Fallait-il réviser la loi Huriet ?

Fallait-il réviser la loi Huriet ?

Presse Med 2004; 33: 1301-2 François Lemaire Service de réanimation médicale, Hôpital Henri Mondor, 51 avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 940...

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Presse Med 2004; 33: 1301-2

François Lemaire

Service de réanimation médicale, Hôpital Henri Mondor, 51 avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 94010 Créteil.` Tél./fax : 01 49 81 23 91 [email protected]

* Des dossiers très complets sur la directive européenne, la loi de santé publique et la navette parlementaire peuvent être trouvés sur les sites Web du Sénat et de l’Assemblée nationale, du Ministère de la santé et de l’Afssaps. Sites : http://www.senat.fr/ http://www.assemblee-nat.fr/ http://www.sante.gouv.fr/ http://afssaps.sante.fr/

** Art. L. 1122-2-II: « Lorsqu'une recherche biomédicale satisfaisant aux conditions édictées par l'article L. 1121-8 est envisagée sur une personne majeure hors d'état d'exprimer son consentement et ne faisant pas l'objet d'une mesure de protection juridique, l'autorisation est donnée par la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, à défaut de celle-ci, par la famille, ou, à défaut, par une personne entretenant avec l'intéressé des liens étroits et stables. Toutefois, si le comité mentionné à l'article L. 1123-1 considère que la recherche comporte, par l'importance des contraintes ou par la spécificité des interventions auxquelles elle conduit, un risque sérieux d'atteinte à la vie privée ou à l'intégrité du corps humain, l'autorisation est donnée par le juge des tutelles ».

6 novembre 2004 • tome 33 • n°19 • cahier 1

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Fallait-il réviser la loi Huriet?

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Assemblée nationale et le Sénat viennent de voter la loi de santé publique*, dont le titre IV n’est autre que la transposition de la directive européenne 2001/20/CE, dite “Recherche clinique”**, greffée sur la loi Huriet1,2. Était-il nécessaire de réviser notre législation? Sans doute, puisqu’une directive européenne a une valeur législative supérieure au droit national et qu’elle s’impose à lui. Mais plus encore parce que la médecine et la recherche avaient changé en 15 ans, et que nombre des enjeux d’aujourd’hui ne pouvaient être envisagés à la fin des années 80.Et aussi parce que 15 années d’application de la loi et de la réglementation qui en avaient découlé avaient permis d’identifier à l’usage d’absurdes blocages ou de pesantes rigidités. Dans l’ensemble, les acquis de la législation française sont préservés. Certaines de ses avancées, tel l’avis unique d’un comité de protection des personnes (CPP) dans le cas d’un essai multicentrique, sont même proposées dans la directive à l’ensemble des pays de l’Union Européenne. La sécurité des malades qui se prêtent à des recherches sera renforcée par la possibilité qu’auront les CPP de deman3 der l’installation d’un comité de suivi indépendant (DMSB) .Le promoteur est maintenant au cœur de la procédure d’autorisation, qui est dans l’ensemble plus contraignante. L’avis favorable du CPP sera requis pour que l’essai puisse démarrer. La nouvelle loi améliore aussi la transparence à l’égard des malades et réaffirme le respect de leurs droits. Dans 2 domaines, les changements sont plus profonds : d’une part, la classique distinction des recherches avec ou sans bénéfice individuel direct est abandonnée au profit de l’évaluation de la balance bénéfice/risque; de l’autre, la loi, en séparant maintenant nettement l’incapacité à consentir liée à l’urgence de celle qui résulte d’une altération des fonctions cognitives,affronte pour la première fois sans faux fuyant l’épineux problème de la délégation du consentement des personnes incapables et non placées sous sauvegarde de justice.

Soin et recherche, la fin de la confusion La distinction des recherches avec et sans bénéfice individuel direct (respectivement ABID et SBID), élément essentiel de l’architecture de la loi Huriet, était un vestige des premiers projets de loi, exclusivement destinés à autoriser les recherches de phase 1 sur volontaire sain, alors illégales et que l’in4 dustrie pharmaceutique s’irritait de ne pouvoir mener sans crainte de mise en cause pénale . Ce type de recherche avait été alors qualifié SBID,par opposition à la recherche thérapeutique (ABID).En fait, la distinction trouvait ses racines dans la confusion du soin et de la recherche, acceptée universellement jusqu’aux années 70. La légitimité de la recherche médicale était conférée par le bénéfice thérapeutique que le malade concerné peut en retirer.Le paradoxe est que le législateur,pour autoriser la recherche sur volontaire sain,sans aucune intention thérapeutique,a introduit par symétrie le concept de recherche “avec bénéfice direct”, qui s’insérait si bien dans notre tradition juridique, mais qu’il a 5 ainsi contribué à sacraliser . C’est justement à ce moment que, dans les pays étrangers, le soin et la recherche ont progressivement été dissociés.Aux États-Unis,à la suite de plusieurs scandales,le rapport Belmont avait établi avec éclat que soin et recherches étaient deux activités médicales de nature radi6 calement différente . En accord avec le consensus des textes éthico-réglementaires internationaux

