Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 20 : 10-5 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765800003403/FLA
Article original
Intérêt du dosage du monoxyde de carbone dans l’air expiré au cours de la prise en charge préhospitalière des intoxications oxycarbonées F. Lapostolle*, P.J. Raynaud, P. Le Toumelin, A. Benaissa, J.M. Agostinucci, F. Adnet, M. Fleury, C. Lapandry Samu 93, hôpital Avicenne, 125, rue de Stalingrad, 93009 Bobigny, France
RE´SUME´ Introduction : Les détecteurs portables de monoxyde de carbone (CO) sont largement utilisés par les équipes de secours. Ils donnent l’alerte en présence d’une atmosphère riche en CO et permettent le dosage de CO dans l’air expiré. Aucune étude n’a validé l’utilisation de ces appareils. Objectif : Évaluer l’intérêt du dosage du CO dans l’air expiré au cours de la prise en charge préhospitalière des intoxications oxycarbonées. Type d’étude : Étude rétrospective sur l’année 1998 par inclusion de tous les patients pris en charge pour intoxication oxycarbonée. Patients et méthodes : Les signes cliniques ont été regroupés en quatre catégories : patients asymptomatiques, signes cliniques mineurs, de gravité intermédiaire et d’intoxication sévère. Les dosages du CO ont été réalisés dans l’air expiré sur site de l’intoxication (HbCOe) dans le sang (HbCOs) et à l’hôpital (HbCOh). Une analyse de variance et une recherche de corrélation ont été réalisées. Résultats : Vingt appels ont donné lieu à la prise en charge 262 victimes. Les 144 patients (55 %) asymptomatiques avaient des valeurs d’HbCOe de 11,6 ± 7,5 % (moyenne ± SD) et d’HbCOh de 4,9 ± 3,3 %. Les 91 patients (35 %) avec symptômes mineurs avaient des valeurs d’HbCOe de 16,4 ± 7,9 et d’HbCOh de 7,1 ± 4,5 %. Les 21 patients (8 %) avec des symptômes d’intoxication sévère et intermédiaire avaient des valeurs d’HbCOe de 26,4 ± 17,7 % et d’HbCOh de 12,8 ± 9,3 %. Les dosages du CO dans l’air expiré et à l’arrivée à l’hôpital étaient corrélés à la gravité des symptômes (p < 0,05). Conclusion : Le dosage du CO dans l’air expiré est une technique simple, facilement disponible et dont les résul-
Reçu le 25 avril 2000 ; accepté le 30 novembre 2000. * Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Lapostolle).
tats sont corrélés à la gravité des symptômes. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS air expiré / dosage / intoxication / monoxyde de carbone / sévérité / symptômes
ABSTRACT Measurement of expired breath carbon monoxide concentration in prehospital management of carbon monoxide intoxication. Introduction: Carbon monoxide detectors are currently used by the French prehospital medical teams. These detectors can also be used to measure expired breath carbon monoxide concentration. The interest of this measurement has never been studied. Objective: To evaluate interest of expired breath carbon monoxide concentration measurement in the management of prehospital carbon monoxide intoxication. Study design: Patients with carbon monoxide poisoning were included during 1998. Patients and methods: Four levels of clinical severity: no symptom, minor, medium or severe intoxication were defined. Carbon monoxide concentration were measured in the expired breath (COHbe) at the place of the intoxication and in blood samples collected at the place of the intoxication (COHbs) and at the hospital (COHbh). Results: 209 patients were included, 144 had no symptom (55%), the value of COHbe was 11.6 ± 7.5% (mean ± DS) and the value of COHbh was 4.9 ± 3.3%. 91 patients had minor intoxication (35%), the value of COHbe was 16.4 ± 7.9% and the value of COHbh was 7.1 ± 4.5%, 21 patients had sever or medium intoxication (8%) the value of COHbe was 26.4 ± 17.7% and the the value of COHbh was 12,8 ± 9,3%. Results for COHbh were obtained for only three patients. Relationship between symptoms and
Dosage du CO
expired breath carbon monoxide and relationship between symptoms and carbon monoxide blood concentration on arrival at the hospital were significant (p < 0.05). Conclusion: Measurement of expired carbon monoxide concentration, easy and quick to perform is correlated with clinical severity in carbon monoxide poisoning. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS carbon monoxide / dosage / expired breath / severity / symptoms
