Infections émergentes ou ré-émergentes utilisables pour le bioterrorisme

Infections émergentes ou ré-émergentes utilisables pour le bioterrorisme

Presse Med 2005; 34: 149-55 M © 2005, Masson, Paris I S E A U P O I N T Bioterrorisme/Maladies infectieuses Philippe Bossi Amélie Guihot Franço...

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Presse Med 2005; 34: 149-55

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© 2005, Masson, Paris

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Bioterrorisme/Maladies infectieuses

Philippe Bossi Amélie Guihot François Bricaire

Service de maladies infectieuses et tropicales, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris (75)

Correspondance: Philippe Bossi, Service de maladies infectieuses et tropicales, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris Tél.: 01 42 16 01 01 Fax: 01 42 16 01 65 [email protected]

Infections émergentes ou ré-émergentes utilisables pour le bioterrorisme

Key points

Points essentiels

Emerging or re-emerging infections that can be used for bioterrorism

• Une utilisation à des fins hostiles Le bioterrorisme est une éventualité parfaitement envisageable. Il est défini par l'utilisation intentionnelle, ou la menace d'emploi, d'organismes vivants quelle que soit leur nature, ou de substances dérivées de ces organismes, avec pour objectif de provoquer une maladie ou la mort de l’homme, d’animaux ou de plantes. • Des plans de lutte réactualisés Plus de 180 agents infectieux pourraient être utilisés à des fins terroristes. L'actualité récente de ce début de XXIe siècle a permis de réactiver et surtout de réactualiser les plans de lutte contre un tel acte. Des recommandations cliniques et thérapeutiques ont été émises par de nombreux pays. • Des infections à bien connaître Le rôle des médecins dans la reconnaissance rapide des infections liées au bioterrorisme apparaît fondamental. Une réactualisation des connaissances sur ces infections potentiellement émergentes ou ré-émergentes est donc nécessaire.

• Used for warfare Bioterrorism is a perfectly foreseeable eventuality. It is defined by the intentional use, or menace of use, of living organisms whatever their nature, or of substances derived from these organisms, aimed at provoking a disease or the death of human beings, animals or plants. • Updated counteracting strategies More than 180 infectious agents could be used for terrorist ends. The recent events in the dawn of this twenty-first century have reactivated and notably updated the strategies to counteract such an event. Clinical and therapeutic guidelines have been circulated in many countries. •Infections that require recognition The role of practitioners in the rapid recognition of bioterrorism-related infections is crucial. Hence, updated knowledge on these potentially emerging or reemerging infections is required. P. Bossi, A. Guihot, F. Bricaire Presse Med 2005; 34: 149-55 © 2005, Masson, Paris

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e bioterrorisme est défini par l'utilisation intentionnelle ou la menace d’emploi d’organismes vivants quelle que soit leur nature, ou de substances dérivées de ces organismes,utilisés à des fins hostiles,et dont l’objectif est de provoquer une maladie ou la mort chez l’homme, les animaux ou les plantes. Les agents infectieux potentiellement utilisables sont des bactéries et des virus, voire des parasites, des champignons ou des toxines. Ces dernières peuvent émaner d’agents infectieux ou de plantes. Le bioterrorisme appartient au groupe de risques appelés “NBC” pour nucléaire, biologique et chimique. Une attaque nucléaire ou chimique est caractérisée par la survenue brutale d’un événement limité dans le temps, responsable d’une morbidité et d’une mortalité immédiate. Un acte biologique peut être plus difficile à identifier initialement, car responsable de quelques cas d’infections seulement.La mortalité et la morbidité liées à un tel acte sont réparties dans le temps et potentiellement prolongées,d’autant plus que l’agent infectieux utilisé est transmissible de façon inter-humaine. Enfin, la durée des

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conséquences d’un acte bioterroriste pourrait être longue, en l’absence de mesures prises rapidement.

