Archives de pédiatrie 13 (2006) 1236–1238 http://france.elsevier.com/direct/ARCPED/
Fait clinique
Fistulisation vésicale d’une tuberculose sigmoïdienne Fistula between the urinary bladder and large bowel due to sigmoid tuberculosis B. Rakotoarisoaa,*, H.-N. Rakoto Ratsimbab, Y.-H. Rantomalalac, J.-D. Wagnerd, L. Andriamanarivob, G. Ratiambahoakae, J.-M. Ramonjaf a
Service de chirurgie viscérale et digestive, CHU d’Antananarivo, BP 1275, 101 Antananarivo, Madagascar b Service des urgences chirurgicales, CHU d’Antananarivo, BP 1275, 101 Antananarivo, Madagascar c Service de chirurgie pédiatrique, CHU d’Antananarivo, BP 1275, 101 Antananarivo, Madagascar d Service de chirurgie viscérale et digestive, hôpitaux civils de Colmar, France e Laboratoire anatomie pathologie, CHU d’Antananarivo, Madagascar f Service de chirurgie viscérale et digestive, CHR Fianarantsoa, Madagascar Reçu le 6 juin 2005 ; accepté le 22 mai 2006 Disponible sur internet le 07 juillet 2006
Résumé La tuberculose sigmoïdienne est très rare. Nous rapportons 1 cas de tuberculose sigmoïdienne pseudotumorale fistulisée dans la vessie chez une enfant de 10 ans. Le diagnostic de la tuberculose n’a été fait qu’après l’examen anatomopathologique de la pièce opératoire après colectomie segmentaire. Le traitement chirurgical complété par la chimiothérapie antituberculeuse a donné un bon résultat. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract A sigmoid tuberculosis is very rare. We report a case of sigmoid pseudotumoral tuberculosis with a fistulization into the urinary bladder in a 10-year-old girl. The diagnosis of tuberculosis was made by histopathological examination of the surgical specimen after segmental colectomy. Surgery completed by antitubercular chemotherapy gave a good result. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Tuberculose ; Sigmoïde ; Fistule colovésicale Keywords: Tuberculosis; Sigmoid diseases; Urinary fistula; Child
La tuberculose abdominale est rare parmi les localisations secondaires de la tuberculose chez l’enfant [1]. Sur le tractus du tube digestif, la forme iléocæcale y prédomine, et est évaluée à 85–90 % des cas. La tuberculose sigmoïdienne est peu fréquente [2,3] et constitue rarement une indication chirurgicale pédiatrique dans les pays développés. Son polymorphisme
clinique, l’absence de symptomatologie spécifique et la possibilité d’atteinte digestive isolée rendent ce diagnostic difficile. Nous rapportons une observation exceptionnelle d’un cas de tuberculose sigmoïdienne pseudotumorale fistulisée dans la vessie chez une enfant malgache. 1. Observation
* Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (B. Rakotoarisoa).
