Histiocytose multicentrique paranéoplasique

Histiocytose multicentrique paranéoplasique

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011) 138, 405—408 CAS CLINIQUE Histiocytose multicentrique paranéoplasique Paraneoplastic multicentric ...

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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011) 138, 405—408

CAS CLINIQUE

Histiocytose multicentrique paranéoplasique Paraneoplastic multicentric reticulohistiocytosis C. Nicol a,∗, G. Quereux a,b, J.-J. Renaut c, f. Renac a, B. Dreno b a

Clinique dermatologique, CHU de Nantes, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 01, France b Unité fonctionnelle de dermatologie cancérologie, CHU de Nantes, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 01, France c Institut histopathologique, CHU de Nantes, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 01, France Rec ¸u le 15 juin 2010 ; accepté le 14 janvier 2011 Disponible sur Internet le 26 f´ evrier 2011

MOTS CLÉS Histiocytose multicentrique ; Cancer ; Syndrome paranéoplasique



Résumé Introduction. — L’histiocytose multicentrique (HM) est une histiocytose rare, d’origine indéterminée, associée dans 25 % des cas à une néoplasie. Nous rapportons ici l’observation d’une patiente qui a présenté un tableau d’HM permettant de découvrir une néoplasie gastrique. Observation. — Une femme de 74 ans consultait pour des lésions papulonodulaires des mains associées à une polyarthrite destructrice des articulations des doigts et survenant dans un contexte d’altération de l’état général. La biopsie cutanée d’un nodule trouvait un envahissement du derme superficiel par un infiltrat d’histiocytes au cytoplasme éosinophile « en verre dépoli ». L’étude immunohistochimique montrait que ces cellules exprimaient le CD68. La confrontation des données cliniques et histologiques permettait de poser le diagnostic d’HM. Les examens complémentaires à la recherche d’une néoplasie sous-jacente découvraient un adénocarcinome gastrique. Quelques semaines après une gastrectomie, on notait la disparition des lésions cutanées. Sept ans plus tard, aucune récidive de l’HM ni de la néoplasie n’était observée. Discussion. — Moins de 200 cas d’HM ont été rapportés dans la littérature. Cette histiocytose proliférative non langerhansienne est une maladie systémique rare d’étiologie inconnue, caractérisée cliniquement par des lésions cutanées papulonodulaires associées à une polyarthrite souvent destructrice et histologiquement par une prolifération d’histiocytes, et de cellules

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Nicol).

0151-9638/$ — see front matter © 2011 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.annder.2011.01.030

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C. Nicol et al. géantes multinucléées au niveau de la peau, des muqueuses et de la membrane synoviale. La recherche d’une néoplasie doit être systématique lors de la découverte d’une HM puisque celle-ci y est associée dans un quart des cas. L’évolution de l’HM et du cancer sous-jacent n’est habituellement pas parallèle. Dans notre observation, cependant, la disparition rapide des lésions quelques semaines après le geste chirurgical peut faire considérer l’HM comme un véritable syndrome paranéoplasique. © 2011 Publi´ e par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDS Multicentric histiocytosis; Cancer; Paraneoplastic syndrome

Summary Background. — Multicentric histiocytosis (MH) is a rare form of histiocytosis of unknown aetiology and is associated with a malignant neoplasm in 25% of cases. Herein, we report the case of a female patient in whom HM enabled us to diagnose gastric carcinoma. Observation. — A 74-year-old woman consulted for papules and nodules on the hands associated with destructive polyarthralgia of the interphalangeal joints and asthenia. Biopsy of a nodule revealed infiltration of the superficial dermis by numerous multinucleated giant cells containing eosinophilic cytoplasm; immunohistochemical analysis showed positive staining for CD68, confirming the diagnosis of MH. Additional screening tests for malignancy enabled us to diagnose gastric carcinoma. The cutaneous lesions disappeared several weeks after gastrectomy and no recurrence of HM or malignancy was seen in the ensuing 7 years. Discussion. — Fewer than 200 cases of HM have been reported. This non-Langerhans proliferative histiocytosis is a rare systemic disorder of unknown aetiology characterized clinically by papules and nodules associated with destructive polyarthralgia, and histologically by dermal proliferation of histiocytic multinucleated giant cells of skin, mucous membrane and synovial membrane. Routine screening for neoplasia should be performed following the discovery of HM as an association is seen in 25% of cases. However, the two diseases do not generally progress in parallel. In our case, the rapid disappearance of lesions within a few weeks of surgery suggests that HM was a true paraneoplastic syndrome. © 2011 Published by Elsevier Masson SAS.

