Arch Mal Coeur Vaiss Prat 2015;2015:2–7
Dossier / Mise au point
Hypertension artérielle et troubles cognitifs High blood pressure and cognitive disorders O. Hanon
Service de gériatrie, hôpital Broca, université ParisDescartes E14468, 54-56, rue Pascal, 75013 Paris, France
O. Hanon
Disponible en ligne sur ScienceDirect le 24 octobre 2015
RÉSUMÉ
MOTS CLÉS
La prévention des troubles cognitifs et des démences représente un enjeu majeur de santé publique. Plusieurs études retrouvent une association significative entre l'existence d'une hypertension artérielle et la survenue de troubles cognitifs et de démences (vasculaire ou maladie d'Alzheimer) plusieurs années plus tard. L'hypertension est à l'origine de modifications vasculaires qui affectent le débit sanguin et le métabolisme cérébral. Les troubles cognitifs peuvent être liés à la présence de lésions ischémiques focales (infarctus, lacunes) et/ou d'une ischémie chronique de la substance blanche (leucoaraïose) en rapport avec une atteinte des petites artères cérébrales (artériosclérose). Des travaux récents suggèrent aussi que l'hypoxie cérébrale et des anomalies de la fonction endothéliale entraînent des modifications de la barrière hémato-encéphalique à l'origine d'une accumulation de la protéine b-amyloïde dans le cerveau et de formation des plaques amyloïdes responsables de la maladie d'Alzheimer. Peu d'essais thérapeutiques ont comporté une évaluation cognitive et/ou le diagnostic de démence. Ils soulèvent tous certaines critiques importantes : la cognition n'est jamais le critère principal d'évaluation, le suivi est trop court pour étudier les démences ; l'évaluation des fonctions cognitives est très sommaire, le nombre de patients « perdus de vue » est important et les sujets à risque de développer une démence sont en très faible proportion. Deux études randomisées ont démontré une réduction significative des démences (étude SYST-EUR) ou du déclin cognitif (étude PROGRESS). Les résultats de 4 grands essais randomisés, regroupés en méta-analyse, indiquent une diminution significative du risque de démence sous traitement antihypertenseur en comparaison au placebo.
Hypertension Troubles cognitifs Démences Maladie d'Alzheimer
© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
es démences représentent l'une des principales pathologies de la personne âgée. En raison du vieillissement de la population, la prévention des troubles cognitifs et de la démence représente un enjeu majeur des années à venir. En absence de prévention, le nombre de sujets déments dans le monde risque de s'accroître de 25 millions en 2001 à 80 millions en 2040 [1]. L'identification et la prise en charge des facteurs de risque de ces affections invalidantes doit donc être une priorité, afin de définir les meilleurs outils d'une prévention précoce. On distingue classiquement deux types de démences : la maladie d'Alzheimer qui est la forme la plus fréquente, et les démences vasculaires. En réalité, plusieurs études anatomopathologiques soulignent qu'un grand nombre de démences ne sont pas seulement d'origine dégénérative (maladie d'Alzheimer)
L
ou à l'opposé vasculaire, mais associent en réalité les deux types de lésions, définissant les « démences mixtes » [2]. Plusieurs études épidémiologiques retrouvent une association entre la présence d'une hypertension et la survenue de troubles cognitifs, soulignant le rôle de l'hypertension artérielle (HTA) comme facteur de risque de démences (vasculaires, Alzheimer ou mixtes).
