Histoire des mentalites — Histoire des resistances de ou les prisons de la longue duree

Histoire des mentalites — Histoire des resistances de ou les prisons de la longue duree

Hufor.vofEuropeon Ideur. Vol. 2. No. I. pp. I-IX. Prmted m Great Brxtain. IYXI 0191~599/81/010001-20S02.M/n Pergamon Press Ltd HISTOIRE DES MENTALI...

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Hufor.vofEuropeon Ideur. Vol. 2. No. I. pp. I-IX. Prmted m Great Brxtain.

IYXI

0191~599/81/010001-20S02.M/n Pergamon Press Ltd

HISTOIRE DES MENTALITES - HISTOIRE DES RESISTANCES DE OU LES PRISONS DE LA LONGUE DUREE

Le Centre Meridional d’Histoire Sociale des Mentalites et des cultures s’etait propose en 1978, de traiter des ‘intermediaires culturels’, entendons de ces personnages, dans l’entre-deux des cultures, par lesquels s’effectue le changement, par lesquels aussi arrive parfois le scandale. En formulant cette question, nous avions souhaitt rompre avec le dialogue, aujourd’hui sterilisant, qui affronte culture populaire et culture d’elite, avec cette guerre de positions qui les oppose pour reintroduire la notion de dynamisme et d’echanges. En posant, aujourd’hui, la question de l’histoire des mentalites comme ‘histoire des resistances’, il peut sembler que nous revenions a cette guerre de positions ou de tranchees. Mais ce n’est qu’une apparence: par ce titre a premiere vue esoterique, je m’interroge sur le point de savoir ce qui resiste dans les mentalites collectives, ce qui fait frein, ce qu’on appelle parfois ‘la force d’inertie’ des structures mentales, un terme, on le sent bien, qui peut n’etre qu’une explication verbale. En nous demandant pourquoi et comment les resistances, nous posons sans doute une des questions essentielles a la definition des methodes et des perspectives de ce qu’il est convenu d’appeler ‘la nouvelle histoire’ des mentalites.

I-

Emergence

d’une notion

La notion n’est pas totalement nouvelle, et si nous voulons tenter de la dater un peu precisement, nous pouvons dire que l’histoire des mentalites se confond partiellement du moins, avec celle des resistances, qui est nee dans les temps herolques de cette nouvelle histoire, entendons au toumant des annees 1950 et des annees 1960. C’est Fernand Braudel, dans son celebre article de 1958 sur La longue duke, qui a le premier defini l’histoire des mentalitb, comme le lieu privilegie des evolutions lentes ou des inerties en Cvoquant les mentalites comme ‘prisons de longue duke’. Mais, peu apres. Ernest Labrousse concluait le colloque d’histoire sociale qui s’etait tenu en 1964 a 1’Ecole Normale Superieure de Saint-Cloud sur une invitation a prospecter le champs de l’histoire des mentalit& qu’il definissait explicitement comme l’histoire ‘des resistances’. Ces deux professions de foi entraient, en fait, dans un contexte historique oti precisement des recherches, souvent stimulantes, commencaient a decouvrir, ou redecouvrir, la notion sur le terrain. C’est alors que nous avons lu passionnement l’ouvrage d’Eric Hobsbawm sur les Primitive rebels, les primitifs de la revolte dans 1’Europe moderne. Ces gens qui sont Q la fois des revolt&, sinon des revolutionnaires, mais dont la caracteristique serait d’etre a rebours, a contre-sens, ou du moins en marge de ce qu’il est convenu d’appeler I

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‘la marche de I’histoire’. Et, somme toute, dans la conjoncture historique, a laquelle nous nous teferons, on voyait surgir l’idee d’un autre temps de I’histoire, qui ne serait point celui de l’heritage des Lumieres, d’un progres ou d’une marche indefinie en avant, ni celui de l’histoire volontariste, ou celui de ce qu’il est de bon d’appeler aujourd’hui le ‘marxisme vulgaire’. Cette decouverte qui menait a uncertain nombre de constats, tel que celui de la ‘force d’inertie des structures mentales’, correspondait a plusieurs procedures ou a plusieurs voies d’emergence. Chez Ernest Labrousse, a coup shr, le cheminement s’etait fait d’une histoire du mouvement dans les societes modernes, et singulierement du mouvement ouvrier, a I’histoire de ce qui le freine, a l’histoire des obstacles sur lesquels il bute. Au contraire, chez Fernand Braudel, telle decouverte s’enracinait dans la conscience des conditionnements geographiques, des heritages de longue duke et s’enrichissait aussi des contacts inter-disciplinaires avec I’ethnographie et avec la sociologic, dont I’article sur La longue duke Ctait le reflet ambigti. Au-dela de ces decouvertes dans I’abstrait, m&me si elles Ctaient nourries d’une reflexion precise, un certain nombre de monographies ou d’approches ponctuelles qui se sont multipliees alors, ont temoigne de la pregnance d’un theme qui s’imposait aux chercheurs. I1 me semble significatif que ce soit dans cette periode que I’on a vu apparaitre les etudes sur la con&e-rkvolufion g partir du champ de prospection de la Revolution Francaise. C’est l’epoque ou Paul Bois dans sa these sur les Paysuns de 1’Ouest formulait le probleme de savoir non settlement: ‘pourquoi le changement?’ mais aussi, ‘pourquoi la resistance au changement?’ a partir de l’identification d’une frontitre obstinee de temperament politique dans la France bocagere du departement de la Sarthe, c’est l’epoque aussi oh I’on s’est interrogt sur la Vendee (ainsi dans I’analyse qu’en a fourni Tilly). A travers ces recherches, se precisait par approches successives, l’idee que pour comprendre ce qui change, un detour essentiel est bien de commencer par comprendre ce qui ne change pas. Parallelement a cette reflexion, ou a cette filiere de I’histoire sociale telle problematique n’echappait pas a d’autres domaines de I’histoire ou de la sociologic. Je songe, pour ne pas multiplier les exemples, au domaine de la sociologic religieuse historique, qui passait alors, dans l’heritage de Gabriel Lebras, d’une certaine optique du volontarisme pastoral a I’attitude du constat. Or le constat tel que le presentaient et le formulaient des historiens comme Perouas dans sa these sur La Diockse de la Rochelle au XVIIIkme sitkle, ou des socioiogues comme le chanoine Boulard faisait apparaitre I’importance des heritages de longue duke et des inerties: a premiere vue, incomprehensibles. Analysant les resultats proposes par ces chercheurs, Pierre Chaunu s’interrogeait sur le pourquoi de front&es enracinees, et pouvait Ctre tente en cette p&ode de recherches, de se demander s’il n’y avait pas, un heritage du calcaire, comme un heritage du granit; si, pour reprendre son expression, ‘le froid plainaud’ et le ‘chaud bocain’ n’etaient point des personnages comme intangibles, non seulement de l’histoire religieuse, mais de celle des temperaments collectifs. Le Chanoine Boulard, dans des ouvrages qui restent extremement suggestifs, telle que sa reflexion sur la notion de ‘regions culturelles’, mettait en forme telle interrogation.

