Troubles cognitifs liés à l’alcool : nature, impact et dépistage

Troubles cognitifs liés à l’alcool : nature, impact et dépistage

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Pour citer cet article : Vabret F, et al. Troubles cognitifs liés à l'alcool : nature, impact et dépistage. Presse Med. (2016), http://dx. doi.org/10.1016/j.lpm.2016.01.030 Presse Med. 2016; //: ///

Dossier thématique

Troubles cognitifs liés à l'alcool : nature, impact et dépistage

Mise au point

ADDICTIONS

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François Vabret, Coralie Lannuzel, Nicolas Cabe, Ludivine Ritz, Céline Boudehent, Francis Eustache, Anne Lise Pitel, Hélène Beaunieux

Disponible sur internet le :

CHU de Caen, université de Caen Normandie, Inserm, EPHE, unité U1077, GIP Cyceron, 14032 Caen, France

Correspondance : Hélène Beaunieux, CHU de Caen, université de Caen Normandie, Inserm, EPHE, unité U1077, GIP Cyceron, 14032 Caen, France. [email protected]

Points clés Les troubles cognitifs liés à l'alcool sont une conséquence de l'exposition du cerveau à une alcoolisation régulière et/ou excessive d'alcool, en lien avec des altérations cérébrales structurales et fonctionnelles, notamment sur deux circuits : le circuit de Papez (CP) et le circuit frontocérébelleux (CFC). Ces atteintes sont hétérogènes, elles conduisent dans des proportions variables à des troubles exécutifs et de la mémoire qui sont à l'origine de difficultés concernant le changement de comportement de consommation contrastant avec une surestimation des capacités à y parvenir qui serait liée à la présence de troubles de la métacognition. La présence des troubles cognitifs pourrait être un facteur de rechute et constituerait un désavantage dans le soin car elle limiterait le bénéfice des thérapies centrées sur la prévention de la rechute. Nous disposons désormais d'outils de dépistage utilisables par tous soignants qui peuvent être complétés par une évaluation diagnostique exhaustive réalisée par un neuropsychologue. La prise en compte de ces troubles cognitifs devrait conduire à l'adaptation du parcours des patients en privilégiant les prises en charge plus longues en milieu protégé de toute consommation d'alcool. Lorsque les troubles persistent à moyen terme, les cliniciens et les chercheurs devront optimiser les soins de psychothérapie en les combinant à une réhabilitation neuropsychologique ciblée.

Key points Alcohol-related neuropsychological impairments: Nature, impact and detection Alcohol-related neuropsychological deficits result from chronic and excessive alcohol consumption and are associated with structural and functional damage of Papez's circuit and frontocerebellar circuit.

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F. Vabret, C. Lannuzel, N. Cabe, L. Ritz, C. Boudehent, F. Eustache, et al.

Alcohol-related cognitive deficits are heterogeneous but especially affect executive functions and memory abilities. They result in difficulties to change alcohol behavior combined with a tendency for patients to overestimate their capacity to succeed. Alcohol-related cognitive deficits could be a risk-factor for relapse since they hamper patients to benefit fully from treatment (especially when based on relapse prevention). Screening tools usable by non-psychologists are available and can be completed by an extensive neuropsychological examination conducted by a neuropsychologist when necessary. Alcohol treatment should be adjusted to take alcohol-related cognitive deficits into account, by promoting longer treatment in healthy environment for example. Improvements of alcohol treatment options, including specific neuropsychological rehabilitation, are required for patients with persistent alcohol-related cognitive deficits.

L'alcool est-il toxique pour le cerveau ? L'alcool, lorsqu'il est ingéré, est absorbé au niveau du duodénum puis distribué par la circulation sanguine et peut être amené à traverser la barrière hémato-méningée. Lorsqu'il est consommé régulièrement ou en quantité importante sur de brèves périodes, induit, tout comme son métabolite, l'acétaldéhyde, des lésions directes sur le tissu cérébral. Du fait de sa lipophilie, il agit sur les phospholipides membranaires et modifie la plasticité des cellules cérébrales, ce qui entraîne des changements dans la circulation de neuromédiateurs, notamment le GABA (sédation) et le NMDA (excitation), et en particulier lors des phénomènes de sevrage.

