NEUROPSYCHOLOGIE
Fonctions exécutives dans le trouble obsessionnel compulsif : effet de l’âge de début des troubles V. GOUSSÉ (1, 2), R. DELORME (1, 3), N. CHABANE (1, 3), F. PEREZ-DIAZ (5), M. FLAVIE (1), M.-C. MOUREN-SIMÉONI (1, 3), M. LEBOYER (1, 4)
Résumé. La grande hétérogénéité symptomatique observée dans le trouble obsessionnel compulsif (TOC) explique très probablement les résultats divergents des différentes études menées au plan cognitif chez ces patients. Étant donné l’importance de l’âge de début des troubles dans les maladies complexes et hétérogènes comme le TOC, l’objectif de notre l’étude a été d’évaluer les performances cognitives de 30 patients atteints de TOC ayant soit un début précoce, soit un début plus tardif des troubles, à l’aide de tests appartenant au domaine des fonctions exécutives. Les patients atteints de TOC ont été répartis selon leur âge de début des troubles, 15 patients ayant un âge de début du trouble prépubertaire < 12 ans, 15 patients ayant un âge de début post-pubertaire > 12 ans. Leurs performances cognitives sont comparées à celles d’un groupe de 22 témoins, avec un appariement moyen sur l’âge, le sexe et le niveau d’étude. Cinq tests appartenant au domaine des fonctions exécutives ont été proposés : la Tour de Londres, le Trail Making Test, une fluence verbale, une fluence picturale et une fluence d’association. Les 30 patients atteints de TOC obtiennent des scores significativement inférieurs à ceux des témoins aux tests de la Tour de Londres et à la fluence d’association (p < 0,05 et p < 0,001 respectivement). De plus, les 15 patients ayant un âge de début prépubertaire des troubles ont des scores significativement moins bons à ces tests que les patients ayant un âge de début post-pubertaire. Des déficits spécifiques liés à la mémoire de travail spatiale et à la planification sont observés dans un groupe de patients atteints de TOC, comparativement à un groupe de témoins. Ces déficits sont significativement plus importants chez les patients ayant un âge de début prépubertaire des troubles, comparativement à ceux ayant un début post-pubertaire. Ces résultats préliminaires tendent vers une spécificité cognitive des patients TOC selon leur âge de début et confirment les études cliniques montrant un démembrement (1) (2) (3) (4) (5)
possible du phénotype « maladie » selon l’âge de début des troubles des patients atteints. Mots clés : Âge de début des troubles ; Cognition ; Fonctions exécutives ; Mémoire de travail ; Planification ; Trouble obsessionnel-compulsif.
Is age at onset associated with executive dysfunction in obsessive-compulsive disorder ? Summary. In obsessive-compulsive disorder (OCD), clinical, neurobiological and genetic differences have been reported according to age at onset (AAO). Given the importance of identifying homogeneous subtypes in complex heterogeneous disorders such as OCD, it would be particularly useful to identify a specific cognitive profile associated with early-onset OCD. Although impaired cognition has repeatedly been demonstrated in OCD patients, discrepancies between studies have hampered the identification of a precise cognitive dysfunction. Executive dysfunction has often been reported, but findings have not always been replicated. The aim of this study was to assess executive functions in 30 patients according to their AAO. The sample consisted of 15 early-onset and 15 late-onset OCD patients and 22 normal controls, matched for age, sex and socio-economic status. Various aspects of executive function were assessed with five neuropsychological tests : Tower of London, Trail Making Test, Verbal Fluency, Design Fluency and Association Fluency. The 30 OCD patients obtained lower total scores than the controls in the Tower of London test and association fluency task (p < 0.05 and p < 0.001, respectively). Impairments were more marked for the early-onset group, with no effect of gender or age at interview. Deficits in specific aspects of frontal lobe function were found in the OCD group and were particularly pronounced within the early-onset group. These
INSERM, U 513, Laboratoire de Neurobiologie et Psychiatrie, Faculté Henri-Mondor, Créteil, France. Université Paris 8, Institut d’Enseignement à Distance, 2, rue de la Liberté, 93256 Saint-Denis cedex. Service de Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent, Hôpital Robert-Debré, AP-HP, Paris, France. Service de Psychiatrie d’Adultes, Hôpital Henri-Mondor et Albert-Chenevier, AP-HP, Créteil, France. Laboratoire de Neurobiologie des conduites adaptatives, CNRS, UMR 7593, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris, France.
