Hi.~toryof European Ideas. Vol. 2, No. 3. pp. 175-182, 1981 Printed in Great Britain
0191-6599/81/I)30175-08 $02 AI0/0 Pergamon Pre~ Ltd.
FI~DI~RATION ET/OU CONFI~DI~RATION* HENRI BRUGMANS Un fant6me hante I'Europe ~ l'heure actuelle, et sp6cialement la France. C'est celui de la 'conf6d6ration'. N o m b r e u x sont ceux, en effet, qui proclament qu'une f6d6ration europ6enne ne serait ni n6cessaire ni souhaitable, surtout h cause des identit6s nationales ~i conserver. Mais, ajoutent-ils, il y a mieux h faire : une conf6d6ration. I1 s'agirait I~ d'un r6gime plus 'souple', moins 'contraignant' - - certains disent m6me, moins 'hi6rarchisC, moins ' a u t o r i t a i r e ' . . . , ce qui est d'ailleurs m6connaitre la nature profonde du f6d6ralisme, essentiellement libertaire et pragmatique. Essayons donc de mieux saisir notre spectre fuyant. Le plus souvent - - et c'est bien malheureux - - les d6bats autour de ce mot-miracle d6montrent une extr6me confusion. Rares sont ceux qui savent quelles sont les vraies donn6es du probl~me. Dans l'esprit de ceux qui pr6nent la conf6d6ration, ce qui apparait le plus clairement, c'est ce qu'ils refusent, c'est-h-dire le f6d~ralisme. Ils se d~finissent donc de mani~re surtout n6gative, les propositions positives restant le plus souvent dans les limbes. Ainsi, on n'a pas eu tort de dire que 'confederation" signifiait avant tout: non-f6d6ration. II arrive m~,me fr6quemment que les suggestions conf6d6rales les plus int6ressantes 6manent de f 6 d 6 r a l i s t e s . . , et que ies avocats du conf6d6ralisme les rejettent. Nous allons nous efforcer de mettre plus de clart6 dans cette pr6tendue 'querelle', en mettant en lumi~re cinq points successifs.
Un d(bat fondamental Le premier point, c'est que cette 'querelle' n'est nullement (comme on dit) 'th6ologique' ou 'byzantine'. I1 faut du reste s'excuser de cette terminologie; c o m m e si la th6ologie n'6tait pas la reine des sciences ni Byzance une civilisation grandiose! Mais dans la bouche de ceux qui se servent de ces mots, ils signifient: 'sans int6r6t', 'affaire d'intellectuels d6s0euvr6s, de coupeurs de cheveux en quatre'. Par contre, darts cette perspective, les vrais bfitisseurs de I'Europe s'occuperaient des probl~mes r6els et pratiques, laissant de c6t~ les doctrines aprioristes.
* This aritcle appe~/red originally in L'EUROPE en formation, No. 238, JuilletAout 1980 and is here reprinted with the permission of the author and editor. Presses d'Europe, Paris. 175
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O r , c o n t r a i r e m e n t h ce que les antif6d6ralistes on int6r6t h nous faire croire, les questions institutionnelles sont d'une importance d6cisive pour Faction de la C o m m u n a u t 6 . En plus, il est absurde d'en discuter dans l'abstrait, c o m m e si un quart de si6cle de r6alisations ne nous avait rien appris en la mati~re. En effet, nous disposons aujourd'hui d'une exp6rience historique pr6cieuse, parfaitement capable de nous 6clairer sur les avantages et les inconv6nients de telle m 6 t h o d e d'int6gration et de teile