L’intoxication au monoxyde de carbone (CO) est fréquente et associée à une morbi-mortalité élevée. L’utilisation de détecteurs de CO est de plus en plus répandue. Initialement utilisés dans les milieux industriels, ces appareils s’adressent maintenant à un large public [1, 2]. Une circulaire de la Direction générale de la Santé de 1995 [3] recommande l’utilisation de détecteurs portables de CO pour les équipes de sauveteurs comme moyen d’alerte en atmosphère à haute concentration en CO. La plupart de ces appareils permettent aussi, en cas d’intoxication, la mesure du CO dans l’air expiré et sont utilisés à cette fin par les équipes de service médical d’urgence et de réanimation (Smur) [4]. Comme la relation entre la concentration de CO et les symptômes observés au cours des intoxications oxycarbonées est discutée, l’intérêt de la mesure de CO dans l’air expiré est source d’interrogation. L’objectif de cette étude était d’évaluer l’intérêt de la mesure du CO dans l’air expiré au cours de la prise en charge préhospitalière des intoxications oxycarbonées sur des critères de jugement cliniques et toxicologiques. MATÉRIEL ET MÉTHODES Parmi les patients, pris en charge pour une intoxication oxycarbonée par le Samu 93 au cours de l’année 1998, ceux pour lesquels une mesure du monoxyde de carbone dans l’air expiré ou un dosage sanguin de monoxyde de carbone avaient été réalisés, ont été inclus dans cette étude rétrospective. Les patients intoxiqués par les fumées d’incendie ont été exclus afin de s’affranchir des effets liés aux autres toxiques inhalés. Les paramètres ont été recueillis à partir des dossiers de régulation et des observations médicales préhospitalières. Les conditions de survenue de l’intoxication ont été colligées : caractère volontaire ou non
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de l’intoxication et le nombre, l’âge et le sexe des patients. Les signes cliniques observés ont été regroupés en quatre catégories exclusives les unes des autres : 1) patients asymptomatiques (en l’absence de signe clinique) ; 2) patients avec des signes cliniques mineurs (asthénie, céphalées, vertiges, nausées, vomissements) ; 3) patients avec des signes cliniques de gravité intermédiaire (impotence, troubles de la conscience) et 4) patients avec des signes cliniques d’intoxication sévère (perte de connaissance, convulsions, coma). L’évolution des patients a été notée (décès, survie). Les mesures du CO dans l’air expiré ont été réalisées avec trois appareils, CO-testeurs de marques Fim™, Oldham™, et Dräger™ et selon les recommandations des constructeurs, chaque patient observant une apnée de 20 secondes avant d’expirer lentement et complètement dans l’appareil. Cette méthode de mesure repose sur le principe de l’oxydation électrochimique du CO avec une mesure ampérométrique du courant d’oxydation. Les résultats, exprimés en particules par million (ppm) sont automatiquement convertis par les appareils, à partir d’abaques, en pourcentage de carboxyhémoglobine (HbCO). Les mesures de CO dans l’air expiré ont été relevées sous forme de pourcentage de carboxyhémoglobine (HbCOe) pour assurer l’uniformité des résultats et permettre les comparaisons avec les dosages sanguins. Ces derniers ont été effectués à partir de prélèvements réalisés sur le site de l’intoxication, pratique usuelle en médecine préhospitalière afin de disposer d’un prélèvement avant le début du traitement et l’arrivée du patient à l’hôpital. Le prélèvement a été ensuite acheminé avec le patient vers la structure hospitalière d’accueil. Un second prélèvement a été habituellement réalisé à l’arrivée à l’hôpital. La méthode de dosage utilisée était la spectrophotométrie visible dérivée d’ordre quatre. Les résultats ont été exprimés en pourcentage de carboxyhémoglobine (HbCOs sur le site et HbCOh à l’hôpital). Les résultats des mesures d’HbCO dans l’air expiré et dans le sang ont été comparés aux quatre niveaux de symptômes par une analyse de variance à un facteur. Les moyennes ont ensuite été comparées 2 à 2 par des tests t de Student en utilisant la correction de Bonferroni. Les corrélations entre les différents résultats des pourcentages d’HbCO ont été recherchées avec la méthode de
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F. Lapostolle et al.
Tableau I. Caractéristiques des collectifs de patients selon la gravité clinique. Patients asymptomatiques
Symptômes
(n = 136) (% H/F) Âge (m ± SD) (ans) Symptômes
(58/42) 27 ± 16
Patients décédés
Mineurs (n = 90)
Sévères (n = 21*)
(43/57) 28 ± 13 Asthénie : 9 Céphalées : 79
(52/48) 29 ± 10 Impotence : 1 Perte connaissance : 20 Coma : 11 Convulsions : 4
Vertiges : 17 Nausées : 32 Vomissements : 15
(n = 6) (83/17) 23 ± 10
* Dont un patient avec symptôme de gravité intermédiaire.