La toxicité directe de l'alcool peut être associée, surtout avec des consommations régulières et excessives d'alcool, à une multitude d'autres causes d'atteinte cérébrale telles que des carences vitaminiques (B1 ou PP), nutritionnelles (dénutrition protéinoénergétique par carence d'apport globale), des lésions vasculaires et/ou traumatiques etc. L'ensemble des étiologies des lésions cérébrales est résumé en figure 1 [1]. Parmi les carences vitaminiques, les liens entre la carence en thiamine et les lésions cérébrales des patients alcoolo-dépendants sont connus de longue date. Le déficit en vitamine B1 peut être secondaire à une carence d'apport, à une diminution de l'absorption intestinale (atrophie villositaires), mais aussi à des altérations du

Figure 1 Étiologie des lésions cérébrales dans l'alcoolo-dépendance.

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D'après Dematteis et al. [1] : Les troubles cognitifs peuvent être multifactoriels, directement ou indirectement liés aux lésions de l'alcool sur le cerveau. Pour un même type de lésion, les facteurs de vulnérabilités pourront majorer les symptômes

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Figure 2 Altération des circuits fronto-cérébelleux et de Papez dans l'alcoolo-dépendance. D'après Pitel et al. [5]. Les circuits neuronaux reliant le cortex frontal, le pont, le thalamus et le cervelet (circuit fronto-cerebelleux) et reliant le gyrus cingulaire, l'hippocampe, le thalamus et les corps mamillaires (circuit de Papez) sont susceptibles d'être lésés en cas de dépendance alcoolique. Le thalamus, structure commune de ces deux circuits, semble une structure clef de ces atteintes

Quelles sont les atteintes cérébrales induites par une consommation régulière et excessive d'alcool Les cliniciens se sont focalisés pendant longtemps sur la détection des formes aiguës, graves et bien caractérisées telle que l'encéphalopathie de Gayet Wernicke (EGW), les encéphalopathies centro-pontines, la maladie de Marchiafava-Bignami ou l'encéphalopathie hépatique clinique. La recherche de troubles cognitifs liés à l'alcool était alors limitée au syndrome de Korsakoff (SK) ou à la démence alcoolique. De plus, il n'était pas tenu compte de facteurs de vulnérabilité potentiels qui constitueraient un niveau de risque accru de l'émergence des troubles : un faible niveau socioculturel ou l'âge, en particulier entre 50 et 60 ans, qui contribuent à l'apparition des troubles. En l'absence de ces tableaux cliniques aigus ou de ces formes caractérisées, la recherche et la prise en compte des atteintes cognitives étaient négligées malgré les répercussions sur les relations sociales et les conséquences possibles telles que la diminution de l'autonomie ou l'impact sur le recours au soin [3]. De nombreuses études ont rapporté des atteintes cérébrales tant structurales que fonctionnelles, concernant aussi bien la

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substance grise que la substance blanche chez la plupart des patients alcoolo-dépendants [4]. Les atteintes de la substance grise concernent principalement le cortex frontal, le cervelet, le cortex cingulaire, le thalamus et l'hippocampe. Les atteintes de la substance blanche sont retrouvées au niveau du corps calleux, du tronc cérébral et du pont. Le thalamus est une structure centrale au carrefour du circuit fronto-cérébelleux et du circuit de Papez, et semble jouer un rôle essentiel dans la survenue des atteintes cérébrales (figure 2) [5]. L'origine des lésions semble multi-déterminée : en fonction des susceptibilités génétiques, du mode de vie, des habitudes de consommation, des facteurs nutritionnels et hépatiques, les patients exprimeraient préférentiellement certaines atteintes plus que d'autres. On peut citer par exemple, une atteinte préférentielle de l'hippocampe en cas d'usage précoce d'alcool, une atrophie cérébrale (augmentation taille ventricules et des sillons) corrélée à la quantité d'alcool consommée, une atteinte prédominante du circuit de Papez en cas de carence vitaminique B1 pouvant aller jusqu'à la constitution d'une EGW ou d'un SK et des anomalies affectant les ganglions de la base en présence d'atteintes hépatiques [6]. Le DSM-5 est désormais en accord avec cette présentation de la toxicité cérébrale alcoolique puisqu'il distingue le fonctionnement neurocognitif normal du pathologique lié à l'alcool en deux niveaux de sévérité (mild ou major cognitive disorder) [7].