LES DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES Les études longitudinales sont les plus informatives puisqu'elles étudient le retentissement « chronique » de l'hypertension sur les fonctions cognitives. La majorité d'entre elles indique une association entre l'hypertension artérielle et l'altération cognitive (Tableau I). Ces études ont été menées au sein de
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Hypertension artérielle et troubles cognitifs
Tableau I. Études longitudinales. Association entre hypertension artérielle et troubles cognitifs ou démences. Références
Âge à l'inclusion (ans)
Suivi (ans)
Déclin cognitif/ démences
Odds ratio (IC 95 %) ou valeur de p
1695
67
12–14
Déclin cognitif
Association positive (p < 0,05)
Yoshikate et al., 1995 [6]
828
74
7
Démence vasculaire
1,6 (1,2–2,2)
Kilander et al., 1998 [7]
999
70
20
Déclin cognitif
Association positive (p < 0,05)
Starr et al., 1997 [8]
603
> 69
4
Déclin cognitif
Association positive (p < 0,05)
Swan et al., 1998 [9]
717
> 45
25–30
Déclin cognitif
Association positive (p < 0,05)
Elias et al., 1993 [5]
n
Tzourio et al., 1999 [10]
1373
65
4
Déclin cognitif
2,8 (1,6–5,0)
Launer et al., 2000 [3]
3703
50
25
Maladie d'Alzheimer ou démence vasculaire
4,8 (2,0–11,0)
Kivipelto et al., 2001 [11]
1449
53
21
Maladie d'Alzheimer
2,8 (1,1–7,2)
Knopman et al., 2001 [12]
10963
47–70
6
Déclin cognitif
Association positive (p < 0,05)
81
5
Maladie d'Alzheimer
1,4 (1,0–2,0)
Qiu et al., 2003 [4]
1270
Wu et al., 2003 [13]
602
> 65
15
Maladie d'Alzheimer
2,0 (1,1–3,5)
Yamada et al., 2003 [14]
1774
65
25
Démence vasculaire
1,33 (1,14–1,56)
Luchsinger et al., 2005 [15]
1138
76
6
Maladie d'Alzheimer
1,6 (1,0–2,6)
Kuo et al., 2005 [16]
2802
65–94
2
Déclin cognitif
Association positive (p < 0,05)
Freitag et al., 2006 [17]
2505
57
5
Maladie d'Alzheimer
2,29 (1,23–1,45)
Goldstein et al., 2013 [18]
1385
73
2
Déclin cognitif
Association positive (p < 0,05)
48–67
20
Déclin cognitif
Association positive (p < 0,05)
Gottesman et al., 2014 [19]
13476
plusieurs populations différentes (population générale ou échantillon sélectionné), âgées en moyenne de 50 à 81 ans, avec des suivis allant de 2 à 30 ans. Globalement, les résultats concordent et retrouvent qu'une hypertension à l'âge moyen de la vie (50–55 ans) est un paramètre fortement prédictif d'une détérioration cognitive ultérieure (20–25 ans plus tard). Ainsi, plus la pression artérielle initiale est élevée, moins bon est le fonctionnement cognitif ultérieur. L'hypertension expose non seulement au risque de déclin cognitif mais aussi au risque de démences toutes causes confondues (Tableau I). Ainsi, dans l'étude d'Honolulu [3], le suivi de 3703 sujets âgés en moyenne de 53 ans indique une augmentation par 4,8 (IC 95 % = 2,0– 11,0) du risque de démences (vasculaires ou maladie d'Alzheimer) 25 ans plus tard chez les hypertendus non traités. Dans le « Kungsholmproject » [4] une élévation de la pression pulsée chez le sujet âgé (81 ans) était associée à la
survenue d'une démence (OR = 1,4 [1,0–2,0]) 5 ans plus tard. Encadré L'HTA multiplie le risque de démence jusqu'à 4 fois en 25 ans. En résumé, la plupart des études longitudinales indiquent qu'une hypertension artérielle chronique altère le fonctionnement cognitif et augmente le risque de démence.
PRÉVENTION DES DÉMENCES PAR LES ANTIHYPERTENSEURS Peu d'essais thérapeutiques ont comporté une évaluation des fonctions cognitives et/ou du diagnostic de démence. Ils
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O. Hanon
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Tableau II. Prévention des démences par le traitement antihypertenseur. Méta-analyse des études randomisées contre placebo. Etudes
Nombre de démences (groupe traitement)
Nombre de démences (groupe placebo)
PROGRESS
193/3051
217/3054
11 %
SYST-EUR
11/1238
21/1180
50 %
SHEP
37/2365
44/2371
10 %
HYVET
126/1687
137/1649
10 %
TOTAL
367/8341
419/8254
13 % (p < 0,05)
