ÎMémoire original © 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés - Rev Pneumol Clin 2006 ; 62 : 237-242
Fixations extra-osseuses thoraciques en scintigraphie du squelette A propos de 2 cas
A. Biyi1, A. Doudouh1, M. Farik2, A. Zekri1 237 1
Service de Médecine Nucléaire, 2 Unité d’Oncologie Médicale, Hôpital Militaire d’Instruction Mohammed-V, Rabat, Maroc. Correspondance : A. Biyi, BP 6614, Rabat-Instituts, Rabat, Maroc.
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Résumé
Summary
Une fixation des traceurs à tropisme osseux sur les tissus mous thoraciques peut se rencontrer dans des états physiologiques ou pathologiques. A partir deux observations de captation inattendue de Tc99mHMDP, l’une au niveau pulmonaire et correspondant à des dépôts amyloïdes, l’autre au niveau diaphragmatique en rapport avec des métastases de tumeur neuro-ectodermique périphérique, nous discutons les mécanismes de telles fixations.
Thoracic soft tissue uptake on a bone scintigraphy
Mots-clés : Diphosphonates. PNET. Amylose.
L
a scintigraphie osseuse a des indications bien connues en pneumologie. Sa réalisation nécessite l’administration par voie intraveineuse de produits radiopharmaceutiques ayant un tropisme osseux, les diphosphonates, dont la distribution après marquage au technétium (émetteur gamma) donne l’image scintigraphique. Cette image fournit une vision macroscopique de « la vie de l’os » en visualisant la vascularisation locale et la répartition de l’ostéogenèse normale et pathologique. Elle devient ainsi la traduction de la grande affinité des diphosphonates pour le calcium amorphe [1]. Le tropisme sélectif des traceurs osseux pour le squelette est, cependant, parfois pris en défaut par la présence dans les tissus mous de substances ayant la
Accumulation of bone seeking radiopharmaceuticals in soft tissue of the chest has many causes. We report two cases of 99m-Tc-HMDP uptake respectively in the lung, in a patient with localized amyloidosis, and on diaphragmatic metastasis of a PNET. Mechanisms of such uptake are discussed. Key-words: 99mTc-diphosphonate. Soft tissue uptake. PNET. Amyloidosis.
même affinité pour de tels traceurs. Le radio-isotopiste se trouve alors confronté à des images de fixations extraosseuses dont la signification pathologique reste à éclaircir [2]. La localisation thoracique de telles fixations est rare, mais non exceptionnelle. Nous avons tenté, à travers deux observations, d’en rappeler les mécanismes.
Observations Cas n° 1 Il s’agissait d’un patient âgé de 52 ans, non fumeur, sans antécédents pathologiques notables, qui consultait pour
Fixations extra-osseuses thoraciques vues à la scintigraphie
une toux et des expectorations muqueuses sans autres manifestations extra-thoraciques ou générales. Son examen somatique était sans particularité, mais une radiographie pulmonaire mettait en évidence des opacités arrondies parenchymateuses bilatérales (figure 1). Des coupes tomodensitométriques montraient que ces opacités étaient de densité tissulaire et comportaient de nombreuses calcifications « en motte » sans anomalie
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médiastinale ou pleurale (figure 2). Devant la forte suspicion de métastases pulmonaires, une bronchoscopie avec biopsies étagées et une scintigraphie osseuse étaient effectuées. Cette dernière permettait, d’une part, d’écarter toute atteinte néoplasique primitive ou secondaire du squelette, d’autre part de mettre en évidence des fixations pulmonaires bilatérales de même topographie que les anomalies radiologiques sus décrites (figure 3). L’étude anatomopathologique des biopsies bronchiques étant négative, une biopsie trans-pariétale était réalisée : elle mettait en évidence des dépôts extracellulaires fixant le rouge Congo, attestant leur nature amyloïde. Différentes investigations étaient alors entreprises afin d’évaluer l’extension de la maladie et de déceler une éventuelle pathologie amyloïdogène associée. La fonction rénale, la numération formule sanguine, l’électrophorèse des protéines sériques, les enzymes hépatiques, la calcémie et la phosphorémie étaient normales. La recherche de protéinurie était négative. Par ailleurs, aucune anomalie n’était décelée, ni à l’exploration électrocardiographique, ni à l’échographique abdominale et cardiaque. La recherche de dépôts amyloïdes sur un prélèvement de graisse péri-ombilicale était négative.