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A partir de ces questions ponctuelles, formukes sur des chantiers particuhers de l’histoire, dans les annCes 1960 2 1965, l’escalade actuelle des mkthodes ou des problkmes de l’histoire des mentalit&, a renforck l’importance de ce questionnement. En glissant d’une histoire des Clites ti celle des masses, et en passant de l’histoire des idCes et des cultures, g une histoire des attitudes collectives, les historiens des mentalitts, inkvitablement, sont all& d’une histoire du mouvement 2 celle des inerties. Chez certains historiens l’emphase a CtC mise tout particulikrement, sur cette notion d’inertie ou d’hkritage comme facteur de l’histoire, tongue comme reconduction de gestes anciens. Dans l’essai qu’ils publiaient dans ces annCes sur la Rkvolution FranGaise, Franqois Furet et Denis Richet n’hksitaient pas alors, B p&enter dans le mouvement populaire les attitudes des masses, comme la reprise presque inchangke de pulsions passkistes sinon venues du fonds des $ges, du moins reconduites presque sans changement depuis les fureurs de la Ligue et de la Fronde. La notion et le terme m$me de ‘fureur’ qu’employait alors Roland Mousnier pour Cvoquer les Cmotions populaires de la pkiode antkrieure g la rkvolution industrielle, tCmoigne bien de cette optique d’une histoire conGue comme reconduction, et, somme toute, on peut dire qu’une partie de l’image que donne Emmanuel Leroy Ladurie des soulkvements ou des Cmotions populaires tels qu’il les a rencontks dans le Languedoc, appartient ?Icette lecture globale. Au fond se retrouve la contestation, consciente ou non, avouCe on non, de cette notion de ‘RCvolution’ dont la pertinence Ctait alors contestke par toute une partie de l’historiographie franqaise ou internationale. Parallklement, dans la constitution du champ de l’histoire des mentalit&, le triomphe de la longue duke accroissait l’impression de lenteur du mouvement voire d’immobilitk et le contact, comme la contamination avec les autres temps des sciences humaines, telle que l’anthropologie, accentuaient cette impression B mesure que l’histoire des mentalit& s’inscrivait de faGon privilCgiCe, non point dans l’histoire contemporaine du XIX&me sikcle et du XXkme sikcle, mais dans l’histoire moderne oti ces attitudes et ces comportements d’ancien style prkvalent. On comprend que Robert Mandrou ait pu dkfinir alors le temps de l’histoire des mentalit& comme ‘un temps plus long’, se recontrant $I ce niveau avec Braudel et avec bien d’autres. Si l’kmergence de la notion qui nous intkresse s’inscrit ainsi dans un contexte historique prkis, il convient aujourd’hui, 2 plus ample inform6 peut-&tre, de nous interroger sur sa pertinence et sur sa signification. Pour cela de partir peut-Ctre, trks simplement, de quelques constats.

II -

Quelques

constats

(1) Une skrie de cartes, ou la r&htance inxrite dans la gtographie. . . Qu’il me soit permis de proposer, en termes d’ouverture du debat, une sCrie de cartes, moyen de percevoir sur le terrain, dans son enracinement gkographique le phCnomi?ne d’inertie ou de rksistance. Ces cartes dont nous disposons aujourd’hui, 2 l’issue d’un progr&s & la fois lointain, obstink mais parfois aussi

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sont a premiere vue dune diversite recent de la recherche historique, rejouissante. Lapremiere, si vous le voulez bien, sera cette carte du Chanoine Boulard qui met en place dans la France du XX&me siecle les aires et les zones de la pratique religieuse. Une carte historiquement datee, fondee sur les enquetes directes ou indirectes de la sociologic religieuse des annees 1950. Aujourd’hui ou I’on a renonct a enregistrer a la sortie des messes le nombre des presents, telle enquete serait sans doute bien impossible. . I1 nous en reste un monument en termes d’instantane de la pratique religieuse de la France du milieu du XXeme siecle qui n’a point fini de nous poser toute une serie d’interrogations sur les realites de tres longue duke dont elle est le reflet, sur ces ‘temperaments collectifs’ dont I’auteur, passant du monde rural au monde urbain dans son ouvrage sur les ‘aires culturelles’ a montre le mimetisme entre les societts urbaines et les societes rurales. Cette carte du Chanoine Boulard si fortement structuree identifiant les zones de la forte pratique: le monde de l’ouest, la France du nord-est, la partie sud-est du Massif-central, en contrepoint des aires dechristianisees, nous interroge directement, d’autant plus que, somme toute, elle n’est point sans equivalent en d’autres domaines. On a fait remarquer, et c’est une naivete que de le rappeler, mais naivete peut-Ctre utile, sa familiarite avec la carte de la sociologic electorale telle qu’elle a CtC faconnee au fil des grands scrutins de la fin du XIXeme siecle a nos jours: m&me distribution des zones conservatrices et de celles qui sont engagees dans le sens du mouvement. Cette similitude ou cette sympathie amene a se demander jusqu’a quand remonte I’origine de cette bi-partition de l’espace francais, et quelques recherches recentes semblent bien temoigner de i’anciennete de ce paysage contraste. Pour ne titer que quelques exemples, je renverrai a la carte que j’ai moi meme proposte dans mon ouvrage sur la De’christianisation de I’An II, des succes et des Cchecs de la toponymie revolutionnaire dans le changement des noms de lieux sous la Revolution Francaise. Une carte qui frappe par son extraordinaire cohesion inscrivant en contrepoint les aires de la Revolution acceptee et vecue, celles des modifications multiples et significatives, et celles oti les modifications de la toponymie ont CtC infimes, indice d’un rejet collectif. Or, ces aires, repartees aux deux cartes de la pratique religieuse d’une part. de la sociologic Clectorale de I’autre, anticipent de facon suffisamment suggestive pour qu’on ne puisse se dispenser dune interrogation fondamentale. Aux secteurs du refus, I’ouest, le nord-est, le revers du Massif Central, s’oppose de facon flagrante cet ttonnant fer a cheval du jacobinisme rural et en m&me temps de la dechristianisation precoce qui enserre le Massif Central et ses bordures, du Morvan jusqu’au Nivernais, du Berry au Limousin, pour descendre vers le sud-ouest aquitain, quitte a se prolonger vers une partie du Midi languedocien et provencal. Cette carte de la toponymie revolutionnaire on pourrait, de facon a la fois tres globale et tres Iache mais toutefois suggestive, en trouver I’equivalent dans d’autres secteurs de l’expression des mentalites collectives sous l’ancien regime. Je songe en particulier aux cartes qui ont et6 proposees par Brancoloni et Bouissy de la diffusion des reeditions semipopulaires d’apres les statistiques de la production provinciale du livre au XVIII&me siecle: la carte de la litterature profane et, en contrepoint, celle de la litterature de devotion anticipent, elles aussi a la fois sur celle de la pratique religieuse du XXeme siecle et sur celle des temperaments politiques.

