Annales de dermatologie et de vénéréologie (2015) 142, 541—548
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ScienceDirect www.sciencedirect.com
MÉMOIRE ORIGINAL
Histiocytome fibreux angiomatoïde de l’enfant : 6 cas Angiomatoid fibrous histiocytoma in children: 6 cases G. Bohelay a,1, N. Kluger b,1, M. Battistella c, A. Biaggi-Frassati d, F. Plantier e, A. Harraudeau f, M.-F. Avril g, F. Pedeutour h, S. Fraitag d,∗ a
Service de dermatologie, hôpital Avicenne, AP—HP, 125, rue de Stalingrad, 93000 Bobigny, France b Departments of Dermatology, Allergology and Venereology, Institute of Clinical Medicine, University of Helsinki, Skin and Allergies Hospital, Helsinki University Central Hospital, Meilahdentie 2, PO Box 160, 00029 HUS, Finlande c Service d’anatomie pathologique, hôpital Saint-Louis, AP—HP, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France d Service d’anatomie pathologique, université Paris-Descartes Paris V, hôpital Necker—Enfants-Malades, AP—HP, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France e Laboratoire d’anatomie pathologique, hôpital Cochin, AP—HP, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France f Cabinet de dermatologie, 34, rue du Général-Gallieni, 78510 Triel-sur-Seine, France g Service de dermatologie, université René-Descartes Paris V, hôpital Cochin, AP—HP, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France h Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement de Nice (IRCAN), laboratoire de génétique des tumeurs solides, faculté de médecine, CHU de Nice, 28, avenue de Valombrose, 06107 Nice cedex 02, France Rec ¸u le 29 octobre 2014 ; accepté le 10 juillet 2015 Disponible sur Internet le 9 septembre 2015
MOTS CLÉS Histiocytome fibreux angiomatoïde ; EWSR1 ;
Résumé Introduction. — L’histiocytome fibreux angiomatoïde (HFA) est une tumeur des tissus mous de différenciation incertaine qui survient chez des enfants et des jeunes adultes, localisée préférentiellement aux extrémités. L’HFA est classé parmi les sarcomes de bas grade de malignité. Sa rareté fait qu’il est peu connu ; il en résulte un risque de diagnostic erroné de lésion
∗
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (S. Fraitag). 1 Les deux premiers auteurs ont concouru de manière égale à l’écriture du manuscrit et doivent être considérés tous deux comme premier auteur. http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2015.07.007 0151-9638/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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G. Bohelay et al.
ATF1 ; Sarcome ; Enfant
réactionnelle, de tumeur bénigne ou de sarcome de haut grade. Nous rapportons six nouveaux cas d’HFA et en reprenons les caractéristiques cliniques, histologiques et génétiques établies dans la littérature. Observations. — Il s’agissait de six enfants, âgés de 4 à 16 ans, présentant un nodule isolé de l’avant-bras (4/6), du tronc ou de la fesse, d’apparition spontanée. En histologie, les lésions apparaissaient comme des nodules bien limités par une pseudo-capsule fibreuse, se composant de cavités pseudo-kystiques hémorragiques et d’une prolifération tumorale polymorphe de cellules fusiformes ou histiocytoïdes avec des amas lymphoplasmocytaires denses. Les tumeurs exprimaient variablement la desmine, le CD68, le CD99 et l’actine muscle lisse. Un gène de fusion EWSR1-ATF1 était trouvé dans les trois cas où il était recherché. Discussion. — Dans notre série, le diagnostic d’HFA n’avait jamais été évoqué à l’examen clinique ou à l’imagerie. L’examen histologique de la pièce d’exérèse chirurgicale a permis de faire le diagnostic dans tous les cas, confirmé pour certains d’entre eux par la découverte de transcrits de fusion. L’exérèse élargie a permis une guérison complète dans tous les cas, confirmant le bon pronostic de l’HFA bien qu’un suivi au long cours soit nécessaire pour dépister au plus tôt une récidive locale ou des métastases, qui sont rares mais responsables des cas fatals. Afin de traiter au mieux ces patients et d’éviter les reprises chirurgicales « en deux fois », une biopsie à l’aiguille écho-guidée doit être proposée comme devant toute tumeur des tissus mous d’aspect non spécifique. Les marges d’exérèse devraient être décidées en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) spécialisée dans les tumeurs des tissus mous. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS
