Infarctus médullaires

Infarctus médullaires

EMC-Neurologie 2 (2005) 163–174 http://france.elsevier.com/direct/EMCN/ Infarctus médullaires Spinal ischemic strokes D. Leys (Professeur de neurolo...

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EMC-Neurologie 2 (2005) 163–174

http://france.elsevier.com/direct/EMCN/

Infarctus médullaires Spinal ischemic strokes D. Leys (Professeur de neurologie) a,*, C. Cordonnier (Neurologue) a, C. Masson (Praticien hospitalier) b, J.-P. Pruvo (Professeur de radiologie) c a

Service de neurologie et pathologie neurovasculaire, centre hospitalier régional universitaire, Hôpital Roger Salengro, boulevard du Professeur-J.-Leclerc, 59037 Lille cedex, France b Hôpital Beaujon, 92000 Clichy, France c Service de radiologie, centre hospitalier régional universitaire, Hôpital Roger Salengro, boulevard du Professeur-J.-Leclerc, 59037 Lille cedex, France

MOTS CLÉS Moelle épinière ; Infarctus médullaire ; Aorte ; Imagerie par résonance magnétique

KEYWORDS Spinal cord; Spinal Infarct; Aorta; Magnetic resonance imaging

Résumé Les infarctus médullaires sont rares et sont responsables de divers déficits neurologiques pouvant consister en une paraplégie sévère. L’imagerie par résonance magnétique est l’examen de choix pour exclure d’autres causes de syndromes médullaires aigus et pour visualiser l’infarctus. Les causes les plus fréquentes sont les pathologies de l’aorte et les causes iatrogènes. Il n’y a pas de traitement spécifique validé hormis la prévention des complications. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Compared to cerebral ischemias, spinal cord ischemias remain rare, and results in various types of neurological deficits, which often consist of an abrupt and complete paraplegia. Magnetic resonance imaging is a valuable tool to rule out other causes of acute spinal cord syndromes, and to show the infarct. Most spinal cord infarcts are due to aortic diseases (atherosclerosis, aneurysm, dissection) or are of iatrogenic origin (surgery of aorta and aortography). Other causes are rare. There are no validated specific treatments, except the prevention of complications, the treatment of the cause and rehabilitation. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction Le développement des concepts concernant la pathologie vasculaire de la moelle a bénéficié de l’évolution de nos connaissances sur les accidents vasculaires cérébraux.1 L’incidence des infarctus médullaires est très faible par rapport à celle des infarctus cérébraux.2 Cette rareté pourrait être * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Leys).

due au petit volume de la moelle par rapport à celui du cerveau,2 à la rareté de l’athérome et des autres processus pathologiques au niveau des artères spinales, et à la richesse des anastomoses entre artères médullaires.1 La vascularisation médullaire est l’une des plus complexes de l’organisme en raison du nombre important d’artères qui y contribuent.3,4 La rareté des accidents vasculaires médullaires et la faible accessibilité des vaisseaux médullaires aux investigations expliquent que nos connaissances restent limitées.1 Les causes d’is-

1762-4231/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcn.2004.10.005

164 chémie médullaire sont aussi nombreuses que celles de l’ischémie cérébrale, et il est fréquent de ne pas en trouver. Les symptômes peuvent être transitoires ou permanents.

Anatomie des vaisseaux médullaires Artères médullaires Chez l’embryon, l’aorte apparaît comme un capillaire localisé sur la partie ventrale du tube neural. Elle donne naissance à des branches qui vascularisent chaque segment de la future moelle. Dès ce stade, chaque segment médullaire est vascularisé par deux artères radiculaires (droite et gauche) antérieures et deux artères radiculaires postérieures. De ces artères radiculaires naissent une branche ascendante et une branche descendante qui s’anastomosent avec les branches correspondantes des deux segments adjacents. Le diamètre des canaux anastomotiques longitudinaux s’accroît progressivement. Les deux axes antérieurs fusionnent pour former une artère spinale antérieure unique alors que persistent deux artères spinales postérieures.3,4 Parallèlement, survient une désegmentation de la vascularisation de la moelle laissant persister un nombre restreint d’artères radiculomédullaires participant à la constitution des axes longitudinaux. Ce processus de désegmentation est particulièrement marqué pour l’axe spinal antérieur, qui pourtant reste la plus importante source de vascularisation de la moelle chez l’adulte.3,4 Artères spinales antérieures et leurs branches Au niveau axial haut, l’artère spinale antérieure naît de l’union de deux branches descendantes issues des artères vertébrales au niveau du trou occipital. À la partie moyenne de la moelle cervicale, une artère spinale antérieure naît de chacune des artères radiculomédullaires issues des deux vertébrales. La partie inférieure de la moelle cervicale est vascularisée par une artère spinale antérieure issue d’une des deux artères cervicales. La moelle thoracique haute et moyenne est vascularisée par quelques artères spinales antérieures grêles. La moelle thoracique basse et lombaire est vascularisée par l’artère d’Adamkiewicz. Un dédoublement de l’artère spinale antérieure sur quelques centimètres de moelle est fréquent, mais une artère spinale antérieure double sur la quasitotalité de la moelle est l’exception.3,4 L’artère spinale antérieure chemine dans la scissure médiane antérieure de la moelle. Son diamètre est plus large au niveau lombosacré qu’au niveau thoracique, mais des variations sont possibles à