Travail reçu le 17 mai 2004 et accepté le 2 mars 2005. Tirés à part : V. Goussé (à l’adresse ci-dessus). 666
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findings confirm clinical data suggesting that OCD patients can be subtyped according to age at onset and that OCD patients present unusual cognitive characteristics. They also support the hypothesis that early-onset OCD might be a relevant subgroup characterised both by a particular clinical profile and by specific cognitive characteristics. Key words : Age at onset ; Executive functions ; Obsessive-compulsive disorder ; Planning ; Spatial working memory.
INTRODUCTION Le trouble obsessionnel compulsif (TOC) est une pathologie cliniquement hétérogène dont les symptômes majeurs sont des idées répétitives et gênantes (obsessions) et des comportements ritualisés (compulsions) que le sujet ne parvient pas à écarter. Les études cliniques ont montré que l’âge de début des troubles pouvait aider au démembrement du syndrome en sous-groupes plus homogènes : les formes de TOC à début précoce sont généralement caractérisées par un sex-ratio majoritairement masculin, l’étude de Geller et al. (2001) montrant également qu’indépendamment de l’âge chronologique du patient, l’âge de début des troubles est corrélé à la présence de tics et à une héritabilité familiale plus importante (7, 22, 25, 28). Il est donc primordial de parvenir à l’identification de sous-groupes de patients plus homogènes au sein de maladies complexes et hétérogènes comme le TOC, mais aussi essentiel de tenter la mise en évidence d’un profil cognitif spécifique selon l’âge de début des troubles de ces patients. De nombreuses études ont démontré l’existence de déficits cognitifs (de mémoire spatiale et verbale) chez les patients atteints de TOC (12, 16, 37) mais, ces résultats n’ayant pas toujours été confirmés, il n’existe pas de consensus actuel sur la nature précise des processus cognitifs incriminés. Plus précisément, des dysfonctionnements exécutifs ont été souvent observés chez ces patients (19, 21, 29, 32, 36) mais ces résultats n’ont pas toujours été retrouvés (1, 4, 8, 20). L’hétérogénéité clinique des patients, la présence chez certains d’une comorbidité dépressive, l’absence de contrôle de la durée de la maladie, la prise de médicaments et l’inclusion de patients ayant un âge de début des troubles différent pourraient expliquer ces résultats divergents. Il est également possible que seuls certains processus exécutifs très spécifiques soient déficitaires chez certains patients atteints de TOC (30). Le but de notre étude a donc été d’explorer différentes composantes des fonctions exécutives chez des patients atteints de TOC ayant soit un âge de début précoce, soit un âge de début plus tardif de leurs troubles. Il n’existe actuellement pas de consensus dans la littérature sur le seuil d’âge de début dans le TOC (28). Le seuil d’âge de début à 12 ans fait référence à l’étude princeps de Pauls et al. (25) montrant un démembrement possible du TOC selon un âge de début pré ou post-pubertaire.
