Prévalence de la douleur neuropathique, aiguë et chronique aux urgences du centre hospitalier de Blois

Prévalence de la douleur neuropathique, aiguë et chronique aux urgences du centre hospitalier de Blois

Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2012) 13, 224—235 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com VOTRE PRATIQUE Prévalence de la dou...

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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2012) 13, 224—235

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

VOTRE PRATIQUE

Prévalence de la douleur neuropathique, aiguë et chronique aux urgences du centre hospitalier de Blois夽 Prevalence of acute and chronic neuropathic pains in the emergency department of the hospital in Blois

Benjamin Yvert ∗, Benoît Lafon UETD du centre hospitalier de Blois, CH de Blois, mail Pierre-Charlot, 41000 Blois, France Rec ¸u le 25 janvier 2012 ; accepté le 22 aoˆ ut 2012 Disponible sur Internet le 13 octobre 2012

MOTS CLÉS Prévalence ; Douleur neuropathique ; DN4 ; Adultes ; Service d’accueil des urgences

夽 ∗

Résumé Définies comme « la conséquence directe d’une lésion, d’une maladie ou d’un dysfonctionnement du système somatosensoriel », les douleurs neuropathiques ont en commun un ensemble de symptômes et de signes qui permettent de les distinguer des autres types de douleurs. Il n’existe cependant, à l’heure actuelle, aucun consensus international sur les critères diagnostiques d’une douleur neuropathique, mais le développement récent d’outils diagnostiques, validés et facilement utilisables dans la pratique quotidienne, tels que le DN4 a permis de mieux appréhender l’épidémiologie de cette entité. Nous présentons ici les résultats d’une étude prospective réalisée en 2008, à l’aide du questionnaire DN4, dont l’objectif principal est l’évaluation de la prévalence de la douleur neuropathique, aiguë et chronique, dans la population adulte consultant dans le service d’accueil des urgences du centre hospitalier de Blois quel qu’en soit le motif. L’analyse de cette prévalence est détaillée par sexe, par tranches d’âge et par lieu de vie. Les objectifs secondaires sont la recherche d’une relation entre l’intensité de la douleur et le score au DN4, l’analyse sémiologique de la douleur à partir des items du DN4, l’analyse des étiologies et de l’influence des antécédents, et enfin, l’évaluation des thérapeutiques utilisées et du respect des recommandations thérapeutiques. Nos résultats montrent une prévalence d’environ 8 %, à l’instar des grandes enquêtes épidémiologiques en population générale,

Travail de thèse de médecine générale (présentée et soutenue publiquement le 15 juin 2010 à la faculté de médecine de Tours). Auteur correspondant. 53, rue Origet, 37000 Tours. Adresse e-mail : [email protected] (B. Yvert).

1624-5687/$ — see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2012.08.006

Prévalence de la douleur neuropathique, aiguë et chronique aux urgences de Blois

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telle que celle de Bouhassira et al. publiée en 2008 (7 %). Si le questionnaire DN4 ne nous permet pas de faire le diagnostic de toutes les douleurs neuropathiques, il permet d’en reconnaître le plus grand nombre. Cela devrait favoriser l’adaptation du traitement antalgique des patients concernés. © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDS Prevalence; Neuropathic pain; DN4; Adult population; Emergency department

Summary Defined as ‘‘an arising pain resulting directly from a lesion or disease affecting the somatosensory system’’, neuropathic pains have in common a set of symptoms and signs, which allow them to be distinguished from the other types of pains. Until now, there is no international consensus on the diagnostic criteria for neuropathic pains, but the recent development of tools validated and easily usable in daily practice, such as the DN4, allowed a better epidemiological understanding. We present the results of a prospective study realized in 2008, using the DN4. The aim is the evaluation of the prevalence for acute and chronic neuropathic pains in the adult population consulting, whatever the reason, at the emergency department of Blois regional hospital. The analysis of this prevalence is detailed by sex, by age bracket and by place of residence. The other objectives are the search for a relation between the intensity of the pain and the score in the DN4, the pain semiological analysis through every DN4 items, the analysis of aetiology and influence of histories, and finally the evaluation of treatments used and of the respect for the therapeutic recommendations. Our results are showing a prevalence of about 8%, like the epidemiological inquiries in general population, such as the survey of Bouhassira et al. published in 2008 (7%). If the DN4 cannot be used to make the diagnosis for all of the neuropathic pains, it allows to recognize most of them. It should facilitate the adaptation of the analgesic treatment of the concerned patients. © 2012 Published by Elsevier Masson SAS.

Introduction Les douleurs dîtes neuropathiques sont actuellement définies comme « la conséquence directe d’une lésion, d’une maladie ou d’un dysfonctionnement du système somatosensoriel » [1]. Leurs origines étiologiques sont d’une très grande diversité de même que les symptômes par lesquelles elles se manifestent (brûlures, décharges électriques, engourdissement ou allodynie. . .). Il n’existe aucun consensus international sur les critères d’un diagnostic qui reste donc avant tout clinique et repose sur la concordance anatomo-clinique entre cette symptomatologie particulière, le territoire neurologique (tronculaire, radiculaire, pléxique ou central), la lésion identifiée ou le contexte pathologique évocateur. Cependant, dans de nombreuses circonstances, ce diagnostic peut être très malaisé en raison de l’absence de lésion nerveuse connue, d’une topographie atypique ou d’une intrication avec des douleurs non neuropathiques. . . Ce n’est que récemment que des outils spécifiques d’aide au diagnostic facilement utilisables dans la pratique quotidienne ont été validés. Ainsi, le DN4 a été validé en France en 2004. Ces douleurs sont souvent rebelles aux antalgiques classiques, d’évolution chronique et fréquemment associées à une diminution de la qualité de vie ou à des comorbidités en particulier neuropsychiques [3]. Selon les statistiques de la SFETD (Société franc ¸aise d’étude et de traitement de la douleur)1 fondée sur les questionnaires

1 Bruxelle J. Étude observationnelle des patients atteints de douleurs neuropathiques dans les structures de traitement de la douleur en France (1410 patients, 88 structures, mai-juin 2007). SFETD. 2008 ; JTD du 21 Mars 2008 (http://www.sfetd-douleur.org).

fournis aux patients consultant en unité d’évaluation et de traitement de la douleur, il existe une réduction de leur activité pour 67 % des patients en raison de leur état physique et 48 % des patients à cause de leur état émotionnel. Par ailleurs, 64 % de ces patients atteints de douleurs neuropathiques sont en arrêt d’activité professionnelle (arrêt de travail, accident professionnel ou invalidité).

