J Gynecol Obstet Biol Reprod 2006 ; 35 : 321-323.
Éditorial Frottis conventionnel versus frottis en milieu liquide : les deux techniques ont des performances équivalentes Une revue de la littérature valide les résultats d’une étude de la Société Française de Cytologie et les recommandations de l’ANAES (Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé) I. Cartier 20, rue des Cordelières, 75013 Paris.
Une revue critique de l’ensemble des publications comparant la cytologie conventionnelle (CC) et la cytologie en milieu liquide (CML) vient d’être publiée par Elisabeth Davey [1]. Cette revue clarifie utilement un message depuis longtemps brouillé sur la performance respective des deux techniques. À partir de l’analyse de 147 articles publiés sur le sujet dans la littérature internationale, seuls 56 apportant une contribution significative ont été retenus pour la méta-analyse alors que 91 ont été jugés de qualité insuffisante pour pouvoir être utilisés. Dans un second temps, les études sélectionnées ont été classées en 4 groupes selon la qualité de la méthodologie utilisée : méthodologie parfaite, bonne, moyenne et médiocre. Il est important de souligner qu’aucune étude n’a été considérée comme parfaite alors même que les critères de définition n’étaient pas irréalistes (étude randomisée avec vérification en aveugle au moyen d’un examen de référence d’au moins tous les frottis anormaux). Seules 5 études (dont 2 françaises) ont été considérées comme étant de bonne qualité, 32 de qualité moyenne et 19 de qualité médiocre. Chaque fois que possible, l’auteur a ensuite comparé, le taux de frottis « non satisfaisants », la proportion de frottis classés dans chaque catégorie du système de Bethesda ainsi que la sensibilité et la spécificité des deux techniques. L’analyse a été réalisée globalement toutes études confondues mais également par groupe selon
la qualité de la méthodologie utilisée, cette approche permettant d’évaluer l’impact de la rigueur méthodologique sur les résultats. TAUX DE FROTTIS « NON SATISFAISANTS »
Contrairement à ce qui est souvent avancé, le taux de frottis « non satisfaisants » n’est pas très différent d’une technique à l’autre dans les études qui comportent un grand nombre de cas. En revanche, si l’on considère toutes les études confondues, le taux de frottis « non satisfaisants » est plus important en CC (0,81 %) qu’en CML (0,75 %) avec cependant de grandes différences d’une étude à l’autre. Ces chiffres ne sont pas influencés par la qualité de l’étude. CLASSEMENT DES FROTTIS SELON LE SYSTÈME DE BETHESDA
Dans les études de bonne qualité, la CC permet de dépister plus de lésions de haut grade que la CML, et dans les études de bonne et moyenne qualité, le taux d’ASC-US est moins élevé en CC qu’en CML. Toutes études confondues, le pourcentage de frottis normaux et d’ASC-US est plus élevé en CC qu’en CML alors que pour les lésions de bas grade et de haut grade, le pourcentage est plus élevé en CML qu’en CC.
Tirés à part : I. Cartier, à l’adresse ci-dessus. E-mail :
[email protected]
© MASSON, Paris, 2006.
I. Cartier
PERFORMANCES DU TEST
Alors que la détermination de la sensibilité et de la spécificité sont deux éléments indispensables pour apprécier la valeur d’un test, ce calcul n’a été possible que dans 2 des 5 études de bonne qualité et dans 2 des études de qualité moyenne. Les résultats montrent qu’il n’y a pas de différence entre les 2 techniques pour le dépistage des lésions de haut grade. La conclusion de cette méta-analyse est qu’il n’y a pas dans la littérature actuellement disponible de preuves que la CML soit plus performante que la CC ni pour réduire le nombre de frottis « non satisfaisants », ni pour augmenter le nombre de lésions de haut grade dépistées. D’autres auteurs étaient arrivés aux mêmes conclusions dans des analyses antérieures. En 2000, Kavita Nanda [2] ayant évalué 86 articles comparant la CC à la CML n’avait trouvé qu’une seule étude permettant le calcul exact de la sensibilité et de la spécificité et deux permettant une évaluation de la sensibilité et de la spécificité. Deux ans plus tard, Moseley [3] soulignait la faiblesse méthodologique des études trop rarement randomisées et le faible taux de vérification des résultats au moyen d’un examen de référence conduisant à une surestimation des performances de la CML. Il ne s’agit pas pour ces différents auteurs de condamner la CML mais d’inciter à la réalisation d’études prouvant que cette technique offre plus d’avantages que la CC avant de l’adopter. Ainsi, à performances équivalentes, d’autres caractéristiques telles qu’une meilleure reproductibilité, un coût plus faible ou la possibilité le cas échéant de faire le test HPV avec le même prélèvement pourraient faire pencher la balance en faveur de la CML. La CML a cependant été adoptée dans certains pays. Elle l’a été pour des raisons différentes. Au RoyaumeUni où la médecine est une médecine d’état, ce choix a été fait pour diminuer un taux de frottis « non satisfaisants » très élevé de l’ordre de 9 %. Or, un auteur comme Obwegeser qui a un taux très faible de frottis « non satisfaisants » en CC [4] pense que l’augmentation du nombre de frottis satisfaisants et du nombre d’anomalies dépistées avec la CML constatés dans certaines études sont dus à une meilleure technique de prélèvement et à l’utilisation d’instruments plus performants (spatules de forme mieux adaptée, Cytobrush, Cervex-brush…) plus qu’à la technique elle-même. De même, dans l’étude de Coste [5] où le taux de frottis non satisfaisants est également plus faible en CC qu’en CML, les prélèvements ont tous été faits par des cliniciens très expérimentés.