Historique L’utilisation d’agents biologiques comme arme de guerre existe depuis de nombreux siècles et a jalonné l’histoire des conflits internationaux.En 1346 déjà,Yersinia pestis, l’agent de la peste, était utilisé comme arme de guerre. Lors du siège de la ville de Caffa tenue par les Génois, les Tatars projetaient derrière les fortifications les cadavres de leurs propres compagnons morts de la peste bubonique. Cet acte a été a l’origine de la seconde grande pandémie de peste appelée peste noire, qui a 1,2 provoqué la mort 20 à 30 millions d’Européens . En 1763, les Anglais ont utilisé contre les Français des 3 couvertures infectées par le virus de la variole . Au e XX siècle, la meilleure connaissance des agents infectieux a permis d’étudier et de fabriquer des armes contenant des agents biologiques. Lors de la première guerre mondiale, les Allemands auraient utilisé les agents de la La Presse Médicale - 149

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maladie du charbon et de la morve, Bacillus anthracis et Burkholderia mallei,afin d’infecter les animaux affectés au transport des troupes et de matériel des armées ennemies (Roumanie, Russie, France, etc.). Au cours de la seconde guerre mondiale, plusieurs pays auraient étudié des agents infectieux dans un but guerrier. Les Japonais ont mené des recherches intensives sur la fabrication d’armes biologiques de 1932 à 1945. Plus de 3000 chercheurs de l’Unité 731 travaillaient sur ce programme.Au moins 12 agents infectieux ont été testés sur des prisonniers de guerre.Des armes biologiques auraient été utilisées sur au moins 11 villes chinoises en contaminant l’alimentation, l’eau, ou par aérosolisation à partir d’avions. On estime que plusieurs milliers de Chinois auraient été tués par l’utilisation d’armes biologiques. Par la suite, de nombreux pays ont étudié, développé et produit des armes biologiques. En avril 1979, l’aérosolisation accidentelle de spores de B. anthracis a été rapportée dans un laboratoire militaire de Sverdlovsk en Russie: 79 personnes ont eu une forme inhalée de la 4 maladie du charbon et 68 d’entre elles sont décédées . Des cas de contamination animale ont été rapportés à plus de 50 km de distance de ce laboratoire. En 1972, la convention de Genève a interdit l’étude, le développement, la production et le stockage d’armes biologiques.Les 140 pays qui ont ratifié cette convention se sont engagés à détruire leurs éventuels stocks.Cependant, cette convention n’a pas permis de stopper les actes bioterroristes isolés.Avant d’utiliser du gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995, la secte japonaise Aum Shinrikyo avait vainement entrepris à plusieurs reprises d’aérosoliser des spores de la maladie du charbon, des bactéries de la fièvre Q et de la toxine botulique sur différentes villes du Japon et sur des bases américaines.Ses membres auraient même tenté en vain de se procurer le virus Ebola. De façon plus récente, en octobre 2001 aux États-Unis, l’envoi par courrier de lettres contenant des spores de B. anthracis a été responsable de 22 cas de maladie du charbon. Il y a eu 11 cas confirmés de forme inhalée, 7 5,6 cas confirmés et 4 suspectés de forme cutanée . Ce dernier acte criminel a permis de réactiver l’ensemble des structures dédiées au risque de bioterrorisme, aussi bien aux États-Unis qu’en France, et dans de 7 nombreux pays appartenant au G7 .

Critères d’efficacité des agents infectieux Pour être efficaces,les agents infectieux utilisés au cours d’un acte bioterroriste doivent répondre à un certain nombre de critères. • Les agents, si possible des souches virulentes, doivent être à la disposition d’un groupe terroriste ou 150 - La Presse Médicale