Ce type de douleur constitue donc un problème de santé publique, leur reconnaissance est primordiale surtout dans les services d’urgence où près de 80 % des patients se plaignent de douleur [4].

Population et méthode Les objectifs L’objectif principal de notre étude est l’évaluation de la prévalence de la douleur neuropathique, aiguë et chronique, dans la population adulte consultant dans le service d’accueil des urgences du centre hospitalier de Blois quel qu’en soit le motif. Les objectifs secondaires sont : • l’analyse de la prévalence par lieu de vie (rural, semiurbain ou urbain) ; • la recherche d’une relation entre l’intensité de la douleur et le diagnostic de douleur neuropathique ; • l’analyse des réponses aux items du DN4, et des faux positifs et faux négatifs à ce questionnaire ;

226 • l’analyse des étiologies de douleurs neuropathiques et la recherche d’une relation entre les antécédents et le diagnostic d’une douleur neuropathique ; • et enfin, l’évaluation des thérapeutiques utilisées sur la base des recommandations de l’EFNS (European Federation of Neurological Societies) publiée en 2006 par Attal et al. [5].

L’échantillon L’étude épidémiologique a été menée de fac ¸on prospective sur une période de recrutement étendue sur dix jours répartis de mi-août à fin septembre 2008, en horaire de journée (de 9 heures à 19 heures) au sein du service d’accueil des urgences du centre hospitalier de Blois. Ont été inclus tous les patients de 18 ans et plus se présentant à l’entrée du service des urgences, quel que soit leur sexe, leur nationalité, leur lieu de résidence, ou le motif de leur consultation. Ont été exclus les patients entrant dans le service pour des urgences vitales, ainsi que les patients non communicants ou à la communication non fiable en raison d’une atteinte des fonctions supérieures (troubles de la conscience, syndrome confusionnel, handicap mental, démence. . .), d’une barrière linguistique ou d’un trouble psychiatrique (état psychotique aiguë ou chronique décompensé, agitation aiguë. . .).

Le questionnaire Le recueil des données a été réalisé par un questionnaire médical bref pour interférer le moins possible avec le cheminement du patient aux urgences. Nous l’avons soumis à chacun des patients après son accueil dans le service des urgences par l’infirmière d’accueil et d’orientation, mais avant tout examen par un urgentiste. Chaque personne a été informée du but de cette étude, de son déroulement et de sa liberté d’y participer ou non. Les patients ont ensuite suivis le cheminement normal des urgences. Une fois leurs dossiers conclus par l’urgentiste, le questionnaire a été enrichi du ou des diagnostics portés par le médecin. Ce questionnaire comporte : • le recueil des données relatives à la description de la population (âge, sexe, lieu de vie) ; • l’évaluation de la douleur : localisation, caractère aigu (< 3 mois) ou chronique (≥ 3 mois), intensité par échelle numérique (EN) entre 0 (absence de douleur) et 10 (douleur la plus forte imaginable) et enfin, questionnaire DN4 ; • l’évaluation des étiologies de douleur neuropathique et des antécédents des patients inclus sur la bases de 11 catégories étiologique les plus fréquentes [6] : douleur de neuropathie alcoolique, douleur de neuropathie diabétique, autre polyneuropathie douloureuse (dont maladies auto-immunes), douleur post-zostérienne, radiculalgie et syndrome canalaire, douleur neuropathique post-accident vasculaire cérébral, douleur neuropathique post-traumatisme sévère ou poly-traumatisme, douleur neuropathique post-chirurgie à risque, douleur neuropathique liée à une néoplasie (tumorale ou iatrogène), VIH/SIDA, autres causes (à préciser) ; • l’évaluation des substances utilisées et du respect des recommandations thérapeutiques par le relevé des traitements et posologies. Le traitement a été classé comme

B. Yvert, B. Lafon conforme aux recommandations si au moins une substance « recommandée » était donnée à posologie efficace.

Choix pour l’analyse de l’échantillon L’échantillon a été décrit selon les critères d’âge, de sexe et de lieu de vie. Il a été comparé à la population du Loir et Cher afin de pouvoir extrapoler ces résultats par rapport à la population générale. L’âge a été défini en cinq groupes : les 18 à 29 ans, les 30 à 44 ans, les 45 à 59 ans, les 60 à 74 ans, les plus de 75 ans. Ce choix de tranches d’âges a été retenu afin d’assurer une comparaison avec les données Insee du recensement de 2006. Concernant le lieu de vie, en absence de consensus plus récent que la Conférence de Prague de 1966, et compte tenu de la taille des communes composant ce département, nous avons retenu comme zones urbaines celles comptant plus de 10 000 habitants, zones semi-urbaines entre 2000 et 10 000 habitants et zones rurales celles de moins de 2000 habitants.

Concernant l’analyse de nos objectifs, nous avons retenu comme porteur d’une douleur neuropathique les patients exprimant pour au moins une composante douloureuse une histoire qui suggère une lésion ou une pathologie compatible, dont la topographie neuro-anatomique est cohérente et dont le questionnaire DN4 est supérieur ou égal à 4. Ces patients peuvent donc être porteurs de douleurs mixtes.

Résultats Population recrutée Dans cette étude de prévalence de la douleur neuropathique, nous avons inclus au total 307 patients (Tableau 1). L’âge moyen étant de 52,3 ans et la répartition par âge allant de 18 à 98 ans. Nous dénombrons 158 femmes (soit 51,5 %) dont l’âge moyen est de 53,9 ans, et 149 hommes (soit 48,5 %) de moyenne d’âge 50,6 ans. La répartition suivant le lieu de vie montre que 43 % des patients vivent en zone rurale, 25 % en zone semi-rurale et 32 % en zone urbaine. Sur les 307 patients consultant aux urgences, 225 allèguent une douleur soit 73,3 % de l’effectif. Ce groupe se décompose en 111 hommes (49,3 %) et 114 femmes (50,6 %). Parmi ces patients, nous constatons une nette prédominance des douleurs aiguës (90 %) par rapport aux douleurs chroniques (10 %) (p < 0,05).