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De ces approches macroscopiques qui refletent une realite globale dont on ne doit point s’etonner qu’elle ne soient pas verifiee ponctuellement de facon mecanique au niveau de l’etude microscopique sur un district on un canton, mais qui refletent des ensembles globaux d’attitudes, il n’est pas indifferent de passer toutefois a une reflexion sur la notion de frontihe. Frontieres des temperamments collectifs: c’est bien un probleme de ce genre qui a CtC formule par la these de Paul Bois, analysant dans le departement bocager de I’Ouest, qu’est la Sarthe, la limite qui separe I’option republicaine du domaine de la chouannerie et de la fidelite conservatrice. Telles frontieres ne sont point simplement politiques. On pourrait proposer d’autres tests et d’autres approches, je songe en particulier a cette notion de ‘sociabilite’ que a CtC si heureusement imposee par les travaux de Maurice Agulhon sur la Provence Orientate. Developpant la problematique proposee par Maurice Agulhon, je me suis demande pour ma part, qu’elle pouvait etre la limite de cette sociabilite meridionale et j’ai tente de l’expliciter a partir d’un certain nombre d’indicateurs, tels que la carte de la densitt des Confreries religieuses, prolongee par la carte de la densite des societts populaires et des clubs sous la Revolution Francaise, ou par celle de la densite des loges maconniques a la fin du XVIIIeme siecle. Tel type de reflexion nous propose une serie de representations sur le terrain ou s’inscrivent l’enracinement, la continuite et plus simplement encore la realite des temperamments collectifs. Mais a ce premier reseau ou a cette premiere serie de cartes, il ne serait pas malaise de juxtaposer d’autres repartitions dans l’espace qui, semble-t-ii expriment d’autres realites, ou le paysage collectif dont la repetition nous a jusqu’a present frappe ne se retrouve pas en raison d’un autre detetminisme, sans doute. Je songe, - pour ne point multiplier les examples -, a cette carte de I’alphabetisation, telle que les travaux de Maggiolo, renoves par les traitements modernes qui leur ont CtC appliques, nous I’ont revelee avec le contraste massif des deux Frances: la France ‘savante’, qui occupe la partie nord-est d’une hgne allant du Mont Saint-Michel a Gentve, la France ‘ignorante’, d’autre part, couvrant le sud et l’ouest du pays. Autre France peutttre double, si l’on en croit les sophistications les plus recentes du document qui font apparaitre comment la France du sud-est, des Alpes a la Provence, est en voie de rattrapage des la fin du XVIIIeme siecle, alors que la France atlantique de l’ouest stagne dans son sous-developpement poursuivi. De meme, on pourrait confronter a ce jeu de cartes, celles du I’anthropologie historique, telles que Emmanuel Leroy Ladurie nous les a proposees dans sa monographie du conscrit francais a partir de la consccription du XIXeme siecle. Mais cette liste n’a rien de limitatif si l’on y adjoint, par exemple, la carte des structures familiales, telle que I’ont dressee les chercheurs amtricains de Ann Arbor et qui, au milieu du XIXeme siecle fait apparaitre, de facon tres contrastee la France des familles nucleaires et celle des familles elargies. Qu’il s’agisse des families souches du sud-est ou des grandes familles qui se rencontrent de la France centrale a certaines regions de montagne, on retrouve un profil ou un paysage qui n’est point sans Cvoquer parfois celui de la France de la sociologic rehgieuse ou politique, dans tout un jeu d’harmoniques qui interroge profondement.

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C’est en fait sur une impression de perplexite que I’on peut rester a premiere vue, lorsque I’on confronte et lorsqu’on superpose les elements de ce jeu de cartes. Perplexite qui s’exprime dans les Ccrits du Chanoine Boulard s’interrogeant pour savoir pourquoi celui qui nait a Angers a trois ou quatre fois plus de chances, dans son heritage ou dans son patrimoine, d’aller a la messe, que celui qui nait a Marseille. Perplexite, en termes tres differents et proches tout a la fois exprimee par Peter Laslett lorsque, doublant sa courbe de longue duke de la batardise dans 1’Angleterre du XVIeme siecle a nos jours d’une carte des lieux on des sites ou I’illegitimite est particulierement developpee. il met en evidence la realite obstinee de regions. voire de villages, opiniatrement deviants ou heterodoxes. C’est de cette impression de perplexite que I’on pourrait, en un premier bilan partiel, passer a une interrogation. Peut-on proposer a ces faits des explications? a coup sur, et elles ne manquent point en apparence mais elles nous confrontent a des systemes bien differents. et souvent contradictoires. (2) Des tentutives d’explication. . La premiere serie explicative sera celle qui renvoie a un determinisme social ou socio-Cconomique. en justification ultime de ce qui s’inscrit dans le paysage general, et cet element de determinisme, a coup stir essentiel, pour beacoup de chercheurs. s’inscrit en premier rang: mais plusieurs ont fait remarquer a quel point tel determinisme est loin d’etre mecaniquement ressenti. Les attitudes collectives qui s’enregistrent sur le terrain n’obeissent pas au doigt et a I’oeil, il s’en faut de beacoup, aux sollicictations des structures socioeconomiques. D’autres seront a peine moins rustiques dans la recherche d’un determinisme materiel. Je songe a ces explications qui ont eu leur moment de vogue, des temperaments religieux par le calcaire ou le granit, ce qui renvoie a un determinisme pauvre et a la limite magique meme si telle frontiere, ainsi dans le Maine et Loire ou dans mute autre region de la France de I’Ouest, plonge dans une perplexit bien reelle. Le determinisme geographique existe et il n’est pas question de le traiter par le mepris: si ce n’est point le calcaire et le granit, ce sera la plaine, la montagne I’importance des voies de passage. Qui a travaille sur des traits d’attitudes collectives dans leur stabilite ou dans leur mouvement, ne peut manquer d’etre frappe par I’importance des conservatoires qui sont en m&me temps des isolats au niveau des possibilites de contacts ou de communication. Ainsi, suivant la pratique religieuse du XVIIIeme siecle a partir des clauses des testaments, ai-je pu mettre en evidence I’importance de tels sanctuaires ou ‘conservatoires’ des gestes et des pratiques baroques dans les vallees alpines du I’Ubaye a la Vallouise ou a d’autres sites. Mais on sait aussi que ce contraste simple, plaines montagnes, regions ouvertes - regions closes, n’est pas un contraste imperatif. A propos de I’etude que j’ai proposee de la dechristianisation de 1’An II les cartes font bien apparaitre qu’il est des montagnes jacobines et mal pensantes, comme il est aussi des plaines qui sont refractaires au changement, tres profondement; la encore, si cette serie explicative par le determinisme geographique s’impose, elle ne livre pas la cle ultime du probleme. On pourra alors proposer de prendre en compte ces determinismes ou ces fatalites spirituelles, qui repondent a un temperament enracine. La notion de r&ion

