Journal de Gyn´ ecologie Obst´ etrique et Biologie de la Reproduction (2011) 40, 149—155
TRAVAIL ORIGINAL
Interruption médicale de grossesse et placenta praevia, intérêt d’un fœticide précoce ? Termination of pregnancy and placenta previa, interest of performing feticide before the labor induction? A. du Passage a,b, C. Le Ray a,b, G. Grangé a,b, D. Cabrol a,b, V. Tsatsaris a,∗,b a
Service de maternité Port-Royal, hôpital Cochin, AP—HP, université Paris Descartes, 123, boulevard du Port-Royal, 75014 Paris, France b Fondation PremUP, 75014 Paris, France Rec ¸u le 8 mars 2010 ; avis du comité de lecture le 4 juillet 2010 ; définitivement accepté le 28 juillet 2010 Disponible sur Internet le 1 septembre 2010
MOTS CLÉS Placenta praevia ; Grossesse ; Interruption de grossesse
∗
Résumé Objectifs. — Étudier la morbidité maternelle d’un accouchement par voie basse en cas d’interruption médicale de grossesse (IMG) associée à un placenta praevia et étudier l’intérêt d’un fœticide précoce (réalisé quelques jours avant le déclenchement). Patientes et méthodes. — Il s’agit d’une étude rétrospective cas—témoins avec deux groupes de patientes appariées : le groupe des cas (IMG associée à un placenta praevia) et le groupe des témoins (IMG et placenta normalement inséré). La morbidité maternelle définie par l’hémorragie pendant l’IMG, l’hémorragie de la délivrance, la transfusion sanguine et la perte moyenne d’hémoglobine a été comparée entre les deux groupes et au sein du groupe des cas, entre les patientes ayant bénéficié d’un fœticide précoce et celles n’ayant pas eu de fœticide précoce. Résultats. — De 1996 à 2009, nous avons identifié 15 cas d’IMG associées à un placenta praevia (sept placentas recouvrant et huit placentas bas insérés) qui ont été appariés à 29 cas d’IMG avec un placenta normalement inséré. Parmi le groupe des cas, huit patientes ont bénéficié d’un fœticide précoce, six patientes n’ont pas eu de fœticide et une patiente a eu un fœticide le jour du déclenchement. La morbidité maternelle était accrue de manière significative dans le groupe des placentas praevia par rapport au groupe des placentas normalement insérés (quatre hémorragies pendant l’IMG, deux hémorragies de la délivrance, quatre patientes transfusées et perte moyenne d’hémoglobine de 1,5 g/dL dans le groupe des cas versus aucun cas d’hémorragie ni de transfusion et perte moyenne d’hémoglobine de 0,5 g/dL dans le groupe témoin ; p < 0,05). Dans le groupe fœticide précoce, la morbidité maternelle avait tendance à diminuer sans que ce résultat soit significatif.
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (V. Tsatsaris).