Summary Background. — Angiomatoid fibrous histiocytoma (AFH) is a soft-tissue tumour of uncertain differentiation most often arising in the extremities of children and young adults. AFH is a little-known neoplasm and its rarity may result in it being misdiagnosed as either a reactive lesion or a benign or higher-grade tumour. We report 6 cases of AFH in children and we review the clinicopathological and molecular features of this neoplasm published in the literature. Patients and methods. — The children (aged 4 to 16 years) presented a single nodule involving the forearm (4/6), the trunk or the buttock, and all 5 nodules appeared spontaneously. Microscopic examination revealed well-circumscribed nodular lesions comprising a fibrous pseudo-capsule, haemorrhagic non-endothelial-lined pseudocystic spaces, and sheets of spindle and ovoid cells with dense surrounding lymphoplasmacytic infiltrate. Tumours were positive for desmin, CD68, CD99 and smooth-muscle actin markers. A fusion gene (EWSR1-ATF1) was found in the 3 cases in which molecular investigation was performed. Discussion. — In our series, a diagnosis of AFH had in no event been evoked after clinical examination and radiological investigation. The diagnosis was based in all cases on recognition of characteristic features during histological examination and it was confirmed in 3 cases by the recognition of fusion genes. Complete excision with wide margins allowed complete cure in all cases, supporting a good prognosis of AFH, although long-term follow-up is still mandatory to rule out relapse or metastases, which although rare, are responsible for fatal cases. To avoid unnecessary surgery in patients with AFH, an ultrasound core-needle biopsy should be performed as a first step in order to provide precise diagnosis enabling complete excision to be performed, with the margins being decided in multidisciplinary meetings involving teams specialised in soft-tissue tumours. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Angiomatoid fibrous histiocytoma; EWSR1; ATF1; Sarcoma; Children
L’histiocytome fibreux angiomatoïde (HFA) est une tumeur rare des tissus mous, de différenciation incertaine, qui touche principalement la peau, bien que des localisations primitives extra-cutanées aient été décrites [1—3]. D’abord intégré à un des cinq sous-types de l’histiocytofibrome malin (HFM) lors de sa description en 1979 par Enzinger, sous la
dénomination d’HFM angiomatoïde, il a depuis été reclassé en HFA du fait d’une survenue à un âge plus jeune et d’un pronostic favorable [4—7]. Il apparaît généralement dans le derme profond ou l’hypoderme superficiel aux extrémités des membres, chez des enfants ou de jeunes adultes [5,8]. La présentation clinique n’est pas spécifique et le
Histiocytome fibreux angiomatoïde de l’enfant : 6 cas Tableau 1
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Résumé des caractéristiques cliniques des 6 cas.
Cas Sexe/âge Traumatisme Site (années)
Taille (cm)
Couleur
Douleur Signes Traitement généraux
1
H/10
Oui
Avant-bras 2,0
Bleu
Non
Non
2 3
F/4 F/9
Non Non
Avant-bras 1,0 Tronc 0,7
Bleu Chair
Non Non
Non Non
4
F/7
Non
Avant-bras 2,5
Érythème Non
Non
5
F/9
Non
Avant-bras 1,5
Bleu
Non
Non
6
H/16
Non
Fesse
Érythème Non
Non
3,0
Exérèse simple + 1 RM Exérèse élargie Exérèse simple + 2 RM Exérèse simple + 1 RM Exérèse simple + 1 RM Exérèse simple + 1 RM
Suivi Récidive/ (mois) décès 8
Non/non
30 49
Non/non Non/non
13
Non/non
2
Non/non
4
Non/non
H : homme ; F : femme ; RM : reprise des marges.
diagnostic repose sur l’examen histologique en coloration hématoxyline-éosine (HE) et en immunohistochimie. Les analyses génétiques moléculaires sont une aide précieuse au diagnostic par la mise en évidence de fusion de gènes associées à l’HFA. Nous rapportons une série de six enfants ayant présenté un HFA et discutons les principales caractéristiques de cette tumeur peu connue.