Histoire des mentalites culturelle, telle que l’a Claboree le Chanoine

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Boulard pouvait entrer dans une telles categoric. Toutefois on est conscient d’entree, de ce que telles explications, a la fois essentielles car elles renvoient a des constats indiscutables, peuvent avoir aussi de mystifiant ou de magique, ou simplement de purement verbal. Somme toute, elles n’expliquent rien, en tout cas guere plus que cette notion de ‘force d’inertie des structures mentales’ a laquelle on a deja fait allusion. Pour aller au-de18 de telles contradictions, les chercheurs ont CtC amen& a proposer d’autres motivations, qui font apparaitre le role de l’histoire, le poids de l’heritage tel qu’il s’y inscrit. Je songe en particulier a cette notion que l’on pourrait dire - en simplifiant - du ‘traumatisme historique’ enregistre a un moment donne dans les mentalites collectives dune region, se perpetuant ensuite au-deli meme de la conscience Claire que les hommes en ont. Telle notion a CtC illustree de facon brillante et demonstrative par la these de Paul Bois sur les Paysans de I’Ouest lorsqu’il a pris le contrepied des stereotypes recus depuis Andre Siegfried. Bois a montre que, ni le determinisme sociologique pauvrement inscrit, soit dans le temps court du sociologue, soit dans I’intemporalite d’un heritage de tres longue duree; en l’occurence la double presence de l’aristocratie - ‘not’maitre’ - ou de l’Eglise, - influence du cure les realites memes de la frontiere des options pohtiques qui -3 n’expliquait s’inscrivaient sur le terrain. I1 a, par la m&me, demontre la necessite de remonter par une demarche regressive jusqu’au moment historique ou le pli a CtC pris, en I’occurence la Revolution Francaise, ou le reflet d’un antagonisme a la fois tres vif et differemment formule suivant les regions s’est inscrit dans la memoire collective, alors m&me que les structures sociales, engendrees par l’evolution ulterieure, pouvaient tendre a gommer ces contrastes. La demonstration que propose Paul Bois pour les paysans de 1’Ouest peut Ctre appliquee a d’autres cadres de reference et a d’autres Cvenements origines ou fondateurs: on songera ainsi a I’importance de la &sure confessionnelle et du clivage religieux, pour expliquer les temperaments collectifs dans le Midi francais et singulierement en Languedoc. Tel type d’explication se presente bien comme une sorte de compromis, si l’on y reflechit, entre une explication mecaniste encore, a partir des conditionnements socio-Cconomiques qui se refletent dans le poids dont ils pesent a un moment don& et ce que j’appellerais une explication idealiste qui enregistre la survie dans la tres longue duke des representations collectives en dehors de toute pression immediate des conditionnements qui ont fait naitre ces attitudes. Telle procedure n’est point sans poser elle-m&me des questions: jusqu’a quand demeure la memoire collective? Jusqu’a quand si l’on veut un exemple, la realite du Midi rouge que I’on a vu naitre quelque part autour de 1848 par un retournement spectaculaire du Midi blanc de la premiere moitie du XIXeme siecle, resistera-t-elle dans les cartes de la sociologic electorale a l’erosion qui est le fruit de I’evolution socio-Cconomique actuelle? Desertion des campagnes abandonnees par la paysannerie du siecle passe repeuplement des bourgs par un afflux allogene. . Si l’on peut prendre un exemple ponctuel, Laurence Wylie en nous livrant dans sa monographie de Roussillon, le type ideal du village meridional francais, se trouve aujourd’hui confronte a l’image bien modifiee dune agglomeration

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dont I’hotelier est devenu le maire et les habitants sont des residents secondaires Venus de la France du Nord ou du Benelux. Jusqu’a quand le souvenir. tel qu’il s’exprime en option collective, survit-il a I’erosion de I’Histoire? (3) Des isolats gkographiques aux isolats sociaux La geographie nous a propose une serie d’approches explicites mais en m&me temps grossieres. car globalisantes d’attitudes beaucoup plus diversifiees dans le detail. Par la meme, les suggestions auxquelles conduit I’approche macroscopique geographique, sont a la fois stimulantes, mais peuvent etre mystificatrices. II faut aller plus loin: et derriere les contrastes inscrits dans le terrain lui-meme. entre en consideration la realite des groupes sociaux. Nous y rencontrerons aussi bien de ces groupes qui sont les supports de la resistance au changement et il ne serait pas malaise d’etablir une transition des isolats geographiques aux isolats sociaux. Elle pourrait s’exprimer en termes de quartier urbain abritant des groupes homogenes et ‘resistants’ qu’ils soient a caractere ethnique, 3 caractere professionnel au simplement fond& sur I’endogamie. Pour ne point multiplier les exemples. et en m’inspirant de mes recherches personnelles, je tel ensemble. comme celui que conpourrais titer dans cette perspective, stituent au XVIIIeme sicle les Italiens a Marseille, grande ville cosmopolite deja. Cette communaute composee pour partie de Piemontais. mais aussi de Ligures, Venus de Genes et de sa riviere y constitue un ensemble structure, ferme dans ses traditions et dans ses attitudes collectives. De meme. et dans le m&me cadre, pourrait--on presenter au XVIIICme siecle Cgalement, le groupe des portefaix, plusieurs milliers de personncs unies par les structures d’un metier jure ou les traditions se conservent, ou une tres ferme cohesion sociale est maintenue a la fois par I’endogamie et par la passation quasi hereditaires des fonctions. Ces portefaix constituent. eux aussi, un element de tradition. de conservation, alors meme qu’ils peuvent etre amenes a etre parfois des agents violents du changement - ainsi sous la Revolution - mais I’image du portefaix legitimiste, du portefaix blanc de la periode de la Restauration. reste assez suggestive d’un profil d’ensemble. Si I’on entre dans cette perspective, il pourra sembler que le type meme du groupe social trcs largement taille concu comme refuge des resistances au changement, pourrait se trouver dans le monde rural: image a coup stir mythique. car recouvrant d’une etiquette trop large de multiples realites. Mais cette paysannerie que I’image recue, peut Ctre depuis I’experience de 1848 et du vote paysan, fait aisement imaginer comme conservatrice represente, sans doute, le prototype m&me de I’ensemble qui abrite les traits d’une civilisation traditionnelle dont elle serait le conservatoire. Le folklore ou le magasin aux accessoires des arts et traditions populaires. a dominante rurale, confirmerait dans une vision initiale un peu paresseusc, sans doute, cette image recue. A I’autre extremite peut-on dire de I’echelle sociale, il strait tenant d’evoquer les conservatoires que representent les groupes superieurs. les aristocraties plutot que les ‘elites’, le vocabulaire de I’histoire sociale, qui place en contrepoint les elites mobiles ouvertes au changement et les aristocraties conservatrices, exprimant sans doute un contraste ressenti. II est de fait que c’est dans les c&ales de I’aristocratie. de I’age classique a I’epoque contempo-

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raine, que s’est maintenu tout un ensemble de traditions, de gestes, d’attitudes en defense, et cette notion d’aristocratie demande a Ctre elle-m&me relativisee, nobiliaire. Dans le ne s’appliquant pas uniquement a la caste monde paysan aussi, c’est dans ce qu’on peut appeler une ‘aristocratic paysanne’, celle des gros laboureurs de la France du Nord celle des menagers de la France meridionale, que se sont le mieux maintenues les traditions et les resistances au changement. (4) D’une seconde sPrie de constats d une seconde se’ries d’hypothbes . . . A partir de ce que I’on peut considerer comme une seconde serie de constats, en prolongement de ce que l’etude geographique a suggere on peut passer a une second serie d’hypotheses explicatives, et la encore nous ne manquons point d’idees ou de suggestions. On dira que les groupes conservateurs s’expliquent par reference a ce que I’on pourrait appeler le dynamisme ou le sens de l’histoire: groupes en perte de vitesse, groupes en position defensive, face a une evolution que les depasse devenant groupes traditionnalistes. Cette assimilation ou cette extrapolation, pour simplifiante ou caricaturale qu’elle soit, ne manque pas de confirmations ou d’exemples, l’aristocratie nobilaire en fournirait plus d’un, de meme, si I’on en croit plus d’un auteur, la paysannerie, ainsi cette paysannerie de la Revolution Francaise que Francois Furet, par exemple, nous presente attache a des concepts, mais plus encore a des gestes, a des attitudes, a des formes des sensibilitts passeistes. Plus precisement, il n’est pas malaise, lorsque I’on analyse un milieu concret, rural ou urbain, de dttecter derriere le traditionnalisme de certains groupes, le malaise qui I’atteint dans ses structures et dans sa vitalite. Les portefaix marseillais Cvoques ci-dessus, se raidissent dans un traditionnalisme d’autant plus vif, au fil du XIXeme siecle, qu’ils se trouvent aux prises avec la concurrence de cette annee de reserve des dockers ou de leurs predecesseurs du XVIIeme siecle a la premiere moitie du XIXeme, ces gens que le vocabulaire meridional appelle les Robeyrols, plebe du travail non qualifie, rivale de l’aristocratie du muscle que representent les portefaix et qui en triompheront apres 1860. Amer triomphe sans doute, puisqu’il se traduit materiellement par un renforcement de I’exploitation de la force de travail de la main d’oeuvre non qualifiee. Mais on comprend face a la concurrence de cette armee de reserve, l’ensemble des attitudes et des comportements defensifs dans lesquels s’enferme le groupe du metier jure des portefaix. Dans le m&me cadre geographique, il ne serait pas malaise non plus de prendre pour exemple les maitres ou patrons pecheurs locaux, sous la juridiction de leurs Prud’hommes, opposant leur forte cohesion et leur tradition non seulement institutionnelle, sociale, religieuse, mais familiale, face a la concurrence des nouveaux Venus, des squatters du marche du travail que representent par exemple les Catalans. Cette explication en termes de dynamisme social est forte sans doute. Ce n’est pas en contrepoint mais beaucoup plus en complement que l’on peut proposer un autre systeme explicatif dont la base sera socio-demographique. A I’endogamie de groupes replies sur eux-memes, renfermes dans leur production en vase clos, s’opposeraient la mobilite et le brassage des nouveaux Venus, des survenants: une mobilite ou un brassage qui se rencontre aux deux extremites de I’echelle

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sociale.