D. Leys et al. différents niveaux. De l’artère spinale antérieure naissent des branches profondes (artères sulcocommissurales) qui traversent le sillon ventral avant de bifurquer dans la substance grise centromédullaire.5,6 Ces artères sulcocommissurales sont au nombre d’environ 200, plus nombreuses au niveau des renflements lombaires et cervicaux que de la moelle thoracique. Des artères circonférencielles superficielles et leurs branches pénétrantes cheminent latéralement à partir de l’artère spinale antérieure pour vasculariser la substance blanche centrale, la base des cornes antérieures et les faisceaux pyramidaux.5,6 Cette modalité de vascularisation est superposable à celle du tronc cérébral. Artères spinales postérieures et leurs branches Les artères spinales postérieures naissent directement de l’artère vertébrale au niveau cervical et des artères radiculomédullaires issues de l’aorte au niveau thoracique et lombosacré.3,4 Habituellement, ce sont deux artères tortueuses, descendant vers la zone de pénétration des racines dorsales au niveau de la partie postérolatérale de la moelle.3,4 Des interruptions des artères spinales postérieures à certains endroits sont fréquentes. Dans ce cas, soit une seule artère spinale postérieure vascularise les deux côtés, soit l’artère spinale postérieure est remplacée par un réseau de vaisseaux multiples. Les artères spinales antérieures et postérieures sont anastomosées au niveau du cône terminal, formant l’arcade du cône terminal. Les artères spinales postérieures peuvent contribuer à la formation d’un plexus artériel3,4 qui donne naissance à des branches pénétrantes vers les cordons postérieurs et les cornes postérieures. Artères radiculomédullaires La plupart des artères radiculaires s’épuisent sur les racines, ou sur le réseau pie-mérien, participant alors à la constitution du réseau périmédullaire. Chez l’adulte, les artères radiculomédullaires participant à la constitution de l’axe spinal antérieur ne sont plus qu’au nombre de quatre à huit. Au niveau cervical et des deux premiers segments thoraciques, l’artère spinale antérieure reçoit des afférences de deux à quatre artères radiculaires antérieures qui naissent de l’artère vertébrale, des artères cervicales profondes ou des artères intercostales supérieures. La région dorsale moyenne ne reçoit qu’une ou deux afférences grêles. Toutefois, les infarctus médullaires siègent le plus souvent au niveau des renflements cervicaux et lombaires,7,8 et sont rares dans la région thoracique moyenne.8 Les faibles besoins métaboliques du segment thoracique moyen, et la possibilité d’être revascularisé à

Infarctus médullaires partir des régions sus- et sous-jacentes plus richement vascularisées, expliqueraient la rareté des infarctus à ce niveau. Dans la région thoracolombaire, la moelle est vascularisée par une artère radiculaire dominante, l’artère d’Adamkiewicz, qui suit habituellement la racine antérieure située entre T8 et L2, le plus souvent à gauche. L’artère d’Adamkiewicz assure habituellement à elle seule la vascularisation de la moelle lombosacrée. Cependant, dans 15 % des cas, lorsqu’elle naît plus haut, une artère radiculaire accompagnant une racine sacrée est destinée au cône terminal. Les artères radiculomédullaires destinées aux artères spinales postérieures sont plus nombreuses, de dix à 20, expliquant la moindre fréquence des infarctus siégeant dans le territoire spinal postérieur. Des artères « supplémentaires » provenant d’artères bronchiques, rénales et iliaques participent parfois à la vascularisation médullaire par l’intermédiaire d’artères radiculaires. Les artères radiculaires contribuent aussi à la vascularisation du corps vertébral, d’où la possibilité d’infarctus osseux associé. Territoires artériels intramédullaires Le territoire central, vascularisé par les artères sulcocommissurales (système centrifuge), dépend entièrement du système spinal antérieur. Il comprend la majeure partie de la substance grise de la moelle : cornes antérieures, cornes latérales et base des cornes postérieures. Il comprend aussi la partie profonde des cordons antérolatéraux et des cordons postérieurs. Les artères sulcales naissent de l’artère spinale antérieure et se dirigent en arrière dans le sillon médian antérieur.3,4 Elles pénètrent la commissure blanche antérieure située en avant du canal épendymaire et bifurquent en deux branches, une droite et une gauche, qui vascularisent la substance grise et la substance blanche centrale de chaque côté. Les artères sulcales et leurs branches forment un réseau de vascularisation centrale appelé système centrifuge.3,4 Le territoire périphérique dépend dans sa partie antérieure des artères circonférentielles provenant de l’artère spinale antérieure et dans sa partie postérieure du plexus artériel spinal postérieur. De ce réseau périphérique naissent des artères radiaires centripètes destinées à la partie périphérique des cordons antérolatéraux et postérieurs, et à la tête des cornes postérieures. Dans ce territoire périphérique, il existe des variations dans la zone de partage entre le territoire artériel spinal antérieur et spinal postérieur. Cette différence anatomique explique la taille et le siège des infarctus spinaux.3,4,9 On décrit aussi une zone de partage (watershed) entre territoire central et périphéri-