Observations Manifestations cliniques Les données cliniques des six patients sont présentées dans le Tableau 1. Il s’agissait de deux garc ¸ons et quatre filles, âgés de 4 à 16 ans au moment du diagnostic (moyenne : 8,8 ans). Ils présentaient tous une lésion nodulaire souscutanée unique, indolore, donnant à la peau en regard un aspect bleuté ou érythémateux dans cinq cas (Fig. 1A et B). Les lésions étaient majoritairement situées sur l’avant-bras (n = 4) et avaient toutes connu initialement une augmentation rapide de taille pour aboutir à des masses fermes et stables mesurant de 0,7 à 3,0 cm de diamètre (moyenne : 1,8 cm), sans adhérence au plan profond. Dans un cas, un granulome à corps étranger de même siège avait nécessité une exérèse chirurgicale deux ans auparavant ; événement qui aurait pu constituer un facteur déclenchant local. Aucun patient ne présentait d’adénopathie régionale ou de signes généraux. Trois enfants ont eu une imagerie par résonance magnétique (IRM) et/ou une échographie des parties molles. Ces examens mettaient en évidence un nodule dermo-hypodermique venant au contact de l’aponévrose musculaire sans l’envahir. Pour deux d’entre eux, une malformation vasculaire avait été évoquée. Devant son aspect peu spécifique, tous les patients ont subi une exérèse chirurgicale de la lésion à visée diagnostique 6 à 18 mois après son apparition. Cinq patients ont subi une exérèse chirurgicale complémentaire pour obtenir des marges saines à 1 cm ; les deux cas les plus récents étant en attente de cette reprise. Aucun n’a présenté de récidive au cours de la surveillance (2 à 49 mois, médiane : 10,5 mois).
Aspects histologiques et immunohistochimiques Dans tous les cas, le diagnostic d’HFA a été fait grâce à l’examen histologique et à l’immunohistochimie (Tableau 2). Il existait dans les six cas une prolifération dermo-hypodermique de cellules fusiformes s’arrangeant en courts faisceaux et des cavités pseudo-vasculaires remplies d’hématies (Fig. 2A). Dans quatre cas, on observait, en plus de la composante fusiforme, des nodules de cellules arrondies, histiocytoïdes, au cytoplasme éosinophile clair. Parmi eux, trois présentaient par endroit des cellules pléomorphes aux noyaux irréguliers et pluri-nucléolés. Dans tous les cas, on notait la présence d’une pseudocapsule fibreuse comportant d’importants dépôts d’hémosidérine (n = 5/5) et d’importants amas lympho-plasmocytaires (n = 5), avec présence de centres germinatifs dans trois cas (Fig. 2B, C et D). En immunohistochimie (Tableau 2), les marquages de la desmine (6/6) (Fig. 3A) et du CD99 (5/5) étaient positifs dans toutes les tumeurs où ils ont été réalisés. Les marquages de l’actine muscle lisse (AML) et du CD68 était positifs dans 83 % des cas (5/6) (Fig. 3B, C). et celui de l’antigène de membrane épithéliale (EMA) dans 66 % des cas (4/6). Le marquage de la caldesmone était positif chez le seul patient où il a été réalisé. Les marqueurs vasculaires, mélaniques et des cytokératines étaient négatifs dans tous les cas. Dans trois cas, l’analyse des altérations géniques par hybridation in situ en fluorescence (FISH) a permis de mettre en évidence un remaniement de EWSR1 et de ATF1(Fig. 3D). L’amplification par réaction en chaîne après transcription inverse (RT-PCR) réalisée pour deux d’entre eux a permis de confirmer la présence du gène de fusion EWSR1-ATF1.