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stockage de la thiamine au niveau hépatique en cas de maladie alcoolique du foie ou des altérations de son métabolisme par déficience enzymatique [2].

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Figure 3 Modélisation des troubles cognitifs dans le cadre des troubles de l'usage de l'alcool. D'après COPAAH [12]. Les troubles cognitifs liés à l'usage de l'alcool surviennent de façon progressive, et sont de sévérité variable, expliquant leur hétérogénéité. Ils sont longtemps susceptibles de régresser en cas de modification des comportements d'usage

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Dans le même sens, en France, le collège professionnel de l'addictologie hospitalière (COPAAH) propose de regrouper sous le terme de troubles cognitifs liés à l'alcool (TCLA) l'ensemble des troubles de développement aigu ou progressif conduisant à une altération du fonctionnement cognitif lié à l'usage d'alcool [8]. Remarquons que le terme de démence alcoolique disparaît dans les deux nosographies. Cette forme clinique ne serait liée que minoritairement à des atteintes cérébrales consécutives à une consommation chronique et excessive d'alcool, réalisant un tableau de démence frontale ou souscorticale. Le SK en serait une autre, caractérisée par un trouble cognitif majeur touchant spécifiquement l'encodage en mémoire, qualifié de syndrome amnésique (figure 3). Les lésions sont susceptibles d'évoluer avec les modifications du comportement de consommation (réduction de consommation ou abstinence). Cette réversibilité est corroborée par des données morphologiques en neuro-imagerie : Mon et al. [9] ont montré qu'une récupération cérébrale, notamment du volume de substance grise était possible sur une période d'abstinence allant de 1 à 8 mois. De même, une augmentation de la densité cérébrale est perceptible y compris en cas de reprise de consommation d'alcool après une période d'abstinence si celle-ci est modérée, inférieure à 140 verres sur 6 mois [10]. L'absence de réversibilité signerait un état séquellaire qui ne serait plus susceptible d'évolution malgré les modifications de comportement de consommation des patients (modération ou abstinence).

Quel tableau neuropsychologique est associé aux atteintes cérébrales de l'alcool ? Les patients alcoolo-dépendants ne constituent pas un groupe de patients homogène quant à la sémiologie des atteintes neuropsychologiques. Le tableau associe de façon variable des troubles moteurs en général discrets (motricité, équilibre), un dysfonctionnement exécutif, des troubles de la mémoire épisodique auxquels s'ajoutent des désordres émotionnels et de la cognition sociale. Leur association et leur sévérité respective varient selon les patients. De manière générale, ces troubles sont qualifiés de légers à modérés car ils se situent à environ un écart type en dessous de la moyenne des sujets contrôles quel que soit le domaine neuropsychologique considéré. Comme les atteintes morphologiques et fonctionnelles, ce tableau est susceptible d'évoluer favorablement avec la diminution ou l'arrêt de l'alcoolisation ([11] pour revue).

Troubles moteurs Les troubles de la coordination et de la dextérité fine des membres supérieurs sont secondaires à l'atteinte de circuit fronto-cérébelleux (boucle motrice) et peuvent s'accompagner d'une ataxie cérébelleuse caractérisé notamment par une altération de l'équilibre et de la stabilité posturale [12].

Atteinte des fonctions exécutives De nombreux travaux se sont intéressés aux répercussions de l'alcool sur les fonctions exécutives et un consensus se dégage

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Altération de la mémoire épisodique Une atteinte de la mémoire épisodique est observée chez un tiers des alcoolo-dépendants [14]. Les capacités d'apprentissage verbal (apprentissage d'une liste de mots) et non verbal (association nom/visage, rappel de la figure de Rey) des patients sont déficitaires. L'atteinte de la mémoire épisodique comprend une altération des processus d'encodage, de récupération, d'identification de la source du souvenir et du rappel du contexte spatio-temporel d'acquisition. Enfin, l'état de conscience associé à la récupération du souvenir peut également être affecté, altérant le sentiment de reviviscence. La sévérité de l'atteinte de ce système mnésique, et notamment des capacités d'encodage, caractérise le syndrome de Korsakoff [15].