Fonctions exécutives dans le trouble obsessionnel compulsif
MÉTHODE Participants Recrutement des patients atteints de TOC Un groupe de 30 patients (adultes/enfants) atteints de TOC a été recruté dans deux centres hospitaliers universitaires à Paris (Hôpital Robert-Debré, Service de Pédopsychiatrie ; Hôpital Albert-Chenevier, Service de Psychiatrie d’adultes). Les diagnostics du trouble obsessionnel compulsif ont été posés selon les critères du DSM IV (RD et NC). L’étude a été approuvée par le CPPRB et des formulaires de consentement ont été remplis par tous les patients (ainsi que par leurs parents si les patients étaient âgés de moins de 18 ans) après que l’étude leur ait été expliquée. Le diagnostic de TOC a été posé après un entretien clinique, à l’aide de la version française de la DIGS (Diagnostic Interview for Genetic Studies, Nurnberger et al., 1994) pour les patients âgés de plus de 15 ans et de la KIDDIE-SADS-E (Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia for School Age Children-Epidemiological, Orvaschel et al., 1887) pour les patients âgés de moins de 15 ans. Les échelles de YaleBrown (Yale-Brown Obsessive Compulsive Scale, Goodman et al., 1989) ont été utilisées afin d’estimer la fréquence et la sévérité des symptômes d’obsession et de compulsion chez les patients. Tous les patients présentant une comorbidité incluant une dépression ou un syndrome de Gilles de la Tourette ont été exclus. L’âge de début des troubles a été déterminé de manière rétrospective durant l’entretien clinique mené par le psychiatre et a été défini comme l’âge auquel le patient a répondu pour la première fois au diagnostic de TOC selon les critères du DSM IV. Un groupe de 22 témoins a été recruté par voie d’affichage dans les deux hôpitaux. Ils ont été inclus après passation de la MINI (Mini International Neuropsychiatric Interview, Sheehan et al., 1992) permettant d’exclure les sujets ayant des antécédents personnels de troubles psychiatriques. Les témoins ont été appariés en moyenne sur l’âge, le sexe et le niveau d’études avec les patients.
Tests cognitifs Pour tous les sujets, une passation individuelle a été réalisée par la psychologue (VG) dans une pièce calme d’un des deux hôpitaux cités précédemment. Cinq tests ont été proposés dans l’ordre suivant. 1) Test de la Tour de Londres (33) : deux feuilles plastifiées sont présentées au sujet, la première étant considérée comme son « jeu de départ », la seconde comme son « jeu d’arrivée ». Des boules de couleurs sont positionnées sur trois plots de différentes tailles : un petit où il ne peut tenir qu’une seule boule, un moyen qui ne peut en recevoir que deux et le plus grand sur lequel trois boules de couleur peuvent être placées. Le but de la tâche est de reproduire l’arrangement de départ en effectuant des déplacements (par images mentales) des boules de couleurs. Après deux essais 667
V. Goussé et al.
d’explication, on demande au sujet combien de déplacements minimum lui sont nécessaires pour arriver à reproduire l’exemple du jeu de départ. Selon la cotation de Hughes et al. (1997 ; 1999) la tâche est divisée en deux niveaux de difficulté : le niveau 1 qui est le plus facile (2/3 déplacements) et le niveau 2, plus difficile (3/4 déplacements). Les variables de score (réussites sur 12 essais) et de temps de réponse (épreuve chronométrée) sont étudiées dans ce test. 2) Trail Making Test (27) : nous avons utilisé la partie B de ce test qui implique de relier alternativement des chiffres (de 1 à 13) à des lettres (de A à L) dans l’ordre croissant des chiffres et dans l’ordre alphabétique (ex. : 1-A 2-B…). Cette épreuve de flexibilité est chronométrée. 