d’un État.Il est habituel pour les laboratoires d’acheter ou d’échanger des souches d’agents biologiques dans un but scientifique.Il paraît envisageable que certains laboratoires privilégient l’aspect terroriste par rapport à l’aspect scientifique. Des experts en bioterrorisme pensent également que les échanges internationaux d’étudiants dans les laboratoires pourraient être à l’origine de la disparition d’un certain nombre de souches bactériennes ou virales au profil de laboratoires travaillant pour le bioterrorisme. À cet égard, il est à noter que des prélèvements contenant le virus de la variole ont été substitués du Centre de recherches militaires de virologie et de biotechnologies à Novosibirsk,en Russie,lors de l’effondrement de l’ex-bloc de l’URSS.Les échantillons n’ont jamais été retrouvés. • Les agents doivent pouvoir être produits en grande quantité. De ce fait, les laboratoires ayant à leur disposition une technologie avancée pour pouvoir éventuellement modifier génétiquement l’agent infectieux ont besoin d’une infrastructure importante et de scientifiques compétents. L’objectif des manipulations génétiques est de modifier la pathogénicité du micro-organisme,sa durée d’incubation,ses manifestations cliniques et sa susceptibilité aux différents antibiotiques. Ainsi, le développement du bioterrorisme à un échelon important ne peut être le fait, selon certains, que d’un terrorisme d’État.La fabrication clandestine d’armes biologiques est possible mais ne permet ni une production de masse, ni des manipulations génétiques complexes. • La virulence des agents ne doit pas être trop dangereuse pour ceux qui ont à les manier. • Les agents doivent pouvoir être facilement conditionnés afin d’être diffusés de façon fiable et efficace. • La voie d’introduction de l’agent infectieux doit permettre d’infecter un grand nombre de personnes. L’aérosolisation est la méthode de référence pour propager de façon optimale un agent biologique. Cependant,la mise au point de particules suffisamment petites pour être inhalées par l’homme,de l’ordre de 0,3 à 5 mm de diamètre, nécessite un matériel spécialisé, difficile à manipuler,et des microbiologistes expérimentés.Enfin,la mise au point de systèmes de dissémination est aussi très complexe. Les doses nécessaires pour infecter les hommes sont rapportées dans le tableau 1. De nombreux moyens de transport des aérosols peuvent être utilisés (camions, bateaux, missiles conventionnels ou de croisière, avions ou hélicoptères). L’efficacité des méthodes d’aérosolisation est aléatoire, puisqu’elle dépend de nombreux facteurs d’ordre climatique tels que la vitesse et la direction du vent, la température, le degré d’humidité, la pluie, l’indice ultraviolet ou la présence de nuages. Les contaminations aquatiques dans les pays industrialisés, sont difficilement envisageables en raison de l’im29 janvier 2005 • tome 34 • n°2 • cahier 2

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portance des infrastructures utilisées pour le traitement de l’eau. La présence de filtres à différentes étapes de purification, la chloration et la dilution importante rendent ce mode de contamination peu efficace et peu probable. De même, la contamination d’une chaîne alimentaire est difficile: elle n’aurait de plus qu’un effet local. Les nombreux contrôles imposés aux différentes étapes de cette chaîne limitent une contamination délibérée. • Les agents doivent être le plus toxique possible et s’associer à une grande morbidité, voire à une grande mortalité.Plus les agents sont toxiques,plus ils s’associent à une grande mortalité.L’intérêt d’une grande morbidité tient au fait qu’elle oblige à utiliser des structures d’urgence de façon plus importante qu’en cas de grande mortalité. • Les agents doivent, pour un impact maximal, être contagieux et transmissibles de façon interhumaine. Seule la peste pulmonaire, certains virus des fièvres hémorragiques et la variole, parmi les agents les plus dangereux, sont susceptibles d’être transmis par contact inter-humain. Pour ces agents, le temps d’incubation est important: plus l’incubation est longue, plus le délai diagnostique est élevé, plus les mesures d’isolement seront prises tardivement. Pour les agents non transmissibles de façon inter-humaine, l’incubation doit être courte, si possible connue et déterminée, afin d’infecter un maximum de personnes avant que le diagnostic ne soit porté. Les efforts technologiques pour obtenir un agent utilisable avec une bonne efficacité au cours d’un acte bioterroriste sont donc conséquents.

Agents infectieux Les différentes modélisations utilisées afin d’apprécier au mieux le bioterrorisme ont permis d’individualiser plus de 180 agents infectieux candidats (tableau 2).Pour la grande majorité de ces agents, des recommandations thérapeutiques ont été effectuées par de nombreux 8-10 pays . Nous rapportons les données concernant les agents les plus susceptibles d’être utilisés.

