Formation médicale continue
C A S
C L I N I Q U E
Fleuriste : une exposition professionnelle inhabituelle aux résines époxy M.N. Crépy1 A.M. Jonathan1 R. Péra2 D. Choudat1 1. Service de pathologie professionnelle, hôpital Cochin, 27 rue du faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris 2. CIAMT, 61 rue du faubourg Saint-Denis, 75010 Paris. Tirés à part : M.N. Crépy, à l’adresse ci-dessus.
Mots-clés : Résines époxy, fleuristes, eczéma de contact allergique, diglycidyléther du bisphénol A, polyamines. Key-words: Epoxy resins, florist, allergic contact dermatitis, diglycidylether of bisphenol A, polyamines.
Madame J. consulte en janvier 2005 pour un eczéma du visage et des mains associé à une rhinite et à un asthme. Elle travaille comme responsable de production de fleurs artificielles depuis 3 ans. Son activité consiste en l’assemblage de fleurs artificielles en tissus ou en latex dans des pots où elle verse un mélange de résines époxy et de durcisseurs, donnant après séchage une impression d’eau transparente. Elle travaille avec une collègue qui effectue les mêmes tâches : - assemblage des fleurs artificielles en bouquet, - préparation de la résine en la versant dans un broc, - le broc est chauffé au micro-ondes pendant quelques minutes puis la résine chaude est versée dans un autre broc contenant le durcisseur, - la résine et le durcisseur sont mélangés à l’aide d’un appareil, - le mélange est ensuite versé dans les vases contenant les fleurs artificielles, - les vases sont transportés au poste de séchage. Les lésions cutanées de madame J. évoluent depuis plus d’un an, rythmées par l’activité professionnelle, avec guérison complète pendant les vacances. Les lésions sont érythématovésiculeuses, croûteuses avec desquamation, et prurigineuses prédominant au dos des 2 mains, au visage, notamment les paupières, le nez et les joues, ainsi que le cou et le décolleté (figure 1 et 2). Il s’y associe une rhinite et une gêne respiratoire. Dans ses antécédents, elle signale des épisodes d’eczéma en regard de bijoux fantaisie métalliques et un eczéma atopique chez son fils. Madame J. bénéficie de tests épicutanés comprenant la batterie standard européenne, la batterie résines époxy et les 2 produits professionnels manipulés à son poste (le premier contenant du diglycidyléther du bisphénol A (DGEBA) de poids moléculaire moyen inférieur à 700 et de l’alkylglycidyléther, le deuxième produit contient le durcisseur (polyoxyalkylèneamine) à la concentration de 1 % pétrolatum. Les résultats sont les suivants (lecture au 3e jour) : - test ++ à la résine époxy de la batterie standard européenne qui est du DGEBA ; - test ++ à la résine professionnelle contenant du DGEBA et de l’alkylglycidyléther ; - test ++ au durcisseur professionnel de type polyoxyalkylèneamine. Les épreuves fonctionnelles respiratoires (EFR) révèlent (objectivement) des valeurs spirométriques de base normales avec une hyperréactivité bronchique non spécifique (test à la méthacholine positif à 1 804 microgrammes).
Discussion Madame J. manipule régulièrement des résines époxy sur son poste de travail. Elle présente un eczéma de contact
allergique provoqué par cette résine et confirmé par des tests épicutanés. Cet eczéma est rythmé par le travail avec guérison complète pendant les vacances et récidive lors de nouvelles expositions
© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
639
à ce risque. L’exposition cutanée se fait par contact direct lors des projections fréquentes, surtout lors du mélange avec la perceuse, mais aussi lors du transport et du transvasement des brocs Arch Mal Prof Env 2006
M.N. Crépy et al.
12 Figure 1. Eczéma du menton. Figure 2. Eczéma des paupières.
dans les vases. Le contact est également aéroporté, notamment quand la résine époxy est chauffée, expliquant l’atteinte du visage, avec eczéma des paupières, du nez, des joues, du menton, du cou et du décolleté. Une déclaration de maladie professionnelle est donc faite (tableau n° 51 du régime général de la Sécurité sociale (TRG 51)) pour eczéma de contact allergique aux résines époxy (tableau I) (1). Par ailleurs, madame J. présente un asthme rythmé par le travail, confirmé par des EFR (test à la méthacholine). Les tests épicutanés montrent également une allergie à une amine présente dans le durcisseur utilisé sur son poste de travail. Une deuxième déclaration de maladie professionnelle est donc faite (tableau n° 49 bis du régime général de la Sécurité sociale (TRG 49 bis)) pour asthme avec manipulation d’amines (tableau II) (1).
