Incidence des troubles digestifs sur l’état respiratoire des enfants porteurs de handicap

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ScienceDirect Motricité cérébrale xxx (2014) xxx–xxx www.em-consulte.com

Polyhandicap

Incidence des troubles digestifs sur l’état respiratoire des enfants porteurs de handicap§ Incidence of digestive manifestations on respiratory function in children with disability B. Dubern Nutrition et gastroentérologie pédiatriques, hôpital Trousseau, GHUEP, 26, avenue du Dr-Netter, 75012 Paris, France

Résumé Les manifestations digestives sont fréquentes chez l’enfant porteur de handicap et concernent plus de 60 % d’entre eux. Elles sont impliquées dans de nombreuses complications et en particulier dans les pathologies respiratoires (encombrement persistant, pneumopathies d’inhalation). Il s’agit principalement de la dysfonction oromotrice (DOM) et du reflux gastro-œsophagien (RGO) parfois associé à des troubles de la vidange gastrique, car sources de fausses routes silencieuses ou non, voire de pneumopathies d’inhalation en cas de RGO massif. Le DOM est recherché à l’interrogatoire et peut nécessiter dans certains cas une exploration de la déglutition. Sa prise en charge inclut principalement une modification de la texture des aliments. Dans les formes les plus sévères interdisant l’alimentation orale, une gastrostomie est indiquée. Une chirurgie anti-reflux de type fundoplicature de Nissen ne sera couplée à la gastrostomie qu’en cas de RGO sévère associé à la DOM. Un RGO est recherché par la pH-métrie des 24 h en cas de non-extériorisation. La fibroscopie œsogastroduodénale n’est indiquée qu’en cas de suspicion d’œsophagite. Seul le traitement par inhibiteur de la pompe à protons a démontré son efficacité dans le RGO et doit être prescrit en association avec d’autres mesures comme le positionnement en décubitus latéral droit chez certains patients. Une chirurgie anti-reflux n’est indiquée qu’en cas de RGO sévère compliqué résistant au traitement médical. En raison de leur rôle central dans les complications respiratoires, toute pathologie digestive doit donc être systématiquement dépistée et prise en charge afin d’améliorer la qualité de vie des enfants porteurs de handicap. # 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

Abstract Gastrointestinal manifestations are common in children with disability and concern more than 60% of them. They are involved in many complications, especially in respiratory disorders (persistent congestion, aspiration pneumonia). It is mainly the oromotor dysfunction (OMD) and the gastroesophageal reflux disease (GERD) sometimes associated to delayed gastric emptying, since they are source of oropharyngeal aspirations or pneumonia in case of massive GERD. The OMD is diagnosed during clinical examination and may require in some cases an exploration of swallowing. Its management mainly includes the modification of food texture. In severe forms prohibiting oral feeding, a gastrostomy is indicated. In case of DOM associated to severe GERD, antireflux

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Travaux présentés le 16 novembre 2013 lors de la journée d’automne de la SFERHE portant sur les troubles respiratoires de l’enfant porteur de handicap. Adresse e-mail : [email protected]. http://dx.doi.org/10.1016/j.motcer.2014.04.003 0245-5919/# 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

Pour citer cet article : B. Dubern, Incidence des troubles digestifs sur l’état respiratoire des enfants porteurs de handicap, Motricité cérébrale (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.motcer.2014.04.003

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surgery such as Nissen fundoplicature is coupled with gastrostomy. GERD is explored by 24 h pH monitoring if non-externalized. The upper digestive tract endoscopy is only indicated in case of suspected esophagitis. Only proton pump inhibitors had demonstrated efficacy in GERD and should be prescribed in combination with other measures such as right lateral decubitus positioning in some patients. Antireflux surgery is indicated in case of severe complicated GERD resistant to medical treatment. Due to their central role in respiratory complications, digestive disorders should be systematically investigated and managed to improve the quality of life of children with disabilities. # 2014 Published by Elsevier Masson SAS. Mots clés : Handicap ; Manifestations digestives ; Fausses routes ; Reflux gastro-œsophagien ; Dysfonction oromotrice Keywords: Disability; Digestive manifestations; Oropharyngeal aspirations; Gastroesophageal reflux; Oromotor dysfunction

