Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 24 (2005) 294–297 http://france.elsevier.com/direct/ANNFAR/
Club d’infectiologie en anesthésie–réanimation
Faut-il faire des changements de cathéters sur guide ? Should we use catheter replacement with the aid of wire introducer? T. Pottecher a, R. Gauzit b,* a
Service de réanimation chirurgicale, hôpital de Hautepierre, avenue Molière, 67098 Strasbourg cedex, France b Unité de réanimation, CHU Jean-Verdier, avenue du 14-Juillet, 93143 Bondy cedex, France Disponible sur internet le 25 janvier 2005
Résumé Deux types de changement de cathéter sur guide sont effectués : le changement sur guide systématique programmé et le changement devant une suspicion d’infection liée au cathéter. Les recommandations actuelles concluent à l’inutilité des changements systématiques programmés des cathéters. En cas de suspicion d’infection, les recommandations françaises autorisent un changement sur guide en l’absence de risque clinique local ou de signe de gravité, tandis que les recommandations nord-américaines sont de ne pas effectuer de changement de cathéter sur guide. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Two types of catheter replacement with the help of wire introducer are reported: systematic scheduled replacement and replacement in case of suspicion of catheter related infection. Guidelines do not recommend systematic scheduled replacement of the catheters. In case of suspicion of catheter infection, French consensus guidelines allow the use of wire introducer in the absence of local risk and of signs of severity. The American guidelines do not recommend the catheter change over guidewire in this setting. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Infection nosocomiale ; Infection liée aux cathéters ; Changement sur guide ; Changement programmé Keywords: Nosocomial infection; Catheter related infection; Guidewire replacement; Scheduled replacement
1. Introduction Il semble important de répondre à deux questions avant d’aborder le sujet : • le patient a-t-il réellement besoin d’une voie veineuse centrale (VVC) ? Dans les services de réanimation, il existe une grande hétérogénéité des pratiques en fonction du type de recrutement, des pratiques personnelles, de l’influence des infirmières (patient impiquable)... De plus, le rapport bénéfice/risque des VVC vs les voies périphériques n’est pas très clair. En dehors de quelques situations « incontournables » (choc, catécholamines à fortes doses, hémodialyse, plasmaphé* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (R. Gauzit). 0750-7658/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annfar.2004.12.020
rèse, administration prolongée d’agents veinotoxiques,...), si l’on met en parallèle ces éléments avec le fait que 15 % des VVC présentent une complication (mécanique, thrombotique, infectieuse) [1], il semble indispensable de vérifier que le patient a effectivement besoin d’une VVC. Aucune donnée épidémiologique ne permet de connaître la proportion de cathéters inutiles, ni celle des cathéters « oubliés » ; • quelles sont les conséquences des infections liées aux cathéters veineux centraux (ILC) ? Deux études cas témoins, réalisées aux cours d’ILC avec bactériémies, ont évalué ces conséquences. La première ne retrouve aucune surmortalité attribuable aux ILC chez 57 patients [2]. En revanche, elles s’accompagnent d’une augmentation moyenne de la durée de séjour de 20 jours et d’un surcoût de 4000 euros par épisode (dans le système de soins espa-
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gnol). La seconde étude française montre une surmortalité qui persiste après ajustement sur l’IGS II et sur la présence de défaillances d’organes [3]. En revanche, si l’ajustement est fait sur les mêmes scores, calculés non pas à l’entrée mais une semaine avant l’apparition de la bactériémie, la surmortalité n’est plus significative. Au vu de ces deux études, il semble que si une surmortalité existe, elle n’apparaît pas comme étant très importante. Cependant, deux facteurs de risque de mortalité sont probablement à prendre en compte : les bactéries en cause (surmortalité décrite pour les bactériémies à staphylocoques dorés et à candida [4] et la qualité de l’antibiothérapie (surmortalité en cas de traitement inadéquat) [5]. Les objectifs des changements sur guide des VVC sont différents en fonction de la situation : diminution de l’incidence des infections dans le cas des changements systématiques et intérêt diagnostique, voire thérapeutique, en cas de suspicion d’ILC.
2. Changement sur guide systématique programmé Dans cette situation, le principe du changement repose sur le fait que le nombre d’infections augmente logiquement avec la durée de maintien du cathéter. En réalité, le risque instantané d’ILC semble stable pendant les 14 premiers jours, pour augmenter par la suite [6–9]. Ce risque pourrait même être augmenté durant les premiers jours de maintien des VVC [10]. Les données de la littérature montrent que le changement systématique (nouveaux sites d’insertion ou changement sur guide), programmé tous les trois à sept jours, ne permet de diminuer ni les taux d’ILC [10–12] ni ceux des colonisations [10,11]. Au contraire, un travail publié en 1990 montre une colonisation supérieure en cas de changement systématique (11 vs 4 colonisations/1000 jours cathéters, p < 0,05) [12]. De nombreux travaux ont comparé le changement systématique sur guide au changement, toujours systématique, mais à un nouveau site d’insertion. Certains de ces travaux ont été repris dans une méta-analyse publiée en 1997 [11]. Les résultats de l’analyse de ces données montrent que le changement sur guide s’accompagne d’une diminution significative du nombre de complications mécaniques (RR : 0,48 ; IC : 0,12– 0,91). Parallèlement, il n’existe aucune augmentation significative des risques infectieux. Il apparaît juste une tendance à l’augmentation de la colonisation du second cathéter, des infections cutanées du point d’insertion et du nombre de bactériémies dans le groupe où la VVC a été changé sur guide. Deux études contrôlées randomisées, effectuées avec des cathéters imprégnés à la chlorhexidine et au sulfadiazine d’argent, ont été publiées après cette méta-analyse. Leurs résultats sont discordants, montrant dans le groupe où le cathéter est changé sur guide un risque infectieux plus élevé [13] ou au contraire plus faible [7]. Sur l’ensemble de ces données, la réactualisation 2002 de la Conférence de consensus de 1994 de la SRLF [14] et les recommandations du CDC (Centers for Control Disease)
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nord-américain de 2002 [15] concluent à l’inutilité des changements systématiques programmés des VVC (cathéter d’hémodialyse compris) que ce soit sur guide ou a un nouveau site de ponction (niveau de preuve I-a).