0929-693X/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.arcped.2006.05.013
Une enfant de 10 ans, issue d’une famille nombreuse et vivant dans des conditions socioéconomiques médiocres, a été hospitalisée dans le service de chirurgie pédiatrique pour
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dysurie accompagnée d’une masse abdominopelvienne évoluant depuis 3 mois. Les parents avaient préféré traiter leur fille par massage et décoctions pendant 2 mois chez un tradipraticien. Mais, la persistance des symptômes et l’émission récente d’urine louche ont motivé son hospitalisation. Dans ses antécédents, on notait un vaccin BCG en bas âge et une infection urinaire traitée par antibiothérapie adaptée. À l’admission, elle présentait une pollakiurie avec pneumaturie et une émission d’urines sales. Le transit intestinal était normal. L’examen clinique retrouvait un état général altéré, une anorexie, un amaigrissement, une température à 37,7 °C et une pâleur cutanéomuqueuse. La palpation abdominopelvienne révélait une masse dure, plus ou moins fixe, mal limitée au niveau de la fosse iliaque gauche et modérément sensible mais sans défense ni contracture. Le toucher rectal et le reste de l’examen clinique étaient normaux. À l’hémogramme, il existait une anémie modérée, une hyperleucocytose avec lymphocytose légère et un taux de CRP à 45 mg/l. L’étude cytobactériologique des urines montrait une leucocyturie et une hématurie avec de nombreux bacilles Gram négatifs et Enterococcus fecalis à la culture. La fonction rénale était conservée. L’intradermoréaction à la tuberculine était négative. Les radiographies cœur–poumons et de l’abdomen sans préparation étaient normales. L’échographie abdominopelvienne montrait une masse latérovésicale inhomogène mesurant 60 × 50 mm allant de la fosse iliaque gauche à la vessie. Les marqueurs tumoraux (ACE, CA 19-9, α-fœtoprotéine) étaient négatifs. La cystoscopie révélait une zone œdématiée sur la face latérale gauche de la vessie centrée par une lésion punctiforme émettant par intermittence des bulles pendant l’examen. Le reste de la muqueuse vésicale était saine. Le diagnostic d’une fistule intestinovésicale d’allure néoplasique a été retenu. Faute de moyens d’exploration plus poussée, nous avons décidé d’opérer d’emblée l’enfant. Au cours de la laparotomie, nous avons constaté une formation tumorale englobant un épiploon et un segment sigmoïdien adhérant à la face latérale gauche de la vessie. Il n’y avait pas de carcinose péritonéale et le foie était normal. La libération de cette masse après une omentectomie partielle a confirmé l’existence d’une fistule colovésicale. Une colectomie segmentaire emportant la totalité de la tumeur avec une marge de sécurité de 5 cm en amont et en aval, suivie d’une anastomose colorectale avec fermeture de la brèche vésicale ont été réalisées. L’examen macroscopique de la pièce opératoire a révélé un segment à paroi épaisse et indurée avec une muqueuse où alternaient des zones ulcéreuses et saines. La sonde vésicale a été gardée pendant 10 jours en postopératoire et les suites opératoires ont été simples. L’histologie a confirmé la fistule et montré de nombreux follicules épidermoïdes gigantocellulaires avec 2 ganglions mésentériques sièges des follicules tuberculoïdes centrés par une nécrose caséeuse. Les cultures à la recherche de mycobactéries sont restées négatives sur la pièce opératoire, de même que dans les tubages gastriques. L’enfant a été mise sous traitement antibacillaire pendant 9 mois selon la recommandation de la lutte antituberculeuse à Madagascar. À 24 mois de recul, l’enfant est
