Médecine du sommeil (2010) 7, 156—160
ARTICLE ORIGINAL
Fréquence et sévérité du syndrome des jambes sans repos après don de sang : une étude cas—témoins Frequency and severity of RLS after blood donation: A case-control study S. Allard a,b, J. Haba-Rubio b,c,∗ a
Faculté de médecine Lyon-Est, université Claude-Bernard Lyon-1, 8, avenue Rockefeller, 69373 Lyon cedex 08, France b Service de neurologie, centre hospitalier Annemasse-Bonneville, 74100 Ambilly, France c Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil, centre hospitalier universitaire de Vaudois, 1011 Lausanne, Suisse Rec ¸u le 11 aoˆ ut 2010 ; accepté le 30 aoˆ ut 2010 Disponible sur Internet le 13 octobre 2010
MOTS CLÉS Carence en fer ; Syndrome des jambes sans repos ; Dons du sang
∗
Résumé Objectifs. — La carence en fer est l’une des principales causes de syndrome des jambes sans repos (SJSR) secondaire. Le don de sang pourrait accroître le risque de développer un SJSR, ou en majorer la sévérité. Patients et méthodes. — Cent trois sujets consécutifs (50,4 % d’hommes, âgès de 44,7 ± 14,7 ans) ont été évalués lors d’un don de sang. En cas de diagnostic de SJSR, le score de sévérité en a été déterminé. La fréquence des dons et l’indice de répartition des globules rouges (IDR) ont été recueillis. Les sujets ont été réévalués deux semaines plus tard. Nous avons comparé ce groupe à une population témoin de 103 sujets ne donnant pas de sang, appariés en âge et sexe. Résultats. — Nous avons identifié dans le groupe des donneurs de sang 20 sujets (19,4 %) souffrant d’un SJSR avant le don du sang, contre 12 (11,6 %) dans le groupe témoin (p = 0,01). Lors de la réévaluation, 28 (27,1 %) donneurs de sang et 12 (11,6 %) témoins se sont plaints de symptômes relatifs à un SJSR (p < 0,01). Huit (7,7 %) donneurs ont développé un SJSR de novo après le don. Parmi eux, trois (37,5 %) avaient un IDR > 14,5 %, suggérant une carence martiale, contre trois (4 %) parmi les sujets n’ayant pas développé de SJSR. Pour les donneurs de sang souffrant de SJSR avant et après le don, le score moyen de sévérité était de 12 ± 3,2 avant le don, contre 12,7 ± 3,8 après (p = 0,05). Conclusion. — Une baisse des réserves de fer via le don de sang pourrait jouer un rôle dans la genèse d’un SJSR chez les sujets prédisposés. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J. Haba-Rubio).
1769-4493/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.msom.2010.08.002
Fréquence et sévérité du syndrome des jambes sans repos après don de sang
KEYWORDS Iron deficiency; Restless legs syndrome; Blood donation
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Summary Objective. — We hypothesized that blood donation might increase the risk of having Restless Legs Syndrome (RLS) or enhance its severity. Patients and methods. — One hundred and three consecutive subjects (50.4% men, age 44.7 ± 14.7) were evaluated at the time of the visit to donate blood. They answered a semistructured interview about RLS, the International Restless Legs Syndrome Study Group (IRLSSG) severity scale and sleep habits. Frequency of blood donations and red blood cell distribution width (RDW) were recorded. They were contacted two weeks later for a new clinical evaluation. This group was compared to a control group including 103 subjects, similar in terms of age and sex. Results. — We identified 20 subjects (19.4%) with RLS in the blood donor group before donation and 12 (11.6%) in the control group (P = 0.01). In the follow up interview 28 (27.1%) blood donors, and 12 (11.6%) controls complained about RLS in the preceding two weeks (P < 0.01). Eight (7.7%) blood donors developed RLS in the two weeks following blood donation. Among them, three (37.5%) had a RDW over 14.5%, an indirect marker of iron deficiency, compared to three (4%) among those in the blood donor group who did not develop RLS. For blood donors who had RLS before and after blood donation, the mean severity score was 12 ± 3.2 before versus 12.7 ± 3.8 after (P = 0.05) blood donation. Conclusion. — Reduced iron stores from blood donation could play a role in inducing RLS in predisposed subjects. © 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction
Données recueillies
Le syndrome des jambes sans repos (SJSR) est un trouble sensorimoteur caractérisé par des dysesthésies des membres, entraînant un besoin impérieux de les bouger. Les symptômes surviennent au repos et ils sont majorés le soir, ce qui peut entraîner d’importants troubles du sommeil. La carence en fer est l’une des principales causes de SJSR secondaire [1], et les situations compromettant la disponibilité du fer systémique entraînent une majoration du risque de SJSR[2]. Par ailleurs, les patients souffrant de SJSR qui développent une carence martiale montrent une exacerbation de leurs symptômes [3,4]. Nous avons émis l’hypothèse que le don de sang pouvait : majorer le risque de survenue d’un SJSR, ou accroître la sévérité d’un SJSR préexistant.