autre. En r6alit6, ies l~tats membres, signataires du trait6 de R o m e et ceux qui y ont adh6r6 par la suite, ont syst6matiquement refus6 la m6thode f6d6raliste ou f6d6ralisante. Surtout, le g6n6ral de Gaulle a consolid6 cette tendance, en introduisant officiellement le principe de l'unanimit6, c'est-h-dire le veto. A I'heure actuelle, les Britanniques s'en servent avec d61ices et, paradoxalement, bien des Franqais gauilistes sont les premiers "~ s'en offusquer. Mais ils ne reqoivent que la monnaie de leur piece. I! est 6vident qu'aucun g o u v e r n e m e n t r6el ne saurait fonctionner Iorsqu'il est paralys6 par un veto toujours possible. En effet, des centaines de propositions c o m m u n a u t a i r e s d o r m e n t dans les archives de Bruxelles, soit qu'elles aient 6t6 rejet6es par les ministres nationaux, soit que la commission, connaissant les objections nationales, les ait retir6es elle-m~me. Pourtant, le premier droit de toute c o m m u n a u t 6 humaine consiste h 6tre gouvern6e. Le droit de contr61er son g o u v e r n e m e n t vient en deuxi~me ligne. T o u t cela n'a rien de th6orique ni de doctrinal. C'est d6sormais un fait tangible que la C . E . E . est de moins en moins capable de d6finir une politique coh6rente et de I'ex6cuter. Elle se montre incapable de mettre de i'ordre I'interieur et de s'imposer vers I'ext6rieur. Cet 6chec patent met en danger non s c u l e m e n t son efficacit6 quotidienne, mais, h plus long terme, son existence m f m e . Pourra-t-elle, sur la base du pr6tendu 'compromis de Luxembourg', remplir la fonction pour laquelle elle a 6t6 cr66? C'est plus que douteux. T o u j o u r s sur ce premier point, il se pose encore un autre probl6me: I'opposition entre les deux m6thodes, la f6d6ralisante et l'intergouvernementale, est-eile p u r e m e n t pratique, une question de simple efficacit6? Ou bien s'agit-il ici, 6galement, d'un choix moral? P o u r nous, 1'6thique y entre pour beaucoup. Admet-on l'existence d'un 'bien c o m m u n ' europ6en, sup6rieur aux 6goi'smes nationaux? Ou bien ces derniers m6ritent-ils, seuls, d'avoir toujours ie dernier mot? Ce que de Gaulle a fait, au cours de la crise de la 'chaise vide' (1965-1966), c'est d'institutionnaliser la tout-puissance de ces 6goi'smes, consid6r6s c o m m e seuis r6els, seuls respectables, seuls dignes de d6cider. Mais, cela 6tant, demandons-nous s'il est imaginable de fonder une 'imposante conf6d6ration' sur ces bases qui, par d6finition, excluent toute 'id6alit6' europ6enne, tout 61an moral. Certes, de Gaulle a r6v6 de cette conf6d6ration, mais il en a, en m6me temps, emp6ch6 la naissance. D ' o ~ le marasme actuel. Car le r6gime d'aujourd'hui n'a que peu h voir avec une quelconque structure conf6d6rale: il est principalement i n t e r g o u v e r n e m e n t a l et, par cons6quent, aussi d6cevant pour ceux qui le servent, que m o r n e aux yeux du public. Sans cesse, la montagne comm u n a u t a i r e accouche de souris. En fin de compte, la Communaut6 d6g6n6re en simple 'march6 c o m m u n ' . On n'a que trop raison de l'appeler ainsi . . . .