Déficit émotionnel et de cognition sociale Parmi les altérations émotionnelles et interpersonnelles (cognition sociale) étudiées dans leur rapport avec la consommation d'alcool, on distingue l'alexithymie, les troubles affectant la théorie de l'esprit et le traitement des émotions. L'alexithymie désigne l'incapacité à identifier et décrire ses propres états émotionnels et ceux d'autrui. Sa prévalence au sein de la population alcoolo-dépendante serait de l'ordre de 63 % [16]. La théorie de l'esprit (ToM pour Theory of Mind), renvoie à la capacité à inférer des états mentaux affectifs et cognitifs dans le but d'anticiper et de comprendre les comportements d'autrui. Quelques études ont objectivé la présence de difficultés de théorie de l'esprit chez les patients alcoolo-dépendants [17] qui sembleraient en partie liées aux déficits exécutifs [18]. Au plan symptomatique, l'alexithymie et les déficits de ToM pourraient s'associer avec un trouble de l'identification des émotions véhiculées par les expressions faciales, la prosodie ou encore la posture [19]. La combinaison de ces altérations pourrait être l'origine de problèmes interpersonnels conduisant peu à peu vers l'isolement social des patients, qui à leur tour peuvent aggraver les troubles de l'usage de l'alcool.

Atteinte de la métacognition : mémoire et émotions L'atteinte conjointe des fonctions exécutives et de la mémoire épisodique semble contribuer au déficit de métamémoire des patients alcoolo-dépendants [20]. Une méconnaissance des déficits de traitement émotionnel a également été décrite [21]. Cette altération des capacités à estimer son propre fonctionnement cognitif pourrait être considérée comme une forme

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Différents profils cliniques et leurs facteurs favorisants

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mineure de l'anosognosie observée dans le tableau clinique du SK. Cliniquement, cette notion pourrait être rapprochée de la perte d'introspection et d'autocritique des patients.

Les différents profils cliniques pourraient être déterminés par la présence ou non des comorbidités. Les d'antécédents familiaux pourraient favoriser une atteinte exécutive et intellectuelle, les carences vitaminique B1 une atteinte prédominant sur la mémoire, les hépatopathies une atteinte exécutive ou de la mémoire de travail, la présence d'une dénutrition ou d'antécédent de EGW, pourraient favoriser un tableau marqué par la sévérité des troubles. Au plan de l'épidémiologie descriptive, Ihara et al. [14] ont proposé l'existence de trois profils différents de troubles neuropsychologiques chez les patients alcoolodépendants. Le profil le plus fréquent (les deux tiers des cas) serait constitué de patients présentant au premier plan un syndrome dysexécutif. Le second profil consisterait en l'altération conjointe du fonctionnement exécutif et mnésique alors que le troisième groupe serait caractérisé par une détérioration cognitive et intellectuelle générale. Concernant le profil le plus fréquent, il serait retrouvé chez la moitié des patients dans les services d'addictologie [3]. Il se repère au plan psychologique chez les patients par une difficulté à prendre en compte les conséquences dommageables de la consommation d'alcool (en particulier les répercussions sur l'entourage), des altérations des facultés d'introspection et d'auto critique, des difficultés de changement de comportement contrastant avec une surestimation des capacités à y parvenir [8].

Quelles sont les conséquences des atteintes cérébrales sur la sévérité de l'addiction et le processus de soin ? Sévérité de l'addiction Sur la base d'une revue des modèles neurocognitifs de l'addiction, Noël et al. [22] proposent de considérer l'addiction comme le résultat d'un déséquilibre entre 3 systèmes cérébraux et cognitifs. Selon ce modèle, les comportements addictifs reflètent un dysfonctionnement entre le complexe amygdalo-striatal (système impulsif destiné à gérer les comportements automatiques et les situations habituelles), le cortex préfrontal (système réflexif impliqué dans la prise de décision, le contrôle inhibiteur, de manière plus générale la mémoire de travail et les fonctions exécutives) et l'insula impliquée dans la régulation des émotions (intégrant des signaux intéroceptifs et les traduisant en sensations comme le craving, envie irrépressible de consommer). Ce modèle est en équilibre lorsque la voie automatique rapide impliquant l'attention, les tendances à l'action (approche ou évitement) et les systèmes de mémoire implicite, est régulée par le contrôle exercé par une seconde voie plus

