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Rev Rhum [E´d Fr] 2000 ; 67 : 498-504 Tissue ingineering and skeletal diseases – Joint Bone Spine 2000 ; 67 (in press) © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved S1169833000000119/REV
Ingénierie tissulaire et maladies du squelette Pierre Hardouin1,2, Karine Anselme1, Brigitte Flautre1, Fabien Bianchi3, Gérard Bascoulergue4¥, Bertrand Bouxin4 1 Institut de recherche sur les biomatériaux et les biotechnologies (IR2B), 52 rue du docteur Calot, 62608 Berck-surMer cedex, France ; 2service de rhumatologie, institut Calot, groupe Hopale, 62608 Berck-sur-Mer cedex, France ; 3laboratoire d’analyses médicales, institut Calot, groupe Hopale, 62608 Berck-sur-Mer cedex, France ; 4département de chirurgie orthopédique et traumatologie du sport, institut Calot, groupe Hopale, 62608 Berck-sur-Mer cedex, France
(Reçu le 29 décembre 1999 ; accepté le 14 avril 2000)
Résumé – L’ingénierie tissulaire, au carrefour des sciences du vivant et des sciences de l’ingénieur, a pour but de remplacer, maintenir ou améliorer la fonction de tissus humains, grâce à des substituts tissulaires incluant des éléments vivants. Il s’agit donc d’élaborer des tissus artificiels, en utilisant (isolément ou en association) des cellules, des matrices et des facteurs bioactifs. Leur association est un biomatériau hybride qui réunit des composés biologiques (cellules, facteurs de croissance, ou protéines d’adhésion) et des matériaux (polymères, céramiques). Les applications sont larges, intéressant aussi bien la peau que le foie ou la cornée, mais également l’appareil locomoteur. Dans ce cadre c’est l’ingénierie du tissu osseux qui est la plus développée, en partie grâce à l’avancée des substituts osseux, mais le cartilage ou les tendons sont également concernés. Cette technologie fait appel aux cultures de cellules (cellules différenciées, ou plus souvent cellules souches de la moelle osseuse), à des biomatériaux (matériaux poreux à architecture contrôlée, mais également ciments), à des facteurs de croissance (comme les bone morphogenetic proteins), aux protéines intervenant dans l’adhésion cellulaire (telles que la fibronectine, ou les séquences reconnues par les sous unités d’intégrine), ou à la thérapie génique (notamment en utilisant des cellules–souches transfectées). L’ingénierie tissulaire et la stimulation de la régénération tissulaire sont en plein essor sur le plan expérimental et industriel, et les applications cliniques sont de plus en plus nombreuses. Elles devraient se développer très largement compte tenu du potentiel de ces technologies. © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS biomatériaux hybrides / cellules stromales / ingénierie tissulaire / régénération tissulaire / thérapie cellulaire / thérapie génique
Summary – Tissue engineering and skeletal diseases. – Tissue engineering, a cross between the science of living organism and that of engineering, aims to replace, maintain or improve human tissue functions, by means of tissue substitutes containing living elements. Thus, it is about production of artificial tissue, using (alone or in combination) cells, matrix or bioactive factors. Their association gives rise to a hybrid biomaterial combining biological components (cells, growth factors or adhesion proteins) and materials (polymers, ceramics). The applications are wide-ranging, from the skin to the liver, or to the cornea as well as to the locomotor system. Bone tissue engineering has advanced the most in this field, partly because of the progress made by research into bone substitutes, although cartilage and tendons are also concerned.