MALADIE DU CHARBON La maladie du charbon est une infection due à Bacillus anthracis.Elle atteint essentiellement les herbivores dans 11 les pays en voie de développement . Chez l’homme, la transmission s’effectue par contact avec un animal ou un produit animal infecté, ou par exposition directe à B. anthracis. Environ 2000 cas humains sont rapportés 11 annuellement dans le monde . B. anthracis représente l’un des principaux agents pouvant être utilisés à des fins bioterroristes:l’aérosolisation de 50 kg de spores sur une zone urbaine de 5 millions d’habitants pourrait contami12 ner 250000 personnes et provoquer 100000 décès .Les 29 janvier 2005 • tome 34 • n°2 • cahier 2

Tableau 1

Principales maladies potentiellement liées à l'utilisation délibérée d’un agent microbiologique ou toxinique Bactéries

Virus

Champignons

Charbon

Variole

Coccidioïdomycose Histoplasmose

Peste Tularémie Brucellose Fièvre Q et autres

Fièvres hémorragiques Encéphalites virales Grippe Fièvre à Monkey pox

Rickettsioses Morve et mélioïdose Choléra / shigellose / salmonellose Fièvres typhoïde et paratyphoïde Légionellose Méningite à méningocoque Diphtérie Tuberculose

5 spores de B. anthracis sont inodores et incolores . La dose minimale infectieuse est de l’ordre de 8000-50000 13 spores . La manifestation clinique la plus souvent observée chez 11 l’homme est la forme cutanée (95 %) .La forme inhalée serait cependant la plus fréquente au cours d’un acte bioterroriste, en rapport avec le mode respiratoire de contamination. Les formes gastro-intestinale et oropharyngée sont plus rares et surviennent après ingestion de spores contenus dans de la viande contaminée crue ou 14 mal cuite . Il n’y a pas de transmission inter-humaine et l’isolement du patient n’est pas nécessaire.Actuellement, la ciprofloxacine représente le traitement de première intention recommandé. L’amoxicilline et la doxycycline peuvent être utilisées lorsque leur sensibilité a été confirmée. Il est cependant préconisé d’associer un ou deux autres antibiotiques en cas de forme inhalée sévère (rifampicine, chloramphénicol, clindamycine, clarithromycine, érythromycine, gentamycine, streptomycine ou vanco9 mycine) .La durée du traitement pour une forme inhalée est de 60 jours. En cas de suspicion d’exposition à un aérosol de spores, un traitement prophylactique utilisant les mêmes antibiotiques doit être proposé et poursuivi jusqu’à ce que le risque ait été exclu. La durée du traitement est de 60 jours en cas de culture positive d’un prélèvement suspect.La précocité du traitement antibiotique réduirait de façon significative la mortalité. Un vaccin humain vivant inactivé existe aux États-Unis (souche atténuée de B. anthracis): couplé à un traitement antibiotique prophy-

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Bioterrorisme/Maladies infectieuses Tableau 2

Doses infectieuses des agents utilisables par aérosolisation10 Agents

Dose infectieuse par aérosolisation

Bacillus anthracis

8000-50000 spores

Brucella spp

10-100 organismes

Vibrio cholerae

50-100 organismes Quelques organismes

Burkholderia mallei

100-500 organismes

Yersinia pestis Francisella tularensis

10-50 organismes 1-10 organismes

Coxiella burnetti Variole

10-100 particules virales

Virus des encéphalites

10-100 particules virales

Virus des fièvres hémorragiques Toxine Clostridium botulinum

1-10 particules virales 0,001 g/kg pour la toxine A

lactique, il permettrait de réduire la durée de l’antibio15 thérapie (30 à 45 jours) . En France, seul un vaccin animal existe.