partagent tous certaines critiques : un suivi trop court pour étudier la survenue d'une démence ; une évaluation incomplète des fonctions cognitives, des perdus de vue et l'inclusion d'une faible proportion de sujets à risque de démence au début de l'essai. Quatre grands essais thérapeutiques (SHEP, SYST-EUR, PROGRESS, HYVET) ont étudié l'effet du traitement antihypertenseur sur la prévention des démences en comparaison au placebo. Dans l'étude SHEP [20] le risque de survenue de démence, même s'il était légèrement inférieur, n'a pas été statistiquement différent dans le groupe traité (1,6 %) comparé au groupe placebo (1,9 %). Toutefois, dans ce travail plusieurs données manquantes ont été rapportées concernant l'évaluation cognitive ce qui peut avoir biaisé l'interprétation des résultats [21]. L'étude SYST-EUR [22] a été la première à démontrer une réduction significative de l'incidence des démences de 50 % dans le groupe traité en comparaison au placebo. Le bénéfice est observé pour la prévention des démences vasculaires mais aussi de la maladie d'Alzheimer. Les résultats indiquent que le traitement de 1000 patients pendant 5 ans permet de prévenir 20 cas de démence (IC 95 % = 7–33). L'étude PROGRESS [23] a démontré une réduction significative du déclin cognitif sévère de 19 % (IC95 % = 4–32 %, p = 0,01) grâce au traitement antihypertenseur chez des patients ayant un antécédent d'accident vasculaire cérébral. Le risque de démence était réduit de 12 % dans le groupe traitement (95 % CI = 8–28 %) et de 34 % chez les patients ayant fait des AVC récidivants (95 % CI = 3–55 %). La réduction des démences était significative sous bithérapie (réduction de 23 % ; 95 % CI = 0–41 %) mais pas sous monothérapie ( 8 % ; 95 % CI = 48–21 %), soulignant le rôle de la baisse tensionnelle. Enfin, les résultats de l'étude HYVET [24] vont eux aussi dans le même sens et soulignent une réduction de l'incidence des démences de 14 % dans le groupe traité (HR 0,86 [95 % CI 0,67–1,09], p = 0,21). Toutefois, cette réduction n'atteint pas le seuil de significativité probablement en raison d'un manque de puissance statistique lié à l'arrêt prématuré de l'étude au bout de 2 ans (en raison d'un bénéfice sur la mortalité totale). Toutes ces données ont été regroupées au sein d'une métaanalyse [24] incluant 16 595 sujets. Les résultats indiquent une diminution significative de 13 % du risque de démence sous traitement antihypertenseur en comparaison au placebo (Tableau II).
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Réduction du risque
INTÉRÊT DU DÉPISTAGE DES TROUBLES COGNITIFS CHEZ L'HYPERTENDU ÂGÉ En pratique, il apparaît essentiel d'identifier, parmi les patients hypertendus, les sujets ayant des troubles cognitifs débutants dans le but d'optimiser leur prise en charge. Celle-ci comporte la réalisation d'un bilan mémoire spécialisé qui permet d'identifier et de diagnostiquer l'origine des troubles (maladie d'Alzheimer, démence vasculaire, démence mixte, autres démences : maladie à corps de Lewy, dégénérescence lobaire fronto-temporale. . .). En fonction du diagnostic, des traitements symptomatiques peuvent être proposés (médicaments anticholinestérasiques, antagonistes des récepteurs NMDA, inhibiteurs de recapture de la sérotonine), ainsi qu'une prise en charge non médicamenteuse (stimulation cognitive, orthophonie, passage infirmier pour délivrer les médicaments, aides à domicile. . .). Enfin, une analyse des situations à risque (observance des médicaments, conduite automobile, gestion du budget, gaz à domicile, isolement. . .) est nécessaire afin d'envisager des mesures de prévention. Dans cette optique, les recommandations de la Société française d'hypertension artérielle 2013 indiquent [25] : « Après 80 ans il est recommandé d'évaluer les fonctions cognitives chez l'hypertendu âgé au moyen du test MMSE » en raison du risque de survenue de démence et afin d'évaluer le risque de mauvaise observance du traitement. Le repérage des troubles cognitifs peut faire appel à un test plus rapide comme le MIS (Memory Impairement Screen) [26] qui consiste à faire répéter 4 mots inscrits sur une feuille : POIREAU, PLATANE, MERLAN, DAHLIA, immédiatement et 10 minutes plus tard. L'oubli d'un des mots, malgré un indice (par exemple « quel était le nom de l'arbre ? ») doit faire suspecter des troubles cognitifs et justifie un bilan complémentaire spécialisé.