L’histiocytose multicentrique (HM) est une histiocytose proliférative non langerhansienne rare, d’étiopathogénie inconnue, parfois associée à une néoplasie [1]. Nous rapportons un cas d’HM ayant permis la découverte d’un adénocarcinome gastrique.

Observation Une femme de 74 ans était hospitalisée pour des lésions des doigts associées à des signes généraux. Elle avait des antécédents d’hypertension artérielle et de cancer du col utérin traité par hystérectomie totale et radiothérapie dix ans plus tôt. Les lésions cutanées, apparues depuis un mois, formaient des papulonodules mesurant environ 5 mm de diamètre, disposés symétriquement sur les faces dorsales des doigts et sur les bords latéraux des index (Fig. 1). Les nodules étaient érythémateux, très fermes, lisses, strictement indolores et non prurigineux. L’examen cutané révélait également la présence de micropapules brunâtres du décolleté (Fig. 2). Par ailleurs, la patiente signalait, depuis plusieurs mois, un enraidissement des mains, une asthénie, une anorexie et une perte de poids de 17 kg. Elle se plaignait aussi d’une diarrhée mais celle-ci était ancienne, apparue dans les suites de la radiothérapie. La patiente avait eu un examen gynécologique qui n’avait pas montré de signe de récidive de cancer utérin et une mammographie, un an auparavant, qui était normale.

Les examens biologiques suivants étaient normaux ou négatifs : numération formule sanguine, ionogramme sanguin, bilan hépatique, bilan lipidique, recherche d’un facteur rhumatoïde. La biopsie cutanée d’un nodule du doigt et celle d’une lésion du décolleté montraient, dans les deux cas, un envahissement du derme superficiel par un infiltrat monomorphe fait d’histiocytes au cytoplasme éosinophile « en verre dépoli ». Cet infiltrat dissociait les travées de fibres collagènes (Fig. 3). L’étude immunohistochimique des biopsies trouvait des éléments fortement marqués par

Figure 1. Lésions érythématopapuleuses fermes de la face dorsale des doigts.

Histiocytose multicentrique paranéoplasique

Figure 2.

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Micropapules brunâtres du décolleté.

l’anti-CD 68 et une absence de marquage par l’antiprotéine S100. L’aspect clinique et histologique évoquait le diagnostic d’HM, ce que confirmaient les explorations radiologiques : la radiographie des mains (Fig. 4) montrait une arthropathie destructrice bilatérale et la scintigraphie osseuse des foyers d’hyperfixation des carpes. Compte tenu de l’altération de l’état général, de la perte de poids et de l’association possible de l’HM à une néoplasie sous-jacente, des investigations complémentaires étaient réalisées. Le taux d’antigène carcino-embryonnaire était élevé à 151 ng/ml (N < 10 ng/ml). La colonoscopie était normale tandis que la fibroscopie œso-gastroduodénale trouvait une vaste ulcération nécrotique étendue à tout l’angulus. L’examen histologique de la biopsie gastrique montrait la présence d’un adénocarcinome. Ces examens étaient complétés par la réalisation d’une tomodensitométrie thoraco-abdomino-pelvienne qui trouvait deux adénopathies cœliaques et d’un transit œso-gastroduodénal montrant un ulcère figé de l’antre gastrique. Une gastrectomie des deux tiers avec anastomose œso-jéjunale était réalisée : l’examen anatomopathologique de la pièce

Figure 3. Examen histologique d’une biopsie cutanée : infiltrat monomorphe fait d’histiocytes parfois mononucléés présentant un cytoplasme en verre dépoli.

Figure 4. Radiographies des mains : pincement irrégulier de toutes les articulations interphalangiennes proximales et distales.

opératoire trouvait un adénocarcinome assez bien différencié, infiltrant la musculeuse sans dépassement de la séreuse, associé à sept ganglions métastatiques. Aucun traitement complémentaire n’était réalisé. Un mois après l’intervention chirurgicale, la malade observait la disparition complète de ses lésions cutanées et six mois plus tard, de ses douleurs articulaires. Elle était revue en consultation six mois après l’intervention, où l’on notait toujours l’absence de nouvelles lésions cutanées et la stabilité des lésions radiologiques initialement observées. Avec un recul de sept ans, la patiente n’a pas récidivé l’adénocarcinome gastrique et n’a pas présenté de nouvelles lésions cutanées ou articulaires.