PESTE La peste, ayant pour agent Yersinia pestis, est observée de façon endémique dans certains pays d’Afrique,d’Asie, d’Amérique du Sud et dans certaines zones rurales du sud-ouest des États-Unis, principalement dans sa forme bubonique.Mille à 6000 cas de peste sont observés dans 16,17 .Les 3 principales formes clile monde chaque année niques de la peste sont les formes buboniques, pulmo17 naires,et septicémiques .La transmission inter-humaine, à partir de patients atteints de peste pulmonaire, est 16,17 . Les autres médiée par les gouttelettes respiratoires formes cliniques de la peste ne sont pas contagieuses. L’utilisation d’aérosol de Y. pestis s’accompagnerait d’un 1 nombre élevé de pestes pulmonaires .De plus,des infections secondaires à partir de rongeurs contaminés 18 seraient à redouter . Y.pestis est une bactérie fragile qui ne peut survivre dans l’environnement qu’une heure après libération de l’aérosol.La dose minimale infectieuse d’une pneumopathie 19 primitive serait de 100 à 20000 bactéries . Des estimations ont montré que 50 kg de Y. pestis aérosolisés sur une ville de 5 millions d’habitants serait responsable de 12 150000 pestes pulmonaires et de 36000 décès . En mai 2000, lors de l’exercice virtuel TOPOFF (“top officials”) réalisé aux États-Unis,une simulation d’aérosol de Y.pestis a été dispersé dans un musée de Denver (Performing Arts Center).Il a été estimé que le nombre de pneumonies primitives liées à la peste aurait été de 3700 à plus de 4000 cas et que le nombre de décès aurait varié 20 de 950 à plus de 2000 . En l’absence de traitement antibiotique,la mort survient en 2 à 3 jours. Lorsque le traitement antibiotique est 152 - La Presse Médicale

débuté tôt, la mortalité devient inférieure à 10 %. Les patients ayant une forme pulmonaire de l’infection doivent être isolés dans une chambre à pression négative 9 au moins les 3 premiers jours de l’antibiothérapie . Le traitement doit être débuté rapidement (gentamicine ou 9 streptomycine) .Les fluoroquinolones peuvent être prescrites en seconde intention. Le chloramphénicol doit être utilisé en cas de méningite. En cas de contact avec un patient ayant une forme pulmonaire de la peste (contact < 2 m) ou en cas de contact avec un aérosol suspect de contenir le bacille de la peste, la doxycycline ou la ciprofloxacine peuvent être prescrites pour 7 9 jours .Un vaccin cellulaire tué existe,mais son efficacité 21 paraît faible à l’égard des pneumonies primitives .

TULARÉMIE La tularémie est une anthropozoonose due à Francisella tularensis. C’est l’une des bactéries les plus infectantes: l’inoculation ou l’inhalation de 10 bactéries est suffisante 22,23 . Ces propriétés font de F. pour infecter un homme tularensis, principalement le biovar A, un agent susceptible d’être utilisé à des fins terroristes: l’aérosolisation de 50 kg d’une souche virulente de F.tularensis sur une ville de 5 millions d’habitants contaminerait 250000 per12 sonnes et provoquerait 19000 décès . La contamination volontaire de sources d’eau pourrait aussi être utilisée. Aucun cas de transmission interhumaine n’a jamais été observé. Les différentes présentations de la maladie sont ganglionnaires, pulmonaires, ulcéro-ganglionnaires, typhoïdes, oculo-ganglionnaires, 23 oropharyngées et septicémiques .La forme pulmonaire résulte habituellement de l’inhalation de bactéries aérosolisées (pneumonie primaire).Elle peut être secondaire à une bactériémie (pneumonie secondaire). En l’absence d’une antibiothérapie adaptée, la mortalité globale pour les infections dues au type A est de 8 % (extrêmes: 5 à 15 %). Elle est de 4 % pour la forme ulcéroganglionnaire et de 30 à 50 % pour les formes typhoïde, septicémique et pulmonaire. Lorsqu’une antibiothérapie adaptée est administrée, la mortalité est inférieure à 1 %. Les décès imputables au type B sont exceptionnels. Aucune mesure d’isolement particulière n’est à envisager pour les patients ayant une tularémie,et ce,quelle que soit la forme clinique. La streptomycine et la gentamicine représentent le traitement de première intention pour les 9 tularémies graves, pour une durée de 10 jours . Les fluoroquinolones sont une excellente alternative aux amino9 sides . La ciprofloxacine ou l’ofloxacine peuvent être administrées pour une durée de 10 à 14 jours, même si ces molécules ne sont pas validées par des études pros9 pectives .Les cyclines et le chloramphénicol ont été signalés comme pouvant être associés à un grand risque de rechute. Ils doivent être prescrits au minimum 14 à 21 29 janvier 2005 • tome 34 • n°2 • cahier 2

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jours .Il est à noter en France que l’indication des amino8 sides n’a pas été retenue par l’Afssaps . Seules les fluoroquinolones (première intention) et la doxycycline en alternative sont recommandées.En cas de formes sévères,il est préconisé d’associer deux antibiotiques comme un aminoside et une fluoroquinolone. La streptomycine, la gentamicine, la doxycycline et la ciprofloxacine sont indiquées en prophylaxie d’une exposition à un aérosol de F. tularensis. La durée de la prophylaxie est de 14 jours. La 22 vaccination n’est pas recommandée en prophylaxie et elle n’est pas disponible en France.

