Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 51 (2003) 118–123 www.elsevier.com/locate/neuado
Article original
Filiations volontaires et biologiques. La pluriparentalité dans les sociétés contemporaines > Voluntary and biological filiations. Multiparentality in contemporary societies D. Le Gall * Laboratoire d’analyse socio-anthropologique du risque, UFR des sciences de l’homme, université de Caen Basse-Normandie, BP 5486, 14032 Caen cedex, France
Résumé Familles adoptives, familles recomposées et familles recourant aux techniques d’assistance médicale à la procréation mettent en scène des parentés additionnelles qui ne manquent pas de soulever nombre de questions. Que faire du/des parents «en plus »quand prévaut la norme de l’exclusivité de la filiation ? Un enfant peut-il avoir plusieurs pères et mères ? En bref, ces parentés plurielles peuvent-elles (doivent-elles) avoir droit de cité ? Autant de questions aux réponses non assurées, mais dont nos sociétés ne peuvent désormais faire l’économie. Dans cet article, l’auteur revient sur ce fait social contemporain qu’est la pluriparentalité et apporte des éléments pour que soit privilégiée la logique additionnelle aux dépens de la logique substitutive. © 2003 Publié par E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Abstract Adoptive, reconstructed families, or those who used assisted reproductive technology, reveal additional parentality, arousing numerous questions. What to do with the extra parent(s) when outstands the standard of the only filiation? Can a child have several fathers of mothers? Must these pluralities be recognized as such? So many questions whose answers cannot be sure but cannot be ignored in contemporary western societies. In this issue, the author goes back over this contemporary social aspect the multiparentality; he tries to favour the additional logic at the expense of the mixed up one. © 2003 Publié par E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Mots clés : Pluriparentalité ; Filiation ; Adoption ; Recomposition familiale ; Insémination artificielle Keywords: Multiparentality; Filiations; Adoption; Reconstructed families; Artificial insemination
1. Introduction Non nécessaire et fragile désormais, le mariage est en passe de ne plus être le pivot de nos constructions de la famille et de la filiation. C’est beaucoup plus à partir de
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Communication présentée lors de la journée nationale de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées, 9 mars 2002, Paris. * Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (D. Le Gall). © 2003 Publié par E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. DOI: 10.1016/S0222-9617(03)00026-6
l’enfant, seule réalité pérenne, que la famille se définit aujourd’hui. Mais si hier le géniteur des enfants était le mari de la mère, ce n’est plus toujours le cas désormais, comme l’illustrent fort bien les situations de recomposition familiale après divorce(s). Ce ne sont cependant pas les seules à « introduire » d’autres « parents », à ajouter des « parents sociaux » aux « parents par le sang ». L’enfant étant devenu pour les couples un support identitaire essentiel, des relations parentales avec des enfants dont les parents ne sont pas les géniteurs sont à l’œuvre dans un nombre croissant de familles. Les familles adoptives en sont
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un autre exemple, ainsi que celles ayant recours à l’aide médicalisée à la procréation afin de pallier l’infertilité ou la stérilité masculine (insémination artificielle avec sperme d’un donneur) ou féminine (implantation d’embryons formés avec les ovocytes d’une donneuse), sachant que ces réponses de la biomédecine n’ont de moderne que leur caractère technicien : nombre de solutions existaient déjà ailleurs, en Afrique et en Asie notamment [25], où elles présentaient l’avantage de fonctionner comme des institutions [22]. Or, en France par exemple, les procréations médicalement assistées se font dans le secret et l’anonymat du donneur est garanti. Quoi qu’il en soit, les familles dites « d’accueil » [4], les familles adoptives [16,18], les familles recomposées [3,33], les familles recourant à la procréation médicalement assistée [12], mais aussi désormais les familles homoparentales [5,13,21,34] mettent en scène des parentés parallèles. Comme le remarque très justement Agnès Fine, « le principe de l’élection est au cœur de l’évolution récente de la parenté occidentale » [16]. Mais si celui-ci s’inscrit bien dans la tendance actuelle que connaît le fait familial contemporain, il n’en soulève pas moins nombre de questions, notre système de filiation occidental étant, par tradition, peu enclin à donner droit de cité aux parentés additionnelles. Ces parentés parallèles peuvent-elles (et doivent-elles ?) bénéficier d’une reconnaissance ? Autrement dit, un enfant peut-il avoir plusieurs pères et mères ? Ceux-ci doivent-ils avoir un statut identique ? Comment différencier et répartir les droits et