Spearman (méthode des rangs). Les données ont été traitées avec le logiciel Statistical Analysis System (SAS Institute Inc. Cary NC) version 6.12. Une valeur de p < 0,05 a été prise comme seuil de signification. RÉSULTATS Au cours de l’étude, 20 appels ont donné lieu à une intervention du Samu 93 pour intoxication oxycarbonée : individuelle (n = 7), collective impliquant moins de dix personnes (n = 12), et une intoxication collective impliquant 209 victimes. Au total 262 patients ont été pris en charge au cours de ces intoxications accidentelles et parmi eux, 253 ont été inclus dans l’étude. Il n’y a pas eu de décès après la prise en charge par les secours. Une mesure du monoxyde de carbone dans l’air expiré a été réalisée chez 157 patients et un dosage sanguin de monoxyde de carbone chez 214 patients. Il y avait 133 hommes (54 %) et 121 femmes (46 %). L’âge était de 27 ± 15 ans (moyenne ± SD). Sur les 253 patients inclus dans l’étude, 136 (54 %) étaient asymptomatiques, 90 (35 %) avaient des
symptômes d’intoxication mineure et 20 (8 %) des symptômes sévères. Un seul patient de 34 ans, avec une impotence et une symptomatologie de gravité intermédiaire a été associé aux patients sévères pour les analyses statistiques. Enfin, six patients (2 %) étaient décédés à l’arrivée du Smur. Les principales données cliniques concernant ces collectifs de patients sont présentées dans le tableau I. Un résultat d’HbCOe a été obtenu chez 157 patients. Les résultats manquants correspondaient pour l’essentiel à des patients pris en charge lors de la catastrophe ayant concerné plus de 200 victimes et au cours de laquelle ce dosage n’a pu être réalisé systématiquement compte tenu des circonstances exceptionnelles. Les autres résultats manquants se répartissaient entre les patients décédés d’emblée et ceux avec des troubles de conscience pour lesquels ce dosage n’était pas réalisable. Les résultats d’HbCOe en fonction de la gravité des patients sont rapportés dans le tableau II. Les pourcentages d’HbCOe étaient différents selon les groupes de symptômes (figure 1). Un résultat HbCOs a été obtenu pour les six patients décédés à l’arrivée du Smur. Le pourcentage moyen
Tableau II. Résultats des différents dosages d’HbCO selon la gravité clinique. Patients asymptomatiques (n =136) HbCoe (%)
m ± DS
HbCOs (%)
m ± DS
HbCOh (%)
m ± DS
11,6 ± 7,5 n = 73 15 n=1 4,9 ± 3,3 n = 122
Symptômes Mineurs (n = 90) 16,4 ± 8,0 n = 67 – n=0 6,9 ± 4,1 n = 76
Sévères (n =21) 26,4 ± 17,7 n = 17 20 n=2 12,8 ± 9,3 n = 12
Patients décédés (n = 6)
73,0 + 4,3 n=6
13
Dosage du CO
p<0,001
p<0,001
80
25
70
20
60
p<0,05 15
p < 0,001
CO sanguin (HbCO en %)
CO expiré (exprimé en HbCO en %)
30
p < 0,001
p < 0,001
50 40
10
30
5
0 Symptomatologie Graves (n = 17)
p < 0,001
20
p < 0,001 p < 0,005
10 Mineurs (n = 67)
Asymptomatiques (n = 73)
Figure 1. Relation entre le CO mesuré dans l’air expiré et les symptômes observés (n = 157).
0 Symptomatologie Décédés (n = 6)
Sévères (n = 12)
Mineurs (n = 76)
Asymptomatiques (n = 122)
Figure 2. Relation entre l’HbCO sanguin et les symptômes observés (n = 216).