165 que. Les vaisseaux intramédullaires sont terminaux,10 et plus développés dans la substance grise qui a des besoins métaboliques plus importants que la substance blanche.11

Veines médullaires Le réseau veineux médullaire est irrégulier et il y a de nombreuses connexions entre les larges troncs veineux.9 Le drainage veineux médullaire est plus apparent à la partie la plus postérieure de la moelle, en particulier au niveau lombosacré.5 Une seule grosse veine médiane postérieure apparaît sur le septum médian postérieur. Cette veine spinale postérieure reçoit des afférences veineuses des colonnes et des cornes postérieures de la moelle. La veine spinale antérieure accompagne toujours l’artère spinale antérieure et reçoit des afférences de petites veines sulcales.9 Les veines spinales antérieures et postérieures se drainent dans les veines radiculaires qui accompagnent les artères et les racines rachidiennes. Les veines radiculaires les plus basses se drainent dans les plexus paravertébraux et intervertébraux puis dans les plexus veineux du pelvis et dans les veines pelviennes.9 Les veines radiculaires hautes se drainent dans les veines azygos et pour les plus hautes dans les veines de la fosse postérieure.9

Infarctus artériels médullaires Les infarctus médullaires sont plus fréquents aux niveaux dorsolombaire et sacré. Différents types d’infarctus médullaires sont décrits selon l’artère concernée, l’extension en hauteur et en profondeur, et les modalités évolutives. Les accidents ischémiques médullaires sont le plus souvent constitués mais, comme pour le cerveau, il peut s’agir d’accidents transitoires.7

Symptomatologie clinique Accidents ischémiques transitoires médullaires Leur sémiologie est variable selon le territoire de l’ischémie. Il peut s’agir d’une para- ou tétraplégie, de paresthésies des membres inférieurs, ou d’une ataxie proprioceptive. La valeur sémiologique de tels accidents est mal connue. Il faut cependant noter que dans la série de Cheshire,7 aucun des 40 cas d’infarctus médullaire n’avait été précédé de manifestations transitoires. Leur principal diagnostic différentiel est la symptomatologie médullaire transitoire des fistules durales à drainage veineux périmédullaire.

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Figure 1 Infarctus totaux du territoire de l’artère spinale antérieure ; séquences sagittales en pondération T2 : infarctus cervical C4-C7 (A), infarctus du cône terminal (B).

Infarctus transverses totaux de la moelle Le déficit neurologique apparaît brutalement, sous forme d’une paraplégie ou d’une quadriplégie flasque aiguë, massive, associée à des troubles sphinctériens et à une anesthésie complète sous le niveau de l’infarctus. La limite supérieure de l’anesthésie est habituellement nette, mais il peut exister audessus une bande d’hypoesthésie relative. Le pronostic fonctionnel est mauvais. Ce type d’infarctus peut être lié à des occlusions multiples d’origine embolique12,13 ou à l’occlusion d’une afférence donnant naissance, au même niveau, à deux artères radiculomédullaires alimentant l’une l’artère spinale antérieure et l’autre le réseau spinal postérieur. Infarctus du territoire de l’artère spinale antérieure Infarctus totaux du territoire spinal antérieur (Fig. 1) Il s’agit de la variété la plus fréquente des infarctus médullaires. Ils sont le plus souvent dorsolombaires, dans le territoire de l’artère d’Adamkiewicz.7,8 Le début est habituellement brutal, souvent marqué par des douleurs aiguës qui précèdent l’installation du déficit neurologique, mais parfois l’aggravation se fait en quelques heures, progressivement ou en « marche d’escalier ». En cas d’infarctus dans le territoire de l’artère d’Adamkiewicz, le déficit neurologique consiste en une paraplégie flasque associée à des troubles

