Éthique et santé (2009) 6, 61—65
ARTICLE ORIGINAL
Intervenir en milieu organisationnel, un enjeu d’autonomisation et de prise en charge social, collectif et structurel Consultation in social and professional organization: Ethical interventions favoring social welfare and individual dignity M. Jean ∗, A.L. Ntetu Département des sciences humaines, université du Québec, 555, boulevard de l’Université, Chicoutimi, G7H2BI Québec, Canada Disponible sur Internet le 1 mai 2009
MOTS CLÉS Éthique ; Consultation ; Intervention ; Organisation ; Pratique professionnelle
KEYWORDS Ethics; Consultation; Intervention; Organization; Professional Practice ∗
Résumé Depuis maintenant plus d’une quinzaine d’années et de fac ¸on plus formelle, l’éthique fait l’objet d’une importante demande sociale tout comme de préoccupations professionnelles et organisationnelles quotidiennes. Il conviendrait donc au départ que nous clarifiions de quel lieu et de quelle demande nous parlons. Nous préciserons également ce qu’il en est du processus d’intervention auquel nous renvoie cette demande et de résultats concrets que de telles interventions ont générés. Notre objectif est simple : manifester de fac ¸on concrète et imagée en quoi le caractère internaliste de l’intervention en éthique, soit celui qui émerge de l’intérieur de la vie des personnes et des collectivités, peut provoquer des changements individuels et collectifs pouvant mener au dénouement d’enjeux sociaux, institutionnels, voire structurels. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Social demand for ethical practices has become increasingly pregnant in professional and organizational environments. A clarification of this demand, and the actions produced in response, is necessary to better understand the concrete results generated by such interventions. There is a trend to regulate, using guidelines, identified environments, sometimes increasing the process of empowerment, individually and collectively. As consultants on such ethical issues, our objective should be to favor a critical analysis of current practices in order to
Auteur correspondant. Adresse e-mail : marc
[email protected] (M. Jean).
1765-4629/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.etiqe.2008.05.001
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M. Jean, A.L. Ntetu better apprehend the internal nature of the ethical request and to establish a link between ethical interventions and the problematic raised. This process identifies new perspectives, which in turn may promote professional practices favoring social welfare and individual dignity. © 2008 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
À partir de quel lieu parlons-nous ? Le seul fait d’intervenir dans un milieu de pratique professionnelle et organisationnelle nécessite donc que nous précisions à partir de quel lieu nous le faisons. Au point de départ, nous sommes deux professeurs qui intervenons au quotidien dans un milieu universitaire, soit pour y enseigner, soit pour accompagner des étudiants et des étudiantes ou pour développer avec et pour d’autres personnes des thématiques issues de préoccupations tantôt institutionnelles, tantôt organisationnelles au sens générique de ces termes. Globalement, notre souci est de toujours nous assurer que le problème sous-tendu par la demande d’intervention émerge de racines bien ancrées dans une réalité sociale. À partir de ce moment, nous considérons de l’essence même de la personne qui intervient dans une perspective éthique qu’elle se préoccupe des valeurs en cause à l’intérieur de ce que sont les enjeux sociaux, collectifs et structurels émergeant des milieux de pratique. Car, à la manière de Legault, nous considérons essentiel de ne pas oublier « que l’éthique renvoie à un mode symbolique d’humanisation des rapports de pouvoir, de domination et de conflits » [1]. Intervenir dans une perspective éthique revient également à dire que nous le faisons en agissant tout en étant préoccupés de servir la cause d’une fin précise. En d’autres termes, nous nous efforc ¸ons de bien circonscrire la part insatisfaisante contenue dans le problème relaté par le milieu organisationnel dans le but de faire en sorte que l’intervention qui y sera articulée conduise individuellement et collectivement les personnes au lieu souhaité, c’est-à-dire à un contexte plus satisfaisant. Le fait d’associer de près les personnes qui demandent l’intervention à sa structuration pour qu’elles deviennent en quelque sorte les premières actrices du changement est le mode d’intervention que nous avons tendance à privilégier. La position internaliste met effectivement en évidence la capacité des agents et leur motivation à participer par leurs propres forces au changement attendu. Par exemple, il y a une différence essentielle dans la fac ¸on de traiter un problème de confidentialité en milieu organisationnel en invitant la personne à identifier par elle-même les pistes de solutions qui lui apparaissent à elle les plus pertinentes, plutôt que se limiter comme intervenants à enseigner théoriquement la confidentialité. Par un va-et-vient de la réflexion dans l’action, ce type de démarche éthique vise à faire accéder le praticien à une cohérence interne et externe de sa pratique. La notion d’éthique appliquée peut également renvoyer un interlocuteur à rechercher dans une éthique préétablie,