Discussion L’HFA est une tumeur rare, représentant 0,3 % des tumeurs des tissus mous [6]. Les données cliniques de notre série sont en accord avec celles de la littérature. L’HFA survient principalement dans le derme ou l’hypoderme, chez des enfants ou des adultes jeunes, entre 5 et 25 ans (âges extrêmes : 2 mois—71 ans) [5,8]. Plus rarement, il se développe plus
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G. Bohelay et al.
Figure 1. Nodule sous-cutané de l’avant-bras (patient 4) de face (A) et de profil (B) sous une nappe érythémateuse (photos du Dr Alina Harraudeau).
en profondeur dans le fascia, le muscle squelettique ou le périoste [9]. L’aspect clinique de l’HFA n’est pas spécifique. Il s’agit d’une masse isolée sous-cutanée superficielle de couleur variable allant du rouge au bleu, voire au brun. Initialement de petite taille, l’HFA peut rester stable ou évoluer au bout de quelques années, parfois brutalement. La lésion mesure en moyenne 2 cm (0,5 à 12 cm) [8] ; elle est localisée aux membres supérieurs ou inférieurs dans 65 à 90 % des cas (66 % dans notre série) [8]. Jusqu’à deux tiers des lésions pourraient siéger au niveau d’aires ganglionnaires [8,9]. Elles sont rarement douloureuses ou inflammatoires. Un antécédent de traumatisme local est retrouvé de fac ¸on inconstante, comme ce fut le cas pour un de nos patients. L’existence de signes généraux (fièvre,
Tableau 2
malaise, asthénie, amaigrissement), absents dans cette série, est possible et pourrait être secondaire à la sécrétion de cytokines [10]. Les examens d’imagerie, dont l’IRM, ne permettent généralement pas d’établir le diagnostic d’HFA du fait de la non spécificité des caractéristiques démontrées par cette tumeur (cavités kystiques, espaces hémorragiques et niveaux liquide-liquide intra-tumoraux ou pseudocapsule) et font souvent conclure à un hématome, un kyste ou une tumeur vasculaire [11].
Microscopie optique, coloration HE À l’examen macroscopique, l’HFA se présente comme une lésion ferme, uni- ou multinodulaire, bien délimitée par
Résultats histologiques et immunohistochimiques des 6 cas.
Cas Microscopie, coloration HE Cavités pseudo—kystiques hémorragiques Prolifération multinodulaire Cellules fusiformes Cellules rondes Dépôts d’hémosidérine Pseudocapsule fibreuse Infiltrat lympho—plasmocytaire Centres clairs folliculaires Pléomorphisme nucléaire Mitosesb Microscopie, immunohistochimie Desmine Actine muscle lisse CD68 CD99 EMA Marqueurs vasculaires (CD31, CD34) Cytokératine Marqueurs mélaniques
1
2
3
4
5
6
%
+ + + — + + + — — 4
+ + + — + NP + — — 0
+ + + + + + + + + 0
+ + + + + + + — + 5
+ + + + + + + + — Rares
+ + + + + + + + + 10
100 100 100 66 100 100a 100 50 50 —
++ + + NR + — NR NR
++ — — + — — — —
++ + + ++ + — — —
++ ++ + + — — — —
+ + + ++ + — — —
+ + ++ ++ + — — —
100 83 83 100a 50 0 0a 0a
— : négatif ; + : focal ; ++ : diffus ; EMA : antigène de membrane épithéliale ; NR : non recherché ; NP : non précisé a Disponible pour 5 cas. b Mitoses/10 champs.
Histiocytome fibreux angiomatoïde de l’enfant : 6 cas
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Figure 2. Histiocytome fibreux angiomatoïde — au microscope optique, en coloration HES. A. Cavités pseudo-vasculaires hémorragiques (étoile) au sein d’une prolifération tumorale polymorphe constituée de faisceaux de cellules fusiformes associé à d’importants dépôts d’hémosidérine (flèche) et de nodules de cellules rondes (pointes de flèche) (HES × 50). B. Courts faisceaux de cellules fusiformes, monomorphes, histiocytoïdes, syncitiales (HES × 100). C. Pseudo-capsule et infiltrat lymphoïde (HES × 50). D. Infiltrat lympho-plasmocytaire dense en amas formant des centres claires folliculaires (flèches) (HES × 100).