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Entendons au niveau le plus fragile du salariat urbain, comme au niveau de ces marchands, negociants, ou de ces membres des professions iiberales et des activitcs tertiaires, - bureaucrates ou autres - qui representent dans la ville du XVIIIcme et plus encore du XIX&me et du XX&me siecle, les groupes les plus enlargement ouverts et reman&. Qu’on me permette 11encore un exemple meridional; dans les approches a la fois demographiques et sociologiques des communautCs provencales dont nous disposons aujourd’hui, les groupes les plus largement brasses sont au village ceux des travailleurs de terre, dune part, et d’autre part les artisans et detaillants du bourg. En contrepoint, les moles de stabilite qui deviendront les conservatoires de la tradition a I’epoque mistralienn~. se rencontrent bien dans le groupe des menagers et des ‘bourgeois’ d’ancien style de cette societe des bourgs urbanises. Mobilite et brassage en contrepoint de l’endogamie, cette explication, elle aussi, n’est pas meprisable. Elle n’est pas exclusive toutefois d’un autre reseau de facteurs explicatifs qui feront appe! essentiellement a des don&es culturelles. I! est dans les heritages culturels ou ideologiques de puissants elements de resistance au changement et a ce que l’on appelle l’acculturation. Religion populaire, ‘magique’, dit-on parfois de facon un peu simplifiante: elle s’est perpCtuCe malgre les offensives de la contre reforme et de l’acculturation du XIX&me siecle, jusqu’a l’agonie du systeme folklorique qui a coi‘ncidc avec ia mort de la societe traditionnelle. De meme la religion tout court, et non point cette religion qu’est la religion populaire, a-t-elle CtC consideree, sur la base de fortes presomptions, comme un element favorisant le traditionnalisme et la continuity. Les conservatoires de I’Ouest de la France, ou de certains sites montagnards, par exemple, sont g la fois lieux de trcs forte pratique et persCv&ance religieuse, et en m&me temps de traditionalisme. Je paraitrai rechercher le paradoxe si je choisis un autre exemple apparemment plus intrigant, celui du lien entre l’analphab~tisme, d’une part, et une certaine tradition de jacobinisme rural, tel que les cartes que now avons Cvoquees tout a l’heure, peuvent le suggerer dans cette France centrale qui va du Morvan au Limousin: une sorte de retard dans l’acculturation par la voie de l’alphabetisation s’est accompagne longuement de cette tradition d’un jacobinisme rural. qui, & sa man&e, peut etre l’expression des attitudes defensives d’une paysannerie fragile. Au travers de toutes ces notations, on comprend comment et pour quelles raisons l’histoire actuelle des mentalites, autant que l’histoire demographique attribue aujourd’hui une importance considerable & la famille. La famille apparaissait au Chanoine Boulard dans son essai sur les regions culturelies comme le lieu privilegie de transmission directe de la fidelite et comme le creuset dans leque! se faconnent les continuites historiques en matiere religieuse, ou au contraire dans leque! se perpetuent les traditions de refus. Ce que dit Boulard en matiere de religion se trouve dans des domaines a la fois bien differents et proches: dans le domaine de la sexuahte. des coutumes matrimoniales, des comportements collectifs; ainsi Laslett, Ctudiant I’illegitimite dans I’Angleterre de l’epoque pre-industrielle a nos jours, met-i1 l’accent, non seulement sur la continuite de localites qui semblent predisposees

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B ce type d’attitudes mais Cgalement SW I’importance des continuites familiales directes. On comprend sans peine, I’importance de la famille, a la fois comme lieu d’acculturation privilegiee et comme cadre de resistance aux acculturations imposees. On serait tente d’extrapoler de ce que nous apporte l’etude de la famille a d’autres notions voisines sur lesquelles l’histoire des mentalites a recemment port6 son attention et, je songe en particulier a cette notion de sociabilite si heureusement redecouverte recemment par Maurice Agulhon. La sociabilite telle qu’on la rencontre dans le Midi mais ailleurs aussi, est-elle element de changement ou de continuite? Les etudes menees en Provence ou ailleurs illustrent bien I’ambiguite dune telle notion au regard de la problematique qui nous interesse. La sociabilite peut rep&enter a la fois un invariant ideal et, en meme temps, le support formel a des realm% qui ont profondement Cvolue dans le temps: des confreres et penitents aux francsmacons, aux democ-sot de 1848 utilisant le cadre des chambrees republicaines, la sociabilite est a la fois une structure de resistance collective, et en meme temps un Clement permeable aux nouveautes et un moyen de leur diffusion. Mettant en evidence, au fil m&me d’avatars successifs, l’obstination de structures formelles comme celles de la sociabihte dans une tres longue duree pluri-seculaire, nous sommes tent& toutefois de franchir une nouvelle &ape dans I’escalade de I’etude que nous menons, et de nous demander si la pointe ultime de ces resitances du mental collectif ne nous fait point debaucher sur ces ‘invariants’, sur ces constantes que I’histoire s’est longtemps refusee a emprunter a l’anthropologie structuraliste. (5) Nouvelle Ctape dans l’escalade: invariants et idkoiogie en miettes Pointe ultime de ce cheminement, a la recherche des resistances, l’historien s’en vient buter contre le systeme de ce qui, disent certains, ne change pas ou ne changerait point, des butoirs de tres longue duree, voire des constantes dans I’histoire des hommes. Fernand Braudel dans son celebre atricle sur La longue dure’e avait deja Cvoque avec une point d’humour ce qu’il denommait par exemple ‘mythemes’ ou ‘gustemes’, c’est-a-dire ces &alit& qui courent a travers toute l’histoire humaine. Ce qui pouvait paraitre une boutade sous la plume de Braudel, mais Ctait deja le fruit du contact inter-disciplinaire que le rendait sensible aux apports de i’anthropologie structuraliste, a pris dans le chantiers de la nouvelle histoire des mentalites une importance croissante. Aujourd’hui on peut dire que les historiens ne sont plus inattentifs ou meprisants a ces souvenirs qui pesent ou a ces ideologies en miettes qu’ils rencontrent au fil dune histoire de plus en plus proche de l’ethnographie historique. Et l’historien peut se demander a bon droit ce qu’il a a faire avec tel trait qu’il rencontre, non seulement chez les folkloristes mais dans les documents enracines dans I’histoire qui sont sa pature propre. Pour ne prendre que quelques exemples voiontairement deconcertants, lorsque l’historien rencontre, aussi bien au detour d’un texte, que chez le folkloriste Van Gennep tel detail comme le frappement rituel du porche de I’eglise par le cortege funebre dans une serie de commune bretonnes, suivant des modalites qui varient d’un lieu a I’autre mais qui se sont reproduites interchangees jusqu’a hier, il peut se demander a bon droit que signifient tels details. Sont-ils

