CAS CLINIQUE
© Masson, Paris. Ann. Fr. Anesth. Reanim., 5: 617-619, 1986.
Insuffisance cardiaque par surdosage en dantrolene Cardiac failure due to dantrolene overdose A. ROBILLART, P. BOPP, B. VAILLY, J.P. DUPEYRON Departement d'Anesth#stologie, Hospices Ctvils, BP426, F67091 Strasbourg C~dex
R~SUME : Myorelaxant pmssant, le dantrol6ne a 6t6 pendant longtemps considdr6 comme d6nu6 de tout effet d6presseur myocard~que. Les auteurs contestent cette lnnocuxt6 cardiaque sur la base d'une observation d'ced6me aigu pulmonaire ~t r6p6tition, d'orlgine hdmodynamique et r6gressif aprSs arrSt du traitement. La patiente, msuffisante cardiaque et msuffisante r6nale, a re~u le dantrol6ne pendant plus de trois semaines ~ la posologie habituelle. L'msuffisance r6nale peut 6ire tenue pour responsable d'une probable accumulation de 5-OH dantrol6ne, m6tabolite actif, capable sur des fibres myocardiques isoldes d'indmre un effet inotrope n6gatif.
ABSTRACT : A case is reported of cardiac failure with repeated pulmonary oedema in a female patient suffering from renal failure and having been given incremental doses of dantrolene sodium. On withdrawal of the drug, all symptoms disappeared. This muscle relaxant was considered not to have any depressive myocardial side-effects. However, recent studies on isolated myocardial fibres showed the existence of a constant dosedependent negative motropic effect of dantrolene sodmm, only noticeable with high concentrations of the drug
Connu des anesth6sistes sous sa f o r m e intraveineuse, le dantrol6ne ( D a n t r i u m ®) est f r 6 q u e m m e n t utilis6 per os, en n e u r o l o g i e et en r66ducation fonctionnelle, dans le traitement des spasticitds sdv6res. C e p e n d a n t certains effets secondaires limitent q u e l q u e peu son utilisation. Si le risque d'h6patite g r a v e est faible, de n o m b r e u x patients pr6sentent des anomalies transitoires des fonctions h6patiques, des troubles n e u r o l o g i q u e s varids ou des manifestations digestives [1]. L ' e f f e t m y o r e l a x a n t de ce m 6 d i c a m e n t pourrait faire craindre un impact cardiaque, mais celui-ci est contest6 e x p d r i m e n t a l e m e n t par plusieurs auteurs [2, 3]. U n e observation d'insuffisance cardiaque sdv6re, r6gressive apr6s la seule suppression de ce m 6 d i c a m e n t , fait suspecter une probable toxicit6 m y o c a r d i q u e .
Madame X., 61 ans, pr6sente des antdcddents particuli~rement s6v6res hdmipldgle gauche en 1978, hdmipldgie controlat6rale avec aphasie trois ans plus tard, diab6te de type 1, terrain art6ntlque. Grabataire, elle est hospttahsde le 23 07 pour une py61on6phnte droite avec bactdridmie, sur rein lithiaslque, muet I'UIV. La d6couverte d'un volumineux 6panchement pleural homolat6ral impose le jour mSme un drainage avec 6vacuatlon d'une collection purulente. Le 26.07, la patiente sub~t l'ablatlon du rein surinfect6. Intubde avant l'intervention, la malade est aussit6t replac6e en