D. Leys et al. sphinctériens précoces, de type rétentionnel. Les troubles sensitifs sont dissociés, avec dans le territoire sous-lésionnel une anesthésie à la douleur et à la température, les autres modalités sensitives restant classiquement normales. Néanmoins, un infarctus dans le territoire de l’artère spinale antérieure peut entraîner un trouble du sens de position et de la sensibilité vibratoire8 car l’artère spinale antérieure vascularise la partie profonde des cordons postérieurs. Il existe parfois une amyotrophie précoce des membres inférieurs, liée à l’atteinte des cornes antérieures lorsque le syndrome lésionnel est étendu. La moelle sacrée est parfois épargnée lorsqu’il existe une afférence sacrée destinée au cône terminal. À l’inverse, l’occlusion de cette artère peut être responsable d’un infarctus isolé du cône terminal se traduisant par des troubles sphinctériens, des troubles sensitifs dans le territoire des racines sacrées et un déficit moteur distal des membres inférieurs avec une aréflexie achilléenne. Les infarctus du territoire de l’artère spinale antérieure de siège cervical sont responsables d’une tétraplégie avec, en cas d’atteinte cervicale haute, la possibilité de troubles respiratoires.14 Une amyotrophie des membres supérieurs liée à l’atteinte des cornes antérieures est fréquente et les troubles sensitifs sous-lésionnels sont du même type que dans les infarctus dorsolombaires.14 Infarctus partiels du territoire de l’artère spinale antérieure (Fig. 2) Les infarctus limités au territoire central (territoire des artères sulcocommissurales) de l’artère spinale antérieure sont le plus souvent bilatéraux15 et responsables, sur les coupes axiales d’imagerie par résonance magnétique (IRM), d’un aspect d’« yeux de hiboux » ou d’« yeux de serpent ».16,17 Ils peuvent être unilatéraux en cas de naissance séparée des artères sulcocommissurales.18 De siège cervical ou dorsolombaire, la lésion s’étend sur plusieurs segments médullaires et intéresse principalement les cornes antérieures. Lorsque la lésion est cervicale, le déficit moteur siège aux membres supérieurs, où il est le plus souvent à prédominance distale.16 Un déficit moteur proximal des membres supérieurs est possible, réalisant un syndrome de « l’homme dans un tonneau ».17 Ce déficit moteur est associé à une abolition des réflexes ostéotendineux et à une amyotrophie proximale et s’accompagne généralement de douleurs.17 Dans un cas où la lésion unilatérale du territoire central intéressait la région dorsolombaire, un déficit sensitif thermoalgique associé au déficit moteur du membre inférieur a été mentionné, du côté de la lésion, probablement par atteinte de la corne postérieure.18

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167 que est très variable en raison des réseaux anastomotiques complexes qui sont situés dans cette région.1 La plupart de ces infarctus sont bilatéraux.36 Ils sont alors essentiellement responsables de troubles sensitifs à type de paresthésies et d’une abolition de la sensibilité vibratoire dans le territoire sous-lésionnel. Cependant une paraparésie par atteinte des faisceaux pyramidaux est possible. Plus rarement, les infarctus dans le territoire de l’artère spinale postérieure sont unilatéraux. Ils peuvent alors donner lieu à un syndrome de Brown-Séquard partiel, respectant la sensibilité thermoalgique,37,38 ou complet en cas d’extension de l’infarctus au faisceau spinothalamique.20 Le cas rapporté par de la Sayette correspondait probablement à un infarctus spinal postérieur de jonction dans le territoire superficiel de niveau C2.39 Son originalité était de s’accompagner d’un tableau d’algie vasculaire de la face ipsilatéral, qui s’expliquerait par une atteinte des voies sympathiques centrales.39

Figure 2 Infarctus partiels du territoire de l’artère spinale antérieure ; séquences axiales en pondération T2 : hyperintensité strictement localisée dans la substance grise (A) ou prédominant dans la substance grise antérieure (B).

L’infarctus peut aussi être limité à une hémimoelle dans deux cas : • artères spinales antérieures doubles vascularisant chacune une hémimoelle ; • vascularisation alternante droite-gauche de chaque hémimoelle par des artères sulcales qui ne bifurquent pas au niveau de la ligne médiane.19 Ces infarctus unilatéraux sont responsables d’un syndrome de Brown-Séquard, souvent incomplet par l’absence de troubles sensitifs proprioceptifs.20 Infarctus du territoire spinal postérieur (Fig. 3) En raison des multiples afférences alimentant les artères spinales postérieures, les infarctus de ce territoire sont rares.21–24 Très peu de cas avaient été décrits avant l’IRM.21,25,26 Malgré la rareté de ce syndrome, Kaneki23 a rapporté un cas documenté par IRM et a colligé 29 cas dans la littérature.24–35 Ce type d’infarctus concerne le tiers postérieur de la moelle et implique la partie la plus superficielle des cordons postérieurs, la tête des cornes postérieures et la partie la plus postérieure du cordon latéral de la moelle. La sémiologie clini-

Infarctus centromédullaires (Fig. 4) La substance grise centromédullaire est très sensible à l’ischémie. Les infarctus centromédullaires épargnent la substance blanche périphérique, et sont situés profondément dans la partie juxtacommissurale des cordons postérieurs. Ils peuvent être isolés ou représenter l’extension vers le haut d’un infarctus transverse total.40 Ils sont habituellement la conséquence d’une défaillance hémodynamique : arrêt cardiaque,40 rétrécissement mitral,41 hypotension artérielle prolongée.42 Un infarctus centromédullaire peut aussi être observé dans des lésions épidurales néoplasiques,26 ou après un traumatisme médullaire.43 Certains pourraient aussi avoir une origine veineuse.43

Diagnostic Il faut d’une part affirmer l’existence d’un infarctus médullaire, et d’autre part déterminer quelle en est la cause. Visualisation de l’infarctus médullaire Dans la mesure du possible, le diagnostic d’infarctus médullaire ne doit pas être un diagnostic d’élimination, mais doit être affirmé sur la base d’un tableau clinique évocateur et d’une IRM. Signes directs Le début brutal du déficit neurologique nécessite une IRM en urgence. Les caractéristiques des infarctus médullaires sont proches de celles des infarctus cérébraux. Le diagnostic est facilité par les IRM de dernière génération, avec champ élevé, matrice 512, et antenne en réseau phasé.23

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D. Leys et al.