Figure 3. Histiocytome fibreux angiomatoïde — immunohistochimie et hybridation in situ en fluorescence (FISH). A. Contingent de cellules rondes exprimant fortement la desmine. B. Contingent fusiforme exprimant fortement l’actine muscle lisse. C. Les 2 contingents de cellules expriment le CD68. D. Fission du gène EWSR1 visualisée par FISH dans deux cellules contre-colorées au diaminophényle-indole (DAPI, bleu) avec une sonde de type « break-apart » (Vysis EWSR1 Break Apart FISH Probe Kit, Abbott Molecular) composée des deux régions (5 et 3 du gène, respectivement marquées en fluorescence rouge et verte). Dans ces deux cellules, on observe un exemplaire non remanié du gène (signaux rouge et vert groupés) et un gène remanié (signaux rouge et vert séparés) (Pour l’interprétation des remarques quant à la couleur dans cette légende, le lecteur est renvoyé à la version en ligne de cet article).
546 une pseudocapsule fibreuse épaisse [12]. En microscopie, il se situe dans le derme ou l’hypoderme. Au faible grossissement, on observe des espaces dilatés d’allure kystique dont les lumières sont partiellement remplies d’hématies avec, en périphérie, un infiltrat lymphoïde dans lequel on distingue des centres germinatifs et une pseudo-capsule plus ou moins épaisse. Ces cavités pseudo-kystiques hémorragiques sont dépourvues d’endothélium et sont parfois thrombosées. Elles accompagnent des zones solides constituées d’amas cellulaires composés de cellules fusiformes ou histiocytoïdes, monomorphes, syncitiales [12]. Des sidérophages et des dépôts d’hémosidérine peuvent être observés, dispersés dans la tumeur ou dans la pseudocapsule. Un infiltrat inflammatoire lympho-plasmocytaire dense est présent dans 80 % des cas, formant souvent des centres clairs folliculaires [12]. Dans notre série, les dépôts d’hémosidérine et l’infiltrat lympho-plasmocytaire étaient observés dans 100 % des cas, avec présence de centres germinatifs dans 50 % des cas. Dans certains cas, on peut observer un certain degré de pléomorphisme nucléaire et une activité mitotique franche (trois cas de cette série) [13]. D’autres cas présentent une prédominance de petites cellules basophiles qui peuvent en imposer pour un sarcome indifférencié de haut grade, en particulier un sarcome d’Ewing. L’aspect en microscopie électronique n’est pas conclusif.
Immunohistochimie Le profil immunohistochimique est variable, expliquant les difficultés à définir précisément l’histogénèse de l’HFA [12]. Nos constatations (Tableau 2) sont similaires aux données de la littérature. Les marquages de la desmine et de l’EMA, ainsi que ceux du CD68 et du CD99, sont positifs dans environ 50 % des cas publiés [8,12,14] ; les marqueurs myofibroblastiques, tels que la calponine et l’actine muscle-spécifique, sont occasionnellement exprimés [8,10]. La co-expression très inhabituelle de l’EMA, de l’AML et de la desmine est très utile au diagnostic (trois cas de notre série) [15]. Les cytokératines, les marqueurs vasculaires (CD31, CD34) et les marqueurs mélaniques (PS100) n’étaient pas exprimés par les cellules tumorales dans notre série, ce qui est conforme aux données publiées. L’infiltrat lymphoïde comprend un mélange de lymphocytes B et T [10]. Compte-tenu de ces éléments, les hypothèses actuelles concernant l’origine de l’HFA sont celles d’une différenciation myofibroblastique ou à partir de cellules fibroblastiques du stroma de ganglions normaux [12].
