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La Revue de médecine interne 29 (2008) 155–157
Cas clinique
Hypokaliémie et paralysie : penser à la thyroïde Hypokalaemia and paralysis: Think about the thyroid M.C. Balde, E.H. Adrar, K. Bechara, J. Prinseau, A. Baglin, T. Hanslik ∗ Service de médecine interne, hôpital Ambroise-Paré, Assistance Publique–Hôpitaux de Paris, université Versailles–Saint-Quentin-en-Yvelines, 92104 Boulogne-Billancourt, France Rec¸u le 7 mars 2007 ; accepté le 20 juillet 2007 Disponible sur Internet le 21 septembre 2007
Résumé Les paralysies périodiques hypokaliémiques peuvent être d’origine génétique ou secondaires à d’autres maladies. La paralysie périodique hypokaliémique thyréotoxique (PPHT) est le plus souvent observée chez le sujet jeune d’origine asiatique. Elle représente une urgence diagnostique et thérapeutique, car le pronostic vital peut être engagé. La supplémentation potassique s’accompagne d’une récupération de la force motrice en quelques heures. Nous soulignons l’intérêt du dosage des hormones thyroïdiennes en cas de déficit musculaire brutal associé à une hypokaliémie. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Periodic hypokalemic paralysis can be of genetic origin or secondary to other causes of hypokalaemia. The thyreotoxic hypokalemic periodic paralysis (THPP) usually occurs among asian subjects. It is a diagnostic and therapeutic emergency which may lead to life-threatening complications due to hypokalaemia and muscle weakness. The potassium supplementation is followed by a complete recovery after a few hours. We underlined the interest of thyroid assays in patients having an acute muscular paralysis associated with hypokalaemia. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Paralysie ; Périodique ; Hypokaliémie ; Hyperthyroïdie Keywords: Paralysis; Periodic; Hypokalaemia; Hyperthyroidism
1. Introduction
2. Observation
La thyréotoxicose peut se compliquer d’une paralysie hypokaliémique, la paralysie périodique hypokaliémique thyréotoxique (PPHT). Les accès paralytiques sont dus à des anomalies de la dépolarisation de la membrane musculaire, liées à l’hyperthyroïdie qu’ils peuvent révéler. Cette pathologie rare touche préférentiellement les sujets jeunes d’origine asiatique, elle est exceptionnelle chez le caucasien et rare chez le noir [1,2]. Nous en rapportons un cas survenu chez un patient d’origine africaine.
Un homme âgé de 44 ans, d’origine capverdienne, se présentait en urgence vers minuit, pour des myalgies importantes et un déficit moteur des ceintures d’apparition brutale, prédominant aux membres inférieurs. Il n’avait pas d’antécédent notable. En dehors de la paralysie et d’une hypertension artérielle à 170/90 mmHg, l’examen clinique était sans particularité. Les examens biologiques retrouvaient une hypokaliémie à 2,3 mmol/l. La natrémie était à 142 mmol/l, la chlorémie à 102 mmol/l, les bicarbonates à 22 mmol/l, la calcémie à 2,42 mmol/l, la protidémie à 74 g/l, la créatininémie à 70 mol/l et la glycémie à 5,3 mmol/l. Les transaminases, les gammaGT, les phosphatases alcalines, la bilirubine et les CPK étaient normales. La natriurèse était à 100 mmol/l et la kaliurèse à 38 mmol/l. Il n’y avait pas de notion de diarrhée, ni de prise médi-
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (T. Hanslik).