VARIOLE La variole est une maladie éruptive hautement contagieuse.L’éradication mondiale de cette infection a été prononcée par l’OMS en 1980. Le virus de la variole est toujours officiellement conservé dans 2 laboratoires:le “Centers for Disease Control and Prevention” à Atlanta aux États-Unis et le “State Research Center of Virology and 3 Biotechnology” à Novosibirsk en Russie . La très haute contagiosité d’un aérosol contenant du virus de la variole, la grande stabilité de ce virus, son grand risque de mortalité sont des arguments supplémentaires pour ne pas négliger ce micro-organisme comme arme biologique. Cependant, pour certains spécialistes, l’impact bioterroriste de ce virus semble limité par l’existence d’un vaccin 24,25 . De plus, la fabrication d’une telle arme très efficace biologique par des groupes terroristes semble difficile et non dénuée de risque pour ceux qui auraient à manipuler le virus de la variole dans des laboratoires clandestins. Il a été suggéré que d’autres poxvirus tels que des virus recombinants de la variole pourraient être utilisés à des fins terroristes.Le virus monkeypox (virus de la variole du singe) pourrait aussi être utilisé.Il y a 2 obstacles à son utilisation:la transmission inter-humaine serait très limitée et certains travaux suggèrent que ce virus ne pourrait se développer indéfiniment par transmission inter-humaine. Tout patient étant suspect de variole doit être hospitalisé et isolé,si possible dans une chambre à pression négative. L’isolement doit être poursuivi jusqu’à ce que les croûtes tombent (environ 3 semaines), ou jusqu’à ce que le 9 patient meure .Il n’existe pas de traitement spécifique de la variole et les traitements doivent être symptomatiques. Le cidofovir est actif sur des isolats du virus de la vaccine 26 de la variole in vitro . Cependant, il n’existe aucune donnée chez l’homme. Cette molécule, qui est utilisée dans le traitement des infections à cytomégalovirus chez les sujets immunodéprimés, est associée à des effets secondaires rénaux qui, en l’absence de précautions, peuvent être sévères.Le seul traitement efficace au cours de la variole reste la vaccination précoce qui permet une réduction de 50 % de la mortalité si elle est réalisée dans 27,28 . les 4 jours suivant l’exposition au virus 29 janvier 2005 • tome 34 • n°2 • cahier 2

BOTULISME C’est une infection neuroparalysante grave due à une 29,30 .L’utilitoxine produite par un Clostridium botulinum sation à des fins bioterroristes de la toxine botulique sous 30 forme d’aérosol est envisageable .La contamination délibérée d’aliments ou d’eau avec la neurotoxine ou avec C. botulinum est possible,mais les conséquences humaines seraient faibles. La toxine botulique est la toxine la plus puissante connue: elle est 100000 fois plus toxique que 30,31 . Un aérosol de le gaz sarin et elle est facile à produire toxine pourrait contaminer 10 % des personnes exposées 29 dans un rayon de 500 m . La dose capable de tuer 50 % des personnes exposées à un aérosol de toxines est de 32 0,003 mg/kg .La forme clinique résultant de l’inhalation de la toxine botulique serait la plus fréquemment obser29 vée en cas d’acte terroriste . Un vaccin antitoxines trivalent (types A,B,E) doit être administré le plus rapidement 33 possible . Un vaccin heptavalent (types A-G) est dispo33 nible dans certains pays . En cas d’attaque bioterroriste avec un aérosol de toxine botulique, il est recommandé de vacciner en prophylaxie les sujets exposés.

