Interférence dans le dosage de la protéine C réactive chez un malade avec syndrome inflammatoire apparent

Interférence dans le dosage de la protéine C réactive chez un malade avec syndrome inflammatoire apparent

CLINIQUE THÉMATIQUE À TAPER BIOCHIMIE Interférence dans le dosage de la protéine C réactive chez un malade avec syndrome inflammatoire apparent Crist...

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CLINIQUE THÉMATIQUE À TAPER BIOCHIMIE

Interférence dans le dosage de la protéine C réactive chez un malade avec syndrome inflammatoire apparent Cristina Iobagiua, Françoise Rasclea, Jacques Borga,*

1. Présentation clinique et résultats biologiques

Figure 1 – Cinétique des valeurs de CRP dans le temps.

Dosages CRP Monsieur GM, 74 ans, est admis au Service Vitros Fusion 5.1® des urgences de l’hôpital pour traumatisme BN Prospec® crânio-cérébral avec troubles de la conscience (score Glasgow à 10) après une chute. À ce moment, aucun renseignement sur les antécédents médicaux du patient n’est disponible. Le bilan biochimique pratiqué sur plasma ne montre pas de perturbations notables (ionogramme, enzymes hépatiques, urée, créatinine, enzymes cardiaques valeurs normales, protéines 53 g/L VN 60-78 g/L) en dehors d’une forte valeur de protéine C réactive (CRP) à 430 mg/L. Le patient est pris en charge par le service de réanimation, où la possibilité d’un syndrome inflammatoire important de nature infectieuse est explorée activement chez ce patient comaLes résultats obtenus par la technique turbidimétrique (automate Vitros Fusion 5.1®) sont discordants teux avec fièvre modérée (37,8°). vis-à-vis des résultats obtenus par la technique néphélémétrique (automate BN Prospec II®). Progressivement, l’état général s’améliore sous traitement antibiotique, mais la valeur L’amélioration de l’état général du patient sans régression de la CRP reste élevée pendant plus d’un mois (valeurs de la valeur de la CRP (cinétique de la CRP présentée dans entre 176 et 721 mg/l) sans cause identifiée (prélèvements la figure 1) soulève la question de la fiabilité du résultat bactériologiques stériles) et sans d’autres éléments de rendu pour la CRP, interprété comme indice de syndrome syndrome inflammatoire biologique important (absence de inflammatoire biologique. Une interférence dans le dosage leucocytose, d’anémie, de myélémie, numération plaquettaire normale, hypo-albuminémie corrigée après quelques de la CRP est évoquée et des tests complémentaires sont jours). La valeur de la CRP reste à plusieurs reprises dismis en route. sociée par rapport à la valeur normale de procalcitonine (inférieure à 0,05 ng/mL), qui a été dosée dans le cadre 2. Exploration de l’exploration d’un syndrome infectieux.

a Laboratoire de biochimie Plateau de biologie Centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne Hôpital Nord Av. Albert-Raimond 42277 Saint-Priest-en-Jarez cedex

* Correspondance [email protected] article reçu le 15 mars, accepté le 26 avril 2012 © 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

Une première approche pour mettre en évidence une interférence consiste à réaliser le dosage sur un prélèvement dilué ou/et le redoser par une autre méthodologie. Dans notre cas, la CRP a été dosée par une technique immunoturbidimétrique avec un réactif Diagam® France, qui comprend un composant de précipitation des protéines (Poly Ethylène Glycol ou PEG) et un anticorps anti-CRP polyclonal de chèvre en solution (sans particules de latex). L’analyseur multiparamétrique utilisé (automate Vitros Fusion 5.1® Ortho Clinical Diagnostics) n’a pas mis en évidence d’interférence par la bilirubine, les lipides ou l’hémolyse dans les échantillons analysés, et la précipitation au PEG devrait écarter le risque d’interférence due aux protéines monoclonales. REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2013 - N°449 //

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CLINIQUE

texte courant Figure 2 – Valeurs de la CRP du patient (porteur d’une Ig monoclonale de type M O 6,5 g /L).