Figure 3 Infarctus du territoire de l’artère spinale postérieure ; séquence sagittale (A) et axiale (B) en pondération T2, séquence axiale en pondération T1 après injection (C) : hypersignal intéressant à droite le cordon postérieur et la substance blanche adjacente et à gauche uniquement la substance blanche postérieure. Rehaussement traduisant une rupture de la barrière hématomédullaire latéralisé dans la partie postérolatérale droite du cordon.

Figure 4 Infarctus centromédullaire : séquences sagittale (A) et axiale (B) en pondération T2 : hypersignal thoracodorsal intéressant toute la substance grise épargnant la substance blanche périphérique.

À la phase aiguë, l’infarctus médullaire peut passer inaperçu car la lésion est iso-intense en séquences T1, et l’hyperintensité en T2 n’est détectable qu’à partir de la 6e heure.44 Avant la 6e heure, l’infarctus n’est pas visible mais l’intérêt de

l’IRM est déjà d’écarter d’autres causes de syndrome médullaire aigu. Toutefois, les séquences de diffusion peuvent mettre en évidence l’ischémie médullaire de façon très précoce, avec le même profil évolutif que dans les ischémies cérébrales.44 Le diagnostic différentiel est facile avec les hématomyélies et les compressions médullaires aiguës, mais à ce stade il est souvent difficile avec les myélites. Sont en faveur d’un infarctus médullaire plus que d’une myélite en IRM : une lésion de la partie antérieure de la moelle, une lésion unique, sans autre anomalie y compris cérébrale, un infarctus associé du corps vertébral, et une prise de contraste de la substance grise. Quelques jours à quelques semaines après le début, l’œdème s’aggrave et entraîne l’apparition d’un hyposignal en séquences pondérées en T1, et d’un hypersignal franc avec une augmentation de calibre de la moelle sur les coupes sagittales6 et axiales centrées sur la lésion. Cet hyposignal, très discret au début, devient plus facilement détectable après quelques jours au sein d’une moelle de calibre augmenté. L’imagerie T2 est plus sensible. Elle retrouve un hypersignal sur les coupes sagittales à partir desquelles on réalise des coupes axiales qui permettent la détermination du territoire artériel concerné. Une prise de contraste, traduisant une rupture de la barrière hématomédullaire, peut être observée.45 L’aspect radiologique peut être difficile à différencier de celui observé dans les

Infarctus médullaires myélites ou certaines tumeurs intramédullaires. La plupart des lésions intramédullaires donnent en effet un signal d’intensité faible ou intermédiaire sur les séquences pondérées en T1 et un signal plus élevé sur les séquences pondérées en T2. Ces caractéristiques ne sont cependant pas spécifiques et peuvent signifier la présence d’un œdème, d’une gliose, d’une démyélinisation. Quelques mois ou années plus tard, une atrophie focale de la moelle peut être observée, ainsi qu’une cavité intramédullaire séquellaire. Signes indirects Un signe indirect précieux est l’existence d’un infarctus d’un corps vertébral.46 Ce signe permet d’apporter des arguments en faveur de l’origine ischémique d’un syndrome médullaire aigu quand le parenchyme apparaît normal : il se manifeste le plus souvent par un hypersignal T2 du corps de la vertèbre.46 Recherche de la cause de l’infarctus médullaire Ponction lombaire Elle n’est pas nécessaire dans tous les cas et ne doit pas être faite avant l’IRM, mais elle est utile pour écarter d’autres diagnostics (myélite) et mettre en évidence des modifications évocatrices de certaines étiologies infectieuses ou néoplasiques. Indépendamment de la cause, le liquide cérébrospinal est habituellement normal ou met en évidence de façon non spécifique une légère hyperprotéinorachie, une légère hypercytose ou les deux. Imagerie aortique (échographie, échocardiographie transœsophagienne, scanner et IRM) Ils permettent de dépister un anévrisme ou une dissection de l’aorte. Angiographie médullaire Il s’agit d’une méthode invasive qui ne modifie généralement pas la prise en charge des patients, et d’autant plus rarement indiquée face à un infarctus médullaire que l’exploration de la plupart des gros axes artériels est maintenant possible de façon non invasive. Elle peut parfois révéler un athérome de l’ostium de l’artère lombaire donnant naissance à l’artère d’Adamkiewicz. Des signes indirects d’ischémie peuvent être mis en évidence en angiographie sous forme d’un réseau de suppléance périmédullaire.

Étiologies d’infarctus médullaire La plupart des infarctus médullaires sont la conséquence d’une affection touchant une artère de gros