obligations entre ces parents ? À qui l’enfant doit-il être apparenté ? etc. Autant de questions aux réponses non assurées, mais que l’on ne pourra longtemps éluder. Nos sociétés se doivent en effet d’affronter la question de la pluriparentalité1. D’abord, parce qu’avec la convention internationale de La Haye du 29 mai 1993, les enfants ont le droit désormais de connaître leurs origines ; ensuite, parce que divers mouvements d’opinion, relayés en cela par des psychologues et des psychanalystes, se sont élevés, au nom de l’intérêt de l’enfant, contre le maintien de l’anonymat des donneurs concernant les procréations médicalement assistées et contre le fait que la filiation adoptive (plénière) « efface » la filiation d’origine ; enfin, parce que les premiers intéressés sont de plus en plus nombreux à le souhaiter, bien sûr les adoptés qui se sont regroupés en associations [43], mais aussi des parents naturels qui ont abandonné leur enfant, notamment certaines mères qui ont « accouché sous X » [26]. Nous nous proposons donc ici de revenir sommairement sur ce fait social contemporain qu’est la pluriparentalité2.
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Terme qui peut paraître quelque peu nouveau mais dont les médias se sont déjà emparés. Ainsi récemment, en première page du journal Le Monde, un article intitulé : « Mon demi frère, ma quasi-sœur, mes coparents, leurs beaux-enfants et moi » se terminait-il par cette phrase : « Ne dites plus au petit Benjamin qu’il passera ses vacances en famille, mais qu’il va se balader dans sa pluriparentalité » [36]. 2 Cet article fait écho à une réflexion collective et pluridisciplinaire. Pour plus de détails, se reporter à Le Gall D., Bettahar Y. [30].
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2. Spécificité de notre système de filiation Qu’est-ce que la filiation ? La réponse nous est, entre autres, livrée par le Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie dirigé par Pierre Bonte et Michel Izard : « Le terme de filiation désigne le lien de parenté unissant un enfant à son père et à sa mère » [2]. Ainsi, dans nos sociétés, nous sommes apparentés de la même manière à notre père et à notre mère, et cela relève pour tout un chacun de l’évidence. Ce à un point tel que ce fait nous paraît universel. Pourtant, les anthropologues nous ont montré que d’autres sociétés ne traitent pas également les liens paternels et maternels. Assez fréquemment, un seul parent est pris en considération (filiation unilinéaire). C’est le cas chez les Nuer du Soudan ou les indiens Omaha, où les individus reçoivent leur identité de leur père et ne peuvent la transmettre à leur tour que s’ils sont des hommes (filiation patrilinéaire), ainsi que chez les Trobriandais et les Iroquois, mais à l’inverse, puisque la transmission s’opère par la mère (filiation matrilinéaire). Notre système de filiation est donc un « montage » parmi d’autres possibles. Bien que la coïncidence avec les lois de la génétique nous incite à penser qu’il est biologiquement fondé, il relève d’un choix culturel. La filiation est en effet la reconnaissance publique d’un lien existant entre un individu et un ou plusieurs de ses ascendants. Elle ne se réduit donc pas à la dimension biologique. D’ailleurs, les « pères Iad »3 nous en apportent la preuve ; ils sont bel et bien les pères légitimes de l’enfant que leur femme met au monde, alors qu’ils n’ont aucun lien de sang avec lui. C’est aussi le cas en ce qui concerne les parents adoptifs. Cependant, notre système de filiation qui se caractérise par sa bilatéralité nous conduit presque toujours à assimiler engendrement et filiation. Et outre le fait que l’aristocratie ait survalorisé les liens du sang, dans notre imaginaire social, le sang a longtemps été perçu comme un des vecteurs essentiels de transmission de caractères particuliers. Ainsi parlait-on autrefois de la « haine des secondes noces » [37] parce que le rôle de parent « social », de parent de « substitution » dans les cas de remariage après veuvage, était d’emblée tenu pour suspect. Il ne pouvait être garanti par les liens du sang, ce dont témoignent nos contes de fées de Blanche-neige à Cendrillon. « Cela paraît très net pour la belle-mère, la marâtre. Ce qu’elle ne peut posséder, par définition, c’est l’instinct maternel qui assure par nature l’amour que la mère porte à son enfant, selon la sagesse populaire confortée par les représentations savantes » [39]. En bref, la pratique de l’adoption ayant été proscrite au ˆ ge, avant de faire retour au dix-neuvième haut Moyen-A concernant l’adoption d’adultes, puis au vingtième concernant les mineurs, nos sociétés occidentales n’ont guère d’expérience en matière de coparentalité, excepté celle du parrainage : mais il s’agit là d’une filiation spirituelle, non encadrée par le droit, où parenté charnelle et parenté spirituelle sont distinctes et hiérarchisées, et donc non concurrentielles [15]. 3 Hommes infertiles ou stériles dont la conjointe a été inséminée artificiellement par le sperme d’un donneur anonyme.