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This technology requires cell culture (committed cells or more often bone marrow stem cells), biomaterials (porous materials with controlled architecture and cements), growth factors (such as « Bone Morphogenetic Proteins »), the proteins implicated in cell adhesion (such as fibronectin or the aminoacid sequences specifically recognised by integrin sub-units) or gene therapy (notably using transfected stem cells). Tissue engineering and regenerative stimulation of tissue are now booming on experimental and industrial levels and clinical applications are increasingly numerous. Considering the potential of these technologies, they should continue to develop widely. © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS bone marrow stroma cells / cell therapy / gene therapy / hybrid biomaterial / tissue engineering / tissue regeneration
« Ingénierie tissulaire » est la traduction littérale des termes anglais tissue engineering, expression suffisamment riche de sens dans la littérature scientifique internationale pour être le sujet de congrès ou de journaux scientifiques [1]. Des numéros spéciaux de revues cliniques lui sont consacrés et plusieurs centres de recherche en font leur thématique principale [2]. Bien qu’en plein essor, cette discipline émergente reste suffisamment méconnue pour qu’il ne soit pas inutile de la présenter de manière générale, et d’évoquer ses applications (cliniques ou expérimentales) pour l’appareil locomoteur, ceci d’autant que la fréquence des maladies atteignant l’os, le cartilage, le disque ou les ligaments est importante, que le recours aux greffes osseuses est de pratique courante et que le vieillissement de la population va majorer les besoins thérapeutiques. Enfin l’évolution rapide des travaux de recherche menés dans ce domaine, y compris par des équipes françaises, lui donne en effet un relief particulier. QU’EST-CE QUE L’INGÉNIERIE TISSULAIRE ? Il s’agit d’une spécialité pluridisciplinaire, au carrefour des sciences du vivant et des sciences de l’ingénieur, qui a pour but de remplacer, maintenir ou améliorer la fonction de tissus humains, grâce à des substituts tissulaires incluant des éléments vivants [2]. Elle est fondée sur la capacité de cellules spécialisées à se multiplier et à conserver leur comportement physiologique (leur phénotype) dans des circonstances variées. Elle doit être distinguée des traitements par biomatériaux (par exemple les prothèses articulaires), par médicaments (y compris les médicaments associés à un vecteur) ou par greffes (transplantation d’un tissu). Ce développement a été possible grâce aux avancées de la biologie cellulaire (et les possibilités de cultures de cellules) mais égale-
ment par les progrès dans la réalisation de biomatériaux (qui peuvent être des supports tridimensionnels pour la colonisation tissulaire) et par les techniques de biologie moléculaire (qui permettent de travailler avec des facteurs de croissance ou des gènes). Les composants de tout traitement faisant appel à l’ingénierie tissulaire sont des cellules, une matrice et des facteurs bioactifs, employés isolément ou en association. L’architecture du biomatériau qui sert de matrice est généralement poreuse. La porosité, la taille et la répartition des pores ainsi que les diamètres d’interconnexion jouent un rôle majeur dans la réhabitation cellulaire [3]. La régénération d’organes très vascularisés implique l’emploi de matériaux dotés d’un important volume poreux, avec une surface spécifique élevée. Dans le cas du tissu osseux l’architecture optimale comporte des pores interconnectés de 200 à 400 µ de diamètre, l’interconnexion étant d’un diamètre supérieur à 80 µ [4]. De nombreux autres paramètres doivent également être maîtrisés, tant dans la composition chimique du matériau, que dans ses propriétés physiques et son état de surface (rugosité, chimie de surface, énergie et charges de surface, etc.). Une telle architecture tridimensionnelle (polymérique, ou céramique par exemple) peut être implantée isolément, offrant aux tissus avoisinants l’opportunité de proliférer au sein du matériau, ce qui correspond à la conduction tissulaire. Une autre possibilité consiste à ensemencer ce biomatériau poreux par des cellules (fraîches ou cultivées, autologues ou non, différenciées ou progénitrices), puis à implanter l’ensemble : on parle alors de « biomatériau hybride ». Des facteurs de croissance tissu–inducteurs ou des cellules progénitrices peuvent être employés pour induire la formation tissulaire (ce qui correspond à l’induction tissulaire). La tolérance
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du biomatériau, sa capacité à entraîner ou non une réaction inflammatoire (biocompatibilité) ou la formation de tissu fibreux sont des éléments essentiels à prendre en considération. Il en est de même du devenir à long terme du biomatériau, de sa dégradation éventuelle (biomatériau biodégradable), du devenir et des propriétés des éventuels produits de dégradation. L’idéal est que le substitut tissulaire assure de façon transitoire la fonction du tissu qu’il remplace, qu’il favorise la transformation vers ce tissu normal, sans majoration des risques de cancérisation liés à la prolifération cellulaire, et qu’il fasse place en définitive à un tissu physiologique. Il s’agit donc d’un nouveau moyen thérapeutique, qui utilise le biomimétisme et qui a pour but d’élaborer des tissus vivants artificiels sous la forme de produits manufacturés. Ces traitements nécessitent de maîtriser de nombreuses technologies liées à l’utilisation de cellules, à la matrice tridimensionnelle, et à la nécessaire intégration aux tissus vivants. L’objectif est de remplacer des tissus humains endommagés (par l’âge, la pathologie ou un traumatisme) grâce à un substitut tissulaire artificiel, en permettant ainsi d’améliorer la qualité de vie. La culture de tissu humain à l’extérieur de l’organisme puis sa réimplantation ultérieure est une méthode qui est déjà largement utilisée pour le remplacement cutané dans le traitement des brûlures. Outre la peau, de nombreux tissus ou organes sont susceptibles de bénéficier de l’ingénierie tissulaire, tels que les valves cardiaques, les îlots de Langherans, le foie, le système nerveux central, la cornée, le muscle, le cartilage, les ligaments ou l’os. D’une façon générale, l’ingénierie tissulaire est une thérapeutique qui doit être plus légère que les transplantations d’organes (sur le plan chirurgical, mais aussi en évitant les traitements immunosuppresseurs à vie) et de disponibilité plus aisée, tout en apportant une grande efficacité, à un coût maîtrisable. INGÉNIERIE DU TISSU OSSEUX Substituts osseux en céramiques poreuses : élaboration d’une trame minérale L’hydroxyapatite est le principal composant minéral de l’os, et il est possible d’élaborer une hydroxyapatite de synthèse, qui se présente sous la forme d’une poudre minérale dont le frittage permet, dans certaines conditions et grâce à un porogène, d’obtenir des céramiques poreuses en hydroxyapatite. Ces céramiques en phosphates de calcium sont biocompatibles et sont dotées de
Figure 1. Biomatériau injectable associant le principal constituant minéral de l’os : hydroxyapatite (granules noirs) et le principal composé organique : collagène (astérisques).