Les manifestations digestives (reflux gastro-œsophagien [RGO], constipation) sont fréquentes chez l’enfant porteur de handicap et participent, voire sont dans certaines situations responsables des pathologies respiratoires les plus fréquemment rencontrées dans cette population (encombrement persistant, pneumopathies d’inhalation. . .). Elles doivent donc être systématiquement dépistées et prises en charge. 1. Mécanismes physiopathologiques et fréquence des manifestations digestives chez les enfants porteurs de handicap La paroi digestive est formée de deux couches de muscles lisses dont l’activité doit être coordonnée : une couche longitudinale externe et une couche circulaire interne [1]. Comme tout muscle lisse, elles sont douées d’automatisme permettant la progression régulière du bol alimentaire. Cet automatisme repose sur l’existence de cellules spécialisées appelées cellules interstitielles de Cajal (CIC). La paroi intestinale est aussi très riche en neurones et contient une innervation intrinsèque (majoritaire) située en totalité dans la paroi digestive et une innervation extrinsèque dont les neurones ont les corps cellulaires en dehors de la paroi digestive. Le système nerveux intrinsèque (ou entérique) forme des plexus intramuraux appelés plexus de Meissner et Auerbach. Le plexus myentérique (d’Auerbach) est le plus volumineux et est situé entre les couches musculaires longitudinales et circulaires. Le plexus sous-muqueux (de Meissner) est, quant à lui, moins développé et est impliqué dans les sécrétions gastro-intestinales et le débit sanguin local. Le principal rôle du système nerveux entérique est d’assurer la coordination des 2 couches musculaires dans le sens oral-aboral lors de la contraction intestinale. Parallèlement, ces plexus reçoivent des afférences du système nerveux extrinsèque (système parasympathique [PS] et sympathique [S]) et émettent des axones

efférents primaires qui remontent vers le système nerveux [1]. Le PS a pour origine le bulbe avec la voie vagale et la moelle sacrée avec les nerfs pelviens. L’innervation vagale est surtout importante au niveau de l’estomac et de la partie proximale de l’intestin. Les fibres PS font synapse au niveau des plexus aussi bien sur la population des motoneurones excitateurs cholinergiques que sur les motoneurones inhibiteurs (VIP/ NO). L’innervation vagale est impliquée aussi bien dans les contractions que dans les relâchements de la paroi digestive en particulier au niveau de l’estomac. En ce qui concerne le système sympathique, la plupart des fibres post-ganglionnaires proviennent des ganglions cœliaque et mésentérique. Elles sont inhibitrices et largement impliquées dans de nombreux réflexes d’inhibition à point de départ digestif ou non. Les fibres sympathiques (avec la noradrénaline comme médiateur) agissent en inhibant de façon présynaptique les fibres post-ganglionnaires du PS (récepteur de type a) ou par une inhibition directe (récepteur b). Au niveau des sphincters, le système sympathique joue un rôle excitateur avec des contractions. Enfin, le tube digestif possède de nombreux neurones assurant la viscérosensibilité (80 % des fibres vagales sont des fibres sensitives) remontant vers le système nerveux central via le nerf splanchnique [1]. Cette relation étroite entre le tube digestif et le système nerveux explique en grande partie qu’il existe très fréquemment des manifestations digestives chez les patients ayant un handicap. Des mutations dans des gènes codant pour des protéines impliquées dans la morphogenèse et la différenciation du système nerveux entérique sont d’ailleurs responsables d’une atteinte digestive associée à une atteinte neurologique centrale comme dans le syndrome de Shah-Waardenburg impliquant le gène Sox10 ou la dystrophie myotonique [1]. Chez les enfants avec infirmité motrice cérébrale (IMC), les manifestations digestives sont très fréquentes

Pour citer cet article : B. Dubern, Incidence des troubles digestifs sur l’état respiratoire des enfants porteurs de handicap, Motricité cérébrale (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.motcer.2014.04.003

