Faut-il s’intéresser aux protéines édulcorantes ?

Faut-il s’intéresser aux protéines édulcorantes ?

Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Revue française d’allergologie 55 (2015) 499–500 Éditorial Faut-il s’intéresser aux pro...

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Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com Revue française d’allergologie 55 (2015) 499–500

Éditorial

Faut-il s’intéresser aux protéines édulcorantes ? Are sweet-tasting proteins a matter of interest?

Les additifs alimentaires sont nombreux et couramment utilisés pour des propriétés diverses. Ils sont définis en tant que substances habituellement non consommées comme aliment en soi et non utilisées comme ingrédient caractéristique dans l’alimentation, possédant ou non une valeur nutritive, et dont l’adjonction intentionnelle aux denrées alimentaires, dans un but technologique, au stade de leur fabrication, transformation, préparation, traitement, conditionnement, transport ou entreposage a pour effet, ou peut raisonnablement être estimée avoir pour effet, qu’elles deviennent elles-mêmes ou que leurs dérivés deviennent, directement ou indirectement, un composant de ces denrées alimentaires1 . On voit que ce texte est suffisant ouvert pour permettre une extension de la liste des additifs qui peuvent prendre une place qui n’est plus nécessairement indicative de leur fonction. Au niveau européen, les additifs autorisés portent un code commenc¸ant par « E » et ils sont regroupés en grandes familles selon leur fonction. On distingue ainsi les conservateurs alimentaires, les colorants, les antioxydants, les agents de texture, les émulsifiants, et les autres catégories qui comprennent les édulcorants et les exhausteurs de goût. Les enzymes sont considérées à part et rec¸oivent un code spécial débutant par « E 11. . . ». Ils peuvent aussi être classés en catégories. Citons, par exemple, les acidifiants, les agents d’enrobage, les antioxygènes, les anti-mousses, les épaississants, les gélifiants, les stabilisants. . . Parmi les additifs, certains sont synthétiques, d’autres sont d’origine naturelle. Et la tendance actuelle est de se tourner vers des produits naturels, partant de l’adage « le chimique c’est toxique, le bio c’est beau ». Ce sont des arguments qui plaisent et qui vont vendre, en parallèle d’une prise de conscience générale pour la protection de l’environnement. Mais il faut considérer également la complexité d’obtention, les possibilités de remplacement d’un additif par un autre tout en conservant les mêmes propriétés, le coût, les moyens humains et économiques mis en 1 Règlement (CE) no 1333/2008 du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2008 sur les additifs alimentaires.

http://dx.doi.org/10.1016/j.reval.2015.11.001 1877-0320/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

œuvre et les effets sur la santé. Ceux-ci peuvent être appréciés par des études expérimentales, des recoupements avec ce qu’on sait pour des molécules voisines, les données épidémiologiques et la vraie vie. Ainsi, les benzoates sont en ligne de mire car on leur attribue un éventuel risque cancérigène et toxique bien que l’acide benzoïque soit présent de fac¸on naturelle dans les airelles, et que dans les produits laitiers, il soit produit par la fermentation de l’acide hippurique. Le rôle pathogène des sulfites est bien connu par les allergologues et les pneumologues car ils sont générateurs de bronchospasme, de rhinite ou de phénomènes vasomoteurs, parfois de réaction systémique sévère [1]. Mais le mécanisme de ces symptômes n’est pas de nature immunologique ce qu’ignore du reste la population générale. Par ailleurs, des produits de substitution sont en cours de validation mais à ce jour rien ne peut remplacer ces substances en termes de puissance et de durée d’action. Et les additifs d’origine naturelle sont-ils aussi anodins qu’on pourrait le penser ? Il n’en est rien et on connaît bien les cas d’allergie (« vraie » cette fois, avec mise en évidence de réaction d’hypersensibilité IgE médiée) pour le carmin de cochenille (colorant rouge E 120) [2], l’annatto [3], ou les gommes adragantes (E 413) [4] et le lysozyme (E 1105) [5]. Pour les exhausteurs de goût le débat pourrait être le même. Ces molécules, qui ne modifient pas le goût d’un aliment mais qui en augmentent l’intensité de sa perception gustative sont classées en glutamates, guanylates, inosinates, en divers (vaste fourre-tout allant du 5 -ribonucléotide calcique à la l-Leucine), et on y rattache d’autres additifs considérés comme exhausteurs. Et parmi ces derniers, on compte les édulcorants dont l’aspartame (E 953) et la thaumatine (E 957). Les intolérances aux glutamates ont été impliquées dans le syndrome du restaurant chinois avec flush, céphalées, paresthésies, nausées, vomissements et malaises mais demeurent controversées [6]. Les intolérances ou les réactions d’hypersensibilité aux édulcorants sont moins bien connues. L’aspartame, d’origine synthétique est mis en cause comme possible cancérogène, mais sans preuve directe, ou responsable