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' Bundesstaat' et 'Staatenbund' L ' i m p o r t a n c e du d6bat 6tant ainsi mise en lumi/:re, nous arrivons h notre deuxi/~me point. C'est que les jursites n'ont jamais r6ussi h expliquer de mani~re satisfaisante quelle serait la diff6rence essentielle entre une f6d6ration et une conf6d6ration. La confusion est encore accrue d'ailleurs par le fait que la Suisse s'intitule officiellement 'Confederatio Helvetica', alors qu'elle est bel et bien une f6d6ration en bonne et due forme. Pourquoi ce mal entendu terminologique? C ' e s t q u ' e n 1848, Iorsque la Suisse s'est donn~ son r6gime f~d6ral actuel, bien des f6d6ralistes ont cru utile de maintenir I'appellation ancienne, afin de ne pas effrayer des conservateurs trop attach6s/~ leur souverainet6 cantonale. Depuis lors, cet usage s'est maintenu. Pourtant, quiconque se penche sur notre probl~me est toujours bien inspir6 s'il se demande, en face de tel probi~me d'organisation politique ou administratif, comment les Suisses auraient r6g16 tel cas d'esp/~ce. F6d6ration: 'Bundesstaat'; conf6d(~ration: 'Staatenbund'. C'est vite dit, et tout le m o n d e est d'accord pour conclure que la premi/:re forme est davantage 'int6gr6e' que la seconde. Mais quel serait le crit~re d6cisif? Lh, m6me les auteurs et les praticiens les plus autoris6s diff/~rent. Ainsi, p o u r les 'p~res fondateurs' de I'Am6rique, une clef se trouvait dans le syst~me fiscal. Les citoyens auraient-ils un lien direct avec le centre? Allaientils p a y e r directement h Washington, ou bien les l~tats membres resteraient-ils charg6s de la collecte des taxes? Le probl~me semblait capital. Mais en Suisse, il a toujours 6t6 tranch~ en faveur des cantons, sans que la coh6sion du pays en ait souffert le moins du monde. Par contre, tout le m o n d e semble d'accord pour dire qu'un Etat m e m b r e peut sortir plus facilement d'une conf6d6ration que d'une f6d6ration. C'est vrai. Mais I'Etat du Texas a re joint les 12tats-Units sous condition que son droit de s6cession soit sp6cifi6 d'une maini/~re plus large que pour les autres. De la sorte est n6 le 'one star state', mais cet exercice de conf6d6rativit6 n'a jamais rien chang6 h quoi que ce soit, et les Texans paient leurs imp6ts, servent dans les forces arm6es et ont un passeport U.S., tout c o m m e les autres. Juridiquement, nous nous trouvons donc, vraiment et rdellement, en face d ' u n e question c o m m u n d m e n t dite 'th6oiogique'. Aucun crit/~re nes'applique partout et les diff6rences sont floues. De m6me que les Ourals ne constituent pas une fronti/~re entre un territoire et un autre territoire, alors qu'on les consid~re tout de m~me comme une ligne de d6marcation entre deux continents - - de m 6 m e , il est quasi impossible de tracer les limites des formes et m6thodes de type conf6d6ral ou f6d6ral, le second 6tant simplement un peu plus avanc6 dans une direction o/1 I'on se trouve d6jh engag6. Se trouve-t-on encore en deq/~ de telle limite, ou d6j~ au-del/l? Dans I'abstrait, les sp6cialistes en discuteront toujours h cceur joie, dans la certitude de ne jamais avoir ~ craindre I'av~nement d'une conclusion unanime.
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Les lefons du pass~ T o u t e autre, et c'est ie troisi6me point, est I'approche des historiens. Eux se r6clament des 'leqons' du pass6. Quelles furent les esp6riences, f6d6rales et conf6d6rales, d6jh v6cues? Que peut-on en conclure? O r les historiens ne sont pas tendres pour le conf6d6ralisme. I1 ne faut pas les pousser b e a u c o u p pour qu'ils r6pondent qu'une conf6d6ration qui r6ussit devient r a p i d e m e n t l~tat f6d6ral. Par contre, si elle n'accomplit pas cette transformation, elle court le r i ~ u e de d6g6n6rer en ligue intergouvernementale du genre 'Soci6t6 des nations' ou 'Nations unies', c'est-h-dire ce que le g6n6ral de Gaulle appelait un 'machin'. On sait d'ailleurs, par les m6moires de l ' a m b a s s a d e u r A r m a n d B6rard, que le pr6sident de la V ~" R6publique s'est quelquefois demand6 avec irritation si la France ne ferait pas mieux d'en t e r m i n e r son adh6sion. Mais alors, pourquoi a-t-il tout fait pour que, dans la pratique c o m m u n