0248-8663/$ – see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2007.07.013
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camenteuse ou toxique susceptible d’expliquer l’hypokaliémie et la faiblesse musculaire. L’électrocardiogramme était normal. Une supplémentation intraveineuse de potassium (perfusion de 4 g en 12 heures) permettait une normalisation de la kaliémie à 4,2 mmol/l et une récupération complète de la force motrice. Une hyperthyroïdie était confirmée par la TSH à 0,01 mU/l, la T4 libre à 64 pM/l et la T3 libre supérieure à 30 pM/l puis rattachée à une maladie de Basedow devant l’existence d’un goitre diffus et la positivité des anticorps antirécepteurs de la TSH. L’hyperthyroïdie était traitée par propranolol et carbimazole sans rechute de PPHT. 3. Discussion Devant une hypokaliémie avec faiblesse musculaire, il est important d’identifier les paralysies périodiques hypokaliémiques. Les arguments en faveur de ce diagnostic sont l’absence d’anomalie acidobasique et de fuite urinaire de potassium accompagnant l’hypokaliémie [2]. Dans les pays occidentaux, les paralysies périodiques hypokaliémiques sont le plus souvent d’origine génétique. On retrouve alors une histoire familiale de paralysie périodique à transmission autosomique dominante. En revanche, l’hyperthyroïdie est la cause la plus fréquente dans les populations asiatiques [2,3]. La PPHT est une maladie rare qui touche le sujet jeune de 20 à 40 ans, de sexe masculin [4,5]. Le sex-ratio est de 11 hommes pour une femme et donc inverse à celui de l’hyperthyroïdie dans la population générale [1]. La PPHT est le plus souvent rapportée en Asie. Son incidence chez les sujets hyperthyroïdiens est estimée entre 2 et 20 % dans les populations asiatiques et de 0,1 à 0,2 % aux État-Unis [6]. L’hyperthyroïdie ne précède les crises paralytiques que dans 50 % des cas [7] et la PPHT peut donc être inaugurale, comme c’est le cas dans notre observation. Il n’a pas été démontré de relation entre la fréquence des crises ou leur gravité et le degré d’hyperthyroïdie [8]. De même, il n’y a pas d’association entre l’étiologie de la dysthyroïdie et la PPHT [9]. Une fois l’euthyroïdie obtenue, il n’y a jamais de rechute des accès paralytiques [3]. Plusieurs facteurs déclenchants sont incriminés tels que les repas riches en hydrates de carbone, la prise d’alcool, le stress et un effort physique intense [1]. Cliniquement, le déficit moteur prédomine aux ceintures et l’accès paralytique débute aux membres inférieurs pour atteindre secondairement les membres supérieurs [3,10]. Son début est souvent nocturne. Les manifestations motrices peuvent être asymétriques. Elles épargnent le plus souvent les muscles respiratoires, bien que des formes graves aient déjà été rapportées. Il n’y a aucune atteinte sensitive ou neurovégétative associée. Les accès paralytiques peuvent être précédés de prodromes à type de douleurs et de raideur musculaires. Ils durent de quelques heures à trois jours et la récupération est complète entre ces crises [3]. À l’examen clinique, outre le déficit moteur, on note souvent une diminution, voire une abolition des réflexes ostéotendineux. Si, en l’absence de diagnostic, les crises se répètent, un déficit musculaire, lié à une dégénérescence vacuolaire non spécifique des myocytes, peut apparaître [7]. La kaliémie est le plus souvent inférieure à 3 mmol/l avec une kaliurèse normale ou
basse et un équilibre acidobasique normal. Dans deux tiers des cas, une hypophosphorémie modérée est rapportée, entre 0,36 et 0,77 mmol/l, qui se corrige une fois la kaliémie normalisée et ne nécessite donc aucun apport de phosphore. Une élévation des CPK peut également être observée dans deux tiers des cas [3]. L’étude électrophysiologique retrouve un syndrome myogène isolé, sans anomalie de la conduction nerveuse [2,3,7,11]. L’électrocardiogramme montre souvent des anomalies associées à l’hypokaliémie [3]. L’hypokaliémie résulte d’un transfert intracellulaire rapide et important du potassium et non d’un déficit en potassium. Les perturbations humorales induites par l’hyperthyroïdie (hyperinsulinisme et hyperadrénergie, par exemple) aboutissent à une augmentation du nombre de pompes Na/K ATPase au niveau de la membrane musculaire et accroissent leur activité [11]. Il en résulte une dépolarisation de la membrane des fibres musculaires, rendant la fibre musculaire inexcitable, d’une part, et induisant un transfert intracellulaire du potassium, d’autre part. Ces mécanismes seuls ne suffisent toutefois pas à expliquer la forte prévalence de la PPHT chez les asiatiques et son caractère quasi exclusivement masculin, laissant supposer une prédisposition génétique [3]. La supplémentation potassique est le traitement de première intention pour raccourcir la durée des crises paralytiques mais doit être prudente. Il est en effet conseillé de ne pas dépasser la vitesse de perfusion de 10 mmol/h [12]. La dose nécessaire par voie intraveineuse varie de 40 à 200 mmol, [3]. En effet, plusieurs auteurs attirent l’attention sur le risque de survenue d’une hyperkaliémie de rebond, chez ces patients non déficitaires en potassium. Les bêtabloquants, qui inhibent l’activité de la pompe Na/K ATPase, pourraient aussi s’avérer utiles pour le traitement de l’accès paralytique, en ayant l’avantage de ne pas exposer au risque d’hyperkaliémie [3,11,13–15]. Le traitement de fond de la PPHT reste celui de l’hyperthyroïdie [7]. La PPHT, pathologie rare et facilement méconnue, représente une urgence diagnostique et thérapeutique car le pronostic vital peut être engagé. Un dosage des hormones thyroïdiennes est nécessaire chez tout patient présentant un déficit musculaire brutal associé à une hypokaliémie.
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