0368-2315/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jgyn.2010.07.013
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A. du Passage et al. Conclusion. — L’accouchement par voie basse en cas d’IMG associée à un placenta praevia même recouvrant semble une option raisonnable ; la réalisation d’un fœticide précoce reste à être évaluée. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Pregnancy; Placenta previa; Termination of pregnancy
Summary Objectives. — Study of maternal morbidity when termination of pregnancy (TOP) is associated with placenta previa and study of the interest of performing feticide before labor induction. Patients and methods. — This is a retrospective case control study with two groups of matched women: the case group (women with placenta previa) and the control group (women without placenta previa). Maternal morbidity have been studied and compared between the two groups and in the case group, between women who had feticide between labor induction and women who did not have feticide. Results. — Between 1996 and 2009, we identified 15 cases of TOP with placenta previa (seven complete placentas previa and eight low lying placenta including partial and marginal placenta previa) who have been matched with 29 women. In the case group, eight women had feticide before labor induction, six women had no feticide and one woman had feticide the same day of labor induction. Maternal morbidity was increased in this group but without major complications (four hemorrhages during labor, two postpartum hemorrhages, four transfused patients and mean difference of hemoglobin level was 1,5 g/dl in the case group versus no hemorrhage during labor, no postpartum hemorrhage, no transfusion and mean difference of hemoglobin level was 0,5 g/dl in the control group; P < 0,005). Performing feticide before labor induction allowed a non-significant reduction of mean loss of hemoglobin and of the number of women who needed transfusions. Conclusion. — A vaginal delivery in cases of TOP with placenta previa and even totally recovering seems a reasonable solution; performing feticide before labor induction could decrease loss of blood but further studies are needed. © 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Le placenta praevia est défini par son insertion sur le segment inférieur de l’utérus. Il est classé en bas inséré, affleurant l’orifice interne (OI) du col ou marginal, partiellement recouvrant ou totalement recouvrant [1]. En cas de placenta partiellement recouvrant, la mesure de la languette placentaire recouvrant le col à l’échographie du deuxième trimestre est importante car directement liée au pronostic obstétrical [2]. Sa fréquence varie selon les études et se situe aux alentours de 0,3 à 0,4 % [3,4]. Il est associé à des complications obstétricales qui sont l’accouchement prématuré et surtout, l’hémorragie durant la grossesse ou au moment de l’accouchement. Si le placenta est seulement bas inséré ou affleurant l’OI, un accouchement par voie naturelle est envisageable ; en cas de placenta recouvrant, une césarienne est indiquée. L’interruption médicale de grossesse (IMG) en cas de placenta praevia, notamment recouvrant, est une situation exceptionnelle qui pose une double problématique. D’une part, l’accouchement d’un enfant sans vie impose de limiter au maximum les complications maternelles dans une situation où l’accouchement par voie basse est classiquement contre-indiqué en raison des risques hémorragiques maternels. D’autre part, en cas de placenta recouvrant, la réalisation d’une césarienne à des termes souvent très précoces, sur un segment inférieur étroit et non amplié expose la patiente à des complications immédiates (hystérotomie corporéale, atteinte des pédicules utérins) et secondaires (ruptures utérines, placenta accreta, mort in
utero) qui amènent les cliniciens à discuter cette option et à envisager un accouchement par les voies naturelles. Il n’existe actuellement pas de recommandation particulière concernant la prise en charge des patientes demandant une IMG et présentant un placenta praevia. À la maternité Port-Royal, l’habitude en cas d’IMG associée à un placenta praevia et plus particulièrement recouvrant, est de favoriser l’accouchement par les voies naturelles. Afin de limiter les risques hémorragiques, un fœticide est réalisé quelques jours avant le déclenchement quel que soit le terme auquel a lieu l’IMG. Nous faisons l’hypothèse que l’arrêt de la circulation fœtale induit un affaissement des villosités placentaires aboutissant au comblement de la chambre intervilleuse et à l’interruption de la circulation sanguine maternelle dans le placenta ; il serait alors possible de diminuer les complications hémorragiques lors de l’expulsion. Le but de cette étude est d’étudier la morbidité maternelle en cas d’IMG associée à un placenta praevia et de valider la possibilité d’un accouchement par voie basse en cas de placenta recouvrant et, par ailleurs, d’étudier l’intérêt du fœticide précoce qui pourrait réduire les pertes sanguines.
