en ligne sur/ on line on
www.masson.fr/revues/pm
Cas clinique
Presse Med. 2006; 35: 61-3 © 2006, Masson, Paris
Insuffisance rénale aiguë secondaire à la povidone iodée Soumaya Béji1, Hayet Kaaroud1, Fatma Ben Moussa1, Ezzedine Abderrahim1, Souheil Zghidi2, Fethi Ben Hamida1, Hédi Ben Maiz1, Adel Kheder1
1. Service de néphrologie et de médecine interne, Hôpital Charles Nicolle, Tunis, Tunisie 2. Service d’anesthésie-réanimation, Hôpital Habib Thameur, Tunis, Tunisie
Correspondance :
■ Summary
■ Résumé
Acute renal failure following mucosal administration of povidone iodine
Introduction > La povidone iodée est un antiseptique largement utilisé surtout en usage cutané. Malgré son innocuité, des cas d’insuffisance rénale aiguë rentrant dans le cadre d’une toxicité à l’iode ont été rapportés. Observation > Une femme âgée de 37 ans, sans antécédents particuliers était suivie pour une stérilité primaire de 4 ans. Elle a eu, dans le cadre de l’exploration de cette stérilité, une hystéroscopie avec opacification par de la povidone iodée. En post opératoire immédiat, une insuffisance rénale aiguë oligurique s’est développée. Après traitement par diurétiques et 5 séances d’épuration extra rénale, l’évolution était favorable avec déclenchement de la diurése à J18 suivi d’une normalisation de la fonction rénale. Discussion > La toxicité à l’iode est plus importante quand la povidone iodée est administrée in situ au contact des muqueuses. L’insuffisance rénale aiguë est à type de nécrose tubulaire aiguë comme chez cette patiente. En l’absence d’autre cause, cette insuffisance rénale aiguë a été rattachée à la povidone iodée. Conclusion > L’insuffisance rénale aiguë secondaire à la toxicité à l’iode reste possible surtout si la povidone iodée est administrée au contact des muqueuses. L’évolution est en général favorable après l’arrêt du contact avec cet agent et le traitement symptomatique.
Introduction > Povidone iodine is a widely-used antiseptic agent, especially for cutaneous lesions. Despite its apparent innocuousness, some cases of acute renal failure are reportedly due to iodine toxicity. Case > We report a case of an acute renal failure secondary to povidone iodine exposure in a 37-year-old woman. She underwent a hysteroscopy for diagnosis of primary sterility, and povidone iodine was used as the contrast agent. She developed acute renal failure with oliguria during the postoperative period. Treatment with diuretics and hemodialysis led to a favorable outcome and return of normal kidney function. Discussion > Mucosal administration of povidone iodine appears to lead to greater iodine toxicity than cutaneous administration. The clinical feature of our patient suggested tubular necrosis caused by iodine, after the other possible causes of acute renal failure were ruled out. Conclusion > Acute renal failure secondary to povidone iodine administration is possible, especially through mucosal surfaces. Outcome is favorable after the conclusion of exposure and symptomatic treatment. Béji S, Kaaroud H, Ben Moussa F, Abderrahim E, Zghidi S, Ben Hamida F et al. Insuffisance rénale aiguë secondaire à la povidone iodée. Presse Med. 2006; 35: 61-3 © 2006, Masson, Paris
tome 35 > n° 1 > janvier 2006 > cahier 1
61
Reçu le 20 décembre 2004 Accepté le 29 avril 2005
Soumaya Béji, Service de néphrologie et de médecine interne, Hôpital Charles Nicolle, Boulevard 9 avril 1938, 1006 Tunis, Tunisie. Tél. : 00 216 71 56 26 70 Fax : 00 216 71 56 02 80
[email protected]
Béji S, Kaaroud H, Ben Moussa F, Abderrahim E, Zghidi S, Ben Hamida F et al.
L
Discussion ®
a povidone iodée (Bétadine ) est un agent antiseptique qui possède en plus une activité antimicrobienne contre une grande variété de micro-organismes. Elle est largement utilisée surtout en usage externe pour le traitement des plaies infectées, des brûlures et pour la désinfection des surfaces cutanées. En usage interne, elle est de plus en plus utilisée dans le traitement des médiastinites post opératoires et des lymphocèles après transplantation rénale. Malgré cette large utilisation, les cas d’intoxication à l’iode sont peu rapportés. Au cours de cette intoxication, l’insuffisance rénale aiguë est fréquente. Nous rapportons un cas d’insuffisance rénale aiguë secondaire à une toxicité à l’iode survenue chez une femme suite à une opacification des voies génitales par la povidone iodée.