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sur leur atteinte fréquente dans l'alcoolo-dépendance. Un ralentissement parfois sévère de la vitesse de traitement de l'information est associé à un syndrome dysexécutif dominé par une altération des capacités de flexibilité, d'inhibition, de planification, de manipulation en mémoire de travail, et de conceptualisation. Ce syndrome dysexécutif concerne aussi bien les aspects élémentaires du fonctionnement exécutif que des aspects plus écologiques avec une répercussions dans la vie quotidienne [13].

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Figure 4 Théorie des processus doubles. D'après Noel et al. [31] et COPAAH [12], les comportements addictifs reflètent un dysfonctionnement entre le système impulsif (amygdalo-striatal), le système réflexif et le système de régulation des émotions (l'insula). Les altérations touchant la mémoire de travail (MDT) ou les fonctions exécutives, notamment l'inhibition et la flexibilité mentale, seraient à l'origine d'une plus grande difficulté des patients avec des troubles cognitifs à contrôler leurs consommations d'alcool. La réhabilitation cognitive associée aux thérapies en addictologie, devrait viser à restaurer ces altérations

lente, mobilisant les régions frontales avec mise en jeu de la flexibilité et l'inhibition. Cette régulation chez certains patients avec des troubles exécutifs serait coûteuse sur le plan attentionnel et finalement très limitée, aboutissant à un moindre contrôle des comportements de consommation. Le développement des troubles cognitifs serait alors en partie la conséquence de la consommation puis l'origine de l'aggravation de l'addiction. Pour d'autres patients, le contrôle réflexif serait déficitaire avant le développement du déséquilibre, et constituerai alors un facteur de vulnérabilité (figure 4).

Processus de soin

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Modifier un comportement, lorsque celui-ci est fondé sur par des scripts comportementaux automatisés au fil du temps, nécessite une évolution de la motivation aux changements. Nous savons aujourd'hui qu'il existe des liens entre les déficits de mémoire épisodique, les troubles exécutifs, les altérations de la prise de décision et l'évolution motivationnelle [23]. Les patients les moins avancés au plan motivationnel présentent des capacités de mémoire épisodique et un fonctionnement exécutif peu performants. Ces patients présentent également une atrophie cérébrale comparativement aux sujets sains et aux patients les plus motivés. A contrario, ceux qui s'engagent activement dans un processus de changement de comportement sont ceux avec les meilleures compétences de prise de décision et ne présentant pas d'altération cérébrale structurale [24]. Afin de faire un lien entre les troubles cognitifs et la rechute, des auteurs [25] ont examiné les liens entre les

consommations d'alcool, des mesures en neuro-imagerie, en neuropsychologie après le sevrage et des facteurs psychiatriques. Au terme d'un suivi de six mois, ils montrent que les patients ayant repris une consommation d'alcool présenteraient au début de l'étude des atteintes plus sévères des régions frontales et temporales, un ralentissement de la vitesse de traitement et des troubles unipolaires plus fréquents que chez les patients restés abstinents. Néanmoins, si plusieurs études sont concordantes entre elles, d'autres soulignent que la prédiction de la rechute chez les patients alcoolo-dépendants dépasse largement la simple problématique neuropsychologique et doit être envisagée de façon multi-déterminée.

Quelles sont les implications dans l'organisation des parcours de soins des patients ? De façon pragmatique, qu'il s'agisse des thérapies inspirées par les associations d'anciens buveurs, ou plus récemment les thérapies motivationnelles ou cognitivo-comportementales, les soins visant à renforcer les changements dans l'usage de l'alcool (que ce soit dans un but d'abstinence ou de modération) reposent sur des processus cognitifs. Au plan émotionnel, il s'agit de développer une dynamique vers un retour à des valeurs dont le patient s'est éloigné avec le temps et les consommations, en révélant la contradiction entre aspiration au changement et réalisation de celui-ci. Au plan comportemental, l'objectif est de développer la reconnaissance des situations à risque, leur évitement ou la possibilité d'y faire face efficacement. Il est