Patientes et méthodes Nous avons mené une étude rétrospective cas—témoins. Les patientes ont été sélectionnées dans la base de données informatique de la maternité Port-Royal, dans la
Interruption médicale de grossesse et placenta praevia période d’accouchements entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 2008. Les patientes du groupe cas étaient incluses sur les critères suivants : IMG et placenta praevia. Chaque cas d’IMG associé à un placenta praevia a été apparié à deux témoins sur l’âge maternel, la parité et l’âge gestationnel au moment de l’IMG. Pour chaque patiente incluse, le dossier obstétrical a été analysé. Les informations recueillies ont été classées en trois groupes : • critères démographiques : ◦ origine géographique, ◦ âge maternel au moment de l’IMG, ◦ âge gestationnel au moment de l’IMG, ◦ parité, ◦ caractère cicatriciel ou non de l’utérus, ◦ type de grossesse (simple ou multiple), ◦ type d’insertion placentaire : bas inséré, affleurant l’OI, recouvrant ; • caractéristiques de l’IMG : ◦ indication de l’IMG (fœtale ou maternelle), ◦ moment du fœticide par rapport à l’IMG, ◦ administration ou non de mifépristone, ◦ modalités de déclenchement du travail, ◦ type d’analgésie, ◦ durée du travail, ◦ délai entre le fœticide et l’accouchement ; • post-partum : ◦ hémorragie de la délivrance, ◦ transfusion, ◦ nombre de culots globulaires administrés, ◦ chute du taux d’hémoglobine entre l’admission de la patiente et le post-partum, ◦ présence de troubles de la coagulation, ◦ admission en réanimation maternelle, ◦ durée de l’hospitalisation. À la maternité Port-Royal, les modalités d’une IMG sont les suivantes : préparation cervicale par la prise per os de trois comprimés de mefipristone, Mifégyne® 48 heures avant l’expulsion, mise en place d’une analgésie péridurale le jour du déclenchement, déclenchement réalisé par l’administration de prostaglandines. Le mode d’administration de prostaglandines a changé pendant la période de l’étude. Il pouvait s’agir soit d’une perfusion de sulprostone, Nalador® soit de l’application intravaginale de deux comprimés de misoprostol, Cytotec® toutes les trois heures. Une rupture artificielle des membranes était réalisée précocement dès que celles-ci étaient accessibles. En cas d’utérus cicatriciel, les prostaglandines étaient données à demi-dose. À partir de 23 semaines d’aménorrhées (SA), un fœticide était réalisé le jour du déclenchement. En cas de placenta praevia, lorsque la réalisation d’un fœticide précoce était décidée, le moment du déclenchement était programmé au cas par cas. Le critère de jugement principal était défini par la survenue d’une hémorragie pendant l’IMG définie par des pertes sanguines en quantité anormale associées à des modifications hémodynamiques justifiant une vérification du taux d’hémoglobine pendant le travail. Les critères de jugement
151 secondaires concernaient la survenue d’une hémorragie de la délivrance définie par une perte sanguine estimée supérieure à 500 mL, le taux moyen de perte d’hémoglobine et la nécessité d’une transfusion maternelle. Nous avons comparé ces différents paramètres entre le groupe des cas et le groupe des témoins en distinguant au sein du groupe des cas, les patientes ayant eu un fœticide immédiat (ou absence de fœticide) et celles ayant eu un fœticide précoce. En outre, pour évaluer la possibilité d’un accouchement par voie basse en cas de placenta recouvrant, nous avons décrit le devenir des patientes avec un placenta recouvrant. Les analyses statistiques ont été effectuées sur le logiciel Statview 5.0 (SAS Institute, Cary, États-Unis). Les analyses comparatives ont été effectuées par des tests de Chi2 pour les variables non continues et des tests non paramétriques de Mann-Witney pour les variables continues.