miheu de r6animatlon oh, apr6s une premiere et courte sdquence d'am61ioration, elle va poser dhmportants probl6mes respiratoires: bronchospasmes a rdpdtmon tralt6S mmalement par terbutaline pros par inophylline, sevrage dlfficile de la proth6se ventdatolre malgr6 une techmque d'IMV, amenant la r6alisanon d'une trachdotom~e le 09.08 I1 extste d'autre part une msuffisance rdnale organique avec une clalrance de la cr6atmlne 20 m l - m i n -1. Les importantes r6tractions musculotendineuses des membres inf6rieurs am6nent la prescription a partir du 27.08 de dantrol6ne, ~ posologie lentement crolssante (25 mg h J l e t 250 mg a J8) Onze jours plus tard, apparah le premier 6pisode d'eed6me pulmonalre avec d6tresse resplratolre rogue. Ces 6pisodes vont alors rdguli~rement survenir, ils se pr6sentent chaque fots comme des ced6mes d'aspect 16sionnel, paradoxalement ils sont tr~s vxte rdsolutifs apr~s admimstrat~on de d~goxme et de furos6mxde, et n'entra~nent aucune s6quelle radiologique sur les clich6s pulmonmres successifs. Le 20 09 un cath6t6rxsme drolt par sonde de Swan-Ganz lnfirme l'aspect 16slonnel de l'oed~me (Pra 19 mmHg; Ppa" 55 mmHg; Ppw: 40 mmHg) et conduit au diagnosnc d'insuffisance cardiaque globale La malade refalt un eed~me brutal, alors que la Ppw atteint 53 mmHg. Une 6chocardlographie bidimensionnelle 61imine toute pathologie valvulmre et objective essentiellement une hypocin6sie ventriculaire. Une 6ventuelle cause iatrogbne est alors envisag6e, permettant de suspecter le r61e d61dt~re du dantrol6nd. Le seul arr~t du mdd~cament amine une s6datlon rapide de ces manifestations cardmresplratotres; le 23.10, un contr61e angmgraphique avec mesure des presslons confirme l'amdlioration, mms montre une fonction myocardlque <> (Ppa : 25-55 mmHg, Ppw : 20 mmHg). Sevrde le 09 10 de sa proth~se ventilatoLre, Madame X. est transfdrde un mois plus tard dans un service de long sdjour.
Re~u le 2 mai 1986; accept6 apr6s r6vtsion le 8 juillet 1986
Tires ~ part" J P. Dupeyron.
OBSERVATION
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COMMENTAIRES
Administr6 par voie orale, le dantrol6ne est absorb6 au niveau de l'intestin grSle; cette absorption concerne environ 20 % de la dose ing6r6e. Les 4/5 °` du produit circulent sous forme li6e aux prot6ines plasmatiques, puis diffusent ensuite rapidement dans les compartiments intra- et extracellulaires. La concentration sanguine maximale est atteinte 5 h apr6s l'ingestion et varie de 0,6 ?~2 ~tg • m1-1 pour une dose allant de 50 ~ 250 mg; l'effet maximum est obtenu pour des taux sanguins de 1 ~tg • m1-1. La demi-vie du m6dicament est de 8 ~ 10 h [6]. Le dantrol6ne est m6tabolis6 au niveau du foie par des processus oxydatifs ou par r6duction puis ac6tylation; cette ddgradation aboutit au 5-OH dantrol6ne et l'ac6tyl-l-amino dantrolbne ayant une faible activit6 myorelaxante. L'excr6tion urinaire concerne 80 % de la dose absorb6e au nlveau intestinal et se fait essentiellement sous forme de 5-OH dantrolbne. Ce mddicament est un myorelaxant efficace qui agit en dissociant le couple excitation-contraction au niveau du muscle stri6, sans abolir compl~tement la r6ponse musculaire [3]. I1 inhibe aussi partiellement la lib6ration intracellulaire des ions calciques ~t partir des r6servoirs terminaux du rdticulum sarcoplasmique. Enfin la sensibilit6 aux ch61ateurs calciques d'un muscle stri6, pr6alablement trait6 par du dantrol~ne, laisse supposer que le site d'action du produit est superficiel [6]. Des diff6rentes 6tudes r6alis6es afin de rechercher une 6ventuelle toxicit6 cardiaque de la drogue, on peut retenir les faits suivants : sur les donn6es h6modynamiques obtenues chez des animaux anesth6si6s, il n'est apparu aucune alt6ration significative de la pression art6rielle, de la fr6quence et du d6bit cardiaque [3]; en particulier, il n'y a pas de