propriétés d’ostéoconduction, aussi sont-elles de plus en plus employées en chirurgie orthopédique pour le comblement osseux [3]. De nombreux produits sont commercialisés, à base d’hydroxyapatite, de phosphate tricalcique, ou d’association de ces deux composants [5]. Il est indispensable que la composition physicochimique (et notamment le rapport Ca/P) et l’architecture poreuse (répartition, connexion des pores, taille des interconnexions) de ces céramiques soient maîtrisées. L’hydroxyapatite, constituant minéral, peut être associée au collagène, principal composant organique de l’os (figure 1) [6]. De manière générale ces différents substituts osseux doivent encore être améliorés car leur capacité d’ostéoconduction reste limitée (notamment en cas de grands volumes) et leurs propriétés mécaniques restent médiocres. Cellules : les agents vivants de la formation osseuse Fondamentalement, l’ingénierie tissulaire intéresse les cellules, car ce sont les cellules qui élaborent les tissus. Les ostéoblastes sont les cellules ostéoformatrices, mais de telles cellules spécialisées ont une durée de vie limitée. Elles font l’objet d’un turn-over et sont remplacées par des cellules progénitrices qui se différencient à leur tour. Les cellules ostéoprogénitrices sont accessibles : il s’agit de cellules stromales présentes dans la moelle osseuse. Elles peuvent être prélevées à la seringue (figure 2), sélectionnées en peropératoire, et réinjectées dans un site pathologique, tel qu’une ostéonécrose de tête fémorale ou une pseudarthrose [7, 8]. Mais il s’agit là de thérapie cellulaire plus que d’ingénierie tissulaire.
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Figure 3. Biomatériau hybride : cellules stromales ostéoprogénitrices (flèche) au sein d’une architecture poreuse en hydroxyapatite (faciès de rupture).
Figure 2. Thérapie cellulaire : prélèvement de moelle osseuse qui, après concentration cellulaire peropératoire, sera injectée par le canal de forage d’une ostéonécrose de tête fémorale.