Figure 1. - Patient n° 1. Radiographie pulmonaire de face. Multiples nodules pulmonaires bilatéraux réalisant un aspect en lâcher de ballons.
Figure 2. - Patient n° 1. Coupe tomodensitométrique, montrant des nodules confluents, de densité tissulaire, avec des calcifications en motte.
Figure 3. - Patient n° 1. Scintigraphie osseuse au HMDP-Tc99m, montrant, d’une part, l’absence d’atteinte squelettique, d’autre part, de multiples images d’hyperfixation pulmonaire.
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Aucune étiologie n’étant retrouvée, il était alors conclu que les fixations extra-osseuses sus-décrites étaient en rapport avec des dépôts amyloïdes primitifs et que ces derniers étaient, comme le prévoyait l’examen scintigraphique, strictement localisés aux poumons.
Cas n° 2 C’était un patient âgé de 22 ans, non fumeur, qui consultait pour une douleur thoracique droite. La radiographie pulmonaire, puis la tomodensitométrie (TDM) thoracique mettaient en évidence une opacité ronde de l’apex pulmonaire droit avec une réaction pleurale homolatérale. Une thoracotomie diagnostique était alors proposée : elle mettait en évidence une masse tissulaire à paroi épaisse, prenant naissance de la paroi thoraci-
que, du deuxième au quatrième espace intercostal droit, et envahissant le poumon. L’étude anatomopathologique de la pièce opératoire était en faveur d’une prolifération maligne indifférenciée, de type neuro-ectodermique périphérique. A l’issue de 6 cures de chimiothérapie, et devant l’installation d’une dyspnée importante, une nouvelle TDM thoracique décelait des masses tissulaires au niveau de l’angle cardiophrénique antérieur droit et au niveau des attaches costovertébrales du diaphragme, en faveur de métastases diaphragmatiques (figures 4, 5, 6). La scintigraphie osseuse mettait alors en évidence, d’une part, de multiples foyers hyperfixants sur le rachis, le gril costal et l’appendice xyphoïde, attestant une dissémination osseuse secondaire ; d’autre part, deux foyers hyperfixants basithoraciques d’allure extra-osseuse : l’un,
4 5 6 Figure 4, 5 et 6. - Patient n° 2. Coupes tomodensitométriques avec injection de produit de contraste (4 : en fenêtre parenchymateuse, 5 : en fenêtre médiastinale, 6 : en reconstruction sagittale). Masses tissulaires au niveau de l’angle cardiophrénique antérieur droit et au niveau des attaches costovertébrales du diaphragme en faveur de métastases diaphragmatiques.
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Fixations extra-osseuses thoraciques vues à la scintigraphie
situé juste en dessous de l’appendice xyphoïde (figure 7), l’autre, paramédian droit (figures 7, 8). Le complément tomoscintigraphique permettait de déceler un troisième foyer de fixation ectopique basithoracique pré-vertébral (figure 9). La topographie de ces fixations ectopiques correspondait aux métastases diaphragmatiques décrites à la TDM.
Figure 9. - Patient n° 2. Coupes tomoscintigraphiques centrées sur le thorax, mettant en évidence un foyer extra-osseux prévertébral médiastinal postérieur (flèches).