justement en raison de la philosophie implicite qu’elle suggère [2], la réponse à un questionnement posé. Il s’agirait alors d’une éthique que l’on applique après qu’un problème ait été diagnostiqué et qu’on considère comme la solution. Cette éthique appliquée au contexte organisationnel est particulière en ce que des milieux de la santé ont parfois tendance à réclamer par voie de codes, de guides, des fac ¸ons de faire préétablies aux problèmes éthiques qui s’y posent. Elle se définit avec un nombre souvent fort restreint de personnes et demeure le lot de décideurs qui recherchent des solutions répondant à un modèle de gestion relativement hiérarchisé, sans que l’ensemble d’un personnel ne soit nécessairement sollicité. Dans les établissements de santé du Québec, notre expérience nous amène à conclure que les problèmes d’ordre éthique sont vécus quotidiennement par les gestionnaires ainsi que par les professionnels et professionnelles de la santé. Il y a lieu de mentionner ici le cas particulier du corps médical dont plusieurs membres hésitent à recourir aux services d’un consultant externe. Le même constat a été fait ailleurs au Canada et aux États-Unis [3,4]. Orlowski et al. [4] affirment que de tout le corps médical, les chirurgiens sont ceux qui recourent davantage à la consultation éthique, étant plus convaincus de la nécessité de partager la responsabilité des décisions avec les patients et les familles. Selon Hurst et al. [3], le fait de croire qu’il est de leur responsabilité de résoudre les difficultés d’ordre clinique qui surgissent au cours de leurs interactions avec les patients et les familles, mais surtout le fait de s’estimer compétents pour le faire expliquent que plusieurs médecins soient moins enclins à demander l’aide d’une ressource externe. Et quand il leur arrive de solliciter une consultation éthique, c’est généralement dans le seul but de protéger leur réputation et l’intégrité de leur conscience. Des attitudes qui, selon Dalinis [5] et Suter [6], ne devraient pas surprendre, l’éthique organisationnelle étant un concept qui non seulement est nouveau dans le domaine de l’éthique médicale mais qui en plus cherche à se développer dans un contexte où l’atteinte d’un des buts de la consultation éthique, celui d’améliorer les soins et leurs effets sur le patient, implique d’harmoniser les préférences et les buts du patient, les valeurs et les pratiques du médecin, les valeurs et les pratiques prônées par l’hôpital ainsi que les pratiques de gestion dictées par la loi. Chervenak et al. [7] abondent dans le même sens en affirmant que le défi que doit relever le consultant en éthique est de démêler le jeu de pouvoir à dimensions variables qui caractérise les relations en milieu clinique où l’intervenant doit régulièrement négocier ses valeurs et intérêts avec ceux de ses subordonnés, ceux de ses collègues et ceux de ses supérieurs, le tout en harmonie avec la culture de l’organisation pour laquelle il travaille.
Éthique et Santé
Intervenir à partir de quel processus ? Pour nous, l’intervention en éthique dans un contexte organisationnel s’applique quand il s’agit de co-construire ou construire avec d’autres de fac ¸on concertée une démarche réflexive dont l’action constitue la base. Qu’il s’agisse d’une intervention au niveau structurel ou au niveau culturel, le type d’intervention réalisé s’inscrit donc dans un horizon de sens à donner aux pratiques, ce en concertation avec ceux et celles qui les incarnent. En ce qui concerne l’intervention en éthique clinique, Paola et Walker [8] précisent que le but visé est d’aider l’organisation à offrir des services de santé selon une approche qui respecte les règles et les idéaux moraux. Dans ce sens, l’équipe d’intervention cherche à répondre à trois grandes catégories de questions : des questions de responsabilité professionnelle ; des questions de loi et des questions de moralité générale. Les questions de responsabilité professionnelle sont celles qui ont trait à la « moralité interne de la médecine » ; y sont incluses des questions telles que la légitimité médicale du but poursuivi et l’acceptabilité des moyens utilisés. Les questions de loi ont trait à ce que la loi exige, autorise ou interdit. Quant aux questions de moralité générale, elles sont toutes celles qui ne sont pas sous la coupe des deux premières catégories. La fac ¸on dont nous intervenons en milieu organisationnel consiste d’abord à recevoir une demande. Les interventions se réalisent avec des organisations plus souvent aux prises avec des problèmes de gestion, en l’occurrence dans les milieux de l’éducation, dans les services de garde, dans des milieux de santé et de services sociaux et des milieux sociocommunautaires. Quoi qu’il en soit, le premier contact est déterminant. Ceux qui recherchent une solution rapide et qui se rallient facilement autour d’outils normatifs tels guides, chartes ou toute autre forme de normativité sont référés à des consultants spécialisés en ce sens. Nous tentons toujours d’intervenir auprès de ceux qui recherchent une plus grande qualité de vie, de mieux-être et de mieuxvivre ensemble tout en étant intéressés et déterminés à faire s’étendre aussi large que faire se peut la participation des acteurs et actrices de l’organisation. Quand une consultation éthique est sollicitée, la demande se fonde souvent dans la motivation que les personnes déploient individuellement et collectivement à faire que le changement s’opère.