a u t a i r e , l'Europe elle-m6me retombe h 1'6tat de 'machin'? II existe, pourtant, des conf6d6rations qui ont montr6 une vitalit6 historiquc certaine. L ' e x e m p l e - t y p e est celui de la 'R6publique unie des sept Provinces unies', issue de la pr6tendue "guerre des Quatre-Vingt Ans'. EIIe a glorieusem e n t pu d o m i n e r les oc6ans pendant la d6cennie de 1660. Pourtant, sur le papier, le juriste constitutionnel aurait vite conclu que ce syst~me, conf6d6ral, n'6tait pas viable. En effet, th6oriquement, les d616gu6s provinciaux avaient tout pouvoir d'arr6ter, "fi tout m o m e n t , le processus de d6cision pour 'report back home', c o m m e on dit en Am6rique, c'est-a-dire r6clamer des instructions plus pr6cises chez eux. Le syst~me a cependant fonctionn6. Pourquoi? Parce que, en rfalit6, tout le m o n d e savait que I'avenir du pays se trouvait sur les mers, que la puissance n6erlandaise r6sidait dans la marine de guerre et que la H o l l a n d e payait plus de la moiti6 du budget militaire. En d'autres tcrmes: il s'agissait 1~, en I'occurrence, d'un r6gime hfg6monique, camoufl6 dans des f o r m e s conf6d6ratives. Aussi, tant que I'h6g6monistc faisait son devoir, on pouvait grincer des dents, mais le r6gime pouvait tenir. Par contre, au XVIII" si6cle, le d6clin de la flotte hollandaise ouvrit une/~re de r6gression et lorsquc, apr/~s les soubresauts de la R6volution franqaise et l'occupation napol6onienne, les Pays-Bas recouvr~rcnt leurs libert6s, en 1813, ils opt6rent pour un r6gimc plus centralisateur, "fi la fois plus 6galitaire et plus unitaire, sous la forme d'une m o n a r c h i e mod6r6e. T o u t autre fiat 1'6volution en Am6rique. L'h, la lutte fiat fipre entre les 'staterighters' de T h o m a s Jefferson et les f6d6ralistes hamiltoniens. L/a, aucun l~tat ne pouvait dominer par son poids individuel et ce fut donc l'exp6riencc qui trancha, autant que l'argumentation des partisans d'un ex6cutif central fort. D ' a b o r d , c o m m e c'est souvent ie cas en histoire humaine, on s'efforqa d'obtenir tout ce q u ' o n d6sirait fi moindre prix, c'est-/a-dire en maintenant le plus possible les droits des Etats. Mais Ic succ6s se fit attendre, surtout en mati6re mon6taire. Ce fiat m f m e un d6sastre, car la monnaie am6ricaine primitive, le 'continental', fiat bient6t victime d'une inflation galopante. Depuis Iors, la langue am6ricaine a conserv6 le souvenir de cette aventure dans le dicton: 'Cela ne vaut pas un continental'. Ce fiat, en quelque sorte, si I'on peut dire, un 'syst~:me mon6taire am6ricain" ( S . M . A . ) , comparable "/t celui que nous avons aujourd'hui en
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E u r o p e , le n6tre 6tant encore plus l~che. I! ne r6sista pas aux tempStes de I'histoire. Bient6t, il dut 8tre chang6 de fond en comble, et ce rut la naissance du 'thaler', dit 'dollar', f6d6ral. Plus tard, le prfsident Wilson devait encore renforcer le syst~me par la cr6ation d'une r6serve f6d6rale. II y a, dans cette exp6rience, des leqons pour nous. En ce qui concerne enfin I'Allemagne en devenir, elle eut une 6volution quelque peu comparable ~ ceile des Pays-Bas au XVII ~ si6cle. Lh, I'h6g6moniste s'appelait la Prusse, si bien que, pendant longtemps, en France, on disait encore les 'Prussiens' lorsqu'il 6tait question des Allemands - - de m~me qu'on intitule quelquefois, h tort, les Pays-Bas, la 'Hollande' et le Royaume-Uni, I " A n g l e t e r r e ' . Pars pro toto. L'Allemagne, elle, a connu la 'Conf6d6ration de I ' A l i e m a g n e du N o r d ' , avant de devenir empire. Mais cette conf6d6ration avait, au moins, une puissante force d'unit6: son arm6e commune, qui dans les ann6es 1860, allait vaincre sur les champs de bataille Danois, Autrichiens et Franqais. Conf6d6ration donc? Sans aucun doute! Mais qui, en tout cas, c o m p r e n a i t une ' c o m m u n u a t 6 de d6fens'! Ce fut l~a, 6galement, le cas de la Ligue hans6atique, dont la flotte a pu, p e n d a n t des d6cennies, contr61er la Baltique et battre la marine danoise. Puis, elle ne sut pas r6sister h 1'6volution historique qui, en suscitant des l~tats territoriaux, scella le destin d'une conf6d6ration commerciale et navale conque plus ou moins ad hoc.