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en bon état général, les urines sont stériles, avec un transit intestinal et une fonction rénale normales. 2. Discussion La tuberculose colique représente 1 à 3 % des cas d’atteinte gastro-intestinale [3,4]. Dans les formes intestinales chez l’enfant, 32 % des cas atteignent le côlon ascendant [5]. Très peu de cas de tuberculose sigmoïdienne ont été publiés dans la littérature, la plupart chez l’adulte [2–4,6]. À Madagascar, si la prévalence de la tuberculose infantile est estimée entre 9,6 et 10,2 % [7], la fréquence de la localisation digestive chez l’enfant est encore mal connue. À notre connaissance, nous rapportons le premier cas pédiatrique de pseudotumeur sigmoïdienne tuberculeuse fistulisée dans la vessie. L’atteinte digestive peut être primitive (60 à 70 % des cas) par ingestion directe de mycobactérium ou secondaire à des lésions pulmonaires très bacillifères par voie hématogène ou lymphatique [2]. L’allure pseudotumorale est liée à des anses digestives et mésos agglutinés ou à une atteinte intestinale hypertrophique, ou bien à la présence des adénopathies profondes satellites d’une atteinte digestive [8]. La survenue de fistule colovésicale semble être due au processus de remaniement tissulaire type fibronécrotique où l’évolution creusante de l’abcès tuberculeux colique est incriminée. Dans notre observation, les massages ont probablement majoré ce processus. La fistule colovésicale est répertoriée parmi les complications de la tuberculose intestinale chez l’enfant. D’autres causes de fistule ont été rapportées au cours de malformations digestives, de maladie de Crohn, de tumeurs, de diverticules congénitaux et de traumatismes [9]. Le tableau clinique de tuberculose digestive est en général peu spécifique et très variable se traduisant par un ballonnement douloureux, un amaigrissement, une asthénie, un état fébrile, une sudation nocturne, une ascite, des vomissements, une diarrhée, une constipation, des rectorragies, une fistule périanale, un état subocclusif, une masse abdominale [1,10– 12]. Il peut y avoir un syndrome dysentérique en cas de localisation rectosigmoidienne, ce qui n’était pas le cas chez notre enfant. Les signes urinaires dans notre observation sont liés à la fistule. La forme pseudotumorale a été souvent décrite chez l’adulte, elle est fréquente dans les localisations iléocæcales [8]. Notre observation présentée ici est exceptionnelle à plus d’un titre par sa forme pédiatrique, sa localisation sigmoïdienne, sa fistulisation dans la vessie ainsi que son aspect pseudotumoral. Les auteurs sont unanimes sur la difficulté diagnostique de la tuberculose digestive [10–13]. L’évolution à bas bruit de la maladie est souvent responsable d’un retard diagnostique et de sa découverte au stade des complications. L’absence d’antécédents tuberculeux ou de tuberculose évolutive n’est pas un élément négatif du diagnostic. La tuberculose digestive n’est d’emblée suspectée que dans 20 à 50 % des cas [3,8] chez lesquels on découvre une atteinte pulmonaire associée évidente. Notre enfant avait une radiographie pulmonaire normale et la recherche des BAAR était négative.
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Les examens bactériologiques ne sont positifs que dans 40 % des cas et de façon souvent tardive. L’intradermoréaction à la tuberculine est inconstamment positive et même négative, elle n’élimine en aucun cas le diagnostic [8,10]. Compte tenu de la présentation pseudotumorale, la ponction–biopsie percutanée d’une masse ou adénopathie sous échographie ou TDM est souvent réalisée et contribue au diagnostic dans moins de 50 % des cas si l’examen direct et/ou la mise en culture ont été réalisés [1,2,6]. Le lavement opaque permet de visualiser une rigidité segmentaire, une sténose régulière centrée en entonnoir ou une fistule [2,6]. La coloscopie peut révéler une infiltration circonférentielle, parfois ulcérée, mais peut trouver une muqueuse normale [2,3,6]. Malgré leurs caractères invasifs, laparoscopie et/ou laparotomie restent encore nécessaires pour affirmer le diagnostic [13]. Dans les pays en développement comme Madagascar [14], le recours à la laparotomie est fréquemment admis comme moyen diagnostique en dépit de disponibilité des examens paracliniques plus sophistiqués. Les lésions coliques sont variables de type ulcéreuse, sténotique, hypertrophique ou diffuse. Le diagnostic d’une tuberculose colique est souvent établi par l’histologie d’une pièce opératoire comme dans notre observation ou d’un prélèvement biopsique lors de la colonoscopie ou cytoponction d’une masse sous contrôle