Résultats Quinze cas d’IMG avec placenta praevia ont été identifiés. Parmi les témoins, un dossier n’a pas été retrouvé. Parmi les 15 placentas praevia : cinq étaient bas insérés, trois affleuraient l’OI et sept étaient recouvrant. Les caractéristiques maternelles sont décrites dans le Tableau 1. Les deux groupes étaient comparables en ce qui concerne l’âge maternel, la parité et l’âge gestationnel au moment de l’IMG. Trois des patientes avec placenta praevia avaient un utérus cicatriciel dont l’un était pentacicatriciel. Il n’y avait pas d’utérus cicatriciel dans le groupe témoin. Il y avait une grossesse gémellaire dans le groupe cas et deux grossesses gémellaires dans le groupe témoin. L’IMG était le plus souvent d’indication fœtale pour les deux groupes. Dans le groupe placenta praevia : deux IMG ont eu lieu pour indication maternelle (métrorragies abondantes ayant nécessité une transfusion), huit pour rupture prématurée des membranes, une pour retard de croissance intra-utérin, une pour syndrome transfuseur transfusé. Dans le groupe témoin, on retrouve neuf ruptures prématurées des membranes, huit anomalies chromosomiques, deux retards de croissance, deux fausses couches tardives. Les modalités de l’IMG sont comparables entre les deux groupes (Tableau 1). Dans le groupe placenta praevia, 13 patientes ont accouché par voie basse et deux patientes ont été césarisées. Une césarienne était indiquée pour utérus pentacicatriciel avec placenta recouvrant l’OI. La seconde césarienne a été effectuée chez une patiente dont l’indication d’IMG était un retard de croissance intra-utérin très sévère. L’IMG a été réalisée dans la période initiale de l’étude et une césarienne avait été effectuée d’emblée pour placenta recouvrant l’OI. La possibilité d’un accouchement par voie basse n’avait pas été envisagée. Les 29 patientes du groupe témoin ont accouché par voie basse. On retrouve une augmentation de la morbidité maternelle dans le groupe placenta praevia par rapport au groupe témoin (Tableau 2) : quatre cas d’hémorragie pendant l’IMG et deux cas d’hémorragie de la délivrance dans le groupe placenta praevia contre aucun cas dans le groupe témoin (p = 0,004 et p = 0,047 respectivement). En ce qui concerne les quatre cas d’hémorragies pendant l’IMG : il y avait deux placentas bas insérés, un
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A. du Passage et al.
Tableau 1 Caractéristiques des patientes et modalités de l’interruption médicale de grossesse (IMG). Patients’ demographics and labor induction. Cas
Témoins
15
29
29,8 ± 5,5
31 ± 5
NS
Terme (SA)
21,6 ± 3
21,3 ± 3,8
NS
Parité Nullipares, n (%) Multipares, n (%)
8 (53,3) 7 (46,7)
16 (55,2) 13 (54,8)
NS
Utérus cicatriciel, n (%)
3 (20,0)
0
0,04
Type de grossesse Singleton, n (%) Gémellaire, n (%)
14 (93,3) 1 (6,7)
27 (93,1) 2 (6,9)
NS
Insertion placentaire Normale, n (%) Placenta bas inséré, n (%) Placenta affleurant l’OI, n (%) Placenta recouvrant, n (%)
0 5 (33,3) 3 (20,0) 7 (46,7)
29 (100) 0 0 0
Préparation cervicale par Mifégyne® , n (%)
9 (60,0)
19 (65,5)
NS
Analgésie péridurale, n (%)
11 (73,3)
28 (96,5)
NS
Mode de déclenchement Cytotec® , n (%) Nalador® , n (%)
9 (60,0) 2 (13,3)
25 (86,2) 4 (13,8)
NS
Fœticide Absence de fœticide, n (%) Fœticide immédiat, n (%) Fœticide précoce, n (%)
6 (40,0) 1 (6,7) 8 (53,3)
18 (62,1) 11 (37,9) 0
Délai fœticide précoce-déclenchementa (jours)
2,7
—
Durée du travaila (heures)
6,5 ± 4,7
9,2 ± 6,5
Placenta accreta, n (%)
1 (6,7)
0
Issue de l’IMG Voie basse, n (%) Césarienne, n (%)
13 (86,7) 2 (13,3)
29 (100) 0
n a
Âge (années) a
p
NS
SA : semaines d’aménorrhées ; OI : orifice interne ; NS : non significatif. a Données exprimées en moyenne ± écart-type.
Tableau 2 Morbidité maternelle. Maternal morbidity.
Hémorragie pendant l’IMG, n (%) Hémorragie de la délivrance, n (%) Perte d’hémoglobinea (g/dL) Transfusion, n (%) Troubles de l’hémostase, n (%) Durée d’hospitalisationa (jours)
Cas (n = 15)
Témoins (n = 29)
p
4 (26,7) 2 (13,3) 1,5 ± 1,1 4 (26,7) 0 3,9 ± 5,5
0 0 0,5 ± 0,8 0 0 2,3 ± 0,5
0,004 0,047 0,0012 0,004 — 0,13
IMG : interruption médicale de grossesse ; hémorragie pendant l’IMG : pertes sanguines anormales associées à des modifications hémodynamiques ayant conduit à une vérification du taux d’hémoglobine pendant le travail ; hémorragie de la délivrance : pertes sanguines estimées > 500 mL. a Données exprimées en moyenne ± écart-type.