3) Fluence picturale (17) : la condition « fixe » a été utilisée dans notre étude : le matériel consiste en une feuille de papier présentant des cases vides où le sujet doit arranger en un dessin quatre éléments – deux traits séparés, un grand rond blanc et un petit rond noir – et les faire figurer dans une case. Les dessins doivent donc obligatoirement comporter les quatre éléments et être le plus différent possible les uns des autres. On comptabilise d’abord le nombre de dessins faits durant trois minutes ; puis on note le nombre de dessins très semblables – ne se différenciant que par une légère rotation d’un des éléments – afin de les regrouper en « clusters » eux aussi dénombrés (mesure de la flexibilité). 4) Fluence verbale (5) : la fluence phonémique impose au sujet de trouver le plus grand nombre de noms commençant par une lettre particulière, en un temps donné de 2 minutes. On demande donc au sujet de citer le plus de mots possibles commençant par les lettres (F, A, S), hormis les noms propres. On comptabilise d’abord le nombre de mots produits puis le nombre de regroupements de mots ou « cluster », selon la méthodologie de Troyer et al. (1997). 5) Fluence d’association : ce nouveau test a été créé pour mesurer la capacité du sujet à produire une liste de mots associés à la présentation d’un item concret : chaque sujet a 2 minutes pour associer tous les mots possibles (hormis les noms propres), sans restriction phonémique ou catégorielle. Analyse statistique Au vu de l’effectif dans les groupes de patients et de témoins, les différences pour les variables quantitatives ont été testées à l’aide du test t de Student ou d’une ANOVA classique et du test de χ2 classique pour les variables qualitatives (sexe, niveau d’études). L’étude des corrélations entre l’âge de début des troubles et les performances cognitives a été estimée à l’aide du coefficient de corrélation de Spearman. La comparaison des variables en fonction du sexe a été réalisée en utilisant le test non paramétrique de Mann-Whitney. Les analyses ont été faites avec le programme SAS (SAS Institute). 668
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RÉSULTATS L’âge moyen des 30 patients atteints de TOC (14 sujets masculins et 16 sujets féminins) était de 23,4 ans au moment de l’inclusion. L’âge moyen des témoins (10 sujets masculins et 12 sujets féminins) était de 22,9 ans. Les groupes des patients et de témoins sont comparables pour l’âge (t = – 0,14, p = 0,88), le sexe (χ2 = 0,008, p = 0,93) et le statut socio-économique (t = – 0,65, p = 0,51), montrant un appariement correct des deux groupes ; 15 patients ont débuté leur trouble avant 12 ans (10 garçons et 5 filles) avec une moyenne d’âge à l’inclusion de 21,5 ans (+/– 14,8 ; 9-62), alors que 15 patients ont débuté leur trouble après 12 ans (4 garçons et 11 filles) avec une moyenne d’âge à l’inclusion de 25,2 ans (+/– 10 ; 12-45). Il n’y a pas de différence significative pour l’âge au moment de l’inclusion entre le groupe des patients ayant un âge de début prépubertaire et celui ayant un âge de début post-pubertaire (t = 0,98 ; p = 0,33) ni pour le statut socio-économique (t = – 0,79 ; p = 0,43). Il existe une nette prédominance masculine dans le groupe des patients ayant un âge de début précoce (χ2 = 4,82 ; p = 0,02). Différences entre le groupe de patients ayant un TOC et les témoins Les résultats et les comparaisons statistiques des performances moyennes aux tests de chaque groupe sont résumés dans le tableau I. Les patients souffrant de TOC obtiennent des résultats significativement différents des témoins pour le test de la Tour de Londres, les patients obtenant des résultats inférieurs aux témoins pour le score total du test (t = 2,00, p = 0,05) et mettant significativement plus de temps à répondre pour le niveau 2 de difficulté (t = – 1,88, p = 0,05). Les patients ayant un TOC ont également produit significativement moins de mots