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et concernent plus de la moitié d’entre eux. Le RGO est le plus décrit et est présent chez plus de 70 % des patients dans certaines études [2]. De même, la constipation est très fréquente [3] et est responsable d’une altération de la qualité de vie en raison de l’inconfort et de symptômes digestifs associés (vomissements, nausées, douleurs abdominales, réduction de la prise alimentaire). Cependant, elle est peu impliquée dans les manifestations respiratoires. 2. Quelles sont les principales manifestations digestives impliquées dans les troubles respiratoires ? La dysfonction oromotrice (FOM) et le RGO parfois associé à des troubles de la vidange gastrique sont les deux principales manifestations digestives impliquées. Ils sont en effet source de fausses routes silencieuses ou non, voire de pneumopathies d’inhalation en cas de RGO massif. La FOM concerne l’utilisation des muscles et des différentes structures anatomiques de la cavité orale, sollicités lors de la prise des repas. Ainsi, la coordination des lèvres, des joues, de la langue, du palais mou et des mâchoires ainsi que la mobilité et le tonus musculaire déterminent, entre autres, l’intégrité de la FOM. En cas de dysfonction oromotrice, il existe donc un défaut de fermeture des lèvres avec une hypersalivation, une absence de latéralisation de la langue avec des poussées de la langue et souvent une incoordination de la déglutition. L’ensemble de ces troubles va alors être souvent à l’origine de fausses routes symptomatiques avec toux ou de fausses routes silencieuses pouvant aboutir à un encombrement bronchique persistant [4]. Le RGO concerne 15 à 75 % des patients porteurs de handicap en fonction des études [3]. Défini par un passage rétrograde du contenu gastrique vers l’œsophage, les mécanismes à son origine sont multiples (relaxation incomplète du sphincter supérieur de l’œsophage avec réduction de l’amplitude des ondes et diminution du tonus du sphincter inférieur de l’œsophage [SIO] ; hernie hiatale ; position allongée ; augmentation de la pression intra-abdominale [spasticité, scoliose ou épilepsie]). Il peut être associé à une dysmotricité antroduodénale qui a pour conséquence une distension du fundus avec relaxation du SIO ou à des troubles de la vidange gastrique fréquemment à l’origine de nausées [5]. Classiquement, le RGO se manifeste par des régurgitations ou des vomissements pathologiques. Cependant, des manifestations plus atypiques doivent le faire rechercher (Encadré 1) : mauvaise prise des

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Encadre´ 1. Manifestions extradigestives de reflux gastro-œsophagien chez l’enfant porteur de handicap.  Manifestations ORL a` re´pe´tition (otites, laryngites, SAS).  Manifestations respiratoires (toux chronique, hyperre´activite´ bronchique, pneumopathies d’inhalation).  Irritabilite´, cris, rarement des mouvements dystoniques, aggravation de l’e´pilepsie.  Anomalies dentaires (e´rosion dentaire). D’apre`s [5].

repas ; rumination qui peut concerner 40 % des enfants handicapés avec reflux ; anémie microcytaire persistante ou hématémèse en cas de RGO compliqué d’œsophagite. Enfin, certaines manifestations extra-digestives doivent faire évoquer ce diagnostic et en particulier les manifestations respiratoires chroniques telles que des pneumopathies d’inhalation à répétition ou une toux nocturne [2,5]. Au total, chez l’enfant porteur de handicap, l’existence d’une DOM associée ou non à un RGO va avoir pour conséquence d’augmenter le risque de fausses routes silencieuses, voire de pneumopathies d’inhalation en cas de RGO massif et donc de lésions pulmonaires sévères. En cas d’atteinte neurologique, ce risque de micro-inhalations est d’ailleurs particulièrement élevé comme décrit récemment chez 300 enfants ayant une étude systématique de la déglutition [6]. La recherche systématique de ces troubles est donc indispensable chez tout enfant porteur de handicap grâce à un interrogatoire précis le plus souvent suffisant pour authentifier ou non l’existence de fausses routes salivaires et/ou alimentaires et la présence de signes évocateurs de RGO (vomissements fréquents, toux nocturne, syndrome d’apnées du sommeil, hématémèse). Si nécessaire, en cas de suspicion de fausses routes non confirmées à l’interrogatoire, un radiocinéma de la déglutition ou une vidéofluoroscopie peut être indiqué [5]. En cas de suspicion de RGO non extériorisé, les principaux examens à réaliser sont une numération formule sanguine à la recherche d’une anémie microcytaire par carence martiale et une pH-métrie des 24 h afin de rechercher un RGO acide. L’impédancemétrie œsophagienne peut avoir un intérêt en cas de suspicion de reflux non acides. Le transit œsogastroduodénal (TOGD) avec ou sans radiocinéma de la déglutition ne

Pour citer cet article : B. Dubern, Incidence des troubles digestifs sur l’état respiratoire des enfants porteurs de handicap, Motricité cérébrale (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.motcer.2014.04.003

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sera réservé qu’au bilan préopératoire avant chirurgie anti-reflux et/ou en cas de suspicion d’obstacle mécanique. Enfin, la fibroscopie œsogastroduodénale ne sera indiquée qu’en cas de suspicion de RGO compliqué d’œsophagite (anémie microcytaire, hématémèse, méléna) [5].