169 ou moyen calibre, habituellement l’aorte. Ils sont beaucoup plus rarement dus à une embolie ou à une affection intrinsèque des petites artères intramédullaires. Malgré les progrès des méthodes d’investigation, il est fréquent de ne pas identifier de cause. Affections de l’aorte Athérome aortique Les lésions athéromateuses responsables des accidents ischémiques médullaires ne siègent habituellement pas sur le réseau artériel périmédullaire mais sur l’aorte et ses branches d’où naissent les artères radiculaires. Les lésions athéromateuses peuvent intéresser l’origine des artères intercostales ou lombaires ainsi que les troncs supraaortiques, et en aval les artères cervicales et vertébrales. Une occlusion aortique peut être responsable d’un infarctus médullaire sans signe clinique d’ischémie des membres inférieurs.47 Une paraparésie chronique est parfois liée au retentissement vasculaire sur la moelle d’un athérome sévère de l’aorte.48 L’ischémie médullaire peut alors s’installer de façon progressive et insidieuse dans le territoire de l’artère spinale antérieure, et être confondue avec une affection dégénérative du motoneurone, parce que l’ischémie est limitée aux cornes antérieures et aux faisceaux pyramidaux. Habituellement, les cordons postérieurs sont épargnés et la sensibilité profonde reste normale. Dissection de l’aorte Dans les dissections aortiques, une hémorragie survient au sein de la média de l’aorte aboutissant à la formation d’un double chenal. La vraie lumière de l’aorte est toujours rétrécie à des degrés divers. La dissection peut s’étendre vers le haut ou vers le bas, concerner le tronc artériel brachiocéphalique, la carotide primitive gauche et les artères fémorales. La dissection peut s’étendre vers les orifices des artères intercostales et lombaires qui contribuent à la vascularisation médullaire. Elle peut aussi comprimer les artères intercostales et lombaires, et rétrécir leur lumière. Les dissections aortiques surviennent, soit sur un athérome aortique, soit sur une maladie de Marfan. L’incidence peut être sous-estimée car certains patients décèdent de leur dissection aortique avant l’installation du déficit neurologique.48 La plupart des patients ont un tableau d’infarctus médullaire transverse total, thoracique moyen ou bas, cette région étant habituellement vascularisée par des branches spinales des artères intercostales.49 La moelle cervicale est rarement impliquée car sa vascularisation

170 est assurée par des branches de l’artère vertébrale. Une récupération complète d’infarctus médullaire au décours d’une dissection aortique est exceptionnelle. Coarctations de l’aorte Les coarctations de l’aorte sont des sténoses congénitales de l’isthme aortique localisées entre l’origine de l’artère sous-clavière gauche et le canal artériel. Dans le type infantile, il existe une oblitération étendue de l’ensemble de l’isthme aortique. Le type adulte est caractérisé par un petit segment de rétrécissement qui peut être localisé en amont, en aval ou au niveau de l’origine sous-clavière gauche. Après fermeture du canal artériel, un réseau anastomotique important se développe entre les artères qui naissent en amont et en aval de la coarctation. Dans les coarctations situées en aval de l’origine de l’artère sous-clavière, les artères spinales font partie du réseau collatéral : le sang contourne alors la coarctation en passant par le réseau de suppléance qui comprend l’artère spinale antérieure, et atteint ainsi les branches spinales des artères intercostales qui naissent sous la coarctation. Le réseau de suppléance débute au niveau des artères sous-clavières, via les artères vertébrales et la partie supérieure des artères spinales antérieures, et des branches cervicales profondes descendantes du tronc thyro-bicervico-scapulaire vers les artères radiculaires les plus hautes. Habituellement, le calibre de l’artère spinale antérieure est augmenté, ce qui peut être source d’une compression. La pression artérielle systolique dans ces artères est plus élevée. Les infarctus médullaires peuvent avoir deux origines : une hypovascularisation de la partie caudale de la moelle par vol sanguin, ou des modifications morphologiques des artères médullaires sous l’effet de l’hypertension artérielle. Des anévrismes peuvent même être observés au niveau de l’artère spinale antérieure et être responsables d’hémorragies sous-arachnoïdiennes spinales.50–52 Un déficit moteur ou sensitif des membres inférieurs, parfois accompagné de troubles sphinctériens, peut être observé.53 Cette symptomatologie est parfois déclenchée par l’effort. Une claudication neurologique intermittente peut être attribuée à un vol sanguin à partir de l’artère spinale antérieure qui contribue à la circulation collatérale au niveau de la moelle dorsale.54 Une myélopathie cervicale ou dorsale peut aussi être observée chez des patients présentant une coarctation de l’aorte et être attribuée à la compression de la moelle par un réseau de collatérales développé. Cette circulation collatérale a pu être visualisée sur certaines angiographies sélectives55 ou à l’autopsie.56 Ces collatérales siègent habituel-