traitement efficace par cures de chloraminophène. Le pic est contrôlé depuis 5 ans (6,5 g/L) avec disparition de l’insuffisance médullaire (disparition de l’anémie). De plus, CRP (interférence) (1) note de page la recherche de cryoglobulines était négaplasma tive. Au cours des divers bilans biologiques des 12 ans de suivi médical, des dosages plasma + sérum souris inattendus étaient rapportés, comme par exemple un dosage de la CRP en 2005 à plasma + sérum chèvre 633 mg/L au cours d’une infection respiratoire banale (dosage turbidimétrique sur Modular®, Roche), dosage qui est revenu plasma + E-ME r à 100 mg/L après traitement à E-mercaptoéthanol (E-ME). Pour identifier le facteur responsable de l’interférence, il a été réalisé au laboratoire : r dosage de la CRP par les deux techniques (turbidimétrique et néphélémétrique) après addition de sérum animal (chèvre et souris, origines des anticorps primaires des trousses Diagam® et Siemens), concentration finale 10 % dans l’échantillon à doser ; r traitement de l’échantillon par E-ME ; turbidimétrie néphélémétrie turbidimétrie néphélémétrie r dosage de la CRP sur sérum (prélèvement sans héparine) ; Patient Témoin r recherche d’auto-anticorps. Par turbidimétrie et néphélémétrie, avec ou sans traitement du plasma avec du sérum de souris, du sérum Comme la figure 2 le montre, le dosage de de chèvre ou du b-ME ; les mêmes traitements ont été appliqués à un plasma témoin pour dosage de la CRP refait après addition de sérum animal CRP par les mêmes techniques (le dosage sur l’échantillon témoin a été réalisé par une seule technique au moment initial). par turbidimétrie ou néphélémétrie n’était pas influencé par l’ajout de sérum animal, ce qui infirme l’hypothèse des anticorps hétérophiles La dilution au demi n’a pas éliminé l’interférence ; les diluinterférant avec le dosage de CRP. Une autre possibilité tions n’ont pas été poursuivies. En seconde intention, la CRP a été dosée par une technique néphélémétrique sur de mise en évidence des anticorps hétérophiles aurait l’automate BN ProSpec II® (Siemens Diagnostics), avec pu être l’adsorption des anticorps hétérophiles sur des une trousse de réactifs comprenant un anticorps anti- protéines animales fixées aux parois des tubes spéciaux (« heterophilic blocking tubes ») ; cet essai n’a pas été CRP monoclonal de souris sur particules de latex. Avec cette technique, l’échantillon était dilué au 1/400 (donc réalisé. dilution d’un probable facteur interférent) et le réactif En revanche, le traitement de l’échantillon avec E-ME ne contenait pas de PEG. Avec cette technique, les (1 % concentration finale dans l’échantillon, après 30 min valeurs obtenues pour la CRP étaient beaucoup plus d’incubation à température ambiante) a ramené la valeur basses (40,9 mg/L ; valeur de référence < 10 mg/L). de la CRP à 28,9 mg/L sans modifier un dosage témoin Il s’agit d’une technique néphélémétrique utilisée depuis (figure 2). Ce résultat turbidimétrique de CRP concorde 1996 et réputée moins sensible aux interférences avec avec celui obtenu par la technique néphélémétrique. En sachant que les complexes protéiques multimériques les immunoglobulines monoclonales [1]. (comme les IgM) sont dénaturées par le E-ME, ces résultats Les premières hypothèses à vérifier devant un cas d’interférence immunométrique comme celui-ci sont : suggèrent une interférence entre l’IgM à l’état multimé(1) la présence d’anticorps hétérophiles, (2) l’interférence rique et l’anticorps de dosage de la trousse Diagam®, effet éliminé par la dilution importante de l’échantillon dans la par une immunoglobuline monoclonale, (3) la présence technique néphélémétrique. L’héparine n’a pas pu être d’auto anticorps. Au cours de l’hospitalisation actuelle, un pic d’IgM mono- incriminée dans l’apparition de l’interférence, puisque les clonale est retrouvé à l’électrophorèse, (6,5 g/L) avec valeurs élevées de la CRP ne se reproduisaient pas lors un profil modérément inflammatoire (albumine 52 %, du dosage turbidimétrique de la CRP dans les échanD1 globulines 8,4 %, D2 globulines 13,5 %, E globulines tillons de sérum. 9 %, J globulines 17 % ; protéines totales 62 g/L) qui ne La recherche par immunofluorescence des auto-anticorps non spécifiques d’organes a été demandée. Seuls concorde pas avec la très forte valeur de CRP. Une analyse plus attentive du dossier médical récupéré les anticorps antinucléaires (ACAN) étaient faiblement auprès du médecin de famille a été entreprise : ce dossier positifs ; les anticorps spécifiques (anti-cardiolipine et rappelle une antériorité de maladie Waldenström mise en anti-E2GP1) étaient négatifs. L’absence de facteur rhumatoïde (méthode immunonéphélémétrie cinétique sur évidence il y a 12 ans, avec envahissement lymphocytaire médullaire à 40 %, absence de lymphocytose périphérique, automate Image®, Beckman-Coulter) était en accord avec immunoglobuline monoclonale de type M (IgM) O à 27 g/L, l’absence de signes cliniques évocateurs.