Biologie moléculaire En 2000, Waters et al. ont décrit la présence d’une translocation t(12;16)(q13;p11) dans un cas d’HFA, induisant la formation d’un gène de fusion FUS-ATF1 [16]. Depuis, plusieurs études ont permis d’identifier deux autres translocations chromosomiques trouvées dans une majorité des cas d’HFA ; la translocation t(2;22)(q33;q12), qui produit un transcrit de fusion EWSR1-CREB1, est la plus fréquente (90 %) [7,14,17,18]. La translocation t(12;22)(q13;q12), produisant un gène de fusion EWSR1-ATF1, est seulement la seconde en fréquence (21 %), bien qu’elle ait été identifiée dans les trois cas de notre série [14,18,19]. Le gène de fusion FUSATF1 est le moins fréquent d’après la littérature [20]. Le
G. Bohelay et al. gène EWSR1, cible de translocation dans un nombre important de tumeurs de la famille du sarcome d’Ewing et des tissus mous (liposarcome myxoïde, tumeur desmoplastique à petites cellules rondes, chondrosarcome myxoïde extrasquelettique ou sarcome à cellules claires), est le gène le plus fréquemment réarrangé dans l’HFA (76 %) [14,21,22]. Seuls 24 % des HFA ne présentent pas de remaniement [14]. CREB1 et ATF1 sont des gènes hautement homologues de la même famille de facteurs de transcription CREB. Les gènes ESWR1 et FUS codent pour des protéines fixant l’ARN de la famille TET [23]. Les gènes de fusion impliquant ATF1 favoriseraient l’apparition de tumeurs par la synthèse d’un facteur de transcription constitutionnellement actif [24]. Ces anomalies ne sont cependant pas spécifiques. Au plan moléculaire, le gène de fusion EWSR1-ATF1 est aussi trouvé dans les sarcomes à cellules claires [24,25]. La translocation t(12;16)(q13;p11) est observée dans la majorité des liposarcomes myxoïdes, où elle engendre la formation d’un gène de fusion FUS-DDIT3. Les anomalies de FUS sont aussi observées dans les sarcomes fibromyxoïdes de bas grade et les leucémies aiguës myéloïdes avec d’autres partenaires de fusion (CREB3L2 ou CREB3L1 et ERG) [21]. Ainsi, les anomalies des gènes FUS, ATF1 ou EWSR1 sont un élément complémentaire de l’examen morphologique et immunohistochimique mais ne peuvent à eux seuls établir le diagnostic d’HFA, en raison de leur « polyvalence » dans les altérations de diverses tumeurs des tissus mous.
Diagnostics différentiels L’HFA est un diagnostic difficile du fait de sa rareté et de l’absence de spécificité de la clinique et de l’imagerie. Le diagnostic histologique est parfois trompeur lorsque les quatre composantes clés, c’est-à-dire les nodules de cellules fusiformes, les espaces pseudo-angiomateux, la pseudo-capsule fibreuse et l’infiltrat lympho-plasmocytaire ne sont pas toutes visibles, ce qui peut être le cas sur une pièce d’exérèse partielle. Dans ces situations, selon la prédominance et l’importance d’une des composantes, un large spectre de diagnostics différentiels peut être évoqué. En cas de localisation dans une aire ganglionnaire et d’infiltrat lymphocytaire important, la présence des autres composantes permet d’écarter un lymphome. Les tumeurs vasculaires telles que le sarcome de Kaposi, l’hémangiome à cellules fusiformes, l’angiosarcome et l’hémangiome épithélioïde sont écartées par l’absence de cellules endothéliales limitant les espaces vasculaires et la négativité des marqueurs endothéliaux [5,8]. En cas de prédominance de la composante fusiforme, le caractère profond de la tumeur, l’absence de macrophage spumeux ou de cellules de Touton et la positivité du marquage de la desmine permettent d’écarter l’histiocytofibrome anévrysmal. En cas de pléomorphisme et d’activité mitotique importants, l’aspect peut en imposer pour un histiocytofibrome atypique pseudosarcomateux, un fibroxanthome atypique ou un sarcome pléomorphe indifférencié. Enfin, dans les formes riches en petites cellules rondes, un sarcome d’Ewing peut être envisagé d’autant plus que le CD99 est positif dans les deux entités et que le réarrangement moléculaire identifié peut être identique. Dans tous ces cas, le diagnostic sera facilité par la présence des quatre composantes clés mais