3. Changement sur guide devant une suspicion d’ILC Le problème du changement sur guide se pose essentiellement dans les situations où une ILC est suspectée, situation fréquente en réanimation. L’analyse des données de la littérature, sur ce sujet, pose de nombreux problèmes : les études sont de faible puissance, le niveau de preuve est peu élevé, les effectifs sont, le plus souvent hétérogène (patients atteints de cancer ou d’hématologie, alimentation parentérale parfois au long cours, patients de réanimation, brûlés), les définitions d’ILC sont variables, certains patients reçoivent une antibiothérapie probabiliste... Quant aux données propres à la réanimation, elles sont excessivement rares. La prise en charge d’une suspicion d’ILC doit prendre en compte la gravité du tableau clinique (fièvre d’origine inconnue, existence de signes cliniques locaux ou systémiques de gravité, hémocultures positives,...) et de nombreux autres paramètres dont le terrain (immunodépression, existence d’une prothèse, ...), les indications de la VVC, la possibilité d’un nouvel abord vasculaire... Ces éléments sont d’autant plus importants que le diagnostic d’ILC avec le cathéter en place est difficile à poser. Pour l’ensemble de ces raisons, le rapport bénéfice/risque du changement sur guide vs le choix d’un nouveau site de ponction reste controversé et varie en fonction de la situation clinique. Les données de la littérature suggèrent qu’en cas de suspicion d’ILC, les risques d’infection du second cathéter (colonisation, bactériémie) ne sont pas très différents que le cathéter ait été changé sur guide ou qu’un autre site de ponction ait été choisi [10,16–20]. Mais la plupart de ces études doivent être analysée de façon prudente, en raison des critiques méthodologiques mentionnées plus haut. À partir de l’ensemble de ces données et de celles de la méta-analyse de Cook et al. [11] (qui montrent que le changement sur guide s’accompagne d’une tendance à l’augmentation des ILC et de la colonisation des cathéters et d’une diminution significative des complications mécaniques), les experts du CDC et le jury de la réactualisation de la conférence de consensus de la SRLF ont émis des recommandations différentes : • pour le CDC, il ne faut pas effectuer de remplacement sur guide s’il existe une suspicion d’ILC (niveau de preuve I-b) [15] ; • pour le jury de la conférence de consensus [14], en l’absence de signes cliniques locaux ou systémique de gravité, il est recommandé soit d’effectuer un changement sur guide soit de laisser le cathéter en place en effectuant un prélèvement microbiologique cutané (écouvillon) au point d’entrée du cathéter et des hémocultures couplées (qualitatives avec mesure du délai différentiel de positivité) (Fig. 1). Ces deux techniques sont intéressantes, car elles
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Fig. 1. Conduite à tenir en cas de suspicion d’infection liée au cathéter, d’après [14].
associent de fortes valeurs prédictives négative (écouvillonnage) et positive (hémocultures couplées). Les arguments en faveur du changement sur guide, retenus par le jury, sont le fait que 70 à 80 % des cathéters restent stériles et sont donc enlevés inutilement, un taux plus faible de complications mécaniques, une technique permettant de faire le diagnostic d’ILC (mais de façon retardée), un moyen d’économiser le capital veineux et de réduire les risques liés à la multiplication des abords vasculaires tout en n’augmentant pas, de façon significative, le risque infectieux. Les conclusions et recommandations de la conférence de consensus méritent quelques commentaires et quelques réflexions. Peut-on prendre le risque de changer sur guide les 20 ou 30 % de cathéters réellement responsable d’ILC, alors qu’il est admis que l’ablation du cathéter diminue la morbidité et la mortalité des ILC (sauf peut être pour Staphylococcus epidermidis et certaines entérobactéries) et que les chan-
gements sur guide s’accompagnent d’une tendance à augmenter le risque de colonisation et d’infection du second cathéter ? Faut-il, comme cela est suggéré (Fig. 1), une antibiothérapie probabiliste, débutée avant l’ablation de la VVC et poursuivie jusqu’aux résultats de sa culture ? Quels germes faut-il prendre en compte : SARM, Pseudomonas sp, entérocoques, entérobactéries, Candida sp ? Une telle pratique, qui comporte obligatoirement l’association de plusieurs molécules à large spectre, voire un traitement antifongique, ne paraît pas compatible avec les règles du bon usage des antibiotiques ... surtout si l’on prend en compte le fait que 3/4 des cathéters resteront stériles. 4. Conclusion Rien ne justifie les changements systématiques de VVC (avec ou sans guide). Seules certaines indications du change-
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ment sur guide sont reconnues par la quasi-totalité des auteurs : existence d’un problème mécanique, remplacement d’une sonde de Swan Ganz par une VVC (niveau de preuve I-b) [15] et dans certaines situations de « sauvetage ». En revanche, chez les patients septiques suspects d’ILC, malgré des arguments forts en faveur du changement sur guide, des incertitudes persistent et certaines questions sont sans réponse. Et même s’il ne paraît pas légitime « d’oublier le guide », il faut à chaque fois évaluer le rapport bénéfice/risque de cette pratique et se souvenir de l’adage bien connu : « dans le doute abstiens-toi ! ».
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