MÉCANISMES PHYSIOPATHOLOGIQUES Infarctus cérébraux et lacunes cérébrales L'HTA est à l'origine de modifications vasculaires qui affectent le débit sanguin et le métabolisme cérébral. Les troubles cognitifs peuvent être liés à la présence de lésions ischémiques focales (infarctus, lacunes). La survenue d'un AVC multiplie le risque de démence d'un facteur 2 à 5, ce qui en fait un des facteurs de risque les plus importants de démence. De même, des petits infarctus non décelables cliniquement
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Figure 1. Différents grades de sévérité des lésions de la substance blanche (peu sévère à sévère) [31].
pourraient précipiter des patients dans des formes cliniquement patentes de démence. Ainsi, dans la Nunstudy [27] la présence de petits infarctus lacunaires à l'autopsie multipliait par 20 le risque de démence chez les personnes ayant des critères neuropathologiques de maladie d'Alzheimer. Le plus souvent, c'est la sommation de lésions vasculaires et de lésions dégénératives qui va contribuer à une expression anticipée des troubles cognitifs, faisant atteindre le seuil de démence plus précocement [28].
Les hypersignaux de la substance blanche (HSB) Les HSB (ou leucoaraïose) correspondent à des zones de haut signal visibles à l'IRM sur les images pondérées en T2, localisées dans la substance blanche. Les mécanismes conduisant aux HSB impliquent la dégénérescence des artères cérébrales de petit calibre ainsi que la diminution du flux sanguin cérébral qui sont des conséquences de l'HTA (artériosclérose). Ces lésions témoignent ainsi d'une ischémie chronique liée à l'atteinte des petits vaisseaux cérébraux. De nombreuses études ont montré que la charge en HSB était associée à une détérioration cognitive ou à une démence [29] en partie liée à l'altération des circuits cortico-souscorticaux. La sévérité des lésions de la substance blanche est définie à l'IRM (Fig. 1). Un grade sévère multiplie le risque de démence par 4, un grade modéré multiplie ce risque par 2 [30].
L'hypoxie cérébrale Plusieurs études expérimentales récentes suggèrent que l'hypoxie cérébrale liée à l'hypertension artérielle pourrait aussi
favoriser la formation des plaques amyloïdes à l'origine de la survenue d'une maladie d'Alzheimer. Ainsi, l'hypoperfusion cérébrale pourrait stimuler une enzyme bêta-secrétase (BACE1) favorisant l'agrégation du peptide bêta-amyloïde et la formation des plaques intracérébrales [31,32].
Les anomalies de la fonction endothéliale Les anomalies de la fonction endothéliale observées chez les hypertendus peuvent entraîner des modifications de la barrière hémato-encéphalique qui peuvent provoquer des anomalies d'échanges de molécules de transport (LRP [lowdensity lipoprotein receptor-related protein]) de la protéine b-amyloïde. Ces modifications sont à l'origine d'une diminution de la clairance de la protéine b-amyloïde et d'une altération de son élimination cérébrale. Cette accumulation de la protéine b-amyloïde intracérébrale va alors favoriser son agrégation et la formation de plaques amyloïdes dans le cerveau à l'origine de la mort neuronale.
L'inflammation L'inflammation représente un processus commun aux pathologies vasculaires et neuro-dégénératives. En effet, l'inflammation semble jouer un rôle important dans la régulation des différentes isoformes de la protéine précurseur de la protéine amyloïde (APP). Ainsi, l'interleukine-1 active la synthèse de l'APP et sa production en excès pourrait favoriser la synthèse de peptide amyloïde neurotoxique. De plus, la présence de lésions vasculaires cérébrales favorise l'activation des cellules microgliales et la synthèse de cytokines pro-inflammatoires qui participent au processus de mort neuronale.
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Dossier / Mise au point CONCLUSION Il existe des arguments physiopathologiques et épidémiologiques très solides plaidant en faveur de l'association entre HTA et troubles cognitifs. L'HTA favorise les troubles cognitifs via la présence de lésions vasculaires cérébrales (infarctus, lacunes, leucoaraïose) mais aussi probablement via un effet direct sur la formation des plaques amyloïdes intracérébrales. Les études randomisées contre placebo sont peu nombreuses car difficiles à réaliser, toutefois, la majorité d'entre elles indiquent une prévention des troubles cognitifs grâce aux antihypertenseurs. Déclaration de liens d'intérêts L'auteur a déjà reçu des honoraires de l'industrie pharmaceutique dans le cadre de réunions d'experts/conférences (Sanofi-Aventis, BMS, Boehringer, Bayer Healthcare, Novartis, Servier, Pfizer, Menarini, Abbott, Daiichi-Sankyo).
En pratique Prévention du déclin cognitif par le traitement antihypertenseur.
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