Histiocytome fibreux angiomatoïde de l’enfant : 6 cas aussi par le profil immunohistochimique particulier, qui est d’une grande aide. En cas de doute diagnostique, la recherche de translocation de gènes EWSR1, FUS et ATF1 par FISH est une aide précieuse et nécessite d’être complétée par l’identification des deux partenaires de fusion par RT-PCR compte tenu du nombre croissant de tumeurs connues pour présenter un réarrangement de EWSR1 [22,26]. L’absence de spécificité clinique et radiologique de l’HFA en fait une bonne illustration de la nécessité de réaliser, devant toute tumeur des tissus mous, une biopsie à l’aiguille écho-guidée en première intention qui permettra de guider l’exérèse de la tumeur avec une marge centimétrique. Cela n’a été le cas d’aucun de nos patients, rendant compte d’une certaine méconnaissance ou de difficultés d’accès à cette technique en milieu extra-hospitalier. Le prélèvement de plusieurs carottes tumorales devrait permettre l’identification des différentes composantes histologiques et si besoin la recherche de réarrangements géniques, qui permettront le diagnostic.
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Remerciements Nous tenons à remercier le Professeur Jean-Michel Coindre et le Dr Gaëlle Pierron, qui ont réalisé les analyses génétiques par PCR de deux cas, ainsi que le Dr Alina Harraudeau, qui nous a gracieusement fourni les photographies cliniques. Nous remercions les Dr Jean-Yves Kurzenne, Marc Mitrofanoff, Catherine Ouillon-Villet, Stéphanie Pannier et Laure Pinquier, qui ont participé à la prise en charge des patients et ont permis le recueil de données, ainsi que Frédérique Keslair et Audrey Bazin pour leur aide technique.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Références Profils évolutifs Le pronostic de l’HFA est généralement favorable. Le traitement est celui des sarcomes de bas grade : exérèse chirurgicale complète avec des marges d’au moins un centimètre et surveillance locale régulière. La chimiothérapie, la radiothérapie et l’association des deux ont été proposées avec succès en cas de lésion métastatique ou non réséquable [12]. Les récidives locales (15—23 %) et les métastases locorégionales ou à distance (1—9 %) sont rares mais peuvent survenir jusqu’à dix ans après l’exérèse de la lésion primitive [5,8,13]. Certains de ces cas font suite à des HFA atteignant la profondeur (fascia, muscle ou périoste). D’autres sont associés à la présence de cellules pléomorphes et à une activité mitotique importante [5]. Les récidives locales sont plus fréquentes pour les lésions du cou et de la tête. Les cas fatals sont exceptionnels ; ils concernent des patients atteints d’HFA métastatiques [5,13]. La durée de suivi de nos cas est encore courte et une surveillance attentive devra être poursuivie afin de s’assurer de l’absence de complications à distance.
Conclusion Notre série de six enfants atteints d’HFA conforte les données connues de la littérature quant à l’absence de spécificité clinique ou à l’imagerie de cette tumeur de malignité intermédiaire. Dans tous les cas, le diagnostic a été suspecté à l’examen histologique par la mise en évidence de l’association de quatre composantes clés : nodules de cellules fusiformes, espaces pseudo-angiomateux, pseudocapsule fibreuse et infiltrat lympho-plasmocytaire ; il a été confirmé par la co-expression de la desmine, de l’AML, de l’EMA et du CD99 de la composante fusiforme. Bien que deuxième en fréquence dans la littérature, un gène de fusion EWSR1-ATF1 a été mis en évidence dans les trois cas où des analyses de biologie moléculaire ont été effectuées, confortant l’intérêt diagnostique de ces analyses.
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