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On perçoit dès lors fort bien le problème. Si l’élection affective a de plus en plus droit de cité dans la parenté aujourd’hui, notre système de filiation n’est guère enclin à reconnaître ces coparentalités car, comme l’écrit fort justement Agnès Fine, s’appuyant sur les travaux de FrançoiseRomaine Ouellette [35] : « ce modèle ne véhicule pas seulement l’idée que la filiation est un fait de nature. Il s’accompagne surtout d’une norme, celle de l’exclusivité de la filiation, c’est-à-dire que chaque individu n’est mis en position de fils ou de fille que par rapport à un seul homme ou une seule femme » [17]. Se pose dès lors la question suivante : que faire des parents « en plus » ? 3. La pluriparentalité à l’épreuve de la norme de l’exclusivité de la filiation Du fait de la spécificité de notre système de filiation, comment nos sociétés réagissent-elles quand des parents « sociaux » s’ajoutent aux parents biologiques ? Les assistances médicales à la procréation (AMP) avec dons de gamètes ont « entériné de nouveaux modes de parentalité à plusieurs » [11]. Ainsi, pour ne prendre ici que le cas de l’Iad4, rendue possible depuis la création en 1973 des Cecos5 en France, un couple marié ou vivant en concubinage depuis deux ans, et dont l’homme est infertile ou stérile, peut demander6 à ce que la femme soit inséminée par le sperme d’un donneur anonyme. Dès lors que cette opération, qui se fait dans le secret, a abouti, cet homme, dont l’infertilité ou la stérilité est avérée, devient officiellement le père légitime de l’enfant que son épouse ou concubine a mis au monde, alors qu’il n’en est pas le géniteur. Un tiers a bel et bien contribué à la venue au monde de cet enfant. Mais en raison de la loi dite de « bioéthique » du 29 juillet 1994 qui consacre l’anonymat du « donneur », celui-ci n’a aucune existence légale. L’anonymat du donneur étant garanti et l’opération se déroulant dans le plus grand secret, l’Iad en France permet à ces couples de se présenter comme les parents biologiques de cet enfant. Le géniteur est évincé, il n’est pas même une personne. L’adoption légale fait retour en France en 1804. Elle ne concerne cependant que les majeurs. S’ils étaient encore vivants, les parents biologiques étaient alors connus, puisqu’il fallait leur consentement. La pluriparentalité existait donc de facto à cette époque. Puis, avec l’adoption de mineurs qui intervient au siècle suivant, le problème se complique quelque peu. Dès lors qu’un tout jeune enfant peut être investi, élevé par ses parents adoptifs comme s’il s’agissait 4 Les AMP comprennent aussi la Fivete, fécondation in vitro et transfert d’embryon ; le don d’ovocyte, Fivete avec un don anonyme d’embryon, et éventuellement, un don de sperme anonyme ; la Fiv-D, fécondation in vitro avec sperme de donneur anonyme ; l’Icsi, injection dans l’ovocyte de la mère d’un seul spermatozoïde du père (avec ou sans dons de gamètes). 5 6
Centres d’étude et de conservation de sperme.
