Incrimination de la conduite automobile après usage de stupéfiants

Incrimination de la conduite automobile après usage de stupéfiants

La revue de médecine légale (2015) 6, 8—10 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com MISE AU POINT Incrimination de la conduite ...

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La revue de médecine légale (2015) 6, 8—10

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

MISE AU POINT

Incrimination de la conduite automobile après usage de stupéfiants Incrimination of driving after the use of narcotics R. Bouvet a,b,*, C. Hugbart a, A. Baert a, M. Le Gueut a,b a

´ decine le ´ gale et me ´ decine pe ´ nitentiaire, CHU, 2, rue Henri-Le-Guilloux, 35033 Rennes cedex 9, Service de me France b ´ de me ´ decine, universite ´ Rennes-1, 2, avenue du Professeur-Le ´ on-Bernard, 35043 Rennes cedex, Faculte France Disponible sur Internet le 14 avril 2015

MOTS CLÉS Conduite automobile ; Stupéfiants ; Jurisprudence

KEYWORDS Driving; Narcotics; Jurisprudence

Résumé Le droit pénal français réprime l’usage de la conduite automobile après usage de stupéfiants dès lors qu’une analyse sanguine en apporte la preuve. La Cour de cassation retient cette incrimination même si l’analyse sanguine ne met en évidence que la présence de métabolites inactifs de stupéfiants. Par deux arrêts du 14 octobre 2014, elle apporte des précisions concernant les modalités du prélèvement sanguin et la notion de seuil de détection. D’une part, les médecins requis pour réaliser le prélèvement ne sont pas tenus d’utiliser le kit de prélèvement fourni par les forces de l’ordre, dès lors qu’ils utilisent un matériel adéquat équivalent. D’autre part, le seuil de détection prévu par le règlement constitue une performance analytique minimale et non un seuil d’incrimination. La seule mise en évidence d’une substance ou plante classée comme stupéfiant dans le sang, quelle que soit sa concentration, permet donc de qualifier l’infraction, dès lors que l’analyse offre les performances minimales de détection définies réglementairement. # 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary French criminal law punishes driving after the use of narcotics when a blood test proves it, even if this test only reveals the presence of inactive metabolites. Two recent judgments of the French Cour de cassation (14 October 2014) provide details concerning the execution of the blood sample and the concept of limit of detection. On the one hand, doctors asked to perform the blood sample are not obliged to use the collection kit provided by the police, since they use equivalent right equipment. On the other hand, the limit of detection defined by the regulation is a minimum analytical performance of the expert, not a threshold of incrimination. The incrimination of driving

* Auteur correspondant. Service de médecine légale et médecine pénitentiaire, CHU, 2, rue Henri-Le-Guilloux, 35043 Rennes cedex 9, France. Adresse e-mail : [email protected] (R. Bouvet). http://dx.doi.org/10.1016/j.medleg.2015.03.001 1878-6529/# 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Incrimination de la conduite automobile après usage de stupéfiants

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after the use of narcotics requires to prove their presence in the blood, regardless of their concentration, since the analysis provides the minimum detection performance defined by the regulation. # 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Contexte L’article L. 235-1 (I., al. 1) du Code de la route dispose que toute personne qui conduit un véhicule ou qui accompagne un élève conducteur alors qu’il résulte d’une analyse sanguine qu’elle a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants est punie de deux ans d’emprisonnement et de 4500 euros d’amende. Le législateur français a fait le choix d’une législation per se en réprimant la conduite automobile après usage de stupéfiants. L’incrimination repose bien sur l’usage, quelle qu’ait été l’influence de la substance ou de la plante sur les capacités de conduite du sujet, contrairement aux dispositions relatives à l’alcool qui procèdent d’une législation de type impairment. La Cour de cassation a fort logiquement rejeté les pourvois motivés par l’absence d’altération des capacités du conducteur lorsque l’analyse sanguine mettait en évidence la présence d’un métabolite inactif tel que l’acide 11-nordelta-9-tétrahydrocannabinol carboxylique (THC-COOH). En ce qui concerne le cannabis, elle considère l’usage de cannabis comme établi dès lors que l’analyse sanguine a montré la présence d’un cannabinoïde, le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) ou l’un de ses métabolites [1]. Cette analyse est inattaquable sur le plan toxicologique, mais nous nous étions interrogés quant à la qualification de l’infraction en cas de mise en évidence du seul THC-COOH puisque l’arrêté du 5 septembre 2001 ne vise expressément que le THC. Cette situation posait des questions de sécurité juridique et d’égalité des justiciables puisque la mention des métabolites sur la fiche F ne dépend que du bon vouloir de l’expert analyste [2]. Ces interrogations doivent être levées : la jurisprudence semble désormais constante [3,4], ce qui valide de manière corollaire la pratique de la mention des métabolites sur la fiche F par l’expert. Par deux arrêts rendus le 14 octobre 2014 et promis aux honneurs du Bulletin, la Chambre criminelle précise sa jurisprudence concernant les modalités du prélèvement sanguin et la notion de seuil de détection.