Objectif principal Un diagnostic de douleur neuropathique a été porté pour 26 personnes soit 8,5 % de l’ensemble des patients inclus et 11,5 % des patients se plaignant d’une douleur à leur entrée (Tableau 2). L’âge moyen de ces patients est de 52,6 ans. Parmi ces 26 patients, il y a 14 femmes (soit 54 %), et 12 hommes (soit 46 %), ce qui ne constitue pas une différence statistiquement significative. En revanche, nous

Prévalence de la douleur neuropathique, aiguë et chronique aux urgences de Blois Tableau 1 Répartition de la population recrutée en termes de sexe, d’âge, de lieu de vie et de type de douleur. Caractéristiques principales de la population étudiée

n (%) 307 (100)

Suivant le sexe Femmes Hommes

158 (51,5) 149 (48,5) 65 65 54 54 69

(21,2) (21,2) (17,6) (17,6) (22,5)

98 (32) 77 (25) 132 (43)

Suivant la douleur Aucune Aiguë Chronique

82 (27) 203 (66) 22 (7)

Tableau 2 Prévalence de la douleur neuropathique pour la population recrutée et par catégorie.

Dans l’effectif total Chez les patients douloureux Suivant la durée d’évolution de la douleur Aiguë Chronique

(%) 8,5 11,5 6 59

Suivant le lieu de vie Urbain Semi-rural Rural

9,1 9 7,7

Suivant le sexe Femme Homme

8,9 8,1

Par tranches d’âges 18—29 ans 30—44 ans 45—59 ans 60—74 ans Plus de 75 ans

10 8 DN aiguë DN Chronique

4 2

Suivant le lieu de vie Urbain Semi-rural Rural

Prévalence de la DN

12

6

Nombre total de patients inclus

Suivant l’âge 18—29 ans 30—44 ans 45—59 ans 60—74 ans Plus de 75 ans

227

4,6 13,8 5,6 7,4 10,1

DN : douleur neuropathique.

constatons que 13 patients souffrent d’une douleur neuropathique chronique (50 %) et 13 d’une douleur aiguë (50 %), les chances de diagnostiquer une douleur neuropathiques sont donc 21 fois plus importantes lorsque le patient se plaint d’une douleur chronique à son entrée (OR. CI 95 %). Il existe

0 18-29

30-44

45-59

60-74

> 75

Figure 1. Prévalences des douleurs neuropathiques aiguës et chroniques par tranches d’âge.

par ailleurs une forte disparité d’âge suivant la chronicité de la douleur (Fig. 1) : les patients se plaignant d’une douleur aiguë ont une moyenne d’âge de 40 ans ; alors que les patients chroniques ont une moyenne d’âge de 65,3 ans (p < 0,05).

Objectifs secondaires Analyse de la répartition suivant le lieu de vie La population de notre département est une population à forte dominante rurale, puisqu’elle se répartie de la manière suivante : urbains 26 %, semi-urbains 28 % et ruraux 46 %2 . La population globale recrutée dans notre étude montre une répartition par lieu de vie de 43 % de ruraux, 25 % de semi-ruraux et 32 % d’urbains, alors que celle des patients porteurs d’une douleur neuropathique montre que seul 38 % habitent une zone rurale et 27 % une zone semi-rurale, contre 35 % pour une zone urbaine. Il n’existe cependant pas d’indépendance statistiquement significative entre ces groupes compte tenu de la taille de notre échantillon.

Relation entre l’intensité de la douleur et le diagnostic de douleur neuropathique L’intensité de la douleur a été évaluée par EN. Avec une moyenne de 7,2, les patients ayant un diagnostic de douleur neuropathique sont significativement plus douloureux que ceux qui ont une douleur par excès de nociception dont la moyenne est de 5,3 (p < 0,001). Le coefficient de corrélation (coefficient de Pearson) entre l’EN d’évaluation de l’intensité de la douleur et le questionnaire DN4 est de 0,46 ce qui montre qu’il existe un certain degré de corrélation entre ces deux paramètres (p < 0,001). Plus les patients ont un score élevé au DN4, plus l’intensité de la douleur évaluée par EN est importante.

Analyse des réponses aux items du DN4, et des faux positifs et faux négatifs à ce questionnaire Le score DN4 moyen des patients souffrant d’une douleur neuropathique est de 4,9 (± 0,7). La répartition du nombre de patients en fonction du score est très concentrée sur les scores 4 et 5, il n’y a pas dans notre étude de patients 2 INSEE. (Institut national de la statistique et des études économiques). Recensement de la population franc ¸aise. 2006. Disponible sur http://www.recensement.insee.fr.

228

B. Yvert, B. Lafon

20 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0 4

Figure 2.

5

6

7

8

9

10

Répartition du nombre de patient souffrant de douleur neuropathique en fonction du score DN4.

avec un score supérieur ou égal à 7 (Fig. 2). Les items du DN4 les plus souvent positifs chez les 26 patients dont le diagnostic de douleur neuropathique a été retenu sont : l’engourdissement, les fourmillements et l’allodynie au frottement (Tableau 3). Trois patients avaient un DN4 positif sans que le diagnostic de douleur neuropathique n’ait été retenu, ils ont été considérés comme faux positifs pour cet outil. Les diagnostics retenus pour ces patients étaient une arthrite microcristalline, un syndrome douloureux régional complexe de type 1 et une fibromyalgie (Tableau 4). Quatre patients avaient un contexte clinique et une topographie neuroanatomique compatible mais un DN4 négatif. Ils ont été considérés comme faux négatifs (Tableau 5), tous ont un traitement conforme aux recommandations de prise en charge des douleurs neuropathiques [5].