Évolution clinique Les premières années d’activité, madame J. ne portait ni gants, ni masque, ni lunettes de protection. Il n’y avait ni ventilation ni aspiration du local de travail. Actuellement, une aspiration-ventilation a été mise en place, ainsi que le port d’équipements de protection.
L’arrêt de travail a entraîné la guérison des lésions. Madame J. n’occupe plus ce poste de mélange, préparation, séchage de résine. Elle continue de se plaindre d’un léger prurit lors du travail dans l’atelier mais sans signe visible d’eczéma de contact ; les EFR sont normales.
- les matériaux composites dans les secteurs de l’automobile, de l’aérospatiale, de la construction navale…) (2).
Les résines époxy contiennent au moins 2 groupes époxy CH2 CH O
Mise au point sur les résines époxy Les résines époxy sont des matières plastiques thermodurcissables possédant d’excellentes propriétés mécaniques et chimiques (dureté, résistance aux chocs, à la chaleur, à l’eau et à de nombreux produits chimiques, très bonne adhésivité sur de nombreux matériaux) et d’isolation électrique. Elles sont très utilisées surtout dans : - les revêtements (peintures, vernis, revêtements de sols, isolants, revêtements de composants électroniques, protection anticorrosion), - comme adhésifs (dans l’automobile, l’électronique, l’aéronautique, la construction…) et colles de grande diffusion, - les résines de coulée pour la fabrication de modèles et de moules, 640
Elles ont une structure linéaire. Le passage à la structure finale tridimensionnelle nécessite l’utilisation de durcisseurs permettant la formation de ponts entre les chaînes linéaires. Les deux principaux groupes de durcisseurs sont les polyamines et les anhydrides d’acide. La viscosité importante des résines époxy nécessite souvent l’adjonction de diluants réactifs, facilitant leur emploi. Ces diluants peuvent également contenir des groupes époxy (3). La principale résine époxy utilisée est le DGEBA, résultant de la polycondensation de l’épichlorhydrine avec le bisphénol A. Plus le poids moléculaire est faible, plus la résine est liquide et riche en monomères. D’autres résines époxy non dérivées du DGEBA sont allergisantes, résines basées sur le DGEBF, résines époxyphénol-novolaques, résines époxy cycloaliphatiques, résines époxy-aniline, résines époxy bromées, résines Arch Mal Prof Env 2006
époxy à base d’isocyanurate de triglycidyle, éther tétraglycidylique de 4,4’méthylènedianiline (TGMDA), éther triglycidylique de p-aminophénol (TGPAP). Néanmoins, la résine époxy la plus fréquemment responsable d’allergie cutanée est le DGEBA : 80 % des cas dans une étude de Jolanski sur 182 patients ayant un eczéma de contact allergique aux résines époxy (4). Dans cette même étude, les diluants réactifs les plus fréquemment incriminés étaient l’éther glycidylique de phényle, l’éther glycidylique de crésyle et l’éther diglycidylique de butanediol. Dans le groupe des durcisseurs polyamines, la méthylènedianiline, la diéthylènetriamine et l’isophoronediamine étaient le plus souvent en cause.
Madame J. était exposée à la résine époxy DGEBA, au diluant réactif alkylglycidyléther et au durcisseur amine, la polyoxyalkylène amine. La prévalence de l’allergie aux résines époxy type DGEBA dans une population consultant pour eczéma varie entre 0,9 et 1,3 % (5-8). Dans le groupe de patients explorés pour eczéma d’origine professionnelle, la prévalence est plus élevée, de 3,3 % à 11,7 % (9-11). Cliniquement, l’eczéma des paupières et du visage est classique et très évocateur d’allergie cutanée aux résines époxy. Il est souvent associé à un eczéma des mains. Le diagnostic doit être confirmé par des tests épicutanés avec la batterie standard européenne qui comprend le DGEBA, la batterie résines époxy et parfois avec les produits professionnels
Tableau I : Tableau n° 51 du régime général.
s’ils contiennent des résines époxy ou des durcisseurs n’étant pas présents dans les batteries de tests (12). Ce cas clinique chez une fleuriste (fleurs synthétiques) n’a, à notre connaissance, jamais été encore décrit. Il illustre l’importance de la prévention dans le cadre de l’exposition à des molécules à fort pouvoir sensibilisant : - information des utilisateurs, - ventilation et aspiration dans le local, - port d’équipements de protection individuelle (notamment les gants). Il est important de savoir que les résines époxy traversent pratiquement tous les gants en quelques minutes. Actuellement, les gants 4 H® n’étant plus fabriqués, seuls les gants Barrier® sont adaptés à l’exposition aux résines époxy. L’ergonomie du poste de travail est également essentielle (éviter les transvasements, emplacement des lieux de séchage à distance).