que les témoins au test de la fluence d’association (t = 3,40, p = 0,001). Aucune différence significative n’a été mise en évidence pour le Trail Making test, les fluences verbale et picturale. Effet des facteurs « âge de début des troubles » et « âge chronologique » Il existe une différence significative de l’effet du facteur « âge de début des troubles » sur deux variables du test de la Tour de Londres : le temps de réponse total au test (F = 4,39, p = 0,04) et le temps de réponse au niveau 2 de difficulté (F = 4,34, p = 0,04). Le groupe de patients avec un âge de début précoce des troubles a mis significativement plus de temps à répondre que le groupe de patients avec un âge de début plus tardif. Il existe une corrélation positive entre l’âge de début des troubles et le temps de réponse total du test (r = 0,40, p = 0,03) et les temps de réponse des deux niveaux de difficulté (niveau 1, r = 0,40, p = 0,03, niveau 2, r = 0,36, p = 0,05). Le groupe de patients ayant un âge de début précoce met
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Fonctions exécutives dans le trouble obsessionnel compulsif
Corrélation avec l’âge de début des troubles
30 patients TOC
22 témoins
Moyennes
Moyennes
Coef. Pearson
Coef. partiel Pearson †
Score/12
9,4 ±2,2 *
10,3 ±1,0 *
– 0,24
– 0,30
1er niveau
5,5 ±0,8
5,7 ±0,4
– 0,17
– 0,24
2e
4,1 ±1,6
4,5 ±0,9
– 0,30
– 0,33
205,9 ±104,6
156,3 ±76,2
0,40
0,36
niveau
niveau
66,0 ±33,2
57,5 ±35,8
0,40
0,39
2e
niveau
152,2 ±77,5 *
114,7 ±52,5 *
0,36
0,32
Temps réaction
94,6 ±33,7 *
82 ±24,9
0,12
0,14
Nombre de mots
47,1 ±16,8
52,9 ±17,5
0,19
0,09
Clusters
35,2 ±11,2
32,6 ±12,4
0,15
0,004
Nombre de mots
12,3 ±5,4
14,2 ±4,6
0,25
0,18
Clusters
9,0 ±4,0
11,0 ±5,2
0,12
0,11
Nombre de mots
35,0 ±15,0 ***
51,5 ±20,0 ***
0,45
0,37
Trail M. Test
1er
Fluence verbale
Temps réponse
Fluence Fluence assoc. picturale
Tour de Londres
TABLEAU I. — Scores obtenus aux tests cognitifs par les 30 patients atteints de TOC et les 22 témoins.
† : Âge est utilisé comme variable confondante. * : p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; ***p < 0,001.
significativement plus de temps à répondre que le groupe de patients ayant un âge de début plus tardif. On observe également une corrélation positive entre le score obtenu à la fluence d’association et l’âge de début des troubles (r = 0,45, p = 0,01), le groupe de patients ayant un âge de début précoce produisant significativement moins de mots que le groupe de patients ayant un âge de début plus tardif. Étant donné la dispersion de l’âge chronologique des patients inclus dans notre étude, nous avons pris en compte l’effet possible de ce facteur sur les variables cognitives : en ajustant sur l’âge chronologique des patients, les corrélations positives, bien que moins fortes sont retrouvées entre les mêmes variables cognitives précédentes et l’âge de début des troubles. Effet du facteur « sexe » La proportion d’hommes dans le groupe de patients TOC ayant un âge de début précoce (66,7 %) est plus forte que dans le groupe de patients ayant un âge de début plus tardif (26,7 %). Les différences cognitives observées entre les deux sous-groupes de patients pouvaient être
dues à ce facteur plutôt qu’à l’effet de l’âge de début. Nous avons donc étudié l’effet du facteur « sexe » sur l’ensemble des variables cognitives du groupe de patients ayant un TOC : aucune différence significative n’a été observée entre les patients et les patientes ayant un TOC, sauf pour deux variables de temps de réponse du test de la Tour de Londres (temps de réponse total et temps de réponse du niveau 2, respectivement : U = 54, p = 0,01, U = 51,5, p = 0,01), les patients ayant des temps de réponse inférieurs à ceux des patientes (i.e. les sujets masculins répondant plus vite que les sujets féminins).