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Michel Vovelle

insignifiants . . . et sinon, comment doit-il les Ike? Autre exemple dans une foule de d&ails possibles, lorsque le voyageur, aujourd’hui encore, rencontre. aux premiers jours de novembre dans les rues d’une ville anglaise une bande de gamins, entourant le mannequin grotesque du ‘guy’, il est A la fois 6merveillC de la persistance d’un souvenir pluridculaire et il peut g bon droit. toutefois se demander ce que reprksente dans I’idCe des enfants qui se livrent h ce jeu pour gagner quelques sous, I’image m&me du ‘guy’. Combien d’entre eux seraient capables, qu’ils soient anglais ou jamai’cains. de lui expliquer que le ‘guy’ est un rappel du complot des poudres, du pCril papiste et une formulation dkrisoire d’un souvenir historique lointain? Encore n’est-ce 18 qu’un premier niveau de lecture d’un phCnom&e historique qui doit s’enraciner beaucoup plus profondkment encore. L’histoire des mentalit&, aujourd’hui, sera tentke de rapprocher ce mannequin dkrisoire et carnavalesque des manifestations rcncontrkes en Ecosse ou dans I’AmCrique anglo-saxonne du Nord-Est. qui cCl&brent 2 la m&me Cpoque, Halloween. Le ‘guy’ des villes anglaises, comme les personnages grotesques, les masques ou les fant6mes d’tialloween, sont tous pour lui, de toute kvidence. I’image du ‘mort double’. hkritage de I’ancienne religion populaire, exorcid par la rkforme, dans ces pays protestants qui ont voulu proscrire le purgatoire catholique et par 15 mOme qui n’ont point rCussi &apprivoiser ou i naturaliser les morts doubles hostiles dans le lieu du rachat i temps. Et, par la m&me, le ‘guy’ reprksenterait le rappel extrcmement lointain d’une tradition qui remonte bien au-de18 du complot des poudres. . Mais. on s’en doute il serait illusoire de demander. non seulement aux enfants du coin des rues mais 2 la plupart des anglais ou des amkricains d’aujourd’hui de comprendre ces rCf&ences lointaines et qui sollicitent un dkcryptage approfondi. Alors on se demande ce que repksentent, et de quel poids pksent ces idkologies en miettes. A coup stir y-a-t-i1 dans les attitudes et les comportements collectifs. dans le faqonnement de ces rksistances qui occupent, le poids de souvenirs qui p&sent fortement encore qu’inconsciemment. Ainsi par exemple, dans la front&e des attitudes politiques de la France contemporaine. s’inscrit le poids d’un pass6 qui est loin d’&re objectivk dans les traits de I’hCritage dont il est le reflet. Combien des habitants de I’Ouest franqais se rCf?rent consciemment 2 l’hkritage du traumatisme rkvolutionnaire qui modele encore durablement aujourd’hui la carte de leurs habitudes? Combien des habitants de la ‘Vendee ProvenGale’. entre Aix et Arles. qui votent traditionnellement pour la droite ou I’extr&me droite savent les conditions historiques dans lesquelles le partage s’est fait sous la RCvolution Frangaise? Ces souvenirs inconscients sont certainement I’un des faits les plus obscurs et en m&me temps les plus enracinks de ce que nous nous efforGons de saisir. La mentalite collective se prksente ainsi comme constituke de stratifications inconscientes de la mkmoire: inconscientes, mais opkatoires, et pour passer dans un autre domaine, c’est au niveau de ce qu’il appelle, d’un terme qui mCrite discussion, ‘I’inconscient collectif’ que Philippe Aries a analysk comme d’autres en m&me temps que lui, les attitudes collectives devant la mort qui s’expriment en dehors de toute r&f&ence g un discours construit, maitrisC, plus objective, mais n’en sont pas moins essentielles pour cek. A la limite on peut m&me se demander s’il

Histoire des mentalites

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existe des gestes ireritablement insignifiants: comme si aucun geste pouvait etre insignifiant pour I’historien! J’entends par la des gestes dont la signification serait si occultee qu’elle serait totalement incomprise. On songe a ces manifestations de Halloween dont je viens de parler, on songe a ce carnaval que l’essai d’un anthropologue, Claude Gaigneret, tente de decrypter dans les formes incongrues de I’heritage de tres longue duree dont il est le reflet. Halloween ou le carnaval, reduits aujourd’hui au niveau de manifestations derisoires ou infantilisees, n’en sont pas moins le reflet, non seulement de I’obstination du souvenir, mais d’une presence inconsciente et d’un besoin collectif. Au bout du chemin, on risque de se heurter a ce theme de ‘I’histoire immobile’ que les Ccrits de Emmanuel Leroy Ladurie ont mis en valeur recemment, et de se retrouver Cgalement a ce niveau ou le temps de I’historien se confond avec celui de I’anthropologue, pour rencontrer ces notions qui parcourent l’histoire sans changement, ces ‘invariants’, dont Levy-Strauss a donne I’illustration a partir d’exemples tels que le tabou sur I’inceste. Je crois qu’il ne faut pas opposer I’incomprehension a cette interrogation que nous propose I’anthropologue structualiste, mais bien plutot tenter, comme vient de la faire de facon brillante et demonstrative Georges Duby dans son dernier ouvrage sur I’lmaginaire du fkodalisme (qui s’affronte au theme de la tripartition de la societe dans sa mise en place historique comme dans sa perennite paradoxale), d’appliquer une lecture historique ace type de phenomene. II me semble bien que toute une partie des etudes qui s’afrontent actuellement au delicat probleme de la culture populaire, ont affaire avec une reflexion de ce type. La culture populaire c’est sans doute I’expression la plus complexe, mais en meme temps, la plus forte de la resistance au changement sous la forme de I’acculturation imposee par les elites. Cette culture populaire que I’on peut definir par un corpus de croyances enfouies, enterrees, mais capables de ressortir sous des formes inattendues, beaucoup y decouvrent aujourd’hui un systeme de representations: le haut et le bas, l’inversion, le rire et la derision qui constituent un ensemble de mecanismes defensifs et subversifs pour lutter contre les formes d’acculturation mutilantes et mystificatrices. Et de Baktin a Ginzburg ou a Nathalie Davis, de nouveaux historiens analysent ces structures ou ces procedures du reject qui ont perdure avec obstination a travers l’histoire. Telles approches peuvent parfois - ainsi chez Gaignebet - conduire a des formes de lecture dans lesquelles I’histoire elle-m&me trouvera difficilement son compte, elles ne sauraient etre traitees par le mepris: en tout cas, elles nous aident a tenter d’analyser, ou simplement de suggerer les mecanismes, les formes, les strategies des resistances au changement. (6) Formes, me’canismes et stratkgies . . . Tenter de passer en revue les difficult& specifiques d’une etude comme celle que nous envisageons, c’est tenter d’aller au-de18 des explications verbales, commodes, mais mystifiantes, telles que celle de ‘l’inertie des structures mentales’: cette inertie, bien reelle, mais qui renvoie a une qualite occulte dont il convient de rendre compte. Dans cette recherche, I’historien se trouvera confronte a un certain nombre de problemes et, je souhaiterais Cvoquer quelques uns d’entre eux, sans pretendre pour cela etre exhaustif.