Maladies professionnelles provoquées par les résines époxydiques et leurs constituants Date de création : décret du 2 novembre 1972 Désignation des maladies Lésions eczématiformes récidivant en cas de nouvelle exposition au risque ou confirmées par un test épicutané.
Dernière mise à jour : décret du 11 février 2003 Délai de prise Liste limitative des travaux susceptibles en charge de provoquer ces maladies 15 jours Préparation des résines époxydiques. Emploi des résines époxydiques : - fabrication des stratifiés ; - fabrication et utilisation de colles, vernis, peintures à base de résines époxydiques.
Tableau II : Tableau n° 49 bis du régime général.
Affections provoquées par les amines aliphatiques, les éthanolamines ou l’isophoronediamine Date de création : décret du 11 février 2003 Désignation des maladies Rhinite récidivant en cas de nouvelle exposition au risque ou confirmée par test.
Asthme objectivé par explorations fonctionnelles respiratoires récidivant en cas de nouvelle exposition au risque ou confirmé par test.
Arch Mal Prof Env 2006
Dernière mise à jour : Délai de prise Liste indicative des principaux travaux en charge susceptibles de provoquer ces maladies 7 jours Préparation, emploi et manipulation des amines aliphatiques, des éthanolamines ou de produits en contenant à l’état libre, ou l’isophoronediamine. 7 jours
Références 1. Les maladies professionnelles – Guide d’accès aux tableaux du régime général et du Régime agricole de la Sécurité Sociale. Édition INRS ED 835 – 3e édition septembre 2003. 2. Crépy MN : Dermatoses professionnelles aux résines époxy. Document pour le médecin du travail, 2002 ; 91 : 297-306. 3. Jolanki R, Kanerva L, Estlander T : Epoxy resins in Kanerva L, Elsner P, Wahlberg JE, Maibach MI (eds). Handbook of occupational dermatology, Springer-Verlag, Heidelberg 2000 : 570-590. 4. Jolanki R, Estlander T, Kanerva L : 182 patients with occupational allergic epoxy contact dermatitis over 22 years. Contact Dermatitis, 2001 ; 44 : 121-123. 5. Schnuch A, Geier J, Uter W, et al. : National rates and regional differences in sensitization to allergens of the standard series. Population-adjusted frequencies of sensitization (PAFS) in 40 000 patients from a multicenter study (IVDK). Contact Dermatitis, 1997 ; 37 : 200-209. 6. Meding B, Swanbeck G : Occupational hand eczema in an industrial city. Contact Dermatitis, 1990 ; 22 :13-23. 7. Uter W, Hegewald J, Aberer W et al. : The European standard series in 9 European
641
CAS CLINIQUE
Fleuriste : une exposition professionnelle inhabituelle aux résines époxy
M.N. Crépy et al.
countries, 2002/2003 - First results of the European Surveillance System on Contact Allergies. Contact Dermatitis, 2005 ; 53 : 136-145. 8. Bruynzeel DP, Diepgen TL, Andersen KE, et al. : Monitoring the European standard series in 10 centres 1996-2000. Contact Dermatitis, 2005 ; 53 : 146-149.
9. Jolanki R : Occupational skin diseases from epoxy compounds. Epoxy resin compounds, epoxy acrylates and 2,3-epoxypropyl trimethyl ammonium chloride. Acta Derm Venereol, Suppl 1991 ; 159 : 1-80. 10. Wall LM, Gebauer KA : Occupational skin disease in Western Australia. Contact Dermatitis, 1991 ; 24 :101-109.
642
11. Holness DL, Nethercott JR : Results of testing with epoxy resin in an occupational health clinic population. Am J of Contact Dermatitis, 1992 ; 3 : 169-174. 12. Géraut Ch, Séroux D, Dupas D : Allergies cutanées aux nouvelles molécules des résines époxydiques. Arch mal prof, 1989 ; 50 : 160-161.
Arch Mal Prof Env 2006