D. Leys et al. lement à la face antérieure de la moelle entre C6 et D4 et se développent principalement aux dépens de l’artère spinale antérieure. Accidents des gestes de radiologie diagnostique et interventionnelle Les premières complications de la radiologie diagnostique et interventionnelle ont été rapportées aux décours d’aortographies et d’embolisation d’artères rénales.57 Les facteurs responsables des infarctus médullaires sont la concentration de produit de contraste au sein des vaisseaux médullaires pendant l’angiographie, la durée d’exposition au produit de contraste, la pression de perfusion du produit, les embolies cruoriques, et l’injection de matériaux d’embolisation. Ces infarctus médullaires peuvent survenir lors du traitement de malformations artérioveineuses de la moelle,58 de tumeurs rénales, de fistules artérioveineuses pulmonaires, d’hémoptysies et d’anesthésies péridurales.18 Chirurgie aortique La chirurgie aortique peut favoriser la survenue d’infarctus médullaires : greffe au niveau de la crosse de l’aorte, de l’aorte thoracique ou abdominale, clampage prolongé de l’aorte.6,59 Le risque de paraplégie est de 5 % environ dans la chirurgie aortique et peut s’élever à 30 % dans la cure d’anévrismes étendus intéressant toute l’aorte thoracique descendante et l’aorte abdominale.60 La sévérité des déficits neurologiques varie selon les modifications anatomiques individuelles dans la vascularisation médullaire. Le monitoring peropératoire par potentiels évoqués somesthésiques peut permettre de dépister les premiers signes d’ischémie médullaire.61 Chez l’animal, quelques thérapeutiques préventives ont fait preuve d’une certaine efficacité, sans doute par effet neuroprotecteur, pour réduire les conséquences médullaires de l’occlusion aortique.57 Chez l’homme, aucune technique prise isolément a fait preuve d’une efficacité dans la prévention de l’ischémie médullaire peropératoire.59 Occlusions des artères vertébrales Les lésions des artères vertébrales, athéroscléreuses ou par dissection peuvent être responsables d’infarctus de la moelle cervicale. La dissection de l’artère vertébrale est parfois bilatérale,62 mais plusieurs cas d’infarctus médullaire ont été décrits après occlusion unilatérale d’une artère vertébrale.63,64 Occlusions des artères intercostales et lombaires Des infarctus médullaires peuvent survenir après occlusion d’une artère intercostale alimentant l’ar-

Infarctus médullaires tère spinale antérieure. De telles occlusions ont été rapportées après résection costale, thoracoplastie, pneumonectomie, sympathectomie et certains gestes orthopédiques rachidiens extensifs. Occlusions primitives des artères spinales et intramédullaires Les causes d’occlusion primitive d’artères spinales, antérieures ou postérieures, sont nombreuses : • pathologies infectieuses : syphilis, tuberculose, zona, méningite fongique, maladie de Lyme (l’analyse du liquide cérébrospinal permet le diagnostic de ces affections) ; • pathologies inflammatoires : sarcoïdose, angéite granulomateuse isolée de la moelle,65 artérite gigantocellulaire,66 lupus, panartérite noueuse, maladie de Sjögren, maladie rhumatoïde et radiothérapie ;66–68 • pathologies hématologiques : drépanocytose, antiphospholipides, mutation du gène de la prothrombine ; • injections intrathécales (phénol, antibiotiques). Défaillance hémodynamique aiguë Un infarctus médullaire peut être observé après une hypotension sévère et prolongée,42 lors d’un choc ou d’un arrêt cardiaque, d’un geste de chirurgie cardiaque ou vasculaire, d’un infarctus du myocarde ou de troubles de conduction.41 La plupart des infarctus médullaires hémodynamiques étaient classiquement localisés en D4 dans la zone frontière, mais cette notion classique est actuellement discutée et la localisation la plus fréquente est dorsolombaire.69 Un infarctus médullaire isolé après une défaillance hémodynamique systémique est exceptionnel : dans la plupart des cas l’infarctus médullaire est au second plan derrière les manifestations d’anoxie cérébrale. Embolies dans les artères spinales Certains infarctus médullaires peuvent être dus à des causes cardioemboliques1,41 comme les endocardites bactériennes, le myxome de l’oreillette, les infarctus du myocarde, l’endocardite néoplasique et toutes affections susceptibles d’entraîner l’embolie de particules suffisamment petites pour pouvoir pénétrer au sein des artères radiculaires ou spinales.1,70,71 Des embolies de cholestérol sont une autre cause potentielle d’infarctus médullaires.72 Quelques affections chroniques de la moelle chez le sujet âgé sont attribuées à la répétition d’embolies dans les vaisseaux médullaires. La maladie du caisson est caractérisée par la formation de microbulles gazeuses au sein des vaisseaux spinaux, mais ces microbulles surviennent plus souvent dans la circulation veineuse. Une autre source

171 potentielle est l’embolie d’un fragment de disque intervertébral.73–76 Un peu plus de 30 cas sont rapportés dans la littérature, généralement après autopsie.76 Des fragments de nucleus pulposus peuvent pénétrer la circulation artérielle médullaire par l’intermédiaire d’une brèche formée dans une artère radiculaire adjacente après rupture du disque. Une élévation de pression dans le disque favorise la pénétration du nucleus pulposus dans les petits vaisseaux. La pénétration dans une veine peut être due à l’extrusion de ce matériel discal dans un sinus veineux avoisinant : le premier cas fut rapporté chez un enfant de dix ans qui décéda quelques heures après un traumatisme mineur.73 Cette pathologie a une nette prédilection pour les femmes et peut survenir à tout âge. La plupart des cas surviennent après un traumatisme mineur, un mouvement brutal de la nuque. Le tableau clinique débute habituellement par une douleur cervicale ou dorsale haute, rarement de type radiculaire. Le pronostic fonctionnel est mauvais. Au niveau lombaire, ce mécanisme a pu être rendu responsable de certains infarctus du cône terminal. L’IRM peut ne pas montrer de hernie et cette étiologie peut donc rester méconnue. À l’autopsie, l’existence de matériel embolique de composition histochimique identique à celle du fibrocartilage est découvert dans les artères ou les veines médullaires, parfois les deux. Compressions médullaires Toute compression médullaire peut entraîner un infarctus par occlusion des vaisseaux contribuant à la vascularisation médullaire, expliquant la décompensation brutale observée au cours de l’évolution d’une compression médullaire. De tels syndromes ont été décrits dans des méningiomes, des métastases, des traumatismes, la maladie de Paget, et même dans certaines cyphoscolioses sévères.