Le législateur parle de « demande parentale », notion introduite dans la loi du 29 juillet 1994. Cf. sur ce point, Delaisi de Parseval [9].
de ses propres parents biologiques, et donc qu’il n’y a plus uniquement comme avant, avec l’adoption de majeurs, de visée successorale, mais le souhait de construire une « véritable » relation avec cet enfant, la volonté de protéger les parents sociaux a progressivement émergé. L’adoption plénière, votée en 1966, vient consacrer cette tendance. L’enfant n’a plus aucun lien avec ses parents biologiques et ceux-ci ne peuvent rétablir judiciairement sa filiation originelle. Il change de nom, entre dans une autre lignée et n’est pas censé connaître l’identité de ses géniteurs. Comme pour l’Iad, il s’agit bien là encore d’évincer les géniteurs pour asseoir un peu mieux la parentalité sociale. Les familles recomposées après divorce semblent bien différentes des familles qui se constituent en recourant à l’adoption ou aux AMP. En effet, un, voire deux nouveaux acteurs s’adjoignent concrètement à la donne familiale. Pour ne retenir que le cas statistiquement majoritaire (lié à l’attribution plus fréquente de la garde aux mères), après un divorce, l’enfant de premier lit vit avec sa mère et un « beaupère au quotidien » et le temps des week-ends et des vacances, avec son père et une « belle-mère par intermittence »7 (exercice du droit de visite), si celui-ci s’est lui aussi mis à nouveau en couple. Il paraît bien délicat dans ce cas de nier que nous avons affaire à une situation de pluriparentalité, même si celle-ci est plus visible au sein de la résidence principale de l’enfant. Cela tout particulièrement quand le beau-père au quotidien assume une fonction nourricière et éducative, parfois même affective, qui ne se substitue pas à celle du père. Ce que, pour faire image, nous avons qualifié d’« amical parrainage » : un rôle social inédit certes, mais qui semble progressivement avoir droit de cité, peut-être justement parce que les beaux-pères gardiens ont un rôle éducatif (socialisation, protection) qui ne concurrence pas (suppléance) les fonctions dévolues à la parenté en ce domaine [27]. Mais là encore, la norme de l’exclusivité prévaut : la loi ne reconnaît que les parents biologiques. Les beaux-pères au quotidien n’ont en effet aucune existence juridique, même s’ils assument, dans un climat dénué de toute rivalité, une fonction de type paternel. Aux yeux de la loi, ils ne sont que des étrangers pour leurs beaux-enfants, même s’ils souhaitent leur léguer leurs biens. En bref, qu’il s’agisse des AMP, de l’adoption plénière ou des familles recomposées, «on perçoit la cohérence des réponses apportées aux situations de pluriparentalité (...) : elles vont toutes dans le sens de la substitution pour se conformer au modèle de l’exclusivité » [17]. 7 Expressions que nous nous sommes proposé de retenir [28], pour insister sur le fait qu’il y a deux manières d’être beau-parent : dans un cas, les contours du rôle beau-parental s’élaborent dans un rapport de proximité quasi-quotidien, et dans l’autre, dans un rapport fait de distance qui, de surcroît, est discontinu. En revanche, ce distinguo vise à rappeler ce que l’on oublie un peu trop souvent : les pères non-gardiens s’établissant en couple plus fréquemment que les mères gardiennes, les enfants du divorce ont une probabilité plus élevée d’avoir une belle-mère par intermittence qu’un beau père au quotidien. De ce fait, la majorité des relations de type beau-parental sont occultées.