Diverses données démographiques ont été recueillies dans les deux groupes (âge, sexe, régime, taille, poids, antécédents, traitements). Le diagnostic de SJSR était posé lorsque les patients remplissaient, ou avaient rempli, les quatre critères diagnostiques obligatoires proposés par l’International Restless Legs Syndrome Study Group (IRLSSG) [5]. Dans ce cas, le score de sévérité du syndrome était évalué au moyen de l’échelle de sévérité de l’IRLSSG (IRLSSGSS) [6]. L’interrogatoire comprenait également une partie relative aux habitudes de sommeil (durée totale de sommeil et latence d’endormissement). La fréquence des dons et le nombre total de dons ont été obtenus d’après la banque de données de l’EFS. Le taux d’hémoglobine (Hb) de chaque donneur a été enregistré, ainsi que l’indice de répartition des globules rouges (IDR) et la distribution moyenne de leur diamètre. Le taux de l’IDR augmentant proportionnellement à la sévérité du déficit en fer, nous avons considéré toute valeur supérieure à 14,5 % comme marqueur indirect de carence martiale[7].
Patients et méthodes Sujets étudiés Les sujets ont été recrutés lors de collectes de sang effectuées par l’Établissement franc ¸ais du sang (EFS) de la ville d’Annemasse (Haute-Savoie), et les interrogatoires menés immédiatement après le don de sang. Chaque sujet a été recontacté par téléphone deux à trois semaines plus tard afin de réaliser un nouvel interrogatoire. Les sujets témoins, non donneurs, ont été recrutés au hasard dans l’entourage des investigateurs dans la même zone géographique, et ont été appariés pour l’âge et le sexe. Nous avons appliqué les mêmes critères d’exclusion que ceux en vigueur pour le don de sang. Le même questionnaire que celui des donneurs leur a été proposé au cours d’un entretien face-à-face, puis lors d’un appel téléphonique, deux à trois semaines après.
Analyse statistique Nous avons comparé par un test t de Student les variables continues, et par un test chi2 les variables nominales.
Résultats Caractéristiques générales Les donneurs de sang et les sujets contrôles étaient comparables pour l’âge (44,7 ± 14,7 vs 42,2 ± 12,7 ans ; p = 0,2) et le sexe (femmes 48,5 % vs 51,4 % ; p = 0,5). Pour le
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S. Allard, J. Haba-Rubio
Donneurs
35%
Non donneurs P<0.01 P=0.01
30%
P=0.08
P=ns
25%
20%
% SJSR 15%
10%
5%
0%
1ère (avant don)
n
2ème
n
1ère
n
2ème
n
(après don)
Figure 1. Pourcentage de sujets présentant un SJSR dans le groupe donneur et le groupe témoin (non donneurs), lors de la première et de la seconde évaluation.
groupe donneur, le nombre moyen de dons de sang par an et par sujet était de 2,3 ± 1 (entre 1—5). Le nombre total moyen de dons par sujet était de 25,2 ± 29,6 (de 1 à 127). Seuls sept sujets donnaient leur sang pour la première fois. La durée totale de sommeil estimée dans le groupe donneur était inférieure à celle du groupe témoin, à la fois lors de la première et de la seconde évaluation (6,8 ± 1,2 h vs 7,4 ± 0,9 h, p < 0,01 et 6,9 ± 1,2 vs 7,2 ± 0,9, p < 0,05). La latence d’endormissement estimée était similaire dans les deux populations (18,7 ± 24 vs 18,8 ± 24,9 min à la première évaluation, et 19,2 ± 19 vs 17 ± 22,1 min à la seconde évaluation, ns). L’analyse intra-groupe n’a pas retrouvé de différence significative dans les habitudes de sommeil entre la première et la seconde évaluation.