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Dépistage des troubles cognitifs Peu de structures d'addictologie disposent à ce jour de neuropsychologue pour réaliser une évaluation approfondie de chaque patient entrant en soin. Des outils ont été développés pour dépister les déficits neuropsychologiques des patients sans nécessité d'une formation neuropsychologique spécifique. Le Montréal Cognitive Assessment (MOCA) Le Montréal Cognitive Assessment (MOCA) [26] est un outil qui a été développé pour détecter les troubles cognitifs légers des patients porteurs d'un mild cognitive impairment (MCI). Cet outil a été utilisé chez les patients avec troubles de l'usage de l'alcool. Il explore 8 domaines cognitifs dont les capacités visuo-spatiales, exécutives, mnésiques, attentionnelles, langagières, l'orientation et l'abstraction. Si ce test possède des qualités pour un dépistage des troubles, il présente néanmoins une faible sensibilité due à certaines limites : telles que le peu de points attribués pour certaines fonctions fréquemment déficitaires, l'absence de cut-off pour chaque subtest, ou encore l'évaluation de fonctions cognitives préservées chez les alcoolo-dépendants (dénomination et attention). La MOCA ne permet donc pas d'apprécier au mieux la sévérité des déficits ou leur évolution avec l'abstinence [27]. Néanmoins il constitue un bon outil de repérage rapide (15–20 min) notamment lorsqu'il s'agit de dépister par les équipes de liaison et de soin en addictologie (ELSA) la présence de troubles cognitifs chez les patients hospitalisés dans les services non spécialisés en addictologie. Il permet enfin d'évoquer des diagnostics différentiels notamment en cas de difficultés à l'épreuve de dénomination classiquement réussie par les patients dépendants à l'alcool. Le Brief Evaluation of Alcohol-Related Neuropsychological Impairments (BEARNI) Le Brief Evaluation of Alcohol-Related Neuropsychological Impairments (BEARNI) [28] est un nouvel outil qui a été conçu spécifiquement pour le dépistage des troubles neuropsychologiques consécutifs à l'alcoolo-dépendance. Il comporte 5 subtests évaluant la mémoire épisodique verbale, l'ataxie, la flexibilité cognitive spontanée, la mémoire de travail verbale et les capacités visuo-spatiales. Il fournit 7 scores : un pour chacun des subtests avec un cut-off associé, un score total sur 30 points et un score total cognitif (excluant le subtest d'ataxie) sur 22 points. Il peut être utilisé par le personnel soignant non psychologue et sa passation prend environ 20 à 25 minutes. Il possède deux valeurs seuil qui permettent d'apprécier la sévérité des troubles. Les qualités psychométriques de l'outil ont été comparées à celles d'une évaluation des

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troubles par une batterie neuropsychologique extensive de référence. Chacun des subtests permet d'approcher différents domaines du fonctionnement neuropsychologique et devrait permettre aux cliniciens, avec un peu d'expérience, d'orienter les prises en charge en fonction des troubles, ou de demander un examen neuropsychologique approfondi et de pouvoir évaluer à distance la réversibilité des difficultés avec la version parallèle de cet outil. Ces deux outils doivent être utilisés avec précaution dans toutes les situations susceptibles en elles même de générer des troubles cognitifs : en cas de poursuite de l'alcoolisation, de syndrome de sevrage clinique (évalué par exemple par le score de Cushman), en cas de prise récente de benzodiazépines notamment durant le sevrage, ou en présence de consommations de substances psychoactives (notamment le cannabis). Les avantages de chacun des deux tests de dépistage (diagnostic différentiel pour le MoCA, spécificités neuropsychologiques pour le BEARNI) permettent de les combiner pour une aide à la prise de décision pour l'orientation en soins.

Diagnostic des troubles cognitifs MoCA et BEARNI sont des outils de dépistage et d'orientation. Ils ne sont pas des outils diagnostiques. Seule une batterie neuropsychologique approfondie réalisée par un neuropsychologue permet d'identifier avec précision la nature des difficultés, leur sévérité et l'impact potentiel dans la vie quotidienne et le maintien du contrat thérapeutique. Le choix des épreuves doit être orienté au regard de la sémiologie des troubles. Les épreuves écologiques permettent, mieux que les épreuves spécifiques, d'approcher les conséquences réelles dans la vie quotidienne. Cette évaluation neuropsychologique est indispensable pour organiser le parcours de soin s'il s'agit de documenter un dossier de protection de justice ou une orientation médicosociale durable (lieux de vie spécifiques). Enfin, cette évaluation est un préalable obligatoire pour débuter une stratégie combinant traitement de l'addiction et remédiation cognitive.