Observation
62
Il s’agit d’une femme âgée de 37 ans suivie en gynécologie pour une stérilité primaire de 4 ans. Elle a eu une hystéroscopie diagnostique avec opacification des voies génitales par de la povidone iodée à 1 %. En préopératoire, l’examen somatique était normal avec une pression artérielle à 120/70 mmHg. Au bilan biologique: urée: 6 mmol/L, créatininémie: 60 μmol/L (clairance selon la formule de Cockroft: 94 ml/mn), Na+ : 138 mmol/L, K+: 4,2 mmol/L, Cl-: 100 mmol/L, RA: 21 mmol/L, Hb: 13 g/dL, leucocytes : 6 000/mm3, plaquettes : 215 000/mm3. L’anesthésie générale a été réalisée en utilisant le propofol à la dose de 2,5 mg/kg et la fentanyl à la dose de 10 gamma/kg. En per opératoire, l’état hémodynamique était stable. En postopératoire immédiat, est survenue une oligurie à 300 cm3/24 heures avec, à l’examen clinique, une pression artérielle à 150/70 mmHg, un pouls à 100/mn et, au labstix, une protéinurie: 1 croix sans hématurie. Biologiquement on a noté Hb : 11,8 g/dL, leucocytes : 8000/mm3, polynucléaires éosinophiles: 400/mm3, plaquettes: 164 000/mm3, créatininémie : 135 μmol/L atteignant 1400 μmol/L en 15 jours, urée: 10 mmol/L, Na+ : 138 mmol/L, K+ : 4,8 mmol/L, Cl-: 101 mmol/L, réserve alcaline: 12 mmol/L, aspartate aminotransférases: 184 UI/L, alanine amino transférarses : 48 UI/L, gamma glutamyl transpeptidases : 23 UI/L, phosphatases alcalines : 120 UI/L, vitesse de sédimentation : 30 mm 1re heure, protéine C réactive: 14 mg/L, créatine phosphokinase : 120 UI/L, lacticodéshydrogénase : 630 UI/L, l’examen cytobactériologique urinaire était négatif. La radiographie du thorax était normale et, à l’échographie rénale, les reins étaient de taille normale avec une bonne différenciation corticosinusale. La patiente a été traitée par furosémide IV 1 g/24 heures et a eu de 5 séances d’hémodialyse. L’évolution a été marquée par la normalisation de la diurèse à J18 et l’amélioration de la fonction rénale à partir du 28e jour avec une normalisation de la créatininémie après 2 mois.
La povidone iodée est un agent hydrosoluble qui résulte de la combinaison d’une molécule d’iode et de polyvinyl pyrollidone. C’est une solution antiseptique qui possède aussi une action antimicrobienne par le biais d’une affinité de la molécule d’iode à la membrane cellulaire bactérienne [1]. La povidone iodée a des indications très larges surtout en usage externe et ceci pour la désinfection des surfaces cutanées avant intervention chirurgicale, le traitement des plaies infectées et des brûlures. Du fait de l’innocuité de ce produit, son utilisation s’est étendue au traitement des médiastinites postopératoire et des lymphocèles récurrents après transplantation rénale [2, 3]. Ce produit est aussi utilisé en gynécologie pour la désinfection du vagin avant hystérectomie par voie basse et du col avant hystéroscopie [4]. Toutefois, l’opacification des voies génitales par ce produit n’est pas bien documentée. Quelle que soit la voie, l’administration de povidone iodée est toujours responsable d’une absorption systémique. La quantité d’iode absorbée dépend de la concentration de la solution et de la voie d’administration. En effet, l’absorption est plus importante par la peau lésée et les muqueuses que par la peau intacte. Ceci explique l’importance du passage systémique d’iode chez notre malade qui a reçu ce produit sur les muqueuses génitales. L’iode absorbé est excrété par le rein; sa clairance dépend ainsi de la filtration glomérulaire. Quelques cas de toxicité à l’iode ont été rapportés surtout chez des patients ayant une insuffisance rénale préexistante [5] avec une iodinémie variant de 1 200 à 48 000 μg/dL [6, 7]. Notre patiente avait une fonction rénale préopératoire normale et le dosage de l’iodémie n’a pas été réalisé. Les signes de toxicité à l’iode sont nombreux et non spécifiques. Ils comportent des nausées, des vomissements, une diarrhée, une dysthyroïdie, une hypernatrémie, une hyperchlorémie, une acidose métabolique, une insuffisance rénale aiguë et une insuffisance hépatique [5]. Douze cas d’insuffisance rénale aiguë après traitement par bétadine ont été rapportés. Il s’agit de 7 cas de brûlures traitées localement [8], de 4 patients traités par irrigation pour médiastinite post opératoire [2] et d’un transplanté rénal traité pour lymphocèle [3]. La plupart de ces patients avaient déjà une insuffisance rénale chronique. Dans cette insuffisance rénale, Il n’existe pas de lésions rénales spécifiques. Ainsi dans 3 cas dont 2 autopsies et une biopsie du greffon rénale, les lésions observées étaient celles d’une nécrose tubulaire avec une dégénérescence vacuolaire du tube contourné proximal [2, 9, 10]. La patiente n’a pas eu de biopsie rénale, mais la symptomatologie clinique suggère fortement une nécrose tubulaire aiguë avec une phase d’oligurie durant 18 jours suivie d’une phase de reprise de la diurèse et d’une normalisation de la fonction