Discussion L’intérêt de cette observation repose sur la découverte d’un adénocarcinome gastrique à partir du diagnostic d’HM. Il est aussi original de constater la régression spontanée rapide et prolongée des lésions après traitement chirurgical de la néoplasie gastrique, ce qui fait de ce cas un véritable syndrome paranéoplasique. L’HM est une maladie systémique rare, à début insidieux et progressif, touchant plus souvent la femme (sex-ratio H/F de 1/3) d’âge moyen (début entre 40 et 50 ans). L’atteinte articulaire est inaugurale dans deux tiers des cas, à type de polyarthrite destructrice séronégative posant souvent le problème du diagnostic différentiel avec une polyarthrite rhumatoïde. Les arthrites touchent habituellement de fac ¸on symétrique les articulations interphalangiennes des mains, les genoux, les épaules et les chevilles. Les signes fonctionnels sont souvent peu marqués par rapport aux signes radiologiques [1]. Les lésions cutanées sont habituellement papulonodulaires, fermes, lisses, rosées, translucides ou rouge-brun, situées de fac ¸on symétrique sur les faces dorsales des doigts dans les zones juxta-articulaires et périunguéales, où elles prennent un aspect classique en « perles de corail », comme chez notre patiente. Elles peuvent également affecter les muqueuses (bouche, pharynx, larynx et

408 œil) dans plus de 50 % des cas [1]. À côté de l’atteinte cutanéo-articulaire peuvent exister des manifestations systémiques : dysphagie secondaire à des nodules œsophagiens, perte de poids dans 15 % des cas, péricardite constrictive, myocardite, myalgies, fièvre, adénopathies, splénomégalie et pancytopénie [2]. L’origine de l’HM reste actuellement inconnue, même si on avance l’hypothèse d’une prolifération histiocytaire anormale sécrétant des cytokines comprenant TNF alpha, IL1, IL6, IL12 et prostaglandine E2. Cette prolifération pourrait être réactionnelle à une néoplasie sous-jacente, à des infections (mycobactériennes) ou à des maladies autoimmunes. Au sein des HM se distinguent deux formes ayant une présentation clinique et un pronostic très différents. La forme purement cutanée est le plus souvent isolée et de pronostic favorable, avec possible auto-involution des lésions [1,3]. À l’inverse, la forme cutanéo-articulaire est associée dans 25 % des cas à un cancer qu’il convient donc de rechercher systématiquement. Il n’existe pas d’éléments distinctifs cliniques ou radiologiques entre les formes cutanéo-articulaires associées au cancer et celles qui ne le sont pas. Les signes d’HM précèdent dans 50 à 70 % [4] des cas la découverte de la néoplasie, dans un délai variable allant de quelques mois à quelques années. L’HM peut aussi survenir lors de la récidive d’un cancer antérieurement diagnostiqué et traité [3]. Les néoplasies associées à l’HM sont variées, le plus souvent des adénocarcinomes [5], mais sans prédominance d’organe [1,2], ce qui ne permet pas d’orienter les investigations complémentaires. Ainsi, parmi la soixantaine de cas d’HM associés à une néoplasie rapportés dans la littérature, on trouve des cancers du sein [1,6,7], du colon, de l’ovaire [8,9], de l’utérus [10], des bronches [11], de l’estomac, du pancréas, du rein [12], du nasopharynx [13], mais aussi des mélanomes [14], des hémopathies malignes [15], un mésothéliome et des cancers indifférenciés sans primitif retrouvé [1,3]. La régression complète de l’HM de notre patiente après chirurgie est originale car, dans la plupart des cas, l’évolution de l’HM ne suit pas celle de la néoplasie sous-jacente [2,7], contrairement aux syndromes paranéoplasiques. Cependant, quelques cas démontrent comme le nôtre une évolution parallèle de l’histiocytose et du cancer [4,5,7,12,16]. La prise en charge thérapeutique de l’HM est difficile car aucun traitement n’a montré de constante efficacité sur les lésions cutanées ou articulaires ; l’efficacité de ces traitements est, par ailleurs, difficile à évaluer car l’HM est rare et son évolution se fait par poussées, avec une tendance à la rémission spontanée après cinq à dix ans. Les traitements le plus souvent utilisés sont la corticothérapie générale associée au méthotrexate, la ciclosporine, le cyclophosphamide, parfois le chlorambucil. Plus récemment, les anti-TNF alpha ont donné des résultats intéressants [17].

C. Nicol et al.

Conflit d’intérêt L’auteur n’a pas de conflits d’intérêt.

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