Évaluation des étiologies de douleurs neuropathiques diagnostiquées et relations entre les antécédents et le diagnostic d’une douleur neuropathique La principale catégorie étiologique de douleurs neuropathiques dans notre étude est celle des « radiculalgies et syndromes canalaires » avec 11 des 26 patients diagnostiqués (soit 42,3 %). Concernant la répartition des catégories étiologiques de douleurs neuropathiques en fonction de la chronicité (Fig. 3), nous remarquons une variété plus importante des diagnostics pour les douleurs chroniques avec huit étiologies différentes contre cinq pour les douleurs

Tableau 3 Répartition des fréquences de réponses positives aux items du questionnaire DN4 pour les patients ayant une douleur neuropathique. Items du questionnaire DN4

Réponses positives (%)

Brûlures Froid douloureux Décharges électriques Fourmillements Picotements Engourdissement Démangeaisons Hypoesthésie au tact Hypoesthésie à la piqûre Frottement

54 19 54 73 32 81 31 54 42 62

aiguës. Concernant la répartition des catégories étiologiques de douleurs neuropathiques en fonction du sexe, nous constatons principalement une surreprésentation des « radiculalgies et syndromes canalaires » chez les femmes. Ces différences de répartition ne sont pas statistiquement significatives compte tenu du petit échantillon analysé. Les antécédents étudiées des étiologies de douleurs neuropathiques sont retrouvées chez 34 % des patients entrant aux urgences tous motifs confondus, mais chez 81 % des patients ayant une douleur neuropathique (p < 0,05).

Évaluation des thérapeutiques utilisées et du respect des recommandations thérapeutiques En ce qui concerne les patients atteints d’une douleur aiguë de type neuropathique, six sur 13 (46 %) ont consulté leur médecin traitant pour cela et trois sur six (50 %) avaient à leur entrée aux urgences un traitement actif sur ce type de douleurs sous la forme de tramadol à dose efficace.

En ce qui concerne les patients atteints d’une douleur neuropathique chronique, tous ont consulté leur médecin traitant pour cela et dix des 13 patients (77 %) avaient, à leur entrée aux urgences, un traitement respectant les recommandations thérapeutiques de l’ENFS [7].

La répartition des substances utilisées se fait de la manière suivante (Fig. 4) : sept sur dix avaient au moins un antiépileptique de type gabapentine ou prégabaline, quatre avaient au moins un opiacé, trois avaient au moins un antidépresseur tricyclique et un avait un antidépresseur de type IRSNA. Pour les cinq patients qui étaient traités par une association, trois avaient un antiépileptique de type gabapentine ou prégabaline avec un opiacé, un avait gabapentine ou prégabaline avec un antidépresseur tricyclique, et enfin, un patient avait une association antidépresseur tricyclique et opiacé. À noter que lors du recueil, cinq recevaient une benzodiazépine dont trois du tétrazépam à titre de myorelaxant et deux du clonazépam. Ces substances ont été systématiquement prescrites dans le cadre d’une association : avec un opiacé pour le tétrazépam et avec antiépileptique adapté ou un opiacé pour le clonazépam.

Prévalence de la douleur neuropathique, aiguë et chronique aux urgences de Blois

229

Tableau 4 Caractéristiques des patients ayant un score DN4 positif sans que le diagnostic de douleur neuropathique ne soit retenu. Patient 1

Patient 2

Patient 3

Étiologie

Arthrite microcristalline

9

Aiguë

Intensité Douleur (EN)

SDRC type 1

5

Chronique

Chronicité

Fibromyalgie

6

Chronique

DN4 Total DN4 Brûlure Froid douloureux Décharges électriques Fourmillements Picotements Engourdissement Démangeaisons Hypoesthésie tact Hypoesthésie piqûre Frottement

4 1 0 0 1 0 1 0 0 0 1

4 1 0 0 0 1 1 0 0 0 1

4 1 0 0 1 0 0 1 0 0 1

EN : échelle numérique.

Discussion Dans l’histoire moderne de la médecine, la prise en compte de la douleur par les praticiens est très récente, elle ne date réellement que de quelques décennies. La douleur neuropathique, par la complexité de ses mécanismes et Tableau 5

les difficultés qu’elle présente, tant diagnostiques que thérapeutiques, est longtemps restée en retrait. Il n’existe encore à l’heure actuelle que relativement peu d’études épidémiologiques sur ce sujet, réalisées sur la base des questionnaires de dépistage validés dans la population générale (Tableau 6).

Caractéristiques des patients porteurs de douleurs neuropathiques avec un score DN4 négatif.

Patients

Étiologies

DN4

Intensité EN

Chronicité

Suivi des recommandations thérapeutiques

Patient Patient Patient Patient

Sciatalgie L5 gauche Plexus brachiale AVC ischémique Douleur de membre fantôme

3 2 2 3

2 3 1 2

Chronique Chronique Chronique Chronique

Oui Oui Oui Oui

1 2 3 4

(prégabaline + tramadol) (gabapentine) (amitriptyline + Tramadol) (prégabaline)

EN : échelle numérique.

8 7 DN Aiguës

6

DN Chroniques

5 4 3 2 1

Figure 3.

Répartition des étiologies de douleurs neuropathiques des patients de notre étude.

Autre étiologie

DN et HIV / SIDA

DN post AVC

Autre polyneuropathie

DN diabétique

Douleur postzostérienne

DN alcoolique

DN et néoplasie

DN post chirugicale

DN post traumatique

Radiculalgie et sd canalaire douloureux

0

230

B. Yvert, B. Lafon

30 25 20 15 10 5 0 Ligand α2-δ1

Figure 4.

Opiacé

Antidépresseur Tricyclique

IRSNA

Sans traitement

Tableau récapitulatif des principales études de prévalence des douleurs avec symptômes neuropathiques.

Auteurs

Date de publication

Pays

Bouhassira et al. Pain

2008

France

Dieleman et al.

Pain

2008

Pays Bas

362 693

Gustorff et al.

Acta Anaesth. 2008 Scandinavica

Autriche

Lecomte et al.

Am. J. of Em. Med.

2010

France

Pérez et al.

Clinical Drug Investigation

2009

Espagne

Torrance et al.

The Journal of Pain

2006

Toth et al.

Pain Medicine

2009

b

Benzodiazépine

La répartition en pourcentage de patients traités pour chaque substance analysée.

Tableau 6

a

Autre antiépileptique

Journal

Effectif Méthode 23 712

Voie postale

Questionnaire

Résultat

DN4

Prévalence 6,9 %

Suivi sur 3 ans Comité d’expert

Incidence annuelle 8,2 ‰b

7707

Courriel

LANSS

Prévalence 3,4 %a

1359

Consultation

DN4

Prévalence 8,4 %

23 529

Consultation

Cahier de recueil spécifique

Prévalence 3,25 %

Grande Bretagne

6000

Voie postale

LANSS

Prévalence 8,2 %a

Canada

1207

Téléphone

DN4

Prévalence 21,2 %

Études ne prenant en compte que les douleurs chroniques. Étude ne comptabilisant que les douleurs neuropathiques pures.