BRUCELLOSE La brucellose est une zoonose due à une bactérie du genre Brucella.B.melitensis est le biovar le plus virulent et le plus pathogène; il est le principal agent de la brucellose chez l’homme. L’intérêt de cet agent comme arme biologique réside dans le fait qu’une transmission aérosolisée est possible. Ce mode de transmission a été rapporté au cours de contaminations humaines lors d’avortements d’animaux infectés et lors d’aérosolisation dans les laboratoires.La bactérie est particulièrement contagieuse par pénétration à travers les muqueuses (conjonctives,oropharynx,tractus respiratoire, abrasion cutanée). Il a été estimé que 10 à 100 bactéries étaient suffisantes pour constituer un aérosol infec34 tant pour l’homme .La présentation clinique des patients infectés par inhalation de la bactérie n’est pas différente de celle des patients infectés selon un autre mode de 34 transmission . Un traitement de 6 semaines par doxycy9 cline et rifampicine est efficace dans la plupart des cas . Bien qu’elle n’ait pas prouvé son efficacité, une chimioprohylaxie après exposition à Brucella est impérative en cas d’acte terroriste avec cette bactérie. Elle doit associer 9 la doxycycline et la rifampicine pendant 3 à 6 semaines . Aucun vaccin n’est actuellement disponible.

FIÈVRE Q La fièvre Q est une zoonose due à Coxiella burnetii,bac35 térie de la famille des Rickettsia .L’intérêt de C.burnetii comme agent potentiel de bioterrorisme réside également dans sa transmission par inhalation de particules 36 infectées aérosolisées .La charge bactérienne infectante La Presse Médicale - 153

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est faible et il a été montré que l’inhalation de 1 à 10 bactéries suffiraient au développement d’une infection clini37 quement parlante chez l’homme .L’autre mode de transmission possible dans le cadre d’un acte de bioterrorisme est l’introduction intentionnelle de la bactérie dans les aliments. C. burnetii est peu suspect d’être utilisé comme agent de bioterrorisme: l’incubation de la fièvre Q est longue, une grande partie des infections est asymptomatique et la mortalité est faible. C. burnetii pourrait plutôt être utilisé comme agent incapacitant.La présentation clinique serait similaire à celle de la fièvre Q habituelle. La doxycycline est le traitement de référence de la fièvre 9 Q aiguë,à la dose de 200 mg par jour pendant 2 semaines . Les fluoroquinolones ou l’association thriméthoprime-sulfaméthoxazole peuvent également être utilisées. Une prophylaxie secondaire à une exposition est recommandée pendant 8 à 12 jours après l’exposition. Un vaccin vivant inactivé (Q-Vax) est disponible pour les professions exposées (fermiers,vétérinaires,biologistes,bouchers, équarrisseurs). Il n’est pas indiqué pour la population générale et n’est pas recommandé en prophylaxie.

MORVE ET MÉLIOÏDOSE La morve et la mélioïdose sont des infections dues à Burkholderia mallei et B. pseudomallei. Elles infectent essentiellement le cheval, mais aussi l’âne et la mule, la 38 chèvre, le chien ou le chat . Chez l’homme, ces infections sont rares; elles sont observées principalement chez des sujets immunodéprimés. Le principal mode de dissémination de l’infection à la suite d’un acte terroriste est encore l’aérosolisation.Lors de la guerre du Vietnam, de nombreux soldats ont été contaminés par les pous38 sières soulevées par les pales d’hélicoptères . Morve et mélioïdose ont une présentation clinique semblable. La forme pulmonaire serait la plus à même à d’être observée en cas d’attaque bioterroriste. Les infections humaines sont rares et les recommandations thérapeutiques ne reposent que sur des données limitées. Les formes localisées nécessitent un traitement de 2 à 5 mois par amoxicilline + acide clavulanique, ou tétracy9 cline, ou triméthoprime-sulfaméthoxazole . Les formes pulmonaires doivent être traitées pendant 6 à 12 mois par imipénème ou méropénème ou ceftazidime + doxycycline. En cas d’exposition à un aérosol délivré intentionnellement, un traitement prophylactique par triméthoprime-sulfaméthoxazole est recommandé. Il n’existe pas de vaccin utilisable chez l’homme.