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Le premier trait, ou la premiere difficulte seca sans dome de s‘affronter avec des mentatites que se presentent comme enfouies, comme stratifiees, objet d’une histoire, si l’on veut, a &ages. Et ceci, tant dans les attitudes collectives que dans les sensibilites individuelles de chacun de nous. Comment peut-on etre catholique et Polonais, comment peuton etre italien communiste et croyant? Ces contradictions objectives existent et point seulement dans le cas de ces exemples trop simples. Les mentalites au niveau, non point de la pen&e Claire, mais des attitudes collectives, presentent cette sorte d’emboitement en miles de toit, auquel les oeuvres de Philippes Aries sur la mort nous ont rendu sensihles. Dans les differents types d’attitudes qu’il a releves au fil d’une evolution de longue duke, il insiste bien, B juste titre, sur la coexistence de differentes formes de representation collective et sur le recouvrement de differentes sensibilites. C’est sans doute un tel trait qui explique pour une part cette sorte de viscosite dans I’evolution des mentalites qui en fait un des secteurs les plus r&ifs, sans doute. au changement brusque encore que la possibilite de celui-ci ne doive pas ttre &art&. Le deuxieme trait qui me semble notable, c’est sans doute la nCcessitC de rechercer le secret ou I’explication de ces resistances dans des sources qui nous entrainent en dehors des expressions habituelles de la culture ou de I’acculturation dominante, h~g~monique a une Cpopque. C’est pourquoi, en ce domaine, comme dans beaucoup d’autres de l’histoire des mentalites. les sources classiques de I’ecrit cesseront d’etre predominantes, et il faudra, plus que jamais, tenter une investigation difficile dans le silence des majorites . silencieuses, en analysant les gestes apparemment insignifiants, les produits de I‘enquete orale, les t~moignages incons~~ents port& par l’i~onographie ou par les objects de la civilisation materielle. Une autre moyen de tricher avec le poids du silence de ces resistances qui s’enferment si frequemment dans le refus de parler, c’est sans doute de s’attacher, comme on le fait de plus en plus, a l’histoire des marginalites, l’histoire des refus actuellement ri la mode: mais il est de bonnes modes. Ceci vaudrait pour les prospections en matiere de resistances cnracinees, ‘au repos’ pourrait-on dire, mais il va de soit que le refus peut s’exprimer de faqon explosive et point simplement dans la petite monnaie des formes de marginalisation, mais par les langages de la revolte, et c’est ace niveau qu’il importc de se pencher sur les formes de la contestattion, des revoltes. de celles, en particulier, qui ne vont pas dans le sens de I’histoire, en un mot, d’approfondir I’etude de ces ‘primitive rebels’ qui ont et6 mis en lumiere par les ouvrages toujours essentiels d’Eric Hohsbawm. A I’issue d‘une telle prospection, on risque de se trouver confronte 6 des notions dont l’histoire a sans doute abuse telles que celles de ‘temperaments’ ou de ‘personnalites collectives’. Mots hal’ssables, j’en conviens, et (d’un terme que I’on a applique a la dechristianisation) ‘fausse idee Claire’, ou idles trompeuses par leur flou ou par leur vague _ _ _ Mais en meme temps, qui neghge ces realites risque de laisser passer des don&es importantes et de ne point les prendre en compte. Qu’on me pardonne de prendre des exemples trop contemporains peut-etre mais qui n’en seront que plus expressifs. Je crois, par exemple que la gauche franFaise actuelle a trop longtemps meconnu en n’y

1.5

Htitoire des mentalites

voyant que des realites insignifiantes ou des souvenirs futiles, I’importance des phenomenes regionaux dont le reveil actuel au niveau des idees-forces mobilisatrices temoigne bien de I’importance des souvenirs historiques lorsqu’ils sont enracines dans un contexte socio-historique p&is. Pour ne point s’en il y aurait sans doute a s’interroger tres tenir aux limites de l’hexagone, largement sur l’importance d’un phenomene comme celui de 1’Islam ou du reveil dans un certain nombre de mouvements de liberation actuels. L’exemple de 1’Iran en 1979 s’imposant de toute evidence a I’esprit. Le meilleur moyen, me semble-t-il, d’exerciser le flou ou le vague des notions de temperament collectif, c’est sans doute d’en analyser trb prtcisement les composantes, les formes d’insertion historique et, eventuellement de revitalisation. Par la meme, cette histoire des resistances me semble passer inevitablement -par un detour qui s’impose -par une interrogation sur I’histoire du mouvement et du changement.

III -

Que I’histoire

des resistances

renvoie

a l’histoire

du mouvement

11 peut Ctre commode pour percevoir la nature du ‘mouvement’ tel qu’il a ete concu de se placer dans une optique genetique ou historique: en premier rang nous reviendra cet heritage que l’on pourrait dire des Lumieres s’il n’etait en meme temps celui de la reconquete post-tridentine ou de la centralisation absolutiste, en meme temps que celui du despotisme Cclaire. Cette lecture, c’est celle qui va presenter I’image d’une acculturation triomphante en contrepoint d’un reseau de resistances defini en termes manicheens, successivement comme la superstition, le fanatisme, ou I’inculture, cette inculture que I’on s’accorde a retrouver dans les masses rurales ou dans les groupes populaires urbains. Au fil des ideologies successivement affirmees dans leurs pretentions hegemoniques, celle de la contre-reforme, celle des Lumieres, celle de la bourgeoisie triomphante au XIXeme siecle se definit une image en negatif des resistances de la mentalite collective, et inversement, l’ideal d’un progres continu de l’esprit humain et de la maturite culturelle des masses. Dans cette lecture, sous ses formes successives on peut retrouver comme traits communs l’idee de la degradation progressive d’un systeme tres ancien de mythes, de croyances, de pensees magiques, que l’on repudie violemment, quitte, a partir de la fin du XIXeme siecle, a la valoriser dans le cadre de la redecouverte du folklore. Cette lecture lineaire des combats de la resistance et de ce que chaque periode conceit comme le progres a mis au point un certain nombre de schemas explicatifs qui decrivent les formes de degradation des croyances anciennes: ainsi parlera-t-on, a partir de references empruntees a la sociologic et a I’anthropologie, des procedures d’imitation descendante qui font que les representations collectives, un temps Clitistes se refugient dans les groupes inferieurs (je songe aux formes de la sociabilite meridionale analysee par Maurice Agulhon). On parlera aussi bien du processus d’ ‘infantilisation’ de ces heritages et les exemples fournis tant par le folklore que I’histoire ne manquent pas aussi bien que des fantomes errants d’HaIIoween dans le monde anglosaxon.

