Formation À propos d’un cas
Kinesither Rev 2007;(66):17-20
Hypermobilité du pouce gauche chez une violoniste DOMINIQUE ANDREU
L’auteur présente la prise en charge d’une jeune violoniste se plaignant de douleurs importantes de la main, l’obligeant à interrompre son activité musicale. Le bilan met en évidence un syndrome d’hypermobilité articulaire à l’origine d’un malpositionnement de la main et du pouce en particulier, avec fermeture de la première commissure, hyperextension de la MP et flexion IP. Un programme de rééducation est décrit, regroupant des exercices analytiques de repositionnement de la colonne du pouce et des exercices à l’instrument, aidé par l’utilisation de deux orthèses de pouce.
MOTS CLÉS
Hypermobilité Main Musicien Orthèse Rééducation
L’
hypermobilité articulaire est classiquement décrite chez le sportif comme un facteur favorisant les traumatismes comme les entorses ou les luxations, d’autant plus qu’elle intéresse les membres inférieurs qui supportent le poids du corps ou les membres supérieurs soumis à des efforts violents en vitesse ou en force. Chez le musicien, le problème est rarement dans une résistance à des forces importantes mais plutôt dans la difficulté à contrôler un positionnement articulaire rapide et précis, notamment au niveau de la main.
« Chez le musicien, le problème est rarement dans une résistance à des forces importantes mais plutôt dans la difficulté à contrôler un positionnement articulaire rapide et précis, notamment au niveau de la main. »
Le cas du violoniste Le cas qui nous intéresse est celui d’une jeune violoniste de 17 ans avec un passé de 10 ans d’instrument et qui ressent des douleurs dans le pouce et la main, entraînant des difficultés à jouer et provoquant un mauvais positionnement de la main. L’observation à l’instrument montre une tendance à la fermeture de la première commissure et passage du pouce, lors du jeu, de positions extrêmes de flexion de la MP et hyperextension IP et à l’inverse hyperextension de la MP et flexion de l’IP et toujours en fermeture de la première commissure (figures 1 et 2).
Masseur-kinésithérapeute libéral, 1, rue Sambre et Meuse, 64000 Pau. E-mail:
[email protected] Article reçu le 22/02/07. Accepté le 26/02/07.
Figure 1. L’observation à l’instrument.
Figure 2. L’observation à l’instrument.
L’interrogatoire met en évidence une connaissance de ce positionnement par le professeur de violon avec tentative infructueuse pour le corriger, et ce d’autant plus que la répercussion sur la qualité et la facilité du jeu était jusqu’alors inexistante. Un examen postural global révèle une légère antépulsion de l’épaule et un décollement modéré du bord spinal de la scapula. L’examen articulaire met aussitôt en évidence une hypermobilité articulaire importante tant au niveau du pouce (figure 3), du Ve doigt, qu’au niveau des coudes, des genoux, mais peu au niveau du rachis, ce qui peut être côté à 8 selon le score de Beighton. Nous sommes donc en face d’un syndrome d’hypermobilité articulaire et non pas en face d’un cas d’hypermobilité pauci arti-
Figure 3. La face dorsale du pouce touche l’avant bras.
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culaire souvent rencontré chez les musiciens et directement en rapport avec leur pratique instrumentale.