Du prélèvement sanguin Dans un arrêt rendu en 2012 [5], la Cour de cassation avait censuré la décision par laquelle une cour d’appel avait considéré que l’usage de cannabis pouvait être caractérisé sur la base des aveux du prévenu, alors que l’analyse sanguine n’avait pas été opérée régulièrement. Conformément à la lettre de l’article L. 235-1 du Code de la route, la preuve de l’usage ne peut résulter que de l’identification d’une substance ou d’une plante classée comme stupéfiant dans le sang. Contrairement au cas de l’intoxication alcoolique aiguë [6], les aveux du prévenu sont indifférents.

Dans le premier arrêt du 14 octobre 2014 [7], la Chambre criminelle vient apporter une précision sur les modalités de réalisation du prélèvement sanguin. L’article R. 235-6 du Code de la route dispose que ce prélèvement est réalisé par un médecin « à l’aide d’un nécessaire mis à sa disposition » par l’officier ou l’agent de police judiciaire, en présence de celui-ci. Le conducteur mis en cause contestait la régularité du prélèvement au motif qu’il avait été réalisé au moyen du matériel de l’établissement de santé dans lequel il avait été conduit par les forces de l’ordre. La Cour écarte ce moyen et approuve les juges du fond dans leur appréciation de la régularité du prélèvement en relevant qu’il avait été réalisé en présence des gendarmes, par un médecin requis à cette fin, dans le service des urgences d’un centre hospitalier universitaire, « rendant ainsi inutile l’emploi d’un kit de prélèvement ». Les médecins requis par un officier ou agent de police judiciaire en vertu des dispositions du Code de la route ne sont donc pas tenus d’utiliser les kits de prélèvement sanguin fournis par les forces de l’ordre, dès lors qu’ils utilisent un matériel adéquat équivalent et que les tubes de sang ont été « dûment scellés et étiquetés ». Pour paraphraser Talleyrand, si cela va sans dire — sur le plan technique —, cela ira encore mieux en le disant — sur le plan juridique. . .

Du seuil de détection L’analyse toxicologique doit être exécutée en respectant des seuils minima de détection dans le sang. L’interprétation de cette notion de seuil intéresse essentiellement le contentieux de la conduite après usage de cannabis, dont le seuil de détection est réglementairement fixé à 1 ng/mL. Nous avons toujours considéré cette notion de seuil de détection comme une performance analytique minimale exigible de l’expert, libre à lui d’offrir des performances supérieures [2]. Certains justiciables et leurs conseils considéraient au contraire cette valeur non comme un seuil technique, de détection, mais comme un seuil juridique, d’incrimination, analyse qui avait pu séduire certains juges du fond [8]. Ce moyen avait été soulevé par deux conducteurs chez lesquels l’analyse sanguine avait mis en évidence des concentrations respectives de 0,6 ng/mL de THC pour l’un ; de 0,5 ng/mL de THC, 1,2 ng/mL de 11-hydroxydelta-9-tétrahydrocannabinol (11-OH-THC) et 24,6 ng/mL de THC-COOH pour l’autre. La question revêtant un caractère sérieux [9], le Conseil constitutionnel avait été saisi en 2011 d’une question prioritaire de constitutionnalité portant notamment sur la conformité du premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 235-1 du Code de la route au principe de légalité des peines et des délits, et plus particulièrement sur l’absence

10 de détermination par la loi d’un taux de substance illicite dans le sang. Le Conseil avait déclaré les dispositions déférées conformes à la Constitution [10], considérant que les critères de l’incrimination étaient objectifs et suffisamment précis, sans qu’un seuil minimum de détection n’ait à être fixé par la loi, les Sages renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de fixer ledit seuil [11]. La réponse du juge constitutionnel n’apportait cependant pas de réponse explicite à la question initiale, celle de savoir si le seuil de détection déterminé par voie réglementaire constituait un seuil de performance technique minimale ou un seuil d’incrimination. La Cour de cassation tranche la question dans le second arrêt du 14 octobre 2014 [12]. En termes non équivoques, la Chambre criminelle approuve la cour d’appel d’avoir considéré le seuil minimum fixé par arrêté non comme un seuil d’incrimination mais comme un seuil de détection, qui constitue une modalité de dosage des stupéfiants. La seule mise en évidence d’une substance ou plante classée comme stupéfiant dans le sang, quelle que soit sa concentration, permet donc de qualifier l’infraction, dès lors que l’analyse offre les performances minimales de détection définies réglementairement.

R. Bouvet et al.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] Crim., 12 mars 2008, no 07-83.476. [2] Bouvet R, Baert A, Le Gueut M. Conduite automobile et cannabis : la sanction de l’expert. Droit Deontol Soin 2012;12:32—6. [3] Crim., 8 juin 2011, no 11-81.218. [4] Crim., 3 oct. 2012, no 12-82.498. [5] Crim., 15 févr. 2012, no 11-84.607. [6] Bouvet R, Baert A, Le Gueut M. Technique ou clinique ? En matière d’alcoolisation, le droit choisit-il ? Rev Med Leg 2011;2:132—6. [7] Crim., 14 oct. 2014, no 13-81.390. [8] T. corr. Briey, 21 août 2007, no 761/07. [9] Crim., 5 oct. 2011, no 11-90.085. [10] C. Const., 9 déc. 2011, no 2011-204 QPC. [11] Bouvet R, Hugbart C, Baert A, Le Gueut M. Conduite automobile après usage de stupéfiants : actualité jurisprudentielle. Droit Deontol Soin 2013;13:277—82. [12] Crim., 14 oct. 2014, no 13-87.094.