Interruption médicale de grossesse et placenta praevia
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Tableau 3 Effet du fœticide précoce sur la morbidité maternelle. Performing feticide before labor induction and maternal morbidity.
Hémorragie pendant l’IMG, n (%) Hémorragie de la délivrance, n (%) Perte d’hémoglobinea (g/dL) Transfusion, n (%)
Fœticide immédiat/absence de fœticide n=7
Fœticide précoce n=8
p
2 (28,6) 1 (14,3) 1,7 ± 1,4 3 (42,9)
2 (25,0) 1 (12,5) 1,3 ± 0, 8 1 (12,5)
0,87 0,91 0,72 0,18
IMG : interruption médicale de grossesse ; hémorragie pendant l’IMG : pertes sanguines anormales associées à des modifications hémodynamiques ayant conduit à une vérification du taux d’hémoglobine pendant le travail ; hémorragie de la délivrance : pertes sanguines estimées > 500 mL. a Données exprimées en moyenne ± écart-type.
placenta affleurant l’OI et un placenta recouvrant, trois patientes sur quatre ont nécessité une transfusion. On ne note aucun transfert en réanimation. La perte moyenne d’hémoglobine était de 1,5 g/dL contre 0,5 g/dL dans le groupe témoin (p = 0,0012). Quatre patientes ont été transfusées dans le groupe placenta praevia, aucune dans le groupe témoin (p = 0,004). Deux patientes ont présenté une hémorragie de la délivrance : l’une a eu lieu chez une patiente qui avait un placenta accreta et l’autre a eu lieu chez la patiente qui avait un utérus pentacicatriciel. Aucune patiente n’a présenté des troubles de l’hémostase. La durée d’hospitalisation était comparable pour les deux groupes. Parmi les patientes ayant eu un placenta praevia, nous avons comparé celles ayant bénéficié d’un fœticide quelques jours avant l’IMG avec celles ayant eu un fœticide le jour de l’IMG ou n’ayant pas eu de fœticide (Tableau 3). Huit patientes ont eu un fœticide précoce (un placenta bas inséré, cinq recouvrant et deux affleurant l’OI) en moyenne cinq jours avant l’IMG (entre deux et 11 jours), une patiente a eu un fœticide le jour de l’IMG (terme à 25 SA au moment de l’IMG) et six patientes n’ont pas eu de fœticide. Pour ces dernières patientes, le fœticide précoce n’était pas réa-
lisable car il s’agissait d’IMG en urgence le plus souvent dans un contexte de métrorragies abondantes ou de rupture prématurée des membranes avec chorioamniotite débutante. En ce qui concerne l’hémorragie pendant l’IMG et l’hémorragie de la délivrance, il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes (p = 0,87 et p = 0,91). Le cas d’hémorragie de la délivrance dans le groupe fœticide précoce a eu lieu chez une patiente porteuse d’un placenta accreta. La perte moyenne d’hémoglobine était de 1,7 g/dL (minimum : 0,4 g/dL ; maximum : 3,6 g/dL) dans le groupe fœticide immédiat ou absence de fœticide contre 1,3 g/dL (minimum : 0 g/dL ; maximum : 2,5 g/dL) dans le groupe fœticide précoce (p = 0,72 ; Tableau 3). Trois patientes sur sept ont eu une transfusion sanguine dans le groupe absence de fœticide ou fœticide immédiat contre un seul cas de transfusion dans le groupe fœticide précoce (p = 0,18). Parmi les patientes qui avaient un placenta recouvrant l’OI (n = 7), cinq d’entre elles ont accouché par voie basse, une a présenté une hémorragie pendant l’IMG et a été transfusée et une patiente a présenté une hémorragie de la délivrance. La perte moyenne du taux d’hémoglobine était de 1,7 g/dL pour ces patientes. Parmi les femmes qui avaient
Tableau 4 Description et issue des patientes avec placenta praevia. Description and issue of women with placenta previa. Placentas recouvrant n=7
Placentas bas insérés n=8
Issue de l’IMG Voie basse, n (%) Césarienne, n (%)
5 (71,4) 2 (28,6)
8 (100) 0
Terme moyen (SA)
21,4
21,6
Placenta accreta, n (%)
0
1 (12,5)
Hémorragie pendant l’IMG, n (%)
1 (14,3)
3 (37,5)
Hémorragie de la délivrance, n (%)
1 (14,3)
1 (12,5)
Perte moyenne d’hémoglobine (g/dL)
1,7
1,6
Transfusion, n (%)
1 (14,3)
3 (37,5)
Troubles de l’hémostase, n (%)
0
0
SA : semaines d’aménorrhées ; IMG : interruption médicale de grossesse ; hémorragie pendant l’IMG : pertes sanguines anormales associées à des modifications hémodynamiques ayant conduit à une vérification du taux d’hémoglobine pendant le travail ; hémorragie de la délivrance : pertes sanguines estimées > 500 mL.