doivent donc être dépistées et prises en charge systématiquement le plus tôt possible en raison de leurs conséquences pulmonaires potentiellement graves et afin d’améliorer la qualité de vie et le pronostic des ces enfants. Déclaration d’intérêts

3. Prise en charge des manifestations digestives Sur le plan thérapeutique, seuls les inhibiteurs de la pompe à protons ont montré leur efficacité sur le RGO ce qui n’est pas le cas des prokinétiques type dompéridone [5,7]. Le baclofen (agoniste des récepteurs GABA), classiquement utilisé pour la prise en charge de la spasticité des enfants avec IMC, pourrait avoir un effet positif sur le RGO en raison de son action sur le SIO et le fundus [8]. Cependant, des études complémentaires chez l’enfant sont nécessaires pour recommander son utilisation dans le RGO. D’autres mesures non médicamenteuses peuvent être discutées au cas par cas comme le positionnement en décubitus latéral droit ou la pose d’une sonde d’alimentation gastroduodénale, voire gastrojéjunale en cas de troubles majeurs de la vidange gastrique [9,10]. Une chirurgie anti-reflux type fundoplicature de Nissen n’est indiquée qu’en cas de RGO extériorisé sévère et/ou de pneumopathies d’inhalation liées au RGO [7]. En cas de fausses routes, la modification des textures des repas est indispensable. Cependant, en cas de manifestions respiratoires sévères secondaires aux fausses routes, la mise en place d’une gastrostomie est nécessaire. Elle peut être posée par voie chirurgicale ou endoscopique. La chirurgie anti-reflux ne sera alors associée à cette dernière qu’en cas de RGO sévère. L’hypersalivation, elle aussi potentiellement responsable de fausses routes, peut justifier un essai de traitement par scopolamine en patchs ou par injections de toxine botulique dans les glandes salivaires [11]. 4. Conclusions Les manifestations digestives sont fréquentes et multiples chez l’enfant porteur de handicap (RGO, troubles de la vidange gastrique, constipation). Elles

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Altaf MA, Sood MR. The nervous system and gastrointestinal function. Dev Disabil Res Rev 2008;14:87–95. [2] Somerville H, Tzannes G, Wood J, Shun A, Hill C, Arrowsmith F, et al. Gastrointestinal and nutritional problems in severe developmental disability. Dev Med Child Neurol 2008;50: 712–6. [3] Sullivan PB. Gastrointestinal disorders in children with neurodevelopmental disabilities. Dev Disabil Res Rev 2008;14: 128–36. [4] Sullivan PB, Lambert B, Rose M, Ford-Adams M, Johnson A, Griffiths P. Prevalence and severity of feeding and nutritional problems in children with neurological impairment: Oxford Feeding Study. Dev Med Child Neurol 2000;42:674–80. [5] Caroll MW, Jacobson K. Gastroesophageal reflux disease in children and adolescents: when and how to treat. Paediatr Drugs 2012;14:79–89. [6] Weir KA, McMahon S, Taylor S, Chang AB. Oropharyngeal aspiration and silent aspiration in children. Chest 2011;140: 589–97. [7] Tounian P. Gastroesophageal reflux treatment: from therapeutic abstention to surgery. Arch Pediatr 2009;16:1424–8. [8] Lidums I, Lehmann A, Checklin H, Dent J, Holloway RH. Control of transient lower esophageal sphincter relaxations and reflux by the GABA(B) agonist baclofen in normal subjects. Gastroenterology 2000;118:7–13. [9] Vande Velde S, Van Biervliet S, De Bruyne R, Van Renterghem K, Plasschaert F, Van Winckel M. Gastric dysmotility following orthopaedic scoliosis surgery in patients with cerebral palsy: a case series. Neuropediatrics 2010;41:182–5. [10] Camilleri M, Parkman HP, Shafi MA, Abell TL, Gerson L, American College of Gastroenterology. Clinical guideline: management of gastroparesis. Am J Gastroenterol 2013;108: 18–37. [11] Rodwell K, Edwards P, Ware RS, Boyd R. Salivary gland botulinum toxin injections for drooling in children with cerebral palsy and neurodevelopmental disability: a systematic review. Dev Med Child Neurol 2012;54:977–87.

Pour citer cet article : B. Dubern, Incidence des troubles digestifs sur l’état respiratoire des enfants porteurs de handicap, Motricité cérébrale (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.motcer.2014.04.003