63 sont en conflit quant à l’orientation à donner au traitement, soit dans une situation où plane un doute sur l’aptitude d’un patient ou de son répondant à prendre une décision éclairée. La consultation est ainsi amorcée suite à une demande et se termine avec le dépôt d’un rapport d’évaluation écrit contenant une recommandation pour l’action à entreprendre en vue de dénouer l’impasse. Nous engageons un processus largement inspiré de la démarche proposée par Dalinis [5] qui consiste à identifier le problème éthique existant, à l’analyser, à relever les obligations qui sont appropriées, à délibérer à travers un raisonnement moral, afin d’aboutir à une action justifiée qui permet de résoudre le problème. Dans tous les cas, l’intervention se planifie suivant les quelques deux ou trois premières rencontres réalisées entre l’équipe du milieu demandeur et les intervenants. Ceux et celles qui sont susceptibles d’intervenir font partie des moments de présentation de la demande, tout comme des différentes étapes de la planification. On prend alors acte du contexte au cœur duquel apparaît la demande, de ce qui fait l’objet de la demande et de ce qui la motive. Autant que possible, nous travaillons à faire émerger du groupe qui initie la demande l’embryon de ce que constituera le résultat de l’intervention, de manière à créer au départ du projet les premiers éléments d’une passerelle entre le problème tel que présenté et l’horizon tel qu’il nous apparaît quand le groupe sera passé d’une situation insatisfaisante dans son milieu à une situation plus satisfaisante. Il arrive souvent que cet exercice impose une reformulation du problème en des termes plus clairs et dans une perspective plus réaliste et plus réalisable. Les paramètres sont alors tracés par l’ensemble de cette table, de même que la stratégie à utiliser. À partir du moment où ces premiers éléments que nous considérons en l’occurrence comme les préalables à l’intervention sont bien compris et acceptés de tous, et que la stratégie arrêtée est conservée comme un feu d’ambiance allumé, les attitudes de résistance tombent pendant que les chances de réussite de l’intervention augmentent passablement. Au cours des 15 dernières années, le milieu des services de garde à l’enfance s’est régulièrement investi dans la fac ¸on de traiter les problèmes éthiques en ayant le souci de bien prendre en compte la composante internaliste de l’éthique. Après quelques années de collaboration avec une équipe des services de garde à l’enfance, des éducatrices ont réussi à expérimenter différentes interventions dont certaines sont des belles illustrations de ce qui, en aval et en amont de cette seconde partie de l’article, se produit sur le terrain et produit effectivement des changements à bien des niveaux de préoccupations.