Biomatériaux associés à des cellules : biomatériaux hybrides L’association de cellules et d’une matrice nécessite de maîtriser les paramètres intervenant dans l’adhésion cellulaire sur le biomatériau, et ces phénomènes restent mal connus. L’adhésion fait intervenir de nombreuses protéines spécifiques qui siègent dans le cytosquelette (comme l’actine), dans la membrane (comme les intégrines) ou dans la matrice extracellulaire (comme la fibronectine). Ces protéines de la matrice se caractérisent par la présence d’une séquence d’acides aminés particulière (séquence RGD) qui est reconnue par les sous unités d’intégrines. Il apparaît logique de favoriser les phénomènes d’adhésion grâce à un état de surface optimal. Les propriétés physicochimiques (rugosité, composition, etc.) vont ainsi intervenir, mais une action sur les phénomènes biologiques eux-mêmes apparaît plus spécifique. Dans ce but, des protéines (comme la
fibronectine) [9-11] ou des séquences d’acides aminés (comme la séquence RGD) sont adsorbées ou greffées sur le matériau [12-14]. On aboutit ainsi à un biomatériau hybride associant un biomatériau poreux, des cellules, et une protéine d’adhésion. Les biomatériaux hybrides comportant en leur sein des cellules ostéoprogénitrices (figure 3) ne sont plus simplement ostéoconducteurs. Ils sont en effet capables d’induire la formation d’un tissu osseux même s’ils sont implantés en site intramusculaire (figure 4) [15, 16]. De nombreux facteurs, tels que le nombre et les caractéristiques des cellules ou les conditions de culture cellulaire, nécessitent cependant d’être précisés, et l’efficacité ou l’innocuité de ces traitements doivent également être confirmées. La vectorisation de facteurs ostéoinducteurs, comme les bone morphogenetic proteins (BMP) et notamment la BMP rh2, fait également l’objet de nombreux travaux, et des études cliniques sont en cours dans le traitement des fractures ouvertes ou des ostéonécroses. Là également, des validations sont indispensables [17]. Ciments Les ciments osseux résorbables constituent une classe à part de substituts osseux [18]. Il s’agit d’une pâte injectable par l’intermédiaire d’une aiguille ou d’un trocart, qui solidifie in situ au cours d’une réaction chimique se
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Figure 4. Ostéo-induction : formation de tissu osseux (têtes de flèches) au sein d’un biomatériau hybride, après un mois d’implantation en site intramusculaire (microscopie optique, May-GrünwaldGiemsa ; barre : 140 µm).
produisant même en milieu liquide. Cette réaction peut aboutir à un composé final de type dahlite [19] ou de type brushite [20], mais de nombreuses autres formulations sont possibles [21]. Ces ciments peuvent associer une matrice et des granules de phosphate tricalcique. À la différence des céramiques, aucun frittage à haute température n’est employé. Aussi ces ciments sont-ils candidats à servir de vecteur à des facteurs de croissance tels que la BMP ou à des médicaments, antibiotiques ou antimitotiques notamment [22]. Ces ciments peuvent être résorbables et remplacés progressivement par un tissu osseux normal. De nombreux facteurs (injectabilité, formulation, constituants et réactivité des granules, équilibre acidobasique de la réaction, propriétés mécaniques et biologiques du ciment, etc.) interviennent et leur maîtrise est indispensable avant d’espérer obtenir des résultats convaincants en clinique. Thérapie génique Sur le plan expérimental, l’utilisation thérapeutique de gènes (gène de BMP ou d’autres facteurs de croissance) a débuté, soit par injection directe de virus porteurs soit par l’intermédiaire de cellules transfectées (cellules stromales notamment). Ces études se sont particulièrement développées ces deux dernières années dans le domaine des pathologies ostéoarticulaires. Ainsi il a récemment été démontré la possibilité de transfecter efficacement in vivo les ostéoblastes et les ostéocytes par injection percutanée d’un adénovirus porteur du gène hTGF-b1 [23] et d’induire la formation d’os en site intramuscu-
laire grâce à l’injection d’un adénovirus vecteur du gène de la rhBMP-2 [24]. La voie de recherche la plus explorée actuellement concerne la transfection de cellules stromales de moelle. Plusieurs auteurs ont récemment démontré l’efficacité des cellules de moelle transfectées avec des gènes de protéines ostéo-inductives (BMP-2, LMP-1) pour l’obtention d’une arthrodèse rachidienne [25, 26] ou par des gènes de facteurs de croissance (IGF-I) pour le comblement de défects osseux [27]. Il est possible de cibler un gène thérapeutique vers les cellules osseuses (en vue du traitement de maladies métaboliques ou de métastases) grâce au promoteur du gène de l’ostéocalcine qui s’exprime spécifiquement dans le tissu osseux : expérimentalement des cellules de moelle abritant un transgène composé d’un gène reporter (CAT : chloramphenicol acetyl transferase) placé sous le contrôle du promoteur du gène de l’ostéocalcine ont été injectées à des souris receveuses par voie intraveineuse. L’analyse histologique et immunohistochimique des tissus des cellules receveuses après quatre à six semaines montre l’expression du