154 un placenta bas inséré (n = 8), trois patientes ont présenté une hémorragie pendant l’IMG, une patiente a fait une hémorragie de la délivrance et trois patientes ont été transfusées. La perte moyenne d’hémoglobine était de 1,6 g/dL (Tableau 4). Le délai entre le fœticide et le déclenchement s’étend de deux à 11 jours. Le délai est supérieur ou égal à cinq jours pour quatre patientes. L’une d’entre elles a présenté des métrorragies abondantes pendant l’IMG qui ont nécessité la transfusion de deux culots globulaires. Aucun de ces quatre accouchements ne s’est compliqué d’hémorragie de la délivrance.
Discussion L’insertion basse du placenta est associée à une augmentation de la morbidité maternelle. En effet, le placenta praevia est un facteur de risque important d’hémorragie maternelle durant la grossesse et lors de l’accouchement. En 2001, Sheiner et al. [5] comparaissent les patientes ayant un placenta praevia à celles ayant un placenta normalement inséré en dehors d’un contexte d’IMG : il montrait une augmentation des métrorragies en cours de grossesse (OR : 156 ; IC 95 % : 87,2—277,5), des hémorragies de la délivrance (OR : 3,8 ; IC 95 % : 1,2—10,5), des anémies du post-partum (OR : 5,5 ; IC 95 % : 4,4—6,9). Crane et al. étudient les complications maternelles en cas de placenta praevia. Il montre que le risque de transfusion sanguine est multiplié par dix (RR : 10,05 ; IC 95 % : 7,45—13,55) et le risque d’hystérectomie d’hémostase par 33 (RR : 33,26 ; IC 95 % : 18,19—60,89) chez les patientes avec un placenta praevia en comparaison à des patientes avec un placenta normalement inséré [3]. De plus, lorsque cette insertion basse survient sur une cicatrice utérine (antécédent de césarienne ou de myomectomie) se pose le problème du caractère potentiellement accreta de cette insertion placentaire. Le risque de placenta accreta augmente avec le nombre de césariennes antérieures : 1,9, 15,6, 23,5, 29,4, 33,3 et 50 % respectivement après zéro, une, deux, trois, quatre et cinq césariennes [6]. Le placenta accreta est responsable d’une morbidité maternelle importante. En 2005, Usta et al. comparent les complications maternelles entre deux groupes de patientes : un groupe de patientes avec un placenta accreta (n = 22) et un groupe de patientes avec un placenta praevia (n = 325). Le taux d’hémorragie de la délivrance est de 100 % dans le groupe placenta accreta contre 27 % dans le groupe placenta praevia (p < 0,001). Le taux de transfusion est de 95 % en cas de placenta accreta et de 25 % en cas de placenta praevia (p < 0,001). De plus, les deux hystérectomies d’hémostase de l’étude ont eu lieu dans le groupe « placenta accreta » [6]. Le diagnostic d’un placenta praevia lors des examens échographiques de la grossesse est donc primordial. La localisation exacte du placenta par rapport à l’OI du col est importante à préciser. Becker et al. ont montré qu’une languette placentaire recouvrant partiellement le col mesurée à moins de 20 mm à l’échographie du deuxième trimestre était associée à davantage de complications hémorragiques pendant l’accouchement. Dans cette situation, le placenta peut s’éloigner de l’OI et un accouchement par voie basse reste envisageable. Lorsque la languette est mesurée à plus de