Exemples illustratifs Premier exemple
Les attentes du demandeur sont alors de l’ordre des outils à mettre en place pour que le travail puisse se poursuivre quand les intervenants externes se seront retirés. Nous lui proposons alors la mise en place de tables d’échanges, de co-construction de projets à travers le quotidien de la vie organisationnelle et non pas ad extra. En clinique, notre intervention est souvent sollicitée soit dans une situation où les valeurs des personnes en présence
Lors d’un grand jeu réalisé en avant-midi entre enfants de quatre et cinq ans, une altercation éclata entre quelquesuns d’entre eux. Claude et Dominique, de race blanche, ont manifesté de fac ¸on explicite et violente qu’ils rejetaient Luis comme membre de l’équipe parce qu’il était de couleur de peau différente de la leur. Pour l’éducatrice à qui revenait la responsabilité de gérer le conflit, la solution aurait pu
64 être de se rabattre sur le code d’éthique de l’organisation et qui faisait état d’un accueil inconditionnel des personnes qui l’habitent quotidiennement, ce sans égard aux différences de races, de cultures, de religions, etc. Elle proposa aux enfants de se disposer en rond de manière à participer au récit d’une histoire. Elle prit soin de bien donner les détails nécessaires pour que le message qu’elle voulait passer puisse trouver écho auprès des enfants. Grosso modo, les petits chatons nés de couleur différente ont eu à se servir de cette différence entre eux comme une force dans un travail d’équipe pour gagner un concours de beauté et c’est leur complémentarité qui a donné raison aux juges de leur accorder le premier prix. Cet exercice fait, l’éducatrice réalisa le degré de sensibilisation et son impact auprès des enfants. À l’arrivée des parents en fin de journée, elle a transmis son rapport d’activités quotidiennes en reprenant pour des adultes l’histoire en question. En compagnie de la directrice du centre de la petite enfance (CPE), elle en profita pour expliquer aux parents de quelle fac ¸on le CPE avait pris l’habitude de développer un souci éthique à l’intérieur de l’organisation. À la réunion mensuelle du conseil d’administration, la directrice demanda au président d’assemblée de lui accorder une période de temps pour informer le conseil de la fac ¸on dont le souci éthique se développait concrètement au sein de son organisation.
Second exemple Lors d’une formation sur la gestion éthique de la confidentialité et du secret professionnel, la directrice et une éducatrice d’un CPE eurent l’idée d’offrir à leur équipe de travail de s’engager dans une démarche de réflexion à caractère éthique. Dans un premier temps, le travail consista à valoriser le type de demande et à faire en sorte que s’établisse sur les lieux un lien entre la demande en question et les motivations respectives de demandeuses qui a pris forme au cours de la formation. Par la suite, nous prîmes soin d’aller recevoir la demande de formation à proprement parler sur les lieux d’exercice professionnel. Comme consultants, ce choix nous permit d’offrir que commence à s’articuler un lien entre la motivation des personnes au cours de la formation antécédente et celle des personnes de l’organisation à participer à une telle démarche. Les quelques 20 personnes alors réunies ont eu l’opportunité de mieux fonder le choix individuel et collectif qu’elles s’apprêtaient à faire. Déjà, la responsabilité du succès de la démarche se partageait entre elles et nous.
Pour quels résultats ? Généralement, en milieux organisationnels, les gestionnaires recherchent la participation aussi grande que possible de la haute direction, en particulier quand ceux qui initient la demande sont déjà convaincus de la valeur d’une telle démarche. Les intervenants, quant à eux, particulièrement ceux des établissements de santé et des services sociaux, ont plutôt tendance à restreindre le cercle. Cette différence tient au fait que les gestionnaires et les intervenants n’appliquent pas les règles d’éthique à partir des mêmes considérations.
M. Jean, A.L. Ntetu Alors que les gestionnaires prennent en compte l’influence du contexte organisationnel sur les comportements individuels, les intervenants, eux, semblent ne pas reconnaître les effets de la culture organisationnelle (règles formelles et informelles) sur la conduite éthique et le processus de prise des décisions [9]. Ensuite, dans des organisations de santé et des services sociaux, les responsabilités sont multiples et complexes et souvent en conflit les unes aux autres. Ainsi, par exemple, pendant que les médecins ont des responsabilités envers leurs propres patients, les gestionnaires ont, eux, des responsabilités qui s’étendent non seulement à tous les patients de l’établissement mais aussi à tous les employés, aux payeurs, aux investisseurs, le tout dans le respect des standards légaux et de la réglementation gouvernementale [10]. Le fonctionnement des établissements de santé est calqué sur le modèle de celles des organisations n’offrant pas de soins directement aux patients telles que les compagnies d’assurance et les entreprises de gestion des soins [10]. Les résultats escomptés procurent alors des changements collectifs suffisamment importants au sein de l’organisation pour que les personnes qui n’épousent pas ses orientations ressentent un malaise suffisamment important pour parfois préférer quitter définitivement le milieu. Dans