Impact de la présence de troubles cognitifs sur les décisions médicales La littérature concernant les facteurs prédictifs de la rechute chez les patients alcoolo-dépendants suggère depuis les années 1990 que la présence de troubles neuropsychologiques après le sevrage est un facteur parmi d'autres permettant de prédire de l'évolution après traitement. Des études longitudinales montrent également qu'en dehors du syndrome de Korsakoff, les troubles neuropsychologiques sont en partie au moins réversibles avec l'abstinence. La durée et l'amplitude de cette récupération est conditionnée par différents facteurs : l'intensité et la nature de l'atteinte initiale et l'âge de survenue des troubles (plus le patient est âgé, moins il récupère ; l'évolution de la consommation d'alcool, l'association avec une maladie alcoolique du foie ou de carences nutritionnelles). L'amélioration des fonctions mnésiques est celle qui s'observe le plus

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important d'avoir à l'esprit que les patients porteurs de troubles cognitifs auront plus de mal que les autres à évoluer favorablement. Le pronostic de leur addiction est moins bon, et leurs troubles cognitifs constituent alors un véritable désavantage visà-vis des prises en charge médicale habituellement dispensées en addictologie.

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Figure 5 Dépistage et orientation des parcours de soin en fonction en cas de troubles cognitifs. L'utilisation d'outils de dépistage (MoCA, BEARNI) en combinaison avec un bilan neuropsychologique complet permet en fonction de la sévérité des troubles et de leur réversibilité en milieu de protégé d'optimiser l'offre de soin

précocement, alors que les troubles exécutifs régressent plus lentement [29]. Ces différents paramètres conduisent, en présence de troubles cognitifs, à allonger et organiser les soins pour permettre aux patients de pouvoir bénéficier d'un milieu protégé. À l'heure où les grandes orientations en matière de santé nous poussent vers le « virage ambulatoire », une tendance inverse se dessine en cas de trouble cognitif lié à l'alcool : de l'ambulatoire vers une prise en charge institutionnelle plus protectrice, du court séjour vers un allongement des durées de séjours avec recours aux services de soin de suite et de réadaptation (figure 5). Les techniques de remédiation cognitive pourraient alors s'inscrire dans les programmes de soins afin de pouvoir favoriser la récupération neuropsychologique. Une revue de la littérature [30] a d'ailleurs souligné que la remédiation cognitive renforce de manière modérée mais significative l'efficacité de la prise en charge addictologique.

Conclusion

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Les connaissances récentes sur l'alcoolo-dépendance permettent un nouveau regard sur les notions de déni ou de résistance

au changement, en fonction de la présence ou non de troubles cognitifs. Si la nature des troubles est de mieux en mieux connue, les facteurs de sévérité individuelle sont toujours en cours d'exploration. Ces troubles sont retrouvés chez plus de la moitié des patients fréquentant les centres de soin en addictologie. Les troubles agissent négativement sur la motivation aux changements, et limitent le bénéfice des thérapies centrées sur la prévention de rechute. Nous disposons aujourd'hui d'outils de dépistage performants et adaptés à la pratique de l'addictologie. La prise en compte des troubles cognitifs liés à l'usage de l'alcool doit conduire à l'adaptation du parcours de soin des patients en cas de trouble avéré. Les cliniciens et les chercheurs devront ensuite optimiser les soins de psychothérapie en les combinant avec une réhabilitation neuropsychologique ciblée pour donner naissance à la neuropsycho-addictologie de demain. Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.

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Pour citer cet article : Vabret F, et al. Troubles cognitifs liés à l'alcool : nature, impact et dépistage. Presse Med. (2016), http://dx. doi.org/10.1016/j.lpm.2016.01.030 Troubles cognitifs liés à l'alcool : nature, impact et dépistage

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