A. du Passage et al. 25 mm, la probabilité d’une régression placentaire est faible et le risque de césarienne important [2]. Peu de données sont disponibles dans la littérature sur les modalités de l’IMG en cas de placenta praevia. Deux études américaines comparent des IMG avec placenta praevia et des IMG sans placenta praevia. Ce sont toutes des IMG faites avant 24 SA par évacuation chirurgicale de l’utérus après préparation cervicale (laminaire le plus souvent). Ces études ne montrent pas d’augmentation de la morbidité maternelle lorsque le placenta est praevia [7,8]. En France, les IMG du deuxième trimestre sont habituellement effectuées par expulsion médicamenteuse et non par évacuation chirurgicale. L’expulsion médicamenteuse expose à moins de complications et permet de respecter l’intégrité corporelle du fœtus, permettant ainsi la réalisation d’un examen fœtopathologique. Nous rapportons ici notre expérience d’IMG par expulsion médicamenteuse en cas de placenta praevia, recouvrant ou non. Notre protocole consistant à réaliser le fœticide de manière systématique quel que soit le terme quelques jours avant le déclenchement (en moyenne cinq jours), en cas de placenta praevia vise à réduire les saignements. Le mécanisme physiopathologique est le suivant : l’arrêt de vie du fœtus va entraîner une interruption de la circulation fœtoplacentaire et ainsi un arrêt de la perfusion placentaire. Cette diminution de la vascularisation placentaire va être à l’origine d’une diminution des saignements lors de l’accouchement pouvant faire envisager un accouchement par voie basse. Ruano et al. illustrent bien ce phénomène en décrivant le suivi échographique de la vascularisation placentaire après fœticide chez une patiente ayant eu une IMG à 24 SA pour malformations fœtales multiples [9]. Il montre une augmentation des résistances des deux artères utérines, une diminution du volume placentaire et une diminution de la vascularisation placentaire et cela, dès le premier jour qui suit le fœticide. En outre, Ruano et al. montrent l’intérêt de ce protocole dans une étude publiée en 2004 [10]. Ils reprennent 15 cas d’IMG associées à un placenta recouvrant. Six patientes ont bénéficié d’un fœticide précoce, les neuf autres patientes n’ont pas eu de fœticide. Dans le groupe des patientes n’ayant pas eu de fœticide, quatre patientes ont été transfusées et une hystérectomie d’hémostase a été réalisée. Aucune des six patientes qui ont eu un fœticide précoce n’a été transfusée. La perte d’hémoglobine était significativement plus importante dans le groupe « absence de fœticide » comparativement au groupe « fœticide précoce » (2,5 g/dL versus 1,0 g/dL, respectivement ; p = 0,03). Nos résultats ne retrouvent pas de différence significative entre les deux groupes fœticide précoce et absence de fœticide ou fœticide immédiat. Le cas d’hémorragie de la délivrance du groupe fœticide précoce était difficilement évitable étant donné que le placenta était accreta. Le délai optimal entre le fœticide et l’IMG reste inconnu ; dans l’étude de Ruano et al., il s’étend de deux à 14 jours, dans la nôtre, de deux à 11 jours. Le suivi échographique de ces patientes après le fœticide pourrait permettre de décider du moment idéal de l’IMG. En ce qui concerne la voie d’accouchement, Ruano et al. montrent la faisabilité d’un accouchement par voie naturelle : en effet, toutes les patientes incluses dans son étude accouchent par voie basse [10]. Dans notre étude, 13 patientes (cinq placentas recouvrant, trois placentas