FIÈVRES HÉMORRAGIQUES VIRALES (FHV) Les virus impliqués dans les FHV appartiennent à 4 familles: Filoviridae, Arenaviridae, Bunyaviridae, Flaviviridae.La majorité des virus est utilisable comme arme biologique (sauf le virus de la fièvre hémorragique de Crimée154 - La Presse Médicale

Congo et le Hantavirus): virus Ebola et Marburg (Filoviridae), fièvre de Lassa et arénavirus du nouveau monde (Machupo, Junin, Guanarito et Sabia) (Arenaviridae), fièvre de la vallée du Rift (Bunyaviridae) et fièvre jaune, fièvre hémorragique d’Omsk, fièvre de la forêt de Kyana39 sur (Flaviviridae) . L’absence de connaissances concernant les virus de la dengue, de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo et des hantavirus ne permettent pas de les classer comme risque majeur de terrorisme.Tous ces virus ont été étudiés et développés comme armes biologiques par de nombreux pays (États-Unis,ex-URSS,Corée du Nord,etc.). Tout patient suspect d’avoir une FHV doit être hospitalisé et isolé,si possible dans une chambre à pression négative.Il n’existe pas de traitement spécifique,sauf pour les arénavirus et les bunyavirus pour lesquels la ribavirine est 39 recommandée en traitement curatif et en prophylaxie . En cas d’attaque biologique,la ribavirine pourrait être utilisée en prophylaxie des virus Lassa,Junin,et Machupo.Le traitement symptomatique est essentiel dans la plupart des cas.Un plasma immun spécifique est actif en cas d’infection par le virus Junin.Un vaccin contre la fièvre jaune est commercialisé et efficace. D’autres vaccins sont en cours d’évaluation (Junin, Machupo).

ENCÉPHALITES VIRALES Tous les virus responsables d’encéphalites humaines sont transmis par des insectes,à l’exception des arénavirus qui 40 sont transmis par les rongeurs .Le plus fréquemment,la symptomatologie est modérée voire inexistante,et la survenue d’une encéphalite est rare. Même si les données sont peu nombreuses, il semble que ces virus pourraient 40 être utilisés à des fins terroristes .De nombreux pays les ont étudiés comme arme biologique, principalement les alphavirus (virus des encéphalites équines). L’aérosolisation de tels virus est infectante pour l’homme et techniquement facile. Des vecteurs infectés (moustiques ou tiques) pourraient également être utilisés. Ces virus, principalement les togavirus, seraient facilement étudiés dans des laboratoires peu sophistiqués: ils sont stables et facilement manipulables génétiquement. Ils se répliquent à de hauts titres et sont hautement contagieux. Il existe de nombreux sérotypes.Aucun cas de transmission inter-humaine n’a été rapporté. À l’exception des patients ayant une fièvre hémorragique avec encéphalite, l’isolement n’est pas nécessaire. Le traitement est symptomatique, sauf pour les rares cas d’encéphalites observées au cours des fièvres hémorra41 giques. La ribavirine devrait être utilisée dans ces cas . L’encéphalite équine orientale peut être traitée par antisérum,mais ce traitement est souvent inefficace au stade de l’encéphalite. Des vaccins existent pour les encéphalites équines orientale et occidentale, l’encéphalite japo29 janvier 2005 • tome 34 • n°2 • cahier 2

P. Bossi, A. Guihot, F. Bricaire

naise et l’encéphalite à tiques,et sont à l’étude pour l’encéphalite du West Nile.Leur efficacité est inconnue dans le cadre d’attaques.

Conclusions Dans un contexte de recrudescence mondiale des actes terroristes, le risque biologique est une éventualité à ne pas négliger. Plusieurs pays se sont unis afin de prévoir ces risques. De nombreux plans prévoyant de telles

attaques ont été élaborés: accueil et soins de patients dans des structures spécifiques, information de la population, stockage d’antibiotiques, vaccinations de masse, participation de la force publique,etc.En France,ce plan porte le nom de Biotox. Malgré ces mesures, les risques sont difficiles à prévoir, tant sont nombreuses les possibilités d’utilisation d’agents microbiens. Les cliniciens doivent cependant être avertis de ces risques et penser à évoquer un acte de bioterrorisme devant la survenue d’une épidémie inhabituelle. ■

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