SJSR chez les donneurs de sang et les témoins Lors de la première évaluation, nous avons identifié 20 (19,4 %) sujets atteints de SJSR dans le groupe donneur, contre 12 (11,6 %) dans le groupe contrôle (p = 0,01). Lors de la réévaluation à distance, nous avons comptabilisé dans le groupe donneur 28 (27,1 %) sujets souffrant de symptômes de SJSR, contre 12 (11,6 %) dans le groupe témoin (p < 0,01), ces derniers étant les mêmes que ceux identifiés lors de l’évaluation initiale (Fig. 1).
SJSR de novo après don du sang Parmi les 28 sujets atteints de SJSR après don du sang, huit ne présentaient aucun symptôme avant le don. Dans ce sousgroupe de sujets décrivant la survenue d’un SJSR de novo, la sévérité moyenne des symptômes était modérée (IRLSSGSS
18 ± 2,3). Ces personnes n’ont pas rapporté de baisse significative de leur durée de sommeil après le don du sang (6,7 ± 1,7 h vs 7,5 ± 1,2 h, p = 0,1), ni d’augmentation significative de leur latence d’endormissement (22,5 ± 19 min vs 20 ± 19,2 min, p = 0,2). La majorité des sujets composant ce groupe étaient des femmes (sept sur huit, soit 87,5 %), avaient un indice de masse corporelle (IMC) moindre (24,1 ± 4,6 vs 24,9 ± 3,7 kg/m2 , p < 0,01), et étaient plus âgés (51,2 ± 8,7 vs 43,9 ± 15,6 ans, p < 0,05), que les sujets n’ayant pas développé de symptômes de SJSR post-don. L’IDR des sujets atteints de SJSR post-don était plus élevé que celui des personnes n’ayant développé aucun symptôme (13,7 ± 1 % vs 13,1 ± 0,8 %, p < 0,05). Parmi ces huit sujets, trois (37,5 %) présentaient un IDR supérieur à 14,5 %, contre trois (4 %) parmi ceux n’ayant pas ressenti de symptômes de SJSR après le don. Nous n’avons pas retrouvé de différence significative dans le nombre de dons au cours de l’année précédente, ni dans le nombre total de dons (Tableau 1).
Sévérité du SJSR avant et après don du sang Dans le cas des sujets souffrant de SJSR avant et après don du sang (n = 20), le score de sévérité moyen de l’IRLSSGSS était respectivement de 12 ± 3,2 vs 12,7 ± 3,8 (p = 0,05). Nous n’avons pas retrouvé de différence significative dans la durée totale de sommeil auto-estimée (6,2 ± 1,3 h vs 6,3 ± 1,3 h, p = 0,6) ni dans la latence d’endormissement (17,3 ± 19,8 min vs 15,5 ± 17,3 min, p = 0,16) avant et après don du sang. Aucun de ces sujets ne présentait d’IDR supérieur à 14,5 %.
Fréquence et sévérité du syndrome des jambes sans repos après don de sang
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Tableau 1 Caractéristiques des donneurs de sang, en fonction de la présence ou non de SJSR post-don (sujets porteurs de SJSR avant don exclus).
Sexe (hommes, n et %) Âge (années) Végétariens, n (%) IMC (kg/m2 ) Nombre de dons l’année précédente, n Nombre total de dons, n IDR, % IDR > 14,5 %, n (%) Hb (g/dL) Score IRLSSGSS avant don Score IRLSSGSS post-don Durée de sommeil estimée avant don (heures) Durée de sommeil estimée post-don (heures) Latence d’endormissement estimée avant don (minutes) Latence d’endormissement estimée post-don (minutes)
Absence de SJSR post-dona (n = 75)
SJSR de novo post-dona (n = 8)
Valeur de p
39 (52 %) 43,9 ± 15,6 2 (2,6 %) 24,9 ± 3,7 2,3 ± 1 25,6 ± 28,8 13,1 ± 0,8 3 (4 %) 14,4 ± 1,1 0 0 6,9 ± 1,2 7 ± 1,1 19,4 ± 25,9 19,7 ± 19,5
1 (12,5 %) 51,2 ± 8,7 1 (12,5 %) 24,1 ± 4,6 1,6 ± 0,9 4 ± 3,2 13,7 ± 1 3 (37,5 %) 13,6 ± 1,1 0 18 ± 2,3 7,5 ± 1,2 6,7 ± 1,7 20 ± 19,2 22,5 ± 19
< 0,001 < 0,05 ns < 0,01 ns ns < 0,05 < 0,01 ns ns < 0,001 ns ns ns ns
IMC : indice de masse corporelle ; IDR : indice de répartition des globules rouges ; Hb : taux d’hémoglobine ; IRLSSGSS : International Restless Legs Syndrome Study Group Severity Scale a Les 20 sujets porteurs de SJSR avant don ont été exclus de cette comparaison.