Le point sur la littérature Le problème de départ est de savoir si une telle hypermobilité est compatible avec cette pratique instrumentale ? L’étude de la littérature en la matière nous a permis de retrouver quelques articles évoquant ce problème, mais aucun réellement axé sur le pouce du violoniste [1-7]. L’hypermobilité articulaire a longtemps été jugée comme un avantage pour les musiciens en augmentant l’empan par exemple. Elle est présente chez 5 à 25 % des individus selon les séries publiées, sans un accord parfait sur son caractère pathogène. Deux études se sont intéressées aux musiciens : celle de Larson en 1993 [8] et Bejjani en 1984 [2]. Bejjani [2] met en évidence une prévalence de l’hypermobilité légèrement supérieure chez les musiciens que chez le reste de la population. Il met néanmoins en garde contre un risque de lésions ostéoarticulaires plus important, mais sa série ne repose que sur 72 musiciens. Larson [8] a travaillé sur 660 musiciens : il retrouve 27 % de laxité symptomatique surtout en rapport avec des hypermobilités pauciarticulaires. Il trouve que les musiciens hypermobiles au niveau du poignet et du coude ont moins de douleur que ceux qui ont une mobilité normale. Il en conclut que l’hypermobilité des articulations subissant des mouvements répétés est moins mauvaise que celle des articulations moins mises en mouvement (membres inférieurs, colonne vertébrale). Mais il ne s’est pas intéressé aux doigts particulièrement. Deux études récentes mettent en garde contre les risques de l’hypermobilité dans la population générale. Celle de Belen’kii [3] met en évidence une augmentation des pathologies ostéo-articulaires chez les sujets hypermobiles en fonction de l’âge. Celle plus récente d’Adib N et al. [1] conclut que l’hypermobilité articulaire est un réel facteur favorisant des douleurs articulaires chez 74 % des sujets et des déformations articulaires pour 10 % des enfants âgés de moins de 10 ans. En fait le cas de quelques musiciens célèbres peut nous rassurer sur les possibilités de réussite des hyperlaxes. On peut citer Rachmaninov, ou surtout pour le violon Paganini avec ses mains « marfanoïdes ». Mais ne seraient-ils pas les exceptions confirmant la règle ? Notre cas se présente donc comme un syndrome de surmenage sur un mauvais positionnement articulaire, engendré par un défaut d’équilibre entre les muscles extrinsèques, fléchisseurs de l’IP et extenseurs de la MP et les intrinsèques adducteurs et fléchisseurs de la MP, 18
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et favorisé par un syndrome d’hypermobilité articulaire. La stabilité de la colonne du pouce est sous la dépendance de 6 muscles intrinsèques (Opponens pollicis, Abductor pollicis brevis, Adductor pollicis, Flexor pollicis brevis, First palmar interosseus, First dorsal interosseus) et 4 muscles extrinsèques (Abductor pollicis longus, Flexor pollicis longus, Extensor pollicis brevis, Extensor pollicis longus) dont il faudra équilibrer le jeu.
« En fait le cas de quelques musiciens célèbres peut nous rassurer sur les possibilités de réussite des hyperlaxes. On peut citer Rachmaninov, ou surtout pour le violon Paganini avec ses mains « marfanoïdes ». Mais ne seraient-ils pas les exceptions confirmant la règle ? »
Rééducaion On va d’abord chercher à retrouver l’opposition puis un positionnement harmonieux avec ouverture de la première commissure, légère flexion de la MP et légère flexion de l’IP. Les exercices sont d’abord réalisés de manière analytique, muscle par muscle puis de manière globale. Il faut souligner qu’une correction posturale globale est un préalable à cette rééducation, avec harmonisation des courbures vertébrales, rééquilibrage et stabilisation de la ceinture scapulaire que nous ne détaillerons pas ici, mais dont l’importance est capitale pour la qualité du placement de la main.
La rééducation de la main Il faut tout d’abord réaliser un relâchement de l’adducteur ; on utilise les techniques classiques de massage et étirements. Ensuite on insiste sur la prise de conscience de certaines capacités de positionnement du pouce : de la possibilité de réaliser une pince pouce-index avec une flexion des articulations MP et IP de la colonne du pouce et une ouverture de la première commissure ; de la possibilité
Figure 4. Réapprentissage de la pince pouce- index avec ouverture maximale de la première commissure.
Figure 5. Electrostimulation du couple opposant-premier inter osseux dorsal.