Un domaine off agir En quatri6me lieu, nous devons donc conclure du t6moignage de I'histoire que ies conf6d6rations ayant r6ellement exist6 ont toujours eu une existence pr6caire, mais qu'elles n'ont eu quelque succ~s durable que dans la mesure ofa elles avaient au moins une 6pine dorsal: pr6pond6rance d'un des participants, arm6e ou monnaie communes. Si le Parlement franqais n'avait pas re jet6 le trait6 de la C o m m u n a u t 6 europ6enne de d6fense, le 30 aofit 1954, l'Europe serait devenue, par ce fait, non pas une f6d6ration achev6e, mais une conf6d6ration politique et militaire. Egalement politique, car le fameux article 38 pr6voyait une telle 6volution. Par cons6quent, dire qu'on est en faveur d'une 'conf6dfration' europ6enne, mais avoir en m f m e temps la 'supranationalit6' en horreur, nous parait une contradiction dans les faits. Et cela, non seulement h cause d'exemples historiques, mais surtout "hcause des r6alit6s europ6enes existantes, qui r6clament au centre de la construction europ6enne une autorit6 solide, avec des comp6tences limit6es mais de pouvoirs r6els. Expliquons-nous h ce sujet. Dans un r6gime d'l~tat unitaire, la vie publique se d6roule, 'id6alement' si l'on peut dire, au centre et nulle part ailleurs. C'est aussi clair ('cart6sien') que contestable, car en r6alit6, tousles probl6mes ne se posent et ne se r~glent pas au m f m e niveau, c'est-a-dire h celui de I'l~tat central. Par contre, une lois qu'on a d6cid6 en faveur d'une pluriformit6 des pouvoirs et des contr61es d6mocratiques, ie probl6me capital devient celui d'un 6quilibre h 6tablir entre les forces centrip6tes et les forces centrifuges. Alors, le p a r a d o x e devient celui-ci: plus les centrifuges sont vigoureuses, plus les cen-
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trip,~des doivent 6tre renforc6es pour tenir celles-la en 6chec. Mais, en m6me temps, ce r e n f o r c e m e n t devient d'autant plus p,Snible, 6rant donn6 justement la vitalit6 des nationalismes traditionnels. Plus une int6gration radicale devient doric n6cessaire et plus elle se montre difficile h r6aliser, car les pouvoirs 6tatiques nationaux n'ont cess6 de s'accroitre. Q u e repr6sentaient les l~tats, en Am,~rique, h la fin du XVIW" si~cle? Que valait l'I~tat du Pi6mont vers le milieu du si~cle suivant? Ou m6me la Prusse d ' a v a n t 1871? Bien peu de chose, en comparaison avec la puissance de I'appareil 6tatique actuel. C'est pourquoi le r6gime encore principalement i n t e r g o u v e r n e m e n t a l que nous connaissons darts la C . E . E . , impuissant en face des r6alit6s nationales, a sinon fait faillite, du moins faiili h bien des 6gards. La lutte 6tait trop in6gale. A u t a n t I'ouverture des fronti~res s'est d6roul6e sans heurts graves, autant la d6cision de faire ensemble ce que, d6sormais, on ne pouvait plus, efficacemerit, faire tout seul - - l"int6gration positive" donc - - reste embryonnaire. Darts ce domaine, l'6quilibre des forces s'est de plus en plus d6r6gle en faveur des forces nationales centrifuges. Ceci 6tant, dire que nous nous trouvons a u j o u r d ' h u i en pr6sence d'un r6gime conf6d6ral est un execs de langage. En r6alit6, nous s o m m e s en train de tourner le dos m6me au conf6d6ralisme. II i m p o r t e donc que les f6d6ralistes prennent les soi-disant conf6d6ralistes au mot. lls veulent une conf6d6ration? Parfait? Nous sommes d'accord avec eux p o u r a d m e t