Traitement Indépendamment du traitement de la cause, le traitement des infarctus médullaires est symptomatique : • attention toute particulière envers les soins cutanés destinés à prévenir les escarres ; • soins sphinctériens à la phase aiguë afin d’éviter les phénomènes infectieux : sondages intermittents ; • la rééducation est la base du traitement chez ces patients ; • les thérapeutiques médicamenteuses ou non médicamenteuses ayant pour but de limiter l’extension de l’infarctus médullaire n’ont jamais fait l’objet d’essais randomisés (hypother-

172 mie, agents anesthésiques, inhibiteurs calciques, antagonistes du récepteur N-méthyl-Daspartate (NMDA), piégeurs de radicaux libres, doses élevées de corticoïdes).77

D. Leys et al. spécifique du calibre de la moelle qui peut simuler une tumeur ou une myélite.82 Le liquide cérébrospinal est souvent normal ou s’accompagne d’une légère hyper protéinorachie et une légère hypercytose non spécifiques.

Évolution Étiologies Le pronostic des infarctus médullaires reste sévère. La mortalité en phase aiguë est d’environ 20 % et des séquelles sévères sont présentes chez 50 à 60 % des patients.8,78 Ces séquelles sont particulièrement fréquentes chez les patients qui ont un infarctus dans le territoire de l’artère d’Adamkiewicz en raison de la persistance de troubles sphinctériens et d’une paraplégie flasque avec amyotrophie liée à l’atteinte des cornes antérieures. L’étude française8 a montré que l’absence de troubles proprioceptifs, le caractère incomplet de la paraplégie, et l’absence de troubles sphinctériens en phase aiguë étaient des facteurs de bon pronostic. Les séquelles douloureuses sont fréquentes et leur présence est indépendante du degré de récupération motrice et sphinctérienne.2,8,78 Ces douleurs résiduelles sont décrites comme une sensation de coupure, de piqûre ou de brûlure dans le territoire sous-lésionnel. Elles peuvent interférer avec les activités quotidiennes et favoriser la survenue de symptômes dépressifs.8

Les causes les plus fréquentes d’infarctus veineux de la moelle sont : • les malformations artérioveineuses médullaires et durales ; • les thrombophilies congénitales ou acquises ; • les compressions par des tumeurs extramédullaires ; • les accidents de décompression. Ils entraînent la formation de microbulles d’azote dans la circulation veineuse après une décompression trop rapide. Elles peuvent entraîner une paraplégie par infarctus veineux ; • la sclérose ou la ligature endoscopique de varices œsophagiennes.83

Traitement Aucun traitement n’a été testé à ce jour. L’héparine est habituellement recommandée, ne serait-ce que pour réduire l’extension de la thrombose veineuse.82

Infarctus veineux médullaires

Anatomopathologie

Des infarctus médullaires ont été rapportés au cours de thromboses veineuses médullaires.26,79–81

À l’autopsie, les veines médullaires sont distendues et sont le siège d’une thrombose extensive. L’origine de la thrombose veineuse peut être située dans l’espace épidural, le pelvis ou l’abdomen. La moelle est le siège de nécrose hémorragique, en particulier dans sa partie centrale et postérieure drainée par les veines latérales et postérieures. La survenue de modifications hémorragiques au sein de l’infarctus est plus fréquente qu’au cours des infarctus artériels, de même que l’extension de l’infarctus en hauteur.82

Étude clinique et radiologique Les infarctus veineux de la moelle ont une installation rapide et débutent par des douleurs dorsales ou abdominales irradiant vers les membres inférieurs, suivies en quelques heures d’un déficit sensitivomoteur des membres inférieurs et de troubles sphinctériens.26,79–81 La progression du déficit neurologique est rapide, aboutissant souvent à un handicap sévère. Le pronostic est sombre, mais le plus souvent en raison de l’affection causale. Il est probable que des formes bénignes de thrombose veineuse médullaire existent et restent méconnues.82 Occasionnellement, les thromboses veineuses médullaires peuvent se manifester par un tableau plus progressif évoluant sur quelques semaines, lié probablement à l’extension progressive de la thrombose veineuse. Cette manifestation peut être trompeuse et confondue avec celle d’une fistule durale à drainage veineux périmédullaire.82 L’IRM montre habituellement un élargissement non

Conclusion Bien que les accidents vasculaires médullaires soient rares, ils font l’objet d’un intérêt croissant depuis quelques années. Cet intérêt s’explique par les possibilités actuelles de visualiser l’infarctus médullaire, et aussi par le fait que les progrès considérables de la radiologie interventionnelle et de la chirurgie vasculaire s’accompagnent malheureusement parfois de complications médullaires iatrogènes.

Infarctus médullaires

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