des cas où l’implication dans le processus de consultation se fait sur une base consensuelle, les changements, qui surviennent à la fin de l’exercice, provoquent généralement un accroissement de la motivation au travail, voire un sens accru au travail à réaliser. On peut effectivement dire que les dispositifs sont efficaces et qu’on peut les évaluer. En milieu clinique, nos observations sont corroborées par des études qui démontrent que les patients préfèrent être impliqués dans le processus de prise des décisions et qu’une prise des décisions partagée est associée à la satisfaction du patient, et qu’il en est de même pour les médecins, bien qu’à un degré moindre [11]. Quoi qu’il en soit, il est une évidence que le principe de partage de l’information et de la prise des décisions est largement accepté comme l’idéal en pratique médicale générale [11]. Andereck [12] rapporte une expérience de développement et de fonctionnement d’un comité d’éthique dans un hôpital en milieu urbain au cours de laquelle furent explorées diverses approches de consultation. Ce comité qui s’est concentré davantage sur le modèle d’évaluation clinique, la plupart de ses consultations ayant porté sur des questions de retrait ou de restriction des soins médicaux, a vu sa crédibilité croître, ayant réussi à aider les médecins et les patients à définir les buts et les limites réalistes d’un traitement. Avec ces résultats, l’auteur estime qu’à l’avenir les comités d’éthique seront moins intéressés à promouvoir l’autonomie de patients à faire valoir leurs désirs, ils seront plutôt davantage portés à définir les limites de cette autonomie contre les demandes concurrentes de la grande société. Une étude [13] qui évalua le travail d’un comité de consultation éthique, à partir de la perspective des patients et des familles, conclut que dans une large majorité les patients et les familles trouvèrent le travail du comité très aidant comparativement à une faible minorité qui le trouva plutôt déprimant. Les interventions ont été perc ¸ues comme aidantes par les membres du milieu quand elles apportaient
Éthique et Santé une clarification clinique, morale ou légale, augmentaient la motivation à faire ce qu’ils croyaient être juste, facilitaient le processus de prise ou d’application d’une décision, facilitaient l’interprétation du langage technique ou quand elles apportaient consolation et soutien. Le rétablissement d’un climat de justice sociale est un autre objectif que nous cherchons à atteindre quand nous avons à intervenir dans une organisation quel qu’en soit le type. En effet, un contexte d’injustice est propice à susciter des conflits de valeurs et à générer des réactions indésirables (vol, sabotage, violence) qui contribuent à ce que se détériore le climat de travail [14]. Ce constat est valable pour les établissements de santé si on en croit les auteurs [15] qui affirment que les principaux défis auxquels font face ces organisations sont de nature organisationnelle plutôt que clinique. Ainsi, nous veillons à ce que la démarche que nous imitions conduise au rétablissement de la justice sociale, c’est-à-dire à la création d’un milieu de travail dans lequel chaque membre se sent traité équitablement. Ce qui précède peut donner l’impression que toutes nos interventions, comme consultants en éthique organisationnelle, ne connaissent que du succès, ce qui n’est pas vrai. Ainsi, il nous semble important de souligner que dans certains cas, plutôt rares, les avis des membres du milieu bénéficiaire sont partagés quant au succès de notre intervention. L’ignorance de l’organisation administrative du milieu et des textes qui légifèrent la pratique en son sein est un facteur explicatif important de l’insatisfaction que manifestent certains membres du milieu envers une intervention en éthique. À ce facteur il faut ajouter, dans le cas des établissements de santé, la difficulté qu’ont les familles des patients à accepter les limites de la médecine et l’évolution fatale de certains problèmes de santé. Ainsi, de notre point de vue, une consultation éthique ne doit pas se limiter à résoudre de fac ¸on ponctuelle une situation problématique ; elle doit aller plus loin et viser à rendre la communauté bénéficiaire compétente, éthiquement parlant. Selon Suter [6], cette compétence éthique implique d’avoir une réaction morale, un raisonnement moral et un leadership moral appropriés, tenant compte de la mission de l’organisation et de ses valeurs. Toujours selon le même auteur, une telle compétence peut s’acquérir à travers un bon programme de formation en éthique organisationnelle dont les composantes principales seraient : la consultation, l’éducation et la révision ou le développement d’une politique interne. Le programme peut fournir la structure et le processus permettant de développer et de maintenir la compétence acquise.
65 Disons en terminant que des projets actuellement en cours nous permettront de témoigner sous peu de programmes de formation en construction. Les gestionnaires et équipes complètes d’organisations qui s’y investissent s’apprêtent à faire la preuve qu’une telle compétence ne s’acquiert qu‘à la condition que le sujet autonome comme co-constructeur de l’organisation participe de l’intérieur à son développement tout comme aux pièces susceptibles de baliser de fac ¸on externe sa pérennité et son expansion.
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