Thérapie 2006 Novembre-Décembre; 61 (6): 548–550 DOI: 10.2515/therapie:2006081
P HARMACOVIGILANCE
c 2007 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique
Intoxication aiguë par oxétorone Acute Poisoning with Oxetorone Christine Payen, Anne-Marie Patat, Corine Pulce et Jacques Descotes Centre Antipoison-Centre de Pharmacovigilance, Lyon, France Texte reçu le 3 mars 2005 ; accepté le 26 juin 2006 Cas notifiés au Centre Antipoison de Lyon entre novembre 1999 et février 2006 Mots clés : oxétorone ; surdosage ; intoxication aiguë ; toxicité cardiocirculatoire ; convulsions Keywords: oxetorone; overdose, acute