I6

Michel Vovelle

Telle lecture du mouvement n’est done pas desuete et on peut dire qu’elle correspond a toute une partie des interpretations qui sont aujourd’hui recues. 11 me semble toutefois qu’au fil de I’histoire une image plus dialectique et en meme temps plus dynamique s’est progressivement mise en place. Si la Revolution Francaise s’est voulue une Ctape essentielle dans la lutte ouverte contre les resistances au progres. ainsi dans son offensive contre les patois, comme dans son combat contre la religion dominante. tous traits qui la presentent comme une veritable revolution culturelle. I’experience revolutionnaire montre cependant comment la Revolution secrete son complement dialectique SOW la forme de la contre-Revolution, comment la resistance peut prendre des figures ou des visages qui ne sont point simplement larves, passifs ou enfouis. mais qui peuvent etre porteurs d’un reel dynamisme. Et. somme toute. I’evolution ultierieure du XIXeme siecle a fait apparaitre le caractere ambigu de la notion de resistance souvent valorisee en termes de decouverte ou de defense des traditions; les traditionalismes aristocratiques se sont alors donnea leur corps de doctrine, cependant que lc mouvement des nationalites sous toutes ses formes, dont la decouverte des folklores n’est sans doute pas la moindre. faisait ressurgir les prises de consciences des heritages comme positives. Ces resistances au changement apparaissent desormais comme dotees d’une signification ambigue, elles peuvent Ctre passeistes et par la meme nuisibles, mais elles peuvent Ctre aussi valorisees comme defense d’un tresor menace. et on peut dire, sautant les Ctapes. qu’aujourd’hui I’emergence de la notion de culture populaire dans I’historiographie contemporaine retlete I’ambigui’te d’un heritage qui est loin d’etre simple. mais aussi la sensibilite d’un moment. La culture populaire, pour beaucoup de ceux qui en traitent, represente que I’on se refuse I’image d’une defensive positive, d’une vie souterraine desormais a traiter par le mepris comme on le faisait au temps les Lumieres ou aussi bien de la Contre-Reforme. ou elle se voyait denier tous droits a une personnalite autonome. Cette reconnaissance ‘qu’ailleurs existe’. et que cet ailleurs n’est point I’inculture est sans doute I’un des traits majeurs de l’evolution dont nous traitons et qui justifie a sa man&e notre problematique. Mais telle interrogation sur la signification du mouvement aux antipodes des resistances de la mentalite collective ne saurait, me semble-t-il faire totalement I’economie d’une reflexion sur la dialectique du temps court et du temps long dans I’histoire des mentalites. Theme immense que meriterait d’etre traite pour lui-meme, mais je ne le prends ici en compte que dans le mesure ou il nous interesse directement. Y-a-t-i1 dans ces attitudes, ces comportements, et pour tout dire, ces mentalites collectives, possibilite de saut, de mutations brusques de revolutions‘? Cette interrogation a r-ecu plusiers reponses successives et que I’on wit aujourd’hui des historiens de la Revolution passer de I’attitude d’hier, celle de I’histoire que I’on a dite ‘revisionniste’, repudiant la notion m&me de mutation brusque en mat&e d’histoire des mentalites sous la plume aussi bien d’Emmanuel Leroy Ladurie que de Francois Furet, redecouvrir I’idee d’une revolution creatrice beaucoup plus qu’heritiere, faisant naitre de facon brutale un nouveau systeme de valeurs. C’est la le transfert de sacralite dont parle Mona Ozouf dam le cadre de son etude sur La

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Fite R&olutionnaire, comme ce pourrait dire ce ‘transfert de legitimite dont Francois Furet fait la cle de voute de sa recente meditation sur la Revolution Francaise sous le titre: Penser fe Revolution. Cette interrogation nous interesse directement dans le mesure oQ la dialectique du temps court et du temps long, la possibilite dune revolution comme I’on disait autrefois ‘dans les moeurs’ introduit a celle d’une revolution culturelle qui pourrait a la fois modifier le paysage collectif des options assumees et en meme temps secreter et reactiver des forrnes de resistance ouverte. Et par la on passe a une autre probl~matique fondamentale, ceile de la pluralite ou de I’unicite des temps de I’Histoire et singulierement de I’histoire des mentalites. It est evident que ce qu’expriment les resistances du mental collectif, c’est sans doute la discordance qui existe entre le temps des ‘elites’ entendons des groupes hegemoniques, et le temps d’une part importante des masses populaires. Entre les differents niveaux de la conscience ou de la prise de conscience, il existe un temps de latence bien reel et pour ne prendre qu’un exemple illustratif c’est une discordance de ce type que j’ai tente d’etudier dans mon approche des clauses des testaments meridionaux a I’epoque baroque. L’abbe Bremond dans sa celebre Histoire litttraire du sentiment religieux avait parle de ‘I’invasion mystique’ qui a pris place quelque part entre 1620 et 1640 au Grand Siecle des saints dans la France de Berulle, d’Arnaud, de St Cyran ou de Vincent de Paul. Pour moi, c’est bien, non pas I’invasion mystique mais ce que j’ai appele ‘l’invasion devote’, petite monnaie de la precedente que j’ai saisie, me semble-t-i]. entre 1650 et plus encore 1680 et 1720, periode ou culmine en Provence le systeme baroque des pratiques et des attitudes devant la mort. Cinquante ans de latence ou d’inertie, permettent de mesurer en negatif, a partir des lenteurs dans la propagation du mouvement, le poids ou le puissance des resistances. Tel temps de latence peut s’inscrire en termes differents, non point de resistance a la conquete, mais de resistance a la destructuration d’un systeme. Lorsque Daniel Roche, par exemple. dans un recent article sur La mtmoire de fu mort qui traite des artes moriendi en France du XVIIeme au XVIIIeme siecle, voit se briser aux alentours de 1700 la courbe Clevee et soutenue de la production des preparations B la mort et lorsqu’il nous dit que le XVIIIeme siecle, prive de la creativite anterieure. sera avant tout ‘le siecle des reeditions’, il nous propose une courbe g&i&ale des attitudes face au dernier passage qui anticipe d’une cinquantaine d’annees sur la rupture ou sur le decrochement que j’ai pour ma part saisi en Provence, a partir des clauses des testaments, c’est-a-dire dans les milieux, sinon populaires. du moins de la pensee moyenne. La encore un ph~nom~ne de resistance, qui presente amorti le mouvement de declin dont le test-electrocospe de la production litttraire a donne le coup d’envoi. On le sent, les ‘resistances’ apparaissent a partir de tels exemples comme I’expression de discordances. au moins momentanees, mais parfois fort durables, dans la pluralite des temps de I’histoire et notamment des temps de l’histoire des mentakes. Et de ces etudes, ou de ces suggestions sort a contrario l’idee que l’histoire des mentalites ne se confond pas uniquement avec I’histoire des resistances, comme inerties ou temps de latence, mais qu’il existe aussi une reelle possibilite de mutations brusques, de creativite a chaud d’epoques ou de moments ou se cristallise brutalement une sensibilite nouvelle.

Michei Vovelfe

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En conclusion, if me semble que la problematique, a laquelle j’ai tente d‘introduire, peut se reveler feconde si l’on veut bien l’aborder dans une optiyue r~sofument dynamique. Si telle analyse n’aboutissait qu’a exhumer en termes d’isolats geographiques, ou de cloisonnement social de groupes mures dans leur inertie et leur individualite, le t&or ou le conservatoire des gestes inchanges, le musee des heritages incompris, cette enquete serait sans doute interessante mais resterait pauvre et ne deboucherait pas sur une problematique d’avenir. A mon avis, if faut I’envisager comme le moyen d’une approche approfondie de l’entrelacement des temps de I’Histoire au sens ou Althusser prend le terme dans le cadre de ce ‘tout surdeterminant’ qu’est le mode de production: et c’est dans ce cadre que I’on peut parvenir, me semble-t-if, a une approche affinee de la notion des mentalitts collectives en reussissant peut-etre a briser le cercle enchante des notions aujourd’hui recues et de leur facilite verbafe: ‘force d’inertie des structures mentales’, ‘inconscient collectif’, autant de donnees qui sont peut-etre operatoires aujourd’hui, mais qui ne sauraient dispenser longtemps d’une analyse explicative en profondeur. Michel Vovelle

UrriversitP de Provence Centre d’Aix

NOTES *This article originally appeared in Le Monde Alpin er Rhodanim with the permission of the author and publisher. Centre Alpin Grenoble.

No. l-2.

1980. Republished

et Rhodanien

d’Ethnologie.