Concernant les échantillons de patients recrutés Si la répartition par sexe des patients inclus dans notre étude est relativement similaire à celle des autres études où elle est connue [7,8], l’âge moyen des patients inclus (52,3 ans ± 22,6 ans dans notre étude) est légèrement supérieur à celui des autres études (43,4 ans (± 14,3 ans) pour l’étude de Toth et al. [7] et 50,3 ans (± 17,1 ans) pour l’étude de Torrance et al. [8]). Bien que l’ensemble des protocoles d’étude ne prévoient l’inclusion que des patients de 18 ans et plus, il existe des différences importantes entre les modes de recrutement : postale en Angleterre, entretiens téléphoniques au Canada et consultation aux urgences dans notre protocole. Par ailleurs, nous avons réalisé notre étude dans un département dont la population a une moyenne d’âge supérieure à la moyenne nationale2 . Enfin, l’analyse de la répartition du lieu de vie montre la prédominance des patients ruraux (43 %), par rapport à ceux des zones urbaines (32 %) et semi-urbaines (25 %). Cette répartition bien que très proche de celle de la population de notre département ne reflète pas celle de la

population franc ¸aise. La seule autre enquête épidémiologique, en population générale, qui analyse également ce critère est celle de Bouhassira et al. [9] réalisée en France et publiée en 2008. Cette étude étant de dimension nationale, les définitions géographiques utilisées par Bouhassira et al. ne permettent pas une comparaison précise avec à celle de notre étude.

Prévalence de la douleur neuropathique chez l’adulte Jusqu’au milieu des années 2000, les données disponibles sur la prévalence de la douleur neuropathique étaient principalement celles d’études hospitalières conduites pour des étiologies spécifiques telles que la neuropathie diabétique, la douleur post-zostérienne ou la douleur de membres fantômes. . . En 1991, la compilation de ces données diverses par Bowsher [10] avait permis d’estimer cette prévalence globale en population générale à 1 %. L’utilisation par Gore des registres de santé de médecine générale du Royaume Uni de l’année 2001, sur la base d’une sélection de diagnostics, avait permis d’évaluer cette prévalence à 1,6 % [11].

Prévalence de la douleur neuropathique, aiguë et chronique aux urgences de Blois La validation de questionnaires d’interrogatoire issus du LANSS [12] ou du DN4 [2] ont permis de mieux appréhender la prévalence de ces douleurs. C’est en 2006 qu’une nouvelle enquête anglaise réalisée par voie postale par Torrance et al. ont permis d’évaluer la prévalence de la douleur neuropathique a 8,2 % [8], cette valeur ne prenant en compte que des douleurs chroniques. En 2008, deux autres études de prévalence ont été publiées sur des douleurs chroniques : celle Gustorff et al. [13] en Autriche par voie électronique sur un échantillon de personnes de 25 à 75 ans à 3,4 %, et surtout en France, STOPNEP, par Bouhassira et al. réalisée par voie postale sur plus de 23 000 personnes grâce au DN4 à sept items (validé sous cette forme avec une sensibilité de 81,6 % et une spécificité de 85,7 % [2]) qui montre une prévalence de 6,9 % [9]. L’année suivante, deux nouvelles études de prévalence sont publiées avec des résultats incluant cette fois douleurs neuropathiques aiguës et chroniques : premièrement, l’étude espagnole de Pérez et al. qui a impliquée 623 médecins traitants, répartis à travers toute l’Espagne, et qui a permis d’inclure 23 529 patients en une journée de consultation, montre une prévalence totale de 3,25 % et une prévalence pour les douleurs neuropathiques chroniques de 1,7 % [14], deuxièmement, l’étude canadienne de Toth et al., réalisée au moyen d’entretiens téléphoniques qui retrouve une prévalence de 21,2 % (17,9 % pour les douleurs neuropathiques chroniques) [7]. Enfin, en 2010, Lecomte et al. publient dans l’American Journal of Emergency Medicine une étude réalisée aux urgences de l’hôpital Cochin à Paris, sur la base du questionnaire DN4, qui observe une prévalence de 21 % (dont une prévalence de 18,4 % pour les douleurs neuropathiques aiguës) [15]. Notre étude observe que 8,5 % des patients adultes qui consultent au service des urgences de l’hôpital de Blois sont porteurs d’une douleur neuropathique avec une répartition équitable entre douleur aiguë et chronique. Les écarts entre ces résultats sont très importants, ils reflètent les grandes différences qui existent entre les protocoles d’études utilisés : par exemple dans notre cas et celui de Lecomte et al., un recrutement aux urgences a pu surestimer la prévalence de la douleur neuropathique notamment aiguë, la douleur étant un motif majeur de consultation dans ce service. L’étude menée par Gustorff et al. présente un biais de sélection puisque réalisée par voie électronique, moyen de communication qui n’est pas accessible ou utilisable de fac ¸on aisée par tous. Pour ce qui concerne l’étude de Toth et al., l’utilisation d’entretiens téléphoniques d’une part, limite l’inclusion aux abonnés des compagnies de téléphone qui acceptent la diffusion de leur numéro de téléphone, d’autre part, peut sélectionner plus de douloureux car ceux qui répondent « au heures ouvrables » à domicile sont les « inactifs » incluant les plus âgés et les malades en arrêt, et exclure certaines catégories socioprofessionnelles suivant les périodes de recueil et enfin peut être gêné par la pratique du filtrage des appels qui de l’aveu de l’auteur est une pratique fréquente en Amérique du nord (sur les 10 052 appels téléphoniques seuls 1207 ont été exploitables pour cette étude). De plus, les enquêtes postales, téléphoniques ou électroniques compliquent l’établissement d’une bonne concordance anatomo-clinique et le DN4, utilisé sous la

231

forme d’auto-questionnaire à sept items, possède une moins bonne spécificité que sous sa forme complète.