Discussion 240
Les amyloses sont un groupe de maladies acquises ou héréditaires caractérisées par un dépôt extracellulaire anormal de nombreuses protéines. Le dépôt amyloïde peut être limité (amylose localisée), ou affecter plusieurs organes ou tissus (amylose systémique). Il se dépose avec prédilection dans les parois des vaisseaux sanguins, en particulier sur leurs membranes basales [3]. L’amylose nodulaire pulmonaire, souvent asymptomatique, est le plus fréquemment découverte à l’occasion d’un examen radiologique ou pour des symptômes non spécifiques. Le diagnostic est le plus souvent porté sur l’analyse d’une pièce d’exérèse, compte tenu de la forte suspicion de lésion néoplasique. Il peut également être obtenu par ponction transpariétale. La substance amyloïde est de type AL [4]. L’amylose pulmonaire localisée
La scintigraphie du squelette est un acte diagnostique couramment sollicité en pneumologie, à la recherche notamment de localisations osseuses secondaires. Lors d’un tel examen, et malgré la spécificité du traceur pour le tissu osseux (Tc99m-HMDP ou hydroxy-méthylène diphosphonate marqué au technétium 99 métastable), l’observation de fixations extra-squelettiques n’est pas exceptionnelle. Le mécanisme de cette fixation n’est souvent pas univoque car plusieurs anomalies peuvent concourir à l’aspect scintigraphique. – La première observation décrit un cas de fixation pulmonaire de Tc99m-HMDP lors d’une amylose pulmonaire.
7 8 Figure 7 et 8. - Patient n° 2. Scintigraphie osseuse au HMDP-Tc99m (7 : corps entier en face antérieure et postérieure, 8 : cliché centré sur le thorax en OAD). Hyperfixations intéressant le rachis, le gril costal et l’appendice xyphoïde en rapport avec une dissémination osseuse secondaire. Par ailleurs, s’individualisent deux foyers hyperfixants basithoraciques d’allure extra-osseuse : l’un est situé juste en-dessous de l’appendice xyphoïde, l’autre est paramédian droit (flèches).
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peut être associée à des affections néoplasiques. C’est le cas de certains lymphomes et des métastases de carcinomes à stroma amyloïde de la thyroïde [5]. Le mécanisme exact de fixation de diphosphonates sur les tissus mous, siège de dépôts amyloïdes, reste, à l’heure actuelle, non encore élucidé. L’une des hypothèses avancées se base sur une simple expansion du liquide interstitiel qui peut se rencontrer également lors de phénomènes inflammatoires et tumoraux, d’épanchement pleuraux et péritonéaux, d’insuffisance rénale et de rhabdomyolyse [6]. Cet échange inter-compartimental ne peut cependant expliquer la fixation intense sur les tissus mous dépassant parfois le niveau de captation des structures osseuses elles-mêmes. Sur le plan ultra structural, cette fixation ne semble pas en rapport avec la protéine amyloïde fibrillaire β plissée, mais plutôt avec la protéine AP, laquelle se lie à la protéine fibrillaire de façon dépendante du calcium vis-à-vis duquel la substance amyloïde présente une affinité certaine [7]. Le mécanisme de fixation sur les dépôts calciques qui accompagnent l’amylose sera traité plus loin. La première observation d’une fixation extra-osseuse de diphosphonates au cours d’une amylose a été rapportée par Van Antwerp et al. [8]. L’extrême sensibilité de l’examen scintigraphique a conduit certains auteurs [9] à recommander sa prescription dans le bilan d’extension de l’amylose systémique. En effet, l’étude histopathologique, clé du diagnostic, implique le recours à la biopsie des organes concernés, geste non dénué de risque hémorragique [10], d’autant plus que les dépôts amyloïdes ont une topographie péri-vasculaire préférentielle. La sensibilité de l’examen scintigraphique dans la détection des dépôts amyloïdes atteint 100% dans l’étude de Janssen et al., qui a porté sur 21 patients [9]. Cet outil très sensible souffre cependant du manque de spécificité en raison des nombreuses situations pouvant occasionner des fixations de traceur osseux sur les tissus mous. La technique proposée par Hawkins et al. se basant sur les propriétés d’affinité du composant amyloïde P pour les dépôts amyloïdes (SAP marqué à l’iode 123) est beaucoup plus spécifique [11], mais n’a pas eu de débouchés en pratique de routine, en raison de son coût élevé, des difficultés de préparation du SAP, et enfin de l’origine humaine de cette molécule. – La deuxième observation illustre un cas de fixation ectopique d’un traceur osseux sur des métastases diaphragmatiques de tumeur neuro-ectodermique périphérique. Ces tumeurs constituent un large groupe de sarcomes indifférenciés, très rares, caractérisés par une prolifération de petites cellules rondes et incluant tumeur d’Askin, sarcome d’Ewing, neuroblastome, neuroépithéliome et rhabdomyosarcome alvéolaire [12]. De toutes