Discussion Les résultats de cette étude montrent que : • la prévalence du SJSR dans le groupe des donneurs de sang est élevée, et supérieure à celle retrouvée dans le groupe témoin ; • certains donneurs ont développé un SJSR de novo après le don du sang ; • pour les sujets aux antécédents de SJSR, le score de sévérité montre une tendance à la majoration après don du sang, bien que cette aggravation semble légère, et que la différence ne soit pas statistiquement significative. D’autres études ont évalué les conséquences du don de sang sur le SJSR. Ekbom a été le premier à décrire le SJSR chez deux donneurs de sang [8]. Silber et Richardson ont rapporté le cas de huit patients atteints de SJSR, potentiellement dus à des dons de sang itératifs [9]. Kryger et al. ont également conclu que des dons de sang répétés pouvaient être associés à un SJSR [10]. Ulfberg et Nystrom ont retrouvé une prévalence de SJSR élevée chez les donneurs de sang, particulièrement parmi les sujets féminins. [11]. Un lien entre carence martiale (mesurée par l’IDR) et SJSR a pu être observé chez ces individus. Burchell et al. ont rapporté eux-aussi une prévalence élevée de symptômes de SJSR dans la population de donneurs de sang [12]. Cependant, aucune de ces études s’est servi d’un groupe contrôle. Dans notre étude, nous avons comparé les donneurs de sang à un groupe contrôle issu de la même zone géographique, composée d’individus comparables en âge et en sexe, et soumise aux mêmes critères d’exclusion que ceux en vigueur pour le don de sang. La fréquence du SJSR au sein de notre groupe témoin (11,6 %) est plus élevée que celle retrouvée par les études effectuées sur la population générale (7,2—11,5 %) [13—17].
Nous avons demandé aux participants à l’étude s’ils avaient un antécédent de symptômes de SJSR, sans restriction chronologique, ce qui pourrait expliquer au moins en partie nos résultats. Quoiqu’il en soit, la prévalence retrouvée dans le groupe donneur est plus importante (19,4 %) que celle du groupe témoin, et similaire à celle rapportée par d’autres études chez les donneurs de sang (18,1 % à 27 %) [11,12]. Dans notre étude, huit sujets (9,6 %) parmi ceux qui n’avaient pas de SJSR lors de l’entretien initial ont développé un SJSR après don de sang. Ces sujets étaient en majorité des femmes, plus âgées que celles n’ayant pas constaté de changements, et étaient plus sujettes à des réserves martiales basses. Ces données sont compatibles avec l’hypothèse suggérant que la réduction de la disponibilité du fer vers le système nerveux central, via un abaissement des stocks périphériques, majorerait le risque de développement de SJSR [18]. Nous admettons des limites à notre étude. Nous n’avons pas vérifié si les patients déjà atteints de SJSR au moment du don en souffraient avant leur premier don de sang. De plus, la participation à l’étude était totalement volontaire, et nous ne pouvons exclure que les patients souffrant de maux de jambes divers, SJSR inclus, aient plus répondu que les autres. D’autre part, notre deuxième évaluation ayant eu lieu peu de temps après le don de sang, nous ne pouvons exclure que d’autres sujets n’aient développé de SJSR après cet entretien. Enfin, notre nombre de sujets étant réduit, des études à plus grande échelle seraient nécessaires afin de clarifier les spécificités du lien SJSR/don de sang. En conclusion, le don de sang semble être associé à une augmentation de la fréquence du SJSR et, possiblement, à une légère majoration de la sévérité de cette affection si elle préexistait. La carence martiale pourrait être le facteur physiopathologique entraînant ce phénomène.
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Conflit d’intérêt Aucun.
Remerciements Nous remercions Stéphanie Pollazzi du pôle information médicale évaluation recherche de Lyon et le personnel de l’EFS d’Annemasse (en particulier le Dr Pierre Boutou).
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