Résultats par âges La moyenne d’âge des patients souffrant de douleurs neuropathiques de notre étude (52,6 ans) semble ce qui est concordant avec les autres résultats disponibles : 47,8 ans pour l’enquête de Toth et al. [7] et 52,3 ans pour l’étude d’incidence de Dieleman et al. [16] qui tiennent compte de douleurs aiguës et chroniques. Elle est de 52,9 ans (± 15,5) pour celle de Torrance et al. [8] qui ne recense que des douleurs chroniques. Ces moyennes d’âge pour les douleurs neuropathiques sont toujours plus élevées que celles des échantillons globaux interrogés.

Ainsi, quelles que soient les différences de méthode et de population entre les études, il semble effectivement que les douleurs neuropathiques touchent préférentiellement une population plus âgée. Cela semble surtout vrai pour les douleurs neuropathiques chroniques, en effet l’analyse de la répartition par tranches d’âge des douleurs neuropathiques chroniques de notre étude comme de celles de Bouhassira et al. (STOPNEP) [9], de Gustorff et al. [13], de Dieleman (étude d’incidence) [16] ou enfin, de l’étude observationnelle de la SFETD1 (bien que n’ayant pas d’unité de définition des tranches d’âge) montrent toutes une augmentation de la survenue des douleurs neuropathiques au cours de la seconde moitié de la vie. Concernant les douleurs neuropathiques aiguë, l’analyse de la répartition par tranches d’âges de notre étude et de celle de Lecomte et al. sont convergentes vers le fait que les douleurs neuropathiques aiguës touchent une population plus jeune que les douleurs chroniques. La principale explication à cela est probablement étiologique, les origines radiculaires (sciatalgies et névralgies) et traumatiques sont les causes prédominantes des douleurs neuropathiques aiguës dans notre étude.

Résultats par sexes La répartition par sexe des douleurs neuropathiques chroniques, dans notre étude, est de 61,5 % de femmes pour 38,5 % d’hommes. Pour les quatre études en population générale indiquant la répartition en pourcentage (Dieleman et al. [16], Hall et al. [17], Torrance et al. [8] et Pérez et al. [14]) ainsi que pour l’étude observationnelle de la SFTED1 , les résultats sont concordant, variant de 61 à 64 % de femmes. Par ailleurs, le calcul de la prévalence des douleurs neuropathiques chroniques dans l’étude STOPNEP de Bouhassira et al. [9] est également supérieur pour les femmes avec 8,0 % contre 5,7 % pour les hommes. Pour l’étude canadienne de Toth et al. [7], il semble que la prévalence soit également supérieure chez les femmes de fac ¸on statistiquement significative, mais aucun résultat chiffré n’est mentionné. Seule l’étude autrichienne de Gustorff et al., réalisée par voie électronique, obtient un rapport inverse avec 59 % d’hommes contre 41 % de femmes. Bien que les résultats

232 de notre travail ne soient pas statistiquement significatifs compte tenu de la taille de notre échantillon, cette prédominance féminine est du même ordre de grandeur que la plupart des autres études. L’article publié par Gustorff et al. ne discute pas cette différence avec les autres études réalisées. De plus, il ne fournit pas les caractéristiques de l’échantillon des répondeurs au questionnaire, nous ne pouvons donc pas exclure un biais de sélection lié à l’utilisation d’internet. Cette augmentation de prévalence chez les femmes n’est pas expliquée par les échantillonnages des principales études réalisées, et ne serait pas spécifique à la douleur neuropathique. En effet, dans la revue de la littérature clinique et expérimentale de Fillingim et al., publiée en 2009 et intitulée Sex, Gender and Pain [18], il existe une différence femmes—hommes dans la prévalence de la plupart des autres types et causes de douleurs. Cette publication souligne de nombreux mécanismes biologiques et psychosociaux qui pourraient y contribuer : l’activité des hormones gonadotropes, le système opioïde endogène et les systèmes dopaminergiques et sérotoninergiques, le fonctionnement des récepteurs NMDA, l’environnement psychosocial ainsi que des facteurs cognitifs et affectifs. . . Concernant la prévalence des douleurs neuropathiques aiguës, nous observons dans notre étude, une proportion plus importante d’hommes (53,8 %) que de femmes. Cette donnée n’est pas statistiquement significative en raison du trop faible effectif de ce sous-groupe. L’étude de Lecomte et al. [15] ne détaillent pas spécifiquement les données de répartition par sexe pour les douleurs neuropathiques aiguës mais est la seule à pouvoir nous fournir des informations puisqu’elle compte 90 % de patients neuropathiques aigus. La proportion d’homme y est de 51 %, la différence n’est pas statistiquement significative avec celle des patients non neuropathiques (49 %). Des études plus larges sur l’épidémiologie des douleurs neuropathiques aiguës seront nécessaires pour étayer ou non, ces premières données, et en comprendre les raisons.

Résultats par lieux de vie Dans notre travail, la prévalence des douleurs neuropathiques est plus faible en zone rurale 7,7 % (dix des 130 ruraux) qu’en zone semi-urbaine 9 % (sept sur 78 patients) ou urbaine 9,1 % (neuf sur 99 citadins). Seule l’étude STOPNEP [9] détaille le lieu de vie des patients interrogés, elle montre une diminution de la prévalence des douleurs neuropathiques avec l’augmentation de la taille de la ville. Le premier facteur pour expliquer ces résultats opposés, est le manque de puissance de notre étude. Toutefois, il est possible que l’inclusion de nombreuses pathologies aiguës aux urgences et que la structure socioéconomique locale aient également participé à cela.

Relation entre l’intensité de la douleur et le diagnostic de douleur neuropathique Notre analyse statistique montre une corrélation directe entre intensité de la douleur évaluée par EN et le score au DN4. Il n’existe pas, à l’heure actuelle, dans la littérature d’étude pouvant confirmer ce résultat. Cependant, toutes les études comparant l’intensité de la douleur, quelle qu’en soit la méthode d’évaluation, confirment que celle ci

B. Yvert, B. Lafon est plus importante chez les patients ayant une composante neuropathique et que cette douleur est en moyenne plus sévère que les douleurs non neuropathiques [8,9,14,19]. Notre étude est trop petite pour affirmer ce résultat, elle nous permet cependant de soulever une question qui devra être confirmée par d’autres études plus significatives.