les localisations, celle pariétale thoracique est de loin la plus fréquente et prend, dans ce cas, la dénomination de tumeur d’Askin (tableau I). Cette dernière survient chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte jeune avec une prédominance féminine dans environ 75 % des cas [13]. Après résection chirurgicale et chimiothérapie, les récidives locales sont fréquentes. Les métastases à distances, déjà présentes au moment du diagnostic dans 10 % des cas, peuvent être pulmonaires, ganglionnaires médiastinales, osseuses et, par extension, transdiaphragmatique, hépatiques et surrénaliennes. Ces deux dernières localisations sont très fréquentes et doivent être recherchées systématiquement [14]. Des métastases diaphragmatiques avec, en plus, une fixation du traceur osseux sur ces tissus mous n’ont jamais été décrites. Les seules observations d’une fixation diaphragmatique de HMDP-Tc99m, rapportée par Ohsaki et al. et Padhy et al., étaient respectivement en rapport avec un volumineux hémangiome calcifié [15] et une hypercalcémie [16]. En pathologie tumorale, l’observation d’une fixation thoracique extra-osseuse de HMDP-Tc99m est un événement relativement rare. Sur 412 patients suivis pour cancer broncho-pulmonaire primitif, Yoshida et al. dénombraient 32 cas de fixation ectopique du radio-traceur, soit 7,7%. Aucune corrélation n’était établie entre l’intensité de la fixation et le type histologique de la tumeur. En revanche, il est intéressant de noter que les coupes tomodensitométriques mettaient en évidence des nécroses intra-tumorales chez 18 patients parmi les 32 sus-cités, soit dans 56 % des cas [17]. Si l’intensité de la fixation ne renseigne en rien sur le type histologique de la tumeur, l’existence d’une hyperfixation pleurale offre un intérêt diagnostique. En effet, un épanchement pleural fixant les diphosphonates est souvent corollaire de malignité [18].
Tableau I. - Localisations primitives des tumeurs neuroectodermiques périphériques [23]. Localisation
%
Paroi thoracique
33,3 %
Pelvis
22,2 %
Région paraspinale
13 %
Retropéritoine
11,1 %
membres
9,3 %
Abdomen
7,4 %
Cou
1,9 %
Localisation primitive inconnue
9,3 %
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Fixations extra-osseuses thoraciques vues à la scintigraphie
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La fixation de traceurs radiopharmaceutiques à tropisme osseux sur les tumeurs neuro-ectodermiques semble être en rapport avec des phénomènes nécrotiques, et les calcifications fréquentes dans ce type de néoplasies et leurs métastases [13, 14, 19]. La nécrose s’accompagne, en effet, d’altérations fonctionnelles profondes des membranes plasmiques à l’origine d’un afflux massif de calcium ionisé dans le milieu intracellulaire. Dépassée une certaine concentration cytosolique, ce calcium précipite sous forme de phosphate de calcium et d’hydroxyapatite de calcium dont l’affinité pour les diphosphonates est à la base même de l’imagerie scintigraphique de l’appareil ostéoarticulaire. Ces calcifications dites « dystrophiques » sont à distinguer des calcifications métastatiques (elles sont dites « métastatiques » sans pour autant être forcement en rapport avec une étiologie maligne sous-jacente) qui surviennent sur des tissus mous viables, au décours d’une hypercalcémie. En effet, une calcémie élevée, aggravée par une hypoprotidémie, peut entraîner des dépôts extracellulaires de sels de calcium. Une fixation diffuse peut être alors observée au niveau de l’estomac, des reins [20], du foie et des poumons [21]. Une altération du pH local de ces tissus à sécrétion acide serait à l’origine de tels dépôts [6]. Par ailleurs, Watson et al. rapportent une disparition de la fixation pulmonaire lors d’une scintigraphie de contrôle après traitement efficace de l’hypercalcémie [22].
Conclusion Des fixations extra-osseuses de diphosphonates accompagnent des situations pathologiques très variées. Leur observation peut être plus qu’un simple artéfact et apporter des informations utiles au diagnostic. Dans l’amylose, cet outil très sensible reste une alternative possible en attendant un traceur scintigraphique spécifique. Références 1.
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