diff6rence significative entre l'effet h6modynamique d'une perfusion de dantrol~ne et d'une quantit6 6quivalente de s6rum physiologique. Toutefois DURBIN et coll. [2] ont montr6 chez le chien, avec des posologies allant de 1 ~ 10 m g . kg -1, une augmentation de la pression artdrielle et des rdsistances vasculaires syst6miques, associ6e a une baisse du d6bit cardiaque; ils ne notent par contre aucune anomalie de la conduction auriculoventriculaire comme peut le provoquer le v6rapamil, mais concluent h une potentialisation des m6dlcaments. Plus rdcemment, SALTZMAN et coll. [10] ont confirm6 l'interaction des deux produits, avec possible collapsus cardiovasculaire. Sur de plus nombreuses exp6rimentations pratiqu6es sur des fibres myocardiques isoldes [3, 4, 8, 9], un effet inotrope n6gatif est systdmatiquement retrouv6 sans modification de la fr6quence cardiaque. Cette d6pression myocardique ddpend de la dose, mais n'appara~t que pour de fortes concentrations [9]. Un travail isol6 [4] a objectiv6 un effet biphasique : une premi6re 6tape avec augmentation de la force contractile, suivie d'une nette diminution du mSme param6tre. La premiere phase,
A ROBILLART ET COLL
d'une dur6e de 40 min environ, peut 8tre annul6e par un inhibiteur des canaux calciques lents et son intensit6 est fonction de la concentration de dantrol6ne dans le milieu; la deuxi6me phase aboutit progressivement en 2 h h une abolition compl6te des contractions. PLIZGA et HOLL [7], pour leur part, ont not6 sur des auricules isol6s de lapin une tr~s importante alt6ration de la force contractile. De plus, en 61ectrophysiologie, le dantrol6ne prolonge la p6riode r6fractaire efficace et accro~t la dur6e des potentiels d'action Ca++-d6pendants [9]. Enfin le 5-OH dantrol6ne, principal m6tabolite urinaire, a lui aussi un effet d6presseur, au moins d6montr6 sur la fibre myocardique isol6e [8]. Ces diff6rents r6sultats laissent penser que le m6dicament amdliore dans un premier temps le flux calcique lent, expliquant le gain de force contractile. Dans une deuxi6me phase, il inhibe ce mSme flux en raison d'une augmentation de la concentration intracellulaire en calcium libre. Face ~t ces quelques travaux exp6rimentaux, il n'existe aucune donn6e clinique 6voquant un effet d6presseur myocardique du dantrol6ne, hormis la communication de PETUSEVSK¥ et coll. [5], qui rapporte quatre cas d'6panchements p6ricardiques et/ou pleuraux, r6gressifs ~ l'arrSt du mddicament. La complication cit6e iciest particuli~re, dans la mesure oh il existait de toute 6vidence une insuffisance cardiaque latente, confirm6e ult6rieurement par une pression capillaire 61ev6e et une nette hypocin6sie ~t l'6chocardiographie. De plus, une insuffisance r6nale s6v6re a permis en quelques jours, avec une augmentation progressive des posologies, d'obtenir des taux plasmatiques probablement trop 61ev6s. La sommation des tares cardiaque et r6nale et de la thdrapeutique peuvent expliquer les 6pisodes d'~ed6me pulmonaire; ceux-ci ont 6t6 temporairement r6gressifs sous l'action d'un bref traitement associant tonicardiaque et diurdtique et ont disparu ddfinitivement apr6s le seul arr& du dantrol6ne. A la lumi6re de cette observation, on doit souligner le risque th6orique de l'utilisation chronique du dantrol6ne chez un sujet insuffisant cardiaque et ~ fonction r6nale alt6r6e. BIBLIOGRAPHIE
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