Analyse des réponses aux items du DN4, et des faux positifs et faux négatifs à ce questionnaire Concernant la fréquence de réponses positives au DN4 pour les items d’interrogatoire ainsi que pour les anomalies sensitives à l’examen clinique, il existe une relativement bonne homogénéité des réponses entre notre étude et les autres données disponibles, notamment les tests de validation du DN4 et du LANSS [2,7,15,20,21]. Aucun de ces items n’est ni pathognomonique ni spécifique de fac ¸on individuelle pour le diagnostic de douleur neuropathique, mais les réponses plus observées sont l’engourdissement, les fourmillements et les brûlures à l’interrogatoire et l’allodynie au frottement pour l’examen clinique (Tableau 7). Au cours de notre étude, trois patients avaient un questionnaire DN4 supérieur ou égal à 4 sans que le diagnostic de douleur neuropathique ne puisse être retenu. Le premier patient faux positif de notre étude s’est présenté aux urgences pour une douleur aiguë très intense (estimée à 9 sur 10) étiquetée arthrite microcristalline. Il a répondu positivement aux items « brûlures », « engourdissements » et « fourmillements » et était positif à la recherche d’une allodynie par frottement. La sensation de brûlure ressentie est effectivement classique dans la réaction inflammatoire, puisqu’elle correspond à l’un des quatre signes cardinaux de la phase vasculo-exsudative3 . Les notions d’hyperesthésie et d’allodynie sont également décrites cliniquement de fac ¸on fréquente lors des douleurs inflammatoires notamment pour les arthrites microcristallines [22], et cela, en raison de phénomènes de sensibilisation centrale et périphérique [23]. La description de paresthésies est moins classique du tableau clinique d’arthrite. Le deuxième patient considéré comme faux positif dans notre étude, pour le questionnaire DN4, souffre depuis plusieurs mois d’une douleur d’un membre inférieur qui a été étiquetée syndrome douloureux régional complexe (SDRC) de type 1. Ce patient a obtenu un score au DN4 de 4 sur 10 en répondant positivement aux items « brûlures », « engourdissements » et « picotements », il présentait également une allodynie au frottement. Ce syndrome qui repose sur trois concepts physiopathologiques : une inflammation neurogène facilitée par une libération accrue de neuropeptides, une dysfonction du système nerveux sympathique et une neuroplasticité centrale, pourraient avoir certains mécanismes communs aux douleurs neuropathiques, faisant proposer le recours à certaines molécules comme la gabapentine [24]. Les sensations de brûlures, de paresthésies, de 3 COFER. Item 112. Réaction inflammatoire. Aspects biologiques et cliniques, conduite à tenir. Collège franc ¸ais des enseignants en rhumatologie http://wwwlecofer.org.

Prévalence de la douleur neuropathique, aiguë et chronique aux urgences de Blois

233

Tableau 7 Tableau récapitulatif des fréquences de réponses positives pour chaque item du questionnaire DN4 chez les patients présentant une douleur neuropathique.

Brûlures Froid dlx Décharges Fourmillements Picotements Engourdissement Démangeaisons Hypoesthésie au tact Hypoesthésie à la piqûre Frottement

Bennett, [21]

Toth et al., [7]

Bouhassira, 2008

Bouhassira, [2]

Lecomte, 2010

Notre étude

60 58 67 68 59 54 — —

— 26 23 26 24 19 36 —

27 40 64 65 59 54 21 —

47 79 73 66 59 73 29 65

30 87 54 60 71 54 27 50

43 83 74 66 66 75 31 54

57





70

37

42

63





42

62

62

même que l’allodynie et l’hyperesthésie mécaniques sont fréquentes dans ce type de pathologie [24,25]. Le dernier patient faux positif de notre étude souffre d’une fibromyalgie depuis plusieurs années avec une intensité douloureuse restant importante (6 sur 10) et un score au DN4 de 4 sur 10. Ce patient a répondu positivement aux items « brûlures », « démangeaisons » et « fourmillements », il était également positif à la recherche d’une allodynie par frottement. Les facteurs contribuant à la physiopathologie de la fibromyalgie [26] pourraient inclure une dysfonction des systèmes nerveux autonomes et neuroendocrines, des facteurs de prédisposition génétique communs aux « troubles du spectre affectif » et des éléments environnementaux déclenchant comme une exposition à des facteurs de stress, voire des traumatismes physiques et psychosociaux [27] avec pour conséquences notamment une altération du traitement central des influx sensitifs avec amplification [28] et des déficits des voies inhibitrices descendantes sérotoninergiques et noradrénergiques de la douleur [29] contribuant à abaisser le seuil de perception douloureuse.

L’évaluation de l’hyperalgésie ou de l’allodynie peut se faire au niveau de la peau ou du tissu sous-cutané, la méthode la plus utilisée étant la pression à la recherche d’une tendinomyosensibilité en des points bien définis [30]. Les sensations de paresthésies comme les brûlures, l’engourdissement, les picotements ou les fourmillements sont également souvent décrites par les patients [31]. Les douleurs chroniques telles que le SDRC de type 1 et la fibromyalgie, longtemps considérées comme psychogènes, n’ont pas encore de dénomination consensuelle et sont souvent appelées « dysfonctionnelles ». Lors de la construction du questionnaire DN4 et de sa validation en 2005 [2], ces syndromes douloureux ont été exclus. À l’inverse, le SDRC de type 1 a été pris en compte pour la validation du LANSS par Bennett en 2001 [21]. À l’occasion de la proposition de redéfinition des douleurs neuropathiques par l’IASP en 2008, comme une « douleur étant la conséquence directe d’une

lésion ou d’une maladie affectant le système somatosensoriel », il a été rappelé que le débat pour leur intégration, ou non, de ces syndromes douloureux n’est pas encore tranché en raison du manque de données physiopathologiques qui les entoure [1]. Les patients dits « faux négatifs » dans notre étude, sont des patients porteurs d’une douleur de type neuropathique avec un score DN4 inférieur à 4. Ils bénéficient tous d’une prise en charge selon les recommandations en mono- ou en bithérapie, souvent à posologie élevée, et dont les niveaux d’intensité douloureuse sont faibles (EN 1 à 3 sur 10). Le fait d’avoir un traitement spécifique adapté explique-t-il le résultat négatif au DN4 ? Cela est probable, mais faute d’évaluation de la douleur antérieure chez ces patients, on ne peut pas l’affirmer. Contrairement au LANSS, il n’a pas encore été spécifiquement rapporté dans la littérature médicale, pour le DN4, de données montrant une diminution du score sous traitement, mais cinq des items étant communs à ces deux tests, il est envisageable qu’un tel mécanisme ait eu un impact [21]. Par ailleurs, la validation du DN4 a été réalisée pour des patients ayant une intensité douloureuse supérieure ou égale à 4 sur 10, il n’est donc pas à exclure que ce test manque de sensibilité pour des intensités douloureuses faibles.