t r e que la f6d6ration ne sera que la forme uitime de I'int,Sgration. Des phases interm6diaires, peut-6tre pas souhaitables, seront en tout cas indispensables. Toutefois, pour qu'une conf6d6ration vive et fonctionne avec un m i n i m u m d'efficacit6, il faut lui en donner les moyens, c'est-h-dire lui accorder des domaines propres ok elle pourra agir. C ' e s t pourquoi le budget communautaire constitue un terrain de bataille id6al p o u r les parlementaires europ6ens 61us. C'est aussi pourquoi John Pinder a indiqu6 une voie pratique, en proposant qu'au lieu de se quereller sur le degr6 de 'supranationalit6' n6cessaire, 15 ofa ies l~tats et la Communaut6 sont coresponsables, il faudrait au contraire d6finir des terrains o~ la C o m m u n a u t 6 pourrait agir seule (bien entendu, sous contr61e parlementaire). On pourrait citer, ,h cet 6gard, la convention de Lom6, qui n'emp6che pas les administrations franqaise, britannique ou beige d'avoir, en Afrique, leur propre champ d'action, mais ofa la direction g6n6rale de Claude Cheysson* a, tout de m6me, les coud6es franches. De m6me, le pr6sident Edgar Faure, en sa qualit6 de dirigeant de I'Institut europ6en de I'environnement de Bonn, sugg6rait la possibilit6 d ' u n e politique 6cologique int6gr6e au niveau de la C . E . E . Lh, nous s o m m e s , en effet, darts ie domaine purement conf6d6ral. Mais, parmi nos conf6d6ralistes, trouvons-nous beaucoup d'esprits prfits ~ tirer de relies cons6quences de leur propre doctrine? Malheureusement, ils en sont toujours h leur non-f6d6ralisme, n6gatif.
Un nationalisme d'Etat Enfin, cinqui~me point: les antif6d6ralistes-- d6guis6s ou non en conf6d6ralites - - avancent toujours leur peur de voir l'identit6 de leurs nations respec-
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tives disparaitre dans une f6d6ration. C'est pourquoi ils se cabrent, m~me devant toute mesure de conf6d6ralisme fonctionnel, telle que nous venons d'en indiquer quelques-unes Cette objection nous a toujours paru invraisemblable. En effet, de deux choses I'une: ou bien nos nations, historiquement constitu6es, repr6sentent des r6alit6s solides - - et alors, pourquoi cette peur? Ou bien, h 1'6preuve des faits, elles se montreraient caduques - - mais alors rien ne les sauvera. De plus, nous sommes ici face ~ u n malentendu fondamental: devant la confusion, entretenue h des fins 6videntes, entre le concept d"l~tat' et celui de 'patrie', confusion contre laquelle d6jh DanieI-Rops avait r6agi duns un article lumineux, paru en conclusion du volume Nations ou f~d~ralisme, publi6 en 1946 (collection 'Pr6sences', Paris, PIon). II y 6crivait: Nous vivons, depuis cinq ou six si/~cles, sur I'affirmation pr~suppos~e que ies trois termes de Patrie, Nation et l~tat coincident, qu'~ I'int6rieur d'un espace d6fini par des fronti/:res, les m~mes relations doivent s'6tablir entre I'homme et une donn~e collective que ces trois termes recouvriraient. La chose parait discutable h qui pr6tend serrer la v6rit6 de plus pr/:s, et l'on peut se demander si une grande partie de nos malheurs n'a pus sa cause duns cette synth/~se abusive (pp. 256--266). O n voudrait citer enti~rement les pages qui suivent et qui - - on aurait pu I'esp6rer: d6finitivement - - r~glaient leur sort/~ ce nationalisme d'l~tat qui se pare de I'affection patriotique et de la Ioyaut6 civique, comme ia pie se parait des plumes du paon. Mais des pouvoirs et des