d’HbCOs était de 73,0 ± 4,3. Un résultat HbCOs a été obtenu pour trois autres patients (1 %). Ce manque de résultat s’explique en partie par le fait qu’aucun des patients pris en charge lors de la catastrophe n’a eu de prélèvement sanguin sur le lieu de l’intoxication, compte tenu des circonstances. Cinquante-trois autres patients ont eu un prélèvement sanguin sur le site de l’intoxication, mais ce prélèvement n’a pas été exploité par les hôpitaux destinataires. Un résultat HbCOh a été obtenu pour 214 patients. Pour les 40 autres résultats, les services des hôpitaux destinataires (services d’accueil des urgences et laboratoires) n’ont pas pu, ou n’ont pas consenti à nous transmettre les résultats. Les résultats d’HbCOh en fonction de la gravité des patients sont rapportés dans le tableau II. Les pourcentages d’HbCOe étaient différents selon les groupes de symptômes (figure 2). DISCUSSION La mesure du CO dans l’air expiré lors de la prise en charge préhospitalière des intoxications oxycarbonées pures est liée à la gravité des symptômes. Cette liaison persiste à l’arrivée à l’hôpital entre l’HbCO dosé dans le sang et les symptômes initiaux. En revanche, la relation entre les dosages de CO dans l’air expiré et les prélèvements sanguins était médiocre. Dans cette étude, la gravité des signes cliniques initiaux est liée au CO mesuré dans l’air expiré sur le site de l’intoxication et au pourcentage de CO dans
le sang mesuré à l’arrivée du patient aux urgences. Bien que les intoxications oxycarbonées aient été décrites il y a plus d’un siècle, la relation entre la concentration de CO et les symptômes reste des plus controversée [5]. En 1895, Haldane le premier, a évoqué l’existence de cette relation [6]. De nombreuses études, de méthodologie souvent critiquable, ont depuis apporté des arguments inverses [7-11]. La cinétique de dissociation du CO y est insuffisamment prise en considération. Les dosages sanguins de CO réalisés à l’arrivée du patient à l’hôpital, ne tiennent pas compte du transport qui se déroule sous oxygène à fort débit, dès lors qu’une intoxication oxycarbonée est suspectée. De plus, la dissociation de la carboxyhémoglobine se poursuit in vitro, ce qui peut conduire à sous-estimer l’HbCO de 40 % après quelques heures [12]. Seul un dosage de la concentration en CO par spectrophotométrie infrarouge permettrait une mesure indépendante du temps. Or, la plupart des études publiées reposent sur le dosage de la carboxyhémoglobine et ne tiennent pas compte de ces éléments cinétiques. Enfin, les collectifs de patients, limités à quelques dizaines de patients [10] voire à quelques patients [8, 11] sont probablement, le plus souvent insuffisants pour espérer mettre en évidence la relation CO-symptômes. A contrario, dès lors que le nombre de patients est suffisant et que la méthodologie utilisée prend en compte la cinétique de dissociation de la carboxyhémoglobine, la relation entre CO-symptômes s’affiche. Ainsi, Benaissa et al. ont retrouvé cette relation
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F. Lapostolle et al.
dans des études, qui tenaient compte de la cinétique de dissociation de la carboxyhémoglobine sur des collectifs de 146, 473 ou 629 patients [5, 13, 14]. Dans ces études, les patients les plus graves ont une concentration en CO supérieure à celle des études utilisant la mesure de l’HbCO par spectrophotométrie visible [15]. La mesure de l’HbCO dans l’air expiré, parce qu’elle est précoce, permet de retrouver cette relation. Ces résultats incitent à penser que cette mesure sur le site même de l’intoxication est une technique intéressante. Le principe de la mesure effectué sur une fraction gazeuse et exprimé en particules par million (ppm) est électrochimique. La conversion de ce résultat en pourcentage de carboxyhémoglobine est réalisée automatiquement par l’appareil à partir d’abaques établis selon le modèle de Haldane. Cette conversion est indiscutablement une source potentielle d’erreur et de biais dans cette étude. Il convient de rappeler que ces appareils, à l’origine destinés aux milieux industriels, sont maintenant largement distribués et disponibles pour les particuliers [1]. Les constructeurs proposent des appareils capables, pour la plupart, de mesurer le CO dans l’air expiré. Un modèle théorique établi par Stewart à partir de l’équation de Haldane permet de convertir la mesure de CO réalisée en ppm en pourcentage de carboxyhémoglobine [6, 16]. Cette conversion introduit indiscutablement un biais, ne serait ce que parce qu’elle intègre comme donnée de base une hémoglobine sanguine à 14 g·100·mL–1, ce qui n’est certainement pas toujours exact. Cette conversion de ppm en pourcentage d’HbCO a été validée chez une population de fumeurs, avec des concentrations de CO de 80 ppm maximum convertis en des pourcentages de HbCO inférieurs à 20 %. Elle n’a donné lieu à aucune validation pour des intoxications ou des concentrations de CO supérieures à 100 ppm. Dans l’étude présentée ici, seule l’utilisation du pourcentage d’HbCO permettait de comparer mesures réalisées dans l’air expiré et dosages sanguins. Cette conversion réalisée automatiquement et sur un collectif de plus de 150 patients ne semble toutefois pas de nature à remettre en cause l’existence retrouvée d’une relation entre les symptômes et la concentration de CO dans l’air expiré. Enfin, en pratique, il suffirait de revenir à l’unité de base, le pourcentage de CO en ppm pour faire disparaître ce biais potentiel.