échographique et/ou TDM [10–13]. En effet macroscopiquement, il est difficile de différencier la tuberculose colique avec une maladie de Crohn, un néoplasme colique, une colite non spécifique [2,3]. La tuberculose digestive reste une affection grave chez l’enfant. Outre l’hémorragie et la sténose colique [2,15], il y a d’autres complications telles qu’une malabsorption en cas d’atteinte iléocæcale, une occlusion intestinale et une perforation à l’origine de péritonite localisée ou généralisée et de fistules digestives et urinaires comme le cas de notre enfant. Pour ce qui concerne la fistule, la pneumaturie et/ou fécalurie est fortement évocatrice de fistule urodigestive mais rarement retrouvée [16]. La cystoscopie semble être l’examen efficace pour diagnostiquer la fistule car elle visualise l’orifice et objective des bulles d’air émises après pression manuelle de l’opérateur. L’association avec un lavement opaque et une tomodensitométrie est souvent utile pour repérer la fistule. Le traitement de la tuberculose digestive chez l’enfant [1,2, 5,11–13] est avant tout médical par un antibacillaire–trithérapie associant isoniazide–rifampicyne–pyrazinamide pendant 2 mois puis bithérapie pour une durée totale 9 à 12 mois. Certains préconisent la corticothérapie [8] pour diminuer la fré-
quence des adhérences intra-abdominales. La chirurgie est surtout indiquée dans un but diagnostique après échec ou faute de moyens moins invasifs et pour traiter les complications (sténose, occlusion, masse compressive, mise à plat de certaines cavités caséifiées, perforation et fistule). Le traitement percutané peut être proposé en cas de formes abcédées [6]. À Madagascar, la prévention de la tuberculose chez l’enfant est fondée essentiellement sur la pratique de vaccination BCG à la naissance, couplée à l’amélioration du niveau d’hygiène et la lutte contre la malnutrition [7,14]. Références [1] Veeragandham RS, Lynch FP, Canty TG, et al. Abdominal tuberculosis in children: review of 26 cases. J Pediatr Surg 1996;31:170–5 (discussion 175-6). [2] De Jesus LE, Marques AM, Rocha MS, et al. Left colon stenosis caused by tuberculosis. J Pediatr Surg 2004;39:e5–e7. [3] Horvath KD, Whelan RL, Weinstein S, et al. Isolated sigmoid tuberculosis. Report of a case. Dis Colon Rectum 1995;38:1327–30. [4] Kaplanski G, Granel B, Payan MJ, et al. Pseudodiverticulite sigmoidienne fistulisée d’origine tuberculeuse. Rev Med Interne 1998;19:447– 8. [5] Hadj Khalifa H, Abkari A, Hachim J. Tuberculose intestinale de l’enfant : étude de 28 cas. Ann Pediatr (Paris) 1992;39:106–10. [6] Renier JF, Paladines G, Lesur G, et al. Tuberculose sigmoïdienne abcédée et isolée. Presse Med 1991;20:1230–1. [7] Champetier de Ribes G, Ranaivoson G, Rakotoherisoa E, et al. Le risque annuel d’infection tuberculeuse à Madagascar : étude réalisée de 1991 à 1994. Bull Soc Pathol Exot 1997;90:349–52. [8] Romand F, Gaudin JL, Bobichon R, et al. Tuberculose abdominale d’allure pseudotumorale. Presse Med 1997;26:1717–21. [9] Decter RM, Kaplan KM, Eggli KD, et al. Colovesical fistula resulting from a perforated colonic duplication. Pediatrics 1998;102:654–6. [10] Saczek KB, Schaaf HS, Voss M, et al. Diagnostic dilemmas in abdominal tuberculosis in children. Pediatr Surg Int 2001;17:111–5. [11] Ozbey H, Tireli GA, Salman T. Abdominal tuberculosis in children. Eur J Pediatr Surg 2003;13:116–9. [12] Boukthir S, Mrad SM, Becher SB, et al. Abdominal tuberculosis in children. Report of 10 cases. Acta Gastroenterol Belg 2004;67:245–9. [13] Ibrarullah M, Mohan A, Sarkari A, et al. Abdominal tuberculosis: diagnosis by laparoscopy and colonoscopy. Trop Gastroenterol 2002;23:150– 3. [14] Ravolamanana Ralisata L, Rabenjamina FR, Ralison A. Les formes extrathoraciques de tuberculose en milieu hospitalier à Mahajanga (Madagascar). Arch Inst Pasteur Madagascar 2000;66:13–7. [15] Nagi B, Lal A, Kochhar R, et al. Perforations and fistulae in gastrointestinal tuberculosis. Acta Radiol 2002;43:501–6. [16] Cappele O, Scotté M, Sibert L, et al. La place des examens complémentaires dans la prise en charge des fistules colovésicales. Prog Urol 2001; 11:657–61.