DISCUSSION L’étude des fonctions exécutives dans une population de 30 patients atteints de TOC et de 22 témoins a permis de montrer des déficits cognitifs spécifiques chez ces patients, liés plus particulièrement à la mémoire de travail spatiale (pour le test de la Tour de Londres) et une capacité de production/flexibilité (pour la fluence d’association). Ces déficits sont apparus de façon plus importante chez les patients ayant un âge de début prépubertaire des trou669
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bles, et ce indépendamment de leur âge chronologique ou de leur statut socio-économique. Les déficits cognitifs observés dans cette étude confirment ceux des études précédentes, montrant que les patients atteints de TOC ont des difficultés dans le test de la Tour de Londres, surtout lorsque le niveau de difficulté augmente (26, 36). Il est en effet possible que les patients atteints de TOC aient des difficultés cognitives spécifiques liées à l’organisation et au maintien en mémoire de représentations mentales spatiales (10, 30), ceci expliquant leur moins bonne performance ainsi que leurs temps de réponse plus longs. Ces difficultés pourraient également expliquer les résultats inférieurs des patients TOC à la fluence d’association, comparativement à ceux des témoins : en effet, ce test requiert une productivité accrue de la part du sujet puisque, à la différence d’autres fluences verbales, aucune organisation phonémique ou catégorielle n’est proposée au sujet, qui doit associer et faire preuve de plus d’imagination et d’organisation s’il veut produire un nombre significatif de mots. De plus, une étude menée chez des patients ayant un syndrome frontal (35) renforce nos résultats puisqu’elle montre une production significativement moins importante des patients frontaux par rapport aux témoins dans une fluence sémantique (semblable à la fluence d’association) alors que ces mêmes patients ont une production similaire à celles des témoins pour une fluence par catégories (ex. : produire des noms d’animaux, de fruits…). Les patients frontaux, comme les patients souffrant de TOC, s’aideraient ainsi d’indices fournis dans la consigne de certaines fluences (phonémique et catégorielle) pour pallier un manque de planification et d’organisation du matériel verbal. Nos résultats semblent également cohérents avec les observations faites en imagerie fonctionnelle dans le TOC (3, 20, 31 ; pour revue, voir 2), montrant que des dysfonctionnements observés au niveau des cortex dorsolatéraux et orbitofrontaux pourraient sous-tendre les problèmes de maintien et d’organisation de l’information ainsi que les difficultés de prise de décision et les changements de stratégies en cas d’erreurs. Les déficits cognitifs observés dans le groupe de patients atteints de TOC sont plus prononcés chez ceux ayant un âge de début prépubertaire des troubles et ne sont pas expliqués par la prédominance masculine dans ce groupe, puisque les patients atteints ont de meilleurs temps de réponse à la Tour de Londres que les patientes. Ce dernier résultat renforce l’hypothèse d’une spécificité des caractéristiques cognitives chez les patients ayant un âge de début précoce. De plus, une récente étude en imagerie fonctionnelle (6) utilisant la méthode du SPECT, montre des différences de débit sanguin cérébral régional (DSC) dans les circuits fronto-striataux entre les patients ayant un âge de début précoce et ceux ayant un âge de début tardif de leurs troubles. Ces résultats confortent l’hypothèse d’un impact cérébral différentiel, dépendant de la période à laquelle les premiers symptômes se sont exprimés, en liaison avec des dysfonctionnements cognitifs ultérieurs. De même, si Henin et al. (14) ne trouvent pas de relation entre l’âge de début des troubles et les per670
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formances cognitives d’un groupe de patients TOC adultes, c’est très probablement parce qu’ils n’utilisent que des tests de mémorisation, n’incluant pas de processus mentaux liés directement au fonctionnement exécutif. Les résultats de notre étude devront être confirmés sur une plus large population de patients, la taille de l’échantillon de notre étude étant réduite. Un élargissement de la population devrait également permettre d’étudier deux variables confondantes, « la durée de la maladie » et « la comorbidité dépressive », les résultats des étude actuelles n’ayant pas permis de statuer clairement quant à leur effet respectif (18).
CONCLUSION L’implication spécifique des déficits d’origine frontale dans le TOC est une piste de recherche essentielle, actuellement en cours de validation au plan génétique (Delorme et al., en préparation) et qui a déjà été suggérée dans la schizophrénie (11), avec la mise en évidence d’une association entre le gène candidat de la catécholO-méthyltransférase (COMT) et les déficits exécutifs. La confirmation d’une implication différentielle des facteurs génétiques dans le TOC selon l’âge de début des troubles se vérifiera certainement au plan d’une spécificité des caractéristiques cliniques et cognitives, voire même d’une distinction entre de ces deux sous-groupes de patients. Remerciements. Cette recherche a reçu un financement de l’INSERM (PROGRESS et NC a obtenu un poste d’accueil INSERM), par le ministère de la Recherche (Contrat cognitique) et par la Fondation pour la Recherche médicale (programme Action dynamique en Psychiatrie). Des remerciements sont adressés au Docteur C. Betancur (INSERM U513) pour sa relecture et ses conseils.
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