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d’épilepsie. Ces doutes non confirmés ont certainement contribué au développement et à la mise sur le marché de protéines à propriétés édulcorantes ou « sweet tasting proteins ». Ce sont la brazzéine, la curculine, la mabinline, la miraculine (sic !), la monelline, la pentadine et la thaumatine. Vous avez pu lire dans un numéro précédent de la revue tout ce que vous vouliez savoir sur leur origine et leur structure dans le très bel article de Barré et al. [7]. Ces protéines, extraites de plantes, sont de plus en plus utilisées dans l’alimentation pour des desserts, des confiseries, des boissons « sans sucre », des produits de régime, et des chewing gums. En France et en Europe seule la thaumatine est actuellement commercialisée (sous le nom de Talin® )2 et autorisée comme additif alimentaire depuis 1985. Elle rec¸oit le code E 957. Elle sert également à masquer l’amertume de vitamines ou de préparations diététiques. Les concentrations maximum autorisées vont de 0,5 mg/kg pour les boissons à 10 mg/kg pour les gommes à mâcher. C’est un édulcorant mais aussi un exhausteur de goût. La thaumatine provient d’une plante africaine le katemfe (Thaumatococcus danielli) appartient à la famille des Marantacées qui comprend aussi des plantes d’appartement (Maranta leuconeura) et d’autres espèces consommées pour leurs rhizomes en Amérique du Sud et aux Antilles (Calathea allouia). La thaumatine fait partie des protéines de stress (PR proteins) dont la synthèse est augmentée en cas d’agression physique, chimique, fungique ou microbiologique, et plus particulièrement du groupe des PR 5. Les PR 5 possèdent une activité bêta-glucanase à propriété antifungique. Il faut rappeler ici que d’autres protéines du stress végétal sont des allergènes bien connus, notamment les PR 10 et certains allergènes du latex. Comme le soulignent Barré et al. [7], les relations phylogéniques de la thaumatine avec les allergènes connus du groupe des PR 5 sont bien documentées. Ce groupe appelé aussi TLP pour « Thaumatin-Like Proteins) est très largement répandu dans le monde végétal où on ne lui accorde habituellement qu’un rôle allergènique mineur. Les TLP sont présentes dans des pollens (Cup s 3 et Jun a 3 des cupressacées, Ole e 13 de l’olivier, TLP du bouleau et de l’armoise. . .) les fruits (Ma d 2 de la pomme, Mus a 4 de la banane, Act c 2 du kiwi, TLP du melon et de la vigne. . .) les graines (Pru du 2 de l’amande, TLP du blé et de la noisette) ou les feuilles (tabac, laitue). L’allergénicité de Pru p 2, la TLP de la pêche isolée en 3 isoformes a été démontrée en Espagne par Palacin et al. [8], qui en font du reste un allergène majeur puisque reconnu par près de 50 % de 31 patients allergiques à la pêche.

Pour la thaumatine, son allergénicité n’a guère été étudiée3 bien que sur 140 sujets exposés professionnellement on ait pu retrouver 13 prick-tests positifs dont un cas d’allergie prouvée. L’analyse bioinformatique de la molécule a authentifié son potentiel allergénique et structurellement elle est très proche de Mus a 4 de la banane mûre [10]. Les travaux sont donc bien maigres et compte tenu de la très large commercialisation des protéines édulcorantes en tant que substitut aux sucres et dans un but nutritionnel, il convient là aussi de rester vigilant et de reconnaître des cas émergents d’allergie ou de sensibilisation, notamment chez des patients sensibilisés aux fruits ou aux pollens par la voie des TLP. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Vally H, Misso ML, Madan V. Clinical effects of sulphite additives. Clin Exp Allergy 2009;39:1643–51. [2] Beaudouin E, Kanny G, Lambert H, Fremont S, Moneret-Vautrin DA. Food anaphylaxis following ingestion of carmine. Ann Allergy Asthma Immunol 1995;74:427–30. [3] Ebo DG, Ingelbrecht S, Bridts CH, Stevens WJ. Allergy for chesse: evidence for an IgE-mediated reaction from the natural dye annatto. Allergy 2009;64:1558–60. [4] Taylor SL, Hefle SL. Ingredient and labeling issues associated with allergenic foods. Allergy 2001;56(Suppl. 67):64–9. [5] Urisu A, Kondo Y, Tsuge I. Hen’s egg allergy. Chem Immunol Allergy 2015;101:124–30. [6] Williams AN, Woessner KM. Monosodium glutamate “allergy”: menace or myth? Clin Exp Allergy 2009;39:640–6. [7] Barré A, Caze-Subra S, Gironde C, Bienvenu F, Bienvenu J, Rouge P. Allergénicité des protéines édulcorantes. Rev Fr Allergol 2015. [8] Palacin A, Tordesillas L, Gamboa P, Sanchez-Monge R, Cuesta-Herranz J, Sanz ML, et al. Characterization of peach thaumatin-like proteins and their identification as major peach allergens. Clin Exp Allegy 2010;40:1422–30. [9] Higginbotham JD, et al. Safety evaluation of thaumatin (Talin protein). Food Chem Toxicol 1983;21:815–23. [10] Barre A, Peumans WJ, Menu-Bouaouiche L, Van Damme EJ, May GD, Herrera AF, et al. Purification and structural analysis of an abundant thaumatin-like protein from ripe banana fruit. Planta 2000;211:791–9.

F. Lavaud a,∗ G. Dutau b a Service des maladies respiratoires, hôpital Maison-Blanche, CHU de Reims, 45, rue Cognacq-Jay, 51092 Reims, France b 9, rue Arlet, Toulouse, France ∗ Auteur

correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Lavaud) 2 Le début de l’extraction de la thaumatine remonte aux années 1970 par l’entreprise Talin® food qui la commercialisa sous l’appellation « Talin ». Puis c’est l’entreprise Unilever qui identifia 2 thaumatines, I et II, découverte suivie ensuite par la mise en évidence de 4 autres protéines homologues, les thaumatines III, a, b et c. Le nom générique « thaumatine » concerne la mixture des homologues I et II, les plus abondants et commercialisés sous le nom de Talin par l’entreprise Naturex (source wikipédia, consulté le 3 octobre 2015).

3 Le travail princeps qui montrait l’innocuité de la thaumatine et qui a permis sa commercialisation date de 1983 [9]. Il concernait essentiellement le risque toxicologique. Il n’a pas été repris ni critiqué depuis.