transgène uniquement par les ostéoblastes et les ostéocytes (CAT positifs) alors qu’il est retrouvé dans la plupart des tissus du receveur (cœur, foie, thymus, poumon, rein, rate, muscle, peau, etc.) [28]. Cette expression est observée dès un mois et peut persister jusqu’à 12 mois après l’injection. Les techniques de thérapie génique utilisant les cellules stromales comme véhicule sont développées également pour le traitement de maladies génétiques comme l’ostéogénèse imparfaite [29]. INGÉNIERIE DES AUTRES TISSUS DE L’APPAREIL LOCOMOTEUR Cartilage articulaire Le cahier des charges met en avant trois difficultés : combler le défect cartilagineux par un échafaudage tridimensionnel, disposer d’une population cellulaire aux capacités métaboliques suffisantes pour restaurer une matrice extracellulaire fonctionnelle, fixer de manière satisfaisante l’implant qui est confronté à la mécanique articulaire [30]. Sur le plan cellulaire, les chondrocytes autologues sont utilisés depuis plusieurs années [31]. Le principe consiste à prélever sous arthroscopie du cartilage en zone non portante, à cultiver les chondrocytes puis, dans un deuxième temps, à injecter ces cellules autologues pour combler un défect cartilagineux localisé. Les chondrocytes cultivés présentent cependant certaines différences avec les chondrocytes
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La problématique est proche de celle posée par les autres tissus : type cellulaire (cellules méniscales, fibroblastes et cellules synoviales, ou cellules souches mésenchymateuses), matrice tridimensionnelle (fibrine, collagène, sous-muqueuse intestinale, polymères biodégradables dérivés de l’acide lactique ou glycolique), environnement mécanique et métabolique. Il est ainsi possible d’élaborer un ménisque, mais l’intérêt clinique à long terme de ce type de néotissu reste à démontrer [32]. La faisabilité de la thérapie génique (TGF-b, adénovirus) a également été validée pour le disque intervertébral.
toute sécurité les approches permises par les progrès de la biologie moléculaire et de la génétique. L’enjeu est une amélioration significative du traitement de nombreux états pathologiques grâce à cette nouvelle discipline thérapeutique. L’essor industriel récent témoigne de l’importance de cet enjeu, sous son angle commercial. Le développement des techniques destinées à stimuler la régénération tissulaire, et l’avancée des technologies d’ingénierie tissulaire va en effet très probablement conduire à de larges applications en clinique. Aussi le clinicien devra-t-il se familiariser avec les concepts de base liés à ces thérapeutiques nouvelles (cultures cellulaires, facteurs de croissance, cellules stromales de moelle osseuse, etc.) [37]. Il lui faudra également intégrer dans son vocabulaire familier des expressions telles que thérapie cellulaire, cellules ostéoprogénitrices, BMP, matrices tridimensionnelles, hydroxyapatite, ciments injectables, vectorisation, génomique fonctionnelle… et bien sûr ingénierie tissulaire. Ces nouvelles thérapeutiques sont d’élaboration et de mise œuvre complexes, nécessitent une approche pluridisciplinaire (incluant les aspects réglementaires et financiers) qui pourrait conduire, au XXIe siècle, à une collaboration plus étroite entre cliniciens et spécialistes de l’ingénierie tissulaire, et donc à une redéfinition du rôle de chacun.
Ligaments et tendons
RE´FE´RENCES
L’objectif est d’agir sur la synthèse protéique et d’améliorer la cicatrisation tendineuse. Les effets expérimentaux de divers facteurs de croissance (PDGF BB et TGF-b1 notamment) ont ainsi été étudiés et une amélioration des propriétés de cicatrisation a pu être démontrée, n’atteignant cependant pas le niveau d’un tendon sain [33]. De nombreux travaux utilisant le transfert de gène ont également été effectués, avec introduction du gène LacZ dans des tendons ou des ligaments grâce à un vecteur viral. Comme pour les autres tissus la thérapie cellulaire et l’utilisation de cellules souches mésenchymateuses sont à l’étude, de même que l’utilisation de matrices synthétiques [34].
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de zone portante, ce qui peut être source de conséquences à long terme. Différentes matrices tridimensionnelles ont été employées, faisant notamment appel aux polymères d’acide glycolique. Une des difficultés est la liaison avec le cartilage receveur, défavorisée par un temps de culture prolongé [30]. De même que pour le tissu osseux, les cellules mésenchymateuses représentent une alternative à l’utilisation de cellules différenciées, et la thérapie génique est utilisée sur le plan expérimental de manière similaire (obtention du gène de la BMP7 par RT PCR et transduction d’un rétrovirus vecteur). Ménisque et disque
CONCLUSION ET PERSPECTIVES Le défi actuel consiste à trouver de nouveaux biomatériaux (et dans ce cadre les possibilités offertes par les sciences des matériaux – et notamment des polymères – apparaissent particulièrement séduisantes [35, 36]), à contrôler l’interaction cellule–biomatériau (ce qui passe par des travaux plus fondamentaux), et à développer en
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