322
Aux États-Unis, c’est à la suite de l’agrément par la Food and Drug Administration (FDA) d’un procédé de CML que s’est fait le changement. L’agrément par la FDA étant un gage de qualité, les compagnies d’assurance privées ont accepté de payer un prix plus élevé pour la CML ce qui a conduit à la diffusion rapide de cette technique bien que l’étude de Lee [6] sur laquelle s’est appuyée la FDA n’apportait pas de preuve formelle de la supériorité de la CML (étude classée par Davey dans la catégorie des études de qualité médiocre). En France, les experts réunis par l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé (ANAES) ont confirmé dans la réactualisation de 2002 leurs conclusions de 1998, c’est-à-dire l’absence d’arguments prouvant la supériorité de la CML par rapport à la CC et la nécessité de faire d’autres études de meilleure qualité méthodologique [7]. Les conclusions des agences de santé canadienne, néo-zélandaise et australienne ont été les mêmes que celles de l’agence française. Dans notre pays, le montant du remboursement par la sécurité sociale est le même que le frottis soit conventionnel ou en ML. Le surcoût engendré par la CML (acquisition et maintenance de nouvelles machines, augmentation de l’utilisation de consommables, transport des échantillons, préparation des lames, stockage des flacons en l’attente le cas échéant d’un test HPV et enlèvement puis traitement du liquide de fixation résiduel) partiellement compensé par un gain de temps à la lecture est donc pour l’instant exclusivement à la charge des structures d’anatomie pathologique. La pression commerciale des fabricants de ML auprès des autorités sanitaires pour obtenir un tarif plus élevé pour la CML a été dès le départ très importante. À ce jour, ils ne l’ont pas obtenu. Il faut espérer que les résultats de cette nouvelle revue de la littérature inciteront nos décideurs à concentrer l’effort financier sur l’organisation et l’amélioration des procédures de dépistage (meilleure couverture de la population et contrôle de qualité du prélèvement ainsi que de la lecture) plutôt que sur l’adoption d’une technique qui n’a pas à ce jour prouvé sa supériorité. RÉFÉRENCE 1. Davey E, Barratt A, Irwig L, Chan SF, Macaskill P, Mannes P et al. Effect of study design and quality on unsatisfactory rates, cytology classifications, and accuracy in liquid-based versus conventional cervical cytology: a systematic review. Lancet 2006; 367: 122-32.
© MASSON, Paris, 2006.
Éditorial • Frottis conventionnel versus frottis en milieu liquide
2. Nanda K, McCrory DC, Myers ER, Bastian LA, Hasselblad V, Hickey JD et al. Accuracy of the Papanicolaou test in screening for and follow-up of cervical cytologic abnormalities: a systematic review. Ann Intern Med 2000; 132: 810-9. 3. Moseley RP, Paget S. Liquid-based cytology: is this the way forward for cervical screening? Cytopathology 2002; 13: 71-82. 4. Obwegeser JH, Brack S. Does liquid-based technology really improve detection of cervical neoplasia? A prospective, randomized trial comparing the ThinPrep Pap Test with the conventional Pap Test, including follow-up of HSIL cases. Acta Cytol 2001; 45: 709-14.
J Gynecol Obstet Biol Reprod / Volume 35, n° 4, 2006
5. Coste J, Cochand-Priollet B, de Cremoux P, Le Gales C, Cartier I, Molinie V et al. Cross sectional study of conventional cervical smear, monolayer cytology, and human papillomavirus DNA testing for cervical cancer screening. BMJ 2003; 326: 733-7. 6. Lee KR, Ashfaq R, Birdsong GG, Corkill ME, McIntosh KM, Inhorn SL. Comparison of conventional Papanicolaou smears and a fluid-based, thin-layer system for cervical cancer screening. Obstet Gynecol 1997; 90: 278-84. 7. Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé. Conduite à tenir devant une patiente ayant un frottis cervicoutérin anormal-actualisation 2002. Septembre 2002.
323