Interruption médicale de grossesse et placenta praevia affleurant l’OI et cinq placentas bas insérés) accouchent normalement et parmi les sept patientes qui ont un placenta recouvrant l’OI, cinq d’entre elles accouchent par voie basse. En ce qui concerne les deux césariennes : l’une était difficilement évitable, l’utérus étant pentacicatriciel, l’autre a été faite d’emblée sur placenta recouvrant au début de l’étude. Nos résultats montrent une augmentation significative des saignements dans le groupe placenta praevia par rapport au groupe placenta normalement inséré, ce qui est un évènement attendu. Ces saignements n’entraînent pas de complications majeures : en effet, aucune patiente n’a été hospitalisée en réanimation et aucune n’a été hystérectomisée. On note qu’il y a moins d’hémorragie pendant l’IMG, moins d’hémorragie de la délivrance et moins de transfusion dans le groupe des patientes qui avaient un placenta recouvrant l’OI par rapport aux patientes qui avaient un placenta bas inséré. Cependant, le nombre de patientes concernant ces deux groupes est très faible et ne permet pas de faire d’analyses statistiques. Notre étude a des limites non négligeables. D’une part, il s’agit d’une étude rétrospective avec un faible effectif de patientes. D’autre part, pour évaluer l’intérêt du fœticide précoce (à distance du déclenchement), il aurait fallu comparer un groupe de patientes ayant eu un fœticide précoce à un groupe de femmes ayant eu un fœticide au moment de l’IMG. Cependant la plupart des IMG de notre série ont eu lieu avant 22 SA ce qui explique que la majorité des femmes du groupe témoin de cette analyse n’aient pas eu de fœticide.
Conclusion L’association IMG et placenta praevia est une situation rare, à risque hémorragique. Cette étude souligne l’importance de la localisation placentaire qui est souvent négligée dans les dossiers d’IMG. L’accouchement par voie basse semble possible et nous paraît licite au vu des résultats de la littérature. L’efficacité du fœticide précoce sur la diminution des pertes sanguines doit encore être évaluée. La question
155 du délai optimal reste en suspens, le suivi échographique de la vascularisation et du volume placentaires pourrait permettre de déterminer le moment optimal de l’IMG.
Conflit d’intérêt Aucun.
Références [1] Oyelese Y, Smulian JC. Placenta previa, placenta accreta and vasa previa. Obstet Gynecol 2006;107:927—41. [2] Becker RH, Vonk R, Mende BC, Ragosch V, Entezami M. The relevance of placental location at 20—23 gestational weeks for prediction of placenta previa at delivery: evaluation of 8650 cases. Ultrasound Obstet Gynecol 2001;17:496—501. [3] Crane JM, Van den Hof MC, Dodds L, Armson BA, Liston R. Maternal complications with placenta previa. Am J Perinatol 2000;17:101—5. [4] Tuzovic L. Complete versus incomplete placenta previa and obstetric outcome. Int J Gynaecol Obstet 2006;93:110—7. [5] Sheiner E, Shoham-Vardi I, Hallak M, Hershkowitz R, Katz M, Mazor M. Placenta previa: obstetric risk factors and pregnancy outcome. J Matern Fetal Med 2001;10:414—9. [6] Usta IM, Hobeika EM, Abu Musa AA, Gabriel GE, Nassar AH. Placenta previa-accreta: risk factors and complications. Am J Obstet Gynecol 2005;193:1045—9. [7] Thomas AG, Alvarez M, Friedman F, Brodman ML, Kim J, Lockwood C. The effects of placenta previa on blood loss in second-trimester pregnancy termination. Obstet Gynecol 1994;84:58—60. [8] Halperin R, Vaknin Z, Langer R, Bukovsky I, Schneider D. Late midtrimester pregnancy termination in the presence of placenta previa. J Reprod Med 2003;48:175—8. [9] Ruano R, Kondo M, Bunduki V, Rodeck C, Zugaib M. Follow up of uteroplacental vascularization after feticide in third-trimester therapeutic termination of pregnancy with complete placenta previa. Ultrasound Obstet Gynecol 2006;27:462—5. [10] Ruano R, Dumez Y, Cabrol D, Dommergues M. Second and third trimester therapeutic terminations of pregnancy in cases with complete placenta previa—does feticide decrease postdelivery maternal hemorrhage? Fetal Diagn Ther 2004;19:475—8.