative. Une grande majorité du personnel infirmier voit dans l’EN la méthode de référence d’évaluation de la douleur en consultation d’urgence. DISCUSSION La répartition de notre population selon le sexe, l’âge et le motif de consultation est comparable aux populations recrutées dans la littérature à propos de l’évaluation de la douleur. En revanche, nous avons conservé dans notre étude la part de population présentant un ou plusieurs facteurs d’incompréhension (soit environ un quart de la population totale étudiée) pour disposer d’un échantillon suffisant de patients et limiter au maximum les exclusions primaires [1, 9, 10]. Nous sommes arrivés, au terme de notre étude, à des résultats aux différences significatives concernant la faisabilité des échelles dans le contexte des urgences avec des spécificités pour chaque population étudiée. Dans la population générale, la faisabilité de l’EVA est mauvaise comparée à l’EVS et l’EN : ces résultats confirment les résultats précédents de la littérature [11-18]. Le taux de non-réponse et le temps de réponse pour l’EVA sont élevés et les soignants jugent l’EN et l’EVS plus faciles à expliquer. En matière de faisabilité chez le sujet âgé, la majorité des plus de 65 ans ne comprennent pas l’EVA, et plus de 40 % de ces sujets ne comprennent pas également l’EN. De plus, chez le sujet âgé, en matière de temps de réponse et de facilité d’explication, l’EN perd ses qualités, contrairement à l’EVS. Ceci fait fortement douter des capacités de l’EN à assurer seule le statut de méthode de référence aux urgences où la population âgée croît progressivement, conformément aux données démographiques : nous préconisons donc l’utilisation de l’EVS en alternative à l’EN pour cette tranche de population. D’autres études confirment nos résultats : Berthier et al. [11] ont réalisé en 1998 une étude, relativement similaire à la nôtre, où la médiocre faisabilité
de l’EVA a été soulignée, et les auteurs préconisaient l’utilisation systématique aux urgences de l’EN, conseillant plus ou moins l’utilisation de l’EVS en alternative lorsque « les capacités d’abstraction et de concentration du patient sont limitées ». Notons également que Kremer et al. [13], en 1981, préférait aussi, dans les situations d’urgences ou en cas de moindre capacité d’abstraction du sujet (enfant, personne âgée ou pré-médiquée), l’utilisation de l’EVS. Enfin, dans un état des lieux de l’évaluation de la douleur chez le sujet âgé, les auteurs affirment que l’EN est une méthode fiable et rapide chez le sujet âgé, mais pour la proportion « substantielle » de sujets ne pouvant y répondre, ils conseillent également l’EVS en alternative [19]. En matière de faisabilité en fonction du motif de consultation (médical ou traumatique), notre étude n’objective pas de différence de compliance nettement significative, mais l’EVA semble être la moins bien comprise. Notons que nos résultats sont contradictoires avec une étude de la littérature [11] qui considère l’EVS mal adaptée aux consultations médicales par sa trop grande simplicité, mais ses critères d’exclusion primaire étaient beaucoup plus larges que les nôtres. Quel que soit le motif de consultation, le temps de réponse et la facilité d’explication sont en faveur de l’EVS et nettement en défaveur de l’EVA, l’EN restant une solution relativement acceptable. Il faut noter que, dans la plupart des études précédentes, une grande part de la population à même d’évaluer sa douleur est systématiquement exclue : par exemple, dans un travail américain de 1999 [9], on compte 50 % d’exclusions primaires, notamment les sujets présentant une barrière de langage (alors que 68 % de notre population présentant ce facteur comprennent les échelles), les sujets présentant des troubles psychiatriques ou un état d’intoxication (alors que 50 % au moins des sujets de notre population dans ces cas comprennent également les échelles). Dans certaines études [20], le taux d’exclusion primaire avoisine les 84 %. Dans notre population, plus de la moitié des sujets âgés présentait un ou plusieurs facteurs d’incompréhension. Chez ceux-ci, la combinaison des facteurs d’incompréhension, puis les troubles neurologiques et les déficits auditifs (plus que visuels) altèrent la compréhension des échelles. En cas de troubles des fonctions supérieures (déficit neurologique, trouble psychiatrique et intoxication) fréquemment retrouvés chez les personnes âgées, l’EN et l’EVA perdent leurs qualités pratiques : leur temps de réponse et leur taux de compréhension sont fortement altérés. L’EVS possède les meilleures qualités dans ce type de population. Pour les autres facteurs d’incompréhension fréquemment observés (déficit visuel, auditif, et barrière de la langue), la faiblesse de l’effectif nous empêche de conclure, mais la tendance va néanmoins vers une meilleure compréhension de l’EVS dont le taux est toujours supérieur à celui des autres échelles.
FAISABILITÉ DES ÉCHELLES D’AUTO-ÉVALUATION DE LA DOULEUR
Quelques remarques concernant notre étude peuvent être émises : nous ne comparons que des échelles unidimensionnelles, alors que leur validité est loin d’être établie en médecine d’urgence. Des réticences d’ordre statistiques peuvent également être émises : le recrutement est non-consécutif, nous ne présentons pas les trois échelles au même patient, et, enfin, par manque d’effectif nous n’avons pu valider statistiquement certaines de nos données relatives aux facteurs d’incompréhension. CONCLUSION Nos résultats mettent en doute la faisabilité de l’EVA aux urgences. Près du quart des patients ne comprennent pas cette échelle. Le délai de réponse est plus long et le ressenti des soignants sur la facilité d’explication est très médiocre. Nous avons observé, sans certitude statistique certes, mais avec des résultats assez probants, que l’EVA sous-estime la douleur des sujets âgés. L’EVA trouve difficilement une place de choix dans notre étude sur l’évaluation de la douleur aux urgences, contrairement aux recommandations officielles. L’analyse de la faisabilité des échelles pour les critères de compliance, de temps de réponse et de facilité d’explication, est nettement en faveur de l’EN et l’EVS, au moins dans la population générale. Chez les sujets âgés de plus de 65 ans, l’EVS semble être bien adaptée pour plusieurs raisons : son temps de réponse est court, toujours inférieur à 50 secondes, son taux de compréhension est toujours voisin de 90 %, et elle est l’échelle la moins difficile à expliquer. Mais la bonne faisabilité de l’EN dans la population générale et le plébiscite des soignants appuient son utilisation comme méthode de référence pour l’élaboration d’un protocole de prise en charge de la douleur aux urgences. Ses moins bons résultats dans la population la plus âgée nous incitent à conseiller l’utilisation de l’EVS en alternative. Elle pourra être proposée soit en cas d’échec à l’EN, soit systématiquement chez le sujet âgé. RÉFÉRENCES [1] BLETTERY B et al. Les échelles de mesure de la douleur dans un service d’accueil des urgences. Reanim Urg 1996 ; 5 : 691-7.
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