int6r6ts puissants se coalisent pour que cette confusion meurtri~re dure la plus Iongtemps possible. II est d'ailleurs 6tonnant que tant de jeunes contestataires aient tant de difficult6 s'associer ~ la d6nonciation si bien formul6e par Daniei-Rops. Ils s'inscrivent en faux contre tout - - sauf contre le v6ritable ennemi du genre humain: le nationalisme 6tatique. Mais cette id6e d'uniformisation culturelle, de 'creuset' am6ricain ~ abhorrer et ~ ~viter, cette id6e absurde d'une Europe ofa I'on ne parlerait plus qu'un 'volapiik int6gr6' - - id6e trop facile ~ attaquer, parce que personne ne I'avait jamais d6fendue - - est contraire ~ tout la pens6e du f6d6ralisme. Celui-ci, en effet, con(;oit la structure politique et sociale comme s'61evant h partir de la base, c'est-/~-dire/l partir de la r6alit6 r6gionale et nationale. Dans le fond, tout le monde a toujours su que la cr6ation d'une monnaie c o m m u n e europ6ene par exemple - - parfaitement r6alisable dans un ensemble de type conf6d6ral - - n'alt6rerait nullement le caract/~re 'italien' de l'Italie et ne rendrait sfirement pus le Franqais moins 'franqais'. Ce qui, par contre irait bien au-delh, h la fois de la conf6d6ration et de la f6d6ration, serait d'6tablir un minist(3re continental de la culture ou de 1'6ducation. De ces minist~res-lh, la Suisse en a trente-six, et la R6publique fr6d6rale d ' A l l e m a g n e autant qu'il existe de Liinder. Cependant, ces organismes ne travaillent pus en vase clos. En Allemagne notamment, il fut cr66 une 'conf6rence permanente des ministres de l'6ducation', oO les uns et ies autres se rencontrent et se consultent h base de rapports de valeur intellectuelle solide - puis se s6parent, pour faire, chez eux, la politique qui leur convient, sur place. En Bavi/~re, on n'agira pus comme en pays de Hesse, et mb,me les sociaux-
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dEmocrates hessois ont d'autres conccptions que leurs camarades des cites hansEatiques. Voil'fi encore cc qu'on peut appeler du pur confEdEralisme culturel. L'impulsion vient d'en bas. L'exEcution se fera encore en bas. Mais entre les deux, on 6tablit des organes de consultation et de coordination utiles. Si nos confEdEralistes europEens 6taient sErieux, pourquoi n'ont-ils pas, depuis longtemps, r6alis6 des institutions de ce genre? Enfin, r e p r o c h e r aux fEdEralistes europ6ens de manquer de patriotisme est une insulte gratuite, due soit fi une ignorance coupable, soit a une mauvaise foi consciente. Ce q u ' e n revanche on peut reprocher aux tenants actuels d'unc ' i m p o s a n t e confEdEration' en Europe, c'est le mEme dEfaut qui caract~risait tant de Britanniques et de Scandinaves, jadis, aux premieres sessions du Conseil de i'Europe: ils s'intitulaient 'fonctionnalistes', mais ne faisaient p r a t i q u e m e n t jamais de propositions fonctionnelles int6ressantes. A l'heure actuelle, il n'est que trop clair ~ quoi les confEd~ralistcs verbaux s ' o p p o s e n t . Mais on leur demande en vain leurs rEalisations prEsentes et leurs p r o g r a m m e s d'avenir. Jusqu'ici, leur ceuvre est un ensemble d'Echecs, celui du conseil europEen 6tant le dernier en date. Henri Brugmans
Collegii Europae Rector Emeritus, Brugge
NOTES * Jusqu"fi rEcemment membrc de la commission des CommunautEs europEenes, charge de la politique de dEveloppement; actuellement ministrc franqais des affaires extErieures (N. D. L. R.).