Étiologies des douleurs neuropathiques et antécédents Dans notre travail, l’anamnèse des patients recherchait des antécédents susceptibles d’expliquer des douleurs neuropathiques. Notre étude observe que 34 % des patients entrant aux urgences ont au moins un antécédent parmi les catégories que nous avons sélectionnées, alors que c’est le cas de 81 % des patients neuropathiques. De plus, si la répartition des antécédents ne diffère pas, de fac ¸on statistiquement significative, entre la population générale et celle des patients souffrant d’une douleur neuropathique, les taux de réponses positives, pour chacun des antécédents, sont toujours supérieurs en cas de douleurs neuropathiques à ceux observés pour la population totale. Il n’existe pas d’étude ayant recherché la fréquence et la répartition des antécédents pathologiques des patients neuropathiques. Seuls Gore et al. ont publié, en 2007, une enquête pour décrire les

234

B. Yvert, B. Lafon

100 90 80

Dieleman (1999 - 2003)

70

Berger (2000)

60

Gore (2001)

50

Mc Dermott (2004)

40

Perez (2005) Hans (2006)

30

Notre étude (2008)

20 10 0 Antidépresseurs

Figure 5.

Anti-épileptiques

Opiacés

Benzodiazepines

Pourcentages de patients souffrant de douleurs neuropathiques traités pour chacune des substances analysés.

caractéristiques et la prise en charge de patients atteints de douleurs neuropathiques périphériques [11]. Cette étude a recherché les comorbidités de presque 31 000 patients neuropathiques recrutés grâce à la « general practice research database » anglaise, qui est la plus grande base informatisée de données médicales anonymisées dans le monde. Elle montre que 52 % des patients neuropathiques ont au moins une des pathologies évolutives recherchées. Bien que la comparaison directe de ces deux résultats soit impossible, les résultats vont dans le même sens. Dans notre étude, la catégorie étiologique « radiculalgies et syndromes canalaires » est la plus représentée. Bien que notre effectif soit relativement réduit, cette donnée va dans le sens des données de la littérature. Les études de Pérez et al. [14] et McDermott et al. [19] et de Dieleman et al. [16] permettent d’évaluer l’importance des différentes étiologies. Les principales étiologies de douleurs neuropathiques sont après les radiculopathies, les neuropathies diabétiques et post-zostériennes.

Évaluation des thérapeutiques utilisées et du respect des recommandations thérapeutiques Dans notre étude, 73 % de l’ensemble des patients souffrant de douleur neuropathique rec ¸oivent un traitement médicamenteux, et nous observons que 50 % des patients inclus ont au moins une substance conforme aux recommandations de l’EFNS [5]. Concernant les autres études ayant analysé les thérapeutiques suivies par les patients porteur de douleurs neuropathiques, 95 à 53 % des patients recevait au moins une des substances analysées [16,32]. Cet écart est principalement dû à l’absence d’unité méthodologique pour l’analyse des thérapeutiques rec ¸ues : substances analysées très différentes suivant les enquêtes, recueil ponctuel des prescriptions dont la date après le diagnostic peut être fixe (six mois après le diagnostic pour Dieleman et al. [16]) ou aléatoire (moment de la consultation pour Pérez et al. [14], à l’inclusion pour Hans et al. [32]). . . Aucune de ces études ne précise la conformité des thérapeutiques suivies par rapport aux recommandations en vigueur à la date de recueil des données.

Depuis 1999, plusieurs études se sont intéressées à la fréquence d’utilisation des principaux médicaments prescrits pour la douleur neuropathique [11,14,16,19,32,33]. Les antidépresseurs tricycliques et/ou IRSNA occupent une place importante dans cette prise en charge. Concernant les antiépileptiques, il existe une augmentation nette de leur utilisation dans la seconde moitié des années 2000 qui pourrait être lié à la généralisation du recours à la gabapentine et à la prégabaline notamment en médecine générale. Les opiacés, bien que actuellement recommandés en seconde intention pour la composante neuropathique, notamment pour l’allodynie statique, restent des antalgiques de recours fréquents notamment en raison de la fréquence des douleurs mixtes notamment radiculaires. De même la prescription de benzodiazépine, bien que n’ayant pas prouvé d’activité directe sur la composante neuropathique de la douleur, ces substances restent de recours fréquent comme coantalgique soit à titre de myorelaxant pour certaines douleurs mixtes, soit à titre d’anxiolytique en raison du stress et des troubles du sommeil qui jouent un rôle important dans ce type de douleur [32,34]. Les pourcentages de patients souffrant de douleurs neuropathiques traités pour chacune des substances analysés sont rappelés sur la Fig. 5.

Conclusion Comme dans les études épidémiologiques déjà menées, nous confirmons la prévalence de 8,4 % en population générale. Notre recrutement aux urgences rend particulièrement fréquent la nature aiguë de ce type de douleur (50 % des cas). Les faux positifs et faux négatifs, qui sont probablement en lien avec un traitement spécifique, sont rares. L’intensité de la douleur en cas de douleur neuropathique est fréquemment supérieure à celle des douleurs par excès de nociception dans un service d’urgence. Il semble y avoir un parallélisme entre le nombre d’items positifs au DN4 et l’intensité de la douleur. La reconnaissance de la douleur neuropathique dès les urgences par l’utilisation du DN4 nous paraît intéressante car l’identification de ce type de douleur nous incite à la mise en place d’un traitement spécifique

Prévalence de la douleur neuropathique, aiguë et chronique aux urgences de Blois qui permettra peut-être d’éviter le passage à la chronicité. [15]

Déclaration d’intérêts

[16]

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

[17]

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