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4. Pour une autre approche des pluriparentalités contemporaines Dans nos sociétés, c’est le droit, privilégiant la logique substitutive à la logique additionnelle, qui vient dire « qui sont les parents », dès lors qu’existent des situations de pluriparentalité. Il n’en reste pas moins que la fiction juridique ne résout pas tout, ce d’autant plus que si elle protège les filiations volontaires (parents adoptifs, pères Iad...), le biologique constitue aussi parfois la référence pour établir la filiation, comme c’est le cas depuis 1972 avec la loi relative à la recherche en paternité. Ce qui fait dire à une juriste anthropologue, Michèle Laborde-Barbanègre, que la filiation « se trouve désormais sous l’empire de la vérité, sous ses 2 aspects biologique et social » [24]. En effet, tantôt prime le lien social, tantôt le lien de sang. Tant et si bien que subsiste une tension entre la volonté et le sang que l’on retrouve chez ceux qui, au quotidien, vivent ces situations de pluriparentalité. Ainsi par exemple, les entretiens réalisés par l’une de mes doctorantes auprès de mères qui ont été inséminées artificiellement avec le sperme d’un donneur anonyme sont-ils révélateurs de certaines confusions. Plutôt que de renvoyer le « donneur » à son inexistence juridique, certaines mères l’évoquent bel et bien comme une personne à part entière. Se remémorant le moment de l’accouchement, l’une d’elles déclare : « Le donneur était là, mais c’est comme si c’était mon mari qui l’avait fait quand même... » [42]. Et même si ces mères s’efforcent d’oublier qu’un tiers a contribué à la venue de leur enfant, sa présence fait « retour » de temps à autre : « Il (le donneur) nous gâche pas la vie, il vient jamais s’interposer, sauf quand notre enfant allait se faire opérer pour un problème de testicules. C’était une opération chirurgicale, donc on nous a demandé le groupe sanguin du papa ; alors on a donné celui de mon mari, mais ça servait à rien. Donc à ce moment-là, on y pense » [42]. Nombre de ces mères se posent des questions à propos de l’hérédité, tant physique que morale, du « père biologique », terme qu’elles emploient fréquemment faute de pouvoir disposer de celui de géniteur, qui présente pourtant l’avantage de dissocier conception et paternité. Si le droit « tranche » clairement, il n’en reste pas moins que, du fait de la survalorisation des liens du sang dans notre imaginaire social et de l’absence de termes précis dans la langue courante, les mères Iad décrivent leur propre situation en référence à une double paternité qui ne peut être entrevue que de manière concurrentielle. Situation de concurrence que l’on retrouve aussi chez les mères adoptives — bien qu’elle soit dans la majorité des cas désormais atténuée par la distance8 et l’absence de contacts —, pour cette simple raison que la maternité est associée à l’accouchement [17]. Et là encore, quels mots utiliser pour apprendre à son enfant qu’il 8 Le nombre d’enfants étrangers adoptés en France se développe (935 en 1980, 2956 en 1990, 3028 en 1995 et 3528 en 1999), alors que le nombre d’enfants pupilles de l’État « placés » en vue d’adoption diminue (1424 en 1987, 1327 en 1993 et 1133 en 1999).
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a été adopté, et qu’il a donc aussi une autre « maman », terme que ces mères évitent en revanche, d’employer ? Dès lors que l’on se confronte aux difficultés vécues par ces familles, s’impose très vite la question de savoir s’il ne convient pas de reconnaître, même de manière symbolique, ces situations de pluriparentalité. Bien sûr, dans nos sociétés où l’enfant « appartient » à ses parents, la tâche paraît ardue. En effet, que reconnaître, et à qui ? Et si l’on va dans ce sens, qu’est-ce alors qu’un parent ? Mais sur ce point, ne peut-on tirer des enseignements des observations réalisées par ceux qui ont étudié d’autres sociétés, que l’on considère un peu rapidement comme « primitives », et où d’autres systèmes de filiation sont à l’œuvre ? Ainsi Esther Goody [19], tirant profit de son expérience en Afrique de l’ouest, en arrive à décomposer la parentalité en cinq éléments : • concevoir et mettre au monde ; • nourrir ; • éduquer ; • donner une identité à la naissance ; • et garantir l’accès à un statut d’adulte. Le rôle parental, tel que nous avons coutume de nous le représenter, se trouve dès lors fragmenté en plusieurs éléments, que l’on peut d’ailleurs fort bien étendre à 6 puisqu’il est possible désormais de concevoir sans pour autant mettre au monde. Pour surprenante qu’elle soit, cette approche, peu ordinaire pour nous occidentaux, peut nous aider à « penser » nos pluriparentalités contemporaines. D’ailleurs une jeune ethnologue, Agnès Martial [32], vient déjà d’analyser les familles recomposées après divorce dans cette perspective. Mais sans doute est-il plus aisé de tenter d’appréhender le partage de la résidence et celle de la fonction nourricière entre tous les acteurs de la donne familiale recomposée, que de préciser les fonctions parentales partagées concernant les procréations médicalement assistées et l’adoption.