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d’aujourd’hui – y compris la dernière version de la déclaration d’Helsinki de 2000 –, la directive européenne de 2001 ne retient pas la distinction française A et SBID.Et la loi de transposition française l’a remplacée par la balance bénéfice/risque, familière aux médecins. L’abandon de l’alibi commode de l’intention thérapeutique derrière lequel se cachait la recherche a une valeur bien autre que sémantique : elle nomme la recherche pour ce qu’elle est, une activité destinée à produire de la “connaissance généralisable”, et non du soin individuel, et, à ce titre, garantit au patient qui s’y prête un régime de protection spécifique.

En cas d’incapacité de consentir La deuxième innovation importante est la reconnaissance par la loi des personnes incapables de consentir, mais qui ne sont pas placées sous sauvegarde de justice. Depuis le procès des médecins nazis de Nuremberg, en 1947,le consentement éclairé est la pierre angulaire de la réglementation de la recherche sur l’homme. Mais que faire lorsque le malade ne peut consentir? Renoncer à toute recherche dans les maladies précisément les plus graves et les plus invalidantes, telles la maladie d’Alzheimer ou celles qui conduisent les malades,le plus souvent inconscients, dans les services de réanimation? La loi Huriet avait esquivé le problème en autorisant une dérogation au consentement pour les recherches effectuées en situation d’urgence,« lorsque les malades ne peuvent consentir », comme si le coma ou la démence n’existaient que dans la soudaineté? Mais l’opposition des

juristes était infranchissable – « nul ne peut consentir pour autrui » –, car il n’existe pas, dans notre tradition, juridique,de “représentant légal”du patient incapable qui n’est pas sous sauvegarde de justice. La loi de santé publique a fort habilement surmonté la difficulté: elle a enfin séparé la recherche en urgence, pour laquelle a subsisté la dérogation au consentement,acquis essentiel de la loi Huriet, de la recherche sur des patients incapables de consentir en raison de l’altération de leurs fonctions cognitives: dans ce dernier cas, une “autorisation” à la recherche – et non un consentement…– sera demandée à la personne de confiance, ou à défaut à un membre de sa famille. Cette solution de bon sens, en 7 usage dans tous les pays étrangers ,était cependant réclamée en vain jusqu’ici.L’opposition de la Chancellerie n’a pu être levée que grâce à l’introduction d’une disposition que les médecins vont trouver surréaliste, l’appel 8 dans ce cas à un juge .Ils se rassureront en espérant que cette mesure ne sera jamais appliquée:le législateur,dans sa sagesse, a pu limiter au moyen de 2 amendements ce recours au juge seulement en cas de risque “sérieux”d’atteinte à l’intégrité corporelle et en demandant que ce risque soit évalué par le CPP. On imagine mal les membres d’un CPP dotés de quelque bon sens donner un avis favorable à un essai qu’ils estimeraient si dangereux qu’il impliquerait de recourir à un juge - dans notre pays où la disponibilité et la célérité de la justice sont notoires- et encore moins un investigateur déclarer à une famille qu’il souhaite inclure leur parent dans un essai tellement hasardeux qu’un juge qu’ils n’ont jamais vu va devoir consentir à leur place! ■

Références 1 2004. Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. Journal Officiel (n° 185) : 14277. 2 Loi n° 88-1138 du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales. Mise en ligne sur le site de l’Inserm, http://infodoc.inserm.fr/ethique/Lois.nsf/0/d7b21010506d792bc125692f00582246?OpenDocument 3 Slutsky AS, Lavery JV. Data safety and monitoring boards. N Engl J Med 2004 ; 350 : 1143-7. 4 Dangoumau J. Origines de la pharmacologie clinique en France. Therapie 2002 ; 57 : 6-26. 5 Lemaire F. La recherche avec bénéfice individuel direct existe-t'elle ? Medecine Sciences 2004; 20: 244-7. 6 National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical and BehavioralResearch. 1979. The Belmont Report: ethical Principles and Guidelines for the Protection of Human Subjects of Research. 7 Wendler D, Prasad K. Core safeguards for clinical research with adults who are unable to consent. Ann Intern Med 2001; 135 : 514-23. 8 European parliament. 2001. Directive 2001/20/EC of the European Parliament and Council of 4 april 2001. Official Journal n°L121 34-44.

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