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de la mobilisation de la MP et de l’IP avec TPM fixée ; même exercice avec TPM libre. Tout un travail de rééquilibrage musculaire est entrepris. Travail des arches digitales et métacarpiennes. Stabilisation de l’articulation trapézométacarpienne par un travail de l’opposant et du premier interosseux dorsal selon les techniques bien codifiées par M. Boutan [9]. Travail analytique de l’opposant : poignet en position neutre de flexion extension, on place une résistance face antéro-latérale du 1er métacarpien. Travail analytique du premier IOD : une main bloque le 1er métacarpien et l’autre, au niveau de la métacarpophalangienne de l’index, s’oppose au mouvement de flexion-abduction, le sujet voulant réaliser une pince termino-latérale. Travail de l’opposant du pouce en cocontraction avec l’opposant du cinq dans le mouvement de pince des deux doigts. Travail de l’opposant en chaîne facilitatrice de rotation avec l’extenseur du V. Allongement axial actif.
« La prise en charge d’un problème d’hyperlaxité développé sur plusieurs années demande une longue rééducation et un travail régulier du musicien sur son instrument. »
Travail du cubital postérieur, qui s’oppose à l’affaissement du bord cubital de la main et est indispensable à la stabilisation du pouce. Exercices de pince entre chaque doigt, sans puis contre résistance. Travail analytique d’extension trapézométacarpienne et métacarpophalangienne par le court abducteur, le court extenseur avec relâchement de l’interphalangienne. Travail des pinces termino-subterminales. Le sujet tient des objets que le kinésithérapeute essaye de lui prendre ; en progression le praticien ajoute des sollicitations dans diverses directions. Electrostimulation du couple opposant premier interosseux dorsal (figure 5).
La place de l’appareillage Pour aider à la correction de ce malpositionnement, une orthèse rigide a été confectionnée. Elle est de type « alpine », elle laisse libres la paume de la main et la 2e phalange. Dans un 1er temps, elle permet alors de limiter la fermeture de la 1re commissure et surtout de limiter l’hyperextension ou l’hyperflexion de la MP. En revanche, elle est trop contraignante et est très vite remplacée par une orthèse souple en néoprène renforcé
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Figure 6. Jeu avec une orthèse souple en néoprène renforcée par une lame rigide thermoplastique.
Figure 7. Exercices sur le violon.
par une pièce dorsale thermoplastique (figure 6). Celleci est beaucoup moins contraignante, elle laisse davantage de mobilité au pouce. Plus qu’un tuteur, elle est plutôt considérée comme un rappel proprioceptif.
Les exercices sur le violon En parallèle au travail de rééquilibrage musculaire, une gymnastique d’assouplissement et de positionnement des doigts sur le manche du violon a été mise en œuvre, inspirée des exercices proposés par Sulem [10]. – Mouvements d’opposition du pouce : En première position, former une boucle avec le pouce et l’index en essayant d’entourer le manche sans le toucher, même exercice avec chaque doigt. Le violon peut être tenu sur le côté comme une guitare (figure 7). – Les doigts placés en première position à intervalle d’un ton soit une sur corde, soit sur les 4 cordes sous forme d’accord ; lever et reposer un doigt à la fois puis en alternance, comme au piano, avec toutes les combinaisons de 2 doigts possibles : 2-3, 2-4, 2-5, 3-4, 35, 4-5. D’autres exercices sur d’autres positions peuvent être proposés.
Conclusion La prise en charge d’un problème d’hyperlaxité développé sur plusieurs années demande une longue rééducation et un travail régulier du musicien sur son instrument. Il faut une collaboration étroite avec le professeur. La correction du geste limitera le risque d’atteinte ostéo-articulaire ultérieure. Rien ne nous permet de dire que l’hypermobilité articulaire est incompatible avec la pratique intensive de l’instrument mais elle demande au musicien un travail musculaire stabilisateur plus important. La facilité à prendre certaines postures qu’elle semble procurer au 19
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jeune musicien ne débouche-t-elle pas au fil des ans sur une surcharge musculo-articulaire défavorable ? La réussite extraordinaire de certains sujets hyperlaxes ne cache-t-elle pas les grandes difficultés ou les échecs de nombreux autres ?
[4]
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RÉFÉRENCES
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multisystem disorder? Rheumatology (Oxford) 2005;44:744[8]
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[10] Sulem R-B. Physiologie et art du violon. Alexitère, 2002. 112 p.
2002;80:42-5.
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