5. Conclusion Nous n’avons entrevu ici, pour illustrer notre propos, que les familles adoptives, les familles qui se constituent en recourant à l’Iad et les familles recomposées après divorce. Mais comme nous l’évoquions en introduction, nous aurions pu aussi analyser le cas des familles d’accueil, ou même celui des familles homoparentales9 qui nous intéressent ici tout particulièrement puisqu’il s’agit de situations où « procréation, parentalité et relations de couple ne se superposent pas 9 Expression forgée en 1996 par l’association des parents gays et lesbiens, mais qui n’est pas neutre [38], et ne va donc pas de soi puisqu’elle « met en avant la sexualité du parent, alors qu’elle n’a pas à être prise en compte dans la filiation » [41]. On peut dès lors, tout en comprenant la raison, se demander comme le fait à juste titre Michel Chauvière, s’il y a lieu de la « populariser » : « Faut-il aller vers une catégorisation des familles homoparentales ? Sans doute cette option est-elle aujourd’hui en partie stratégique. Mais pour autant, on ne peut ignorer la question de l’usage social des catégories » [7].
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nécessairement » [14]. Ainsi pouvons-nous distinguer, selon la provenance des enfants, quatre situations : • les enfants sont issus d’une union hétérosexuelle antérieure, cas qui s’apparente aux familles recomposées après divorce [29], excepté que les enfants vivent, si l’on s’en tient au cas majoritaire, avec leur mère gardienne et une belle-mère au quotidien ; • les enfants ont fait l’objet d’une adoption monoparentale ; • les enfants sont nés d’inséminations artificielles ou de recours à des mères de substitution à l’étranger ; • les enfants sont l’aboutissement d’un projet de coparentalité10. Autant de situations qui renvoient à des réalités familiales différentes, mais participent, au même titre que les secondes unions, les familles adoptives et celles ayant recours à l’Iad, à l’émergence de ces filiations électives, et rappellent, si besoin était, que la compétence parentale ne s’évalue pas à l’aune de l’orientation sexuelle. Mais quel que soit le cas que l’on retienne, ce dont l’enfant a surtout besoin, les psychanalystes insistent sur ce point, c’est « de transparence et de vérité sur son histoire », et donc, même si ses parents vivent en couple homosexuel, c’est de « savoir qu’il est né de deux individus de sexes différents, même s’il ne s’agit que d’un(e) géniteur(trice), ou d’un parent qui soit parent de naissance seulement » [10]. Aussi, dès lors que l’on prend en compte l’intérêt de l’enfant, il semble qu’il faille privilégier la logique additionnelle aux dépens de la logique substitutive, et non le contraire comme c’est actuellement le cas, en bref, reconnaître ces situations de pluriparentalité. D’ores et déjà, quelques avancées ont été faites dans ce sens. Ainsi l’Europe s’ouvre-t-elle progressivement au modèle de l’open adoption expérimenté Outre-atlantique [6,20,23], même si la France reste en retrait sur cette question [18]. Il s’agit de promouvoir l’interconnaissance entre géniteurs et parents adoptifs, sachant que différentes modalités existent (de la connaissance des identités respectives de chacun aux relations de face-à-face, parfois même avec un droit de visite) et sont négociées de manière contractuelle entre les protagonistes. Reste que cette pratique n’est pas exempte de toute critique, quand elle est confiée, comme ce peut être le cas aux États-Unis, à des agences privées11. Autre exemple en France, dans son rapport à la ministre de l’emploi et de la solidarité et au garde des sceaux, ministre de la justice, Irène Théry [40] propose que certaines fonctions parentales liées à l’exercice de la vie quotidienne soient reconnues au beauparent et que celui-ci puisse léguer ses biens de manière préférentielle à son bel enfant. Et récemment, de nouvelles
inflexions législatives et sociales12, facilitant les démarches administratives et juridiques de l’adoption, « prévoient, entre autres, la possibilité de relever des informations sur les parents d’origine à l’attention des enfants adoptés » [8]. Si ces avancées peuvent paraître timides, elles n’en sont pas moins annonciatrices des changements à venir qui, à l’évidence, marqueront le vingt-et-unième siècle. L’enjeu est d’importance : il y va tout simplement de la définition sociale de la famille.
Références [1] [2] [3] [4]
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[17] 10 Association d’un couple de gays et d’un couple de lesbiennes (parfois d’un couple et d’une personne seule) afin de « former une cellule élargie dans laquelle l’un des hommes au moins est le père biologique de l’enfant d’une des femmes au moins » [31]. 11
Cf. Baby Business [1].
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