Une autre limite à cette technique est sa faisabilité. La mesure doit s’effectuer selon des règles précises. En particulier, la mesure de CO dans l’air expiré doit être précédée d’une apnée de 20 secondes destinée à équilibrer les concentrations entre le sang et les alvéoles pulmonaires. De plus, il convient d’attendre le retour au zéro de la cellule électrochimique entre deux mesures. Il a parfois été nécessaire d’attendre plus de 15 minutes afin d’obtenir ce retour à zéro, dans notre expérience personnelle. Le non-respect de ces règles expose à une erreur de mesure. Ce risque est évident chez les enfants et les patients s’exprimant mal dans notre langue ou ayant des troubles de conscience. Cette limite explique peut être que certains patients avec des symptômes sévères aient eu des pourcentages d’HbCOe de l’ordre de 15 %. Il est possible aussi que certains patients asymptomatiques aient eu des pourcentages d’HbCO élevés en raison du non-respect du temps de latence entre deux mesures successives. Le contrôle de la qualité de l’exécution de la mesure est un gage de fiabilité de cette technique. En raison de ces biais potentiels et, même si la corrélation trouvée avec les symptômes constitue un élément de réponse positive, une étude prospective sur la relation entre la concentration sanguine en CO mesurée par spectrophotométrie infrarouge, à partir d’un prélèvement sanguin réalisé sur le site de l’intoxication, et la mesure du CO en ppm dans l’air expiré effectuée simultanément permettrait seule de valider définitivement cette technique. Les éléments de toxicocinétiques développées précédemment rendent probablement compte aussi de l’absence de corrélation entre les mesures d’HbCO dans l’air expiré sur le site de l’intoxication et dans les prélèvements sanguins réalisés à l’hôpital. Les incertitudes concernant la FIO2 reçue par le patient et l’intervalle de temps séparant la prise en charge du patient de la réalisation du prélèvement sanguin étaient en fait majeures dans cette étude rétrospective. La relation entre les pourcentages d’HbCO mesurés dans l’air expiré et dans le prélèvement sanguin effectué sur le site de l’intoxication n’a pu être établie en raison d’un nombre très insuffisant de résultats disponibles. Le prélèvement sur le site de l’intoxication est pourtant recommandé lors de la prise en charge préhospitalière des intoxications oxycarbonées. Il est systématique au Samu 93. Les pré-
Dosage du CO
lèvements réalisés par les équipes des Smur n’ont le plus souvent pas été utilisés pour réaliser les dosages d’HbCO. Le manque de confiance sur la qualité du prélèvement, son ancienneté, le manque de temps pour effectuer un dosage supplémentaire ou le coût financier de ce dosage ont été évoqués. Quoi qu’il en soit, il conviendrait, soit de s’abstenir de réaliser ce prélèvement, soit de passer un accord avec l’hôpital receveur pour que le prélèvement donne lieu à la mesure de la concentration en CO en spectrophotométrie infrarouge, seule technique adaptée au délai. Sauf à considérer que le dosage du CO dans l’air expiré est suffisant. CONCLUSION Cette étude apporte des arguments en faveur d’une l’utilisation large des CO-testeurs. La relation CO-symptômes étant établie, le CO-testeur permet, dès la prise en charge des patients sur le site de l’intoxication, d’identifier une population de patients suspects d’intoxication sévère. Le problème se pose de la décision thérapeutique à prendre pour un patient asymptomatique ou peu symptomatique avec une concentration de CO élevée dans l’air expiré. S’il n’y a pas, à ce jour, d’argument pour penser qu’un seul résultat biologique puisse indiquer la mise en œuvre d’une oxygénothérapie hyperbare, il est clair que la constatation d’une discordance entre la clinique rassurante et une concentration de CO élevée dans l’air expiré doit inciter à reprendre l’interrogatoire à la recherche de signes cliniques de gravité, perte de connaissance en particulier, qui seraient passés inaperçus. Enfin, la simplicité d’utilisation des CO testeurs devrait inciter à un usage plus large, en particulier dans les services d’urgences. RE´ FE´ RENCES 1 Chesnais E, Sandouly C. Détecteurs de monoxyde de carbone. Que choisir 1999 ; 356 : 46-9.
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