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BIOCHIMIE

3. Discussion Dans le cas que nous rapportons, il s’agit d’une immunoglobuline monoclonale de type IgM O (6,5 g/L) qui interfère avec le dosage immuno-turbidimétrique de la CRP. La CRP, protéine de la phase aiguë de l’inflammation produite par le foie, est secrétée dans les états inflammatoires et dépasse rarement 400 mg/L, sauf dans les cas d’inflammation qui accompagnent les infections systémiques ou généralisées. Dans notre cas, la valeur de CRP chez un patient comateux avec troubles neurologiques a été interprétée à tort comme valeur réelle. La confrontation avec le reste du bilan biologique et avec l’évolution clinique favorable a permis de douter de la réalité des valeurs élevées de la CRP. Ces valeurs de CRP évocatrices d’un syndrome inflammatoire ont conduit par excès à une exploration de contexte auto-immun (auto-anticorps non spécifiques et spécifiques d’organes, facteur rhumatoïde). Plusieurs mécanismes pourraient être incriminés pour expliquer l’interférence : r conséquence d’une reconnaissance par l’Ig monoclonale de l’anticorps de dosage [2] ; r précipitation des protéines dans les milieux réactionnels à l’origine d’un trouble détecté en turbidimétrie et pas en néphélémétrie ; r homologie structurale entre la CRP et l’Ig monoclonale, qui la rend reconnaissable par l’anticorps de détection [3] ; r l’hétérogénéité moléculaire des IgM polymériques : tetrapenta-hexamères [4] ; r formation des complexes entre l’immunoglobuline et l’héparinate de lithium dans le prélèvement hépariné [5]. Du point de vue technique, l’interférence analytique par immunoglobuline monoclonale reste un événement non lié à une technique spécifique ou à un automate (néphélémétrie cinétique ou en point final, turbidimétrie sans latex avec réactif de précipitation, sandwich immuno-enzymatique hétérogène détecté par spectro-réflectométrie…). Cet événement a été mis en évidence pour une large variété de paramètres : fraction C4 [6], procalcitonine [7], paracétamol, créatinine, urée, bilirubine, fer, phosphates, acide urique [5], transferrine [8], ferritine, CRP [9].

Références [1] Lammers M. Interference with nephelometric assay of C-reactive protein by monoclonal immunoglobulin. Clin Chem 1998 ;44: 1584-5. [1] texte [2] Yu A,réfPira U. False increase in serum C-reactive protein caused by monoclonal IgM lambda: a case report. Clin Chem Lab Med 2001 ;39:983-7. [3] Lelong M, Renard MF, Giraudeaux V. Solid immunoassay and immunonephelemetric methods for serum C reactive protein (CRP) determination: discrepancy in CRP value for a patient presenting a monoclonal immunoglobulin G. Clin Chim Acta 1999 ;288:147-52. [4] Yamamoto T, Yonemasu K. Multiple forms of serum immunoglobulin M in a patient with Waldenström’s macroglobulinemia. Clin Chim Acta 1999 ;289:173-6.

Références

L’immunoglobuline monoclonale en cause peut être de plusieurs types : G ou M, k ou l. L’environnement physicochimique de l’immunoglobuline (pH, force ionique, conservateurs, pI…) apporté par les réactifs commerciaux n’étant pas toujours connu en détail, la prédiction et la compréhension d’une interférence reste très difficile dans l’activité de routine d’un laboratoire de biologie médicale. Le biais induit par les Ig monoclonales dans les dosages immunométriques de la CRP a été étudié à grande échelle par Gallou [10] sur 190 sérums contenant une Ig monoclonale, dont 74 porteurs d’une IgM : 12,2 % des cas avec IgM monoclonale présentaient une interférence positive en néphélémétrie (technique sur particules latex) et pas en turbidimétrie (avec antisérum en solution). Les IgM en cause étaient de type k avec une concentration variable (11 à 80 g/L). Cela mène, comme dans d’autres études, à deux conclusions importantes : r c’est un événement non systématique et rare (12 %) ; r ce n’est pas la quantité d’immunoglobuline, mais la structure de l’immunoglobuline monoclonale (indépendamment du type) qui induit l’interférence.

4. Conclusion Ce cas souligne la difficulté analytique créée par certaines immunoglobulines monoclonales, dont les particularités physicochimiques individuelles et non pas la spécificité de l’Ig monoclonale (type) sont responsables d’interférences dans les dosages immunométriques. Ce cas souligne à la fois la nécessité de confronter les résultats biologiques aux données cliniques et la nécessité du dialogue entre le biologiste et le clinicien pour éviter une sur-prescription d’actes biologiques non informatifs (dosages redondants de CRP), d’autant plus que ces interférences sont difficiles à prédire et à dépister. Dans notre cas, un suivi du syndrome inflammatoire par dosage d’autres protéines de la phase aiguë (orosomucoïde, haptoglobine…) a été conseillé. Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

[5] Barbier A, Vuillaume I, Baras A, et al. Interférence par une IgM monoclonale dans un bilan biochimique : détections et recommandations. Ann Biol Clin 2007 ;65:411-5. [6] Parent X. Dosage de la fraction C4 du complément sur Array 360 : attention aux IgM monoclonales ! Ann Biol Clin 1998 ;56:209-10. [7] Nhan T, Legros A, Mariotte D, et al. Interférence lors du dosage de la procalcitonine par la méthode rapide PCT-Q Brahms. Rev Fr Lab 2009 ;412:59-61. [8] Oliver M, Ragot C, Savini H, et al. IgM monoclonale cryoprécipitante… un piège au laboratoire. Ann Biol Clin 2007 ;65:577-80. [9] Granouillet R, Rascle F, Chamson A, et al. Interférence d’IgM monoclonale dans la determination de la protéine C reactive et de la ferritine par immunonéphélémétrie. Ann Biol Clin 1998 ;56:485-6. [10] Gallou G, Legras B, Ruelland A, et al. Problems of C-reactive protein determination in patients with monoclonal immunoglobulins. Clin Chem 1993;39:918.

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