tome 35 > n° 1 > janvier 2006 > cahier 1
rénale. En outre, les autres causes d’isuffisance rénale aiguë ont été éliminées à savoir une infection, une hypovolémie, une rhabdomyolyse ou une prise de médicaments néphrotoxiques. En effet, les médicaments anésthésiques utilisées chez notre patiente étaient des morphiniques et des hypnotiques qui sont peu néphrotoxiques avec de rares cas d’insuffisance rénale aiguë par rhabdomyolyse secondaire au propofol. Cette complication survient en utilisant la propofol en perfusion prolongée plus de 48 heures et à des doses dépassant 83 μg/kg/mn [11, 12]. De plus, quelques rares cas d’insuffisance rénale aiguë suite à la chirurgie hystéroscopique ont été rapportés. Ces cas étaient secondaires à une réaction anaphylactique au Dextran 32 %-70 utilisé pour la distention utérine ce qui n’était pas le cas chez cette patiente [13]. Une acidose métabolique peut précéder ou accompagner à l’insuffisance rénale. Son mécanisme implique une consommation de bicarbonates suite à leur liaison avec l’iode libre ainsi qu’une altération de l’excrétion acide par le rein [5, 9]. L’acidose métabolique chez cette patiente était concomitante à l’insuffisance rénale. L’arrêt du contact avec la povidone iodine représente le
seul traitement de ces patients. Toutefois, comme chez notre patiente, des séances d’hémodialyse ou d’hémodiafiltration sont nécessaires pour épurer le produit. L’épuration de l’iode serait plus importante en utilisant une membrane en polysulfone qu’une membrane en cuprophone. Par ailleurs, l’ultrafiltration majorerait la clairance de cet iode [5]. Quelques décès ont été observés surtout chez des brûlés du fait de la fragilité du terrain [8]. L’évolution chez cette patiente a été favorable avec une normalisation de la fonction rénale.
Cas clinique
Insuffisance rénale aiguë secondaire à la povidone iodée
Conclusion La toxicité a l’iode est possible, surtout si la povidone iodée est administrée par voie muqueuse même en utilisant des doses usuelles et des concentrations faibles. Les patients recevant la povidone iodée, surtout ceux qui ont déjà une insuffisance rénale, doivent être étroitement surveillés en guettant la survenue d’une insuffisance rénale aiguë. L’arrêt de cet agent avec, dans certains cas, le recours à l’épuration extra rénale est en général efficace avec un retour à une fonction rénale normale.
Références
2
3
4 5
Zamora JL.Chemical and microbiologic characteristics and toxicity of povidone-iodine solutions. Am J Surg.1986; 151: 400-6. Manfro RC, Comerlato L, Berdichevski RH, Ribeiro AR, Denicol NT, Berger M et al. Nephrotoxic acute renal failure in a renal transplant patient with recurrent lymphocele treated with povidone-iodine irrigation. Am J Kidney Dis. 2002; 40: 655-7. Campistol JM, Abad C, Nogue S, Bertran A. Acute renal failure in a patient treated by continuous povidone iodine mediastinal irrigation. Cardiovasc Surg. 1998; 29: 410-2. Neuwirth RS. Update on transcervical sterilization. Int J Gynecol Obstet. 1995; S23-S28 Kanakiriya S, De Chazal I, Nath KA, Haugen EN, Albright RC, Juncos LA. Iodine toxicity treated
tome 35 > n° 1 > janvier 2006 > cahier 1
6
7
8
9
with hemodialysis and continuous venovenous hemodiafiltration. Am J Kidney Dis. 2003; 41: 702-8. Aiba M, Ninomiya J, Furuya K, Arai H, Ishikawa H, Asaumi S et al. Induction of a critical elevation of povidone-iodine absorption in the treatment of a burn patient: report of a case. Surg Today. 1999; 29: 157-9. Dela Cruz F, Brown DH, Leikin JB, Franklin C, Hryhorczuk DO. Iodine absorption after topical administration. West J Med. 1987; 146: 43-5. Labbé G, Mahul P, Morel J, Jospe R, Dumont A, Auboyer C. Intoxication à l’iode après irrigations sous-cutanées de povidone iodée. Ann Fr Anesth Réanim. 2003; 22: 58-60. Pietsch J, Meakins JL. Complications of povidone-iodine absoption in topically treated burn
10
11
12
13
patients. Lancet. 1976; 1: 280-2. Lavelle KJ, Doedens DJ, Kleit SA, Fomey RB. Transcutaneous absorption of iodine in burn patients treated with topical Betadine ointment. Pharmacologist. 1974; 16: 208. Mercatello A. Changes in renal function induced by anesthesia. Ann Fr Anesth Réanim. 1990; 9: 507-24. Casserly B, O’Mahony E, Timm EG, Haqqie S, Eisele G, Urizar R. Propofol infusion syndrome: an unusual cause of renal failure. Am J Kidney Dis. 2004; 44: E98-101. Schinco MA, Hughes D, Santora TA. Complications of 32% dextran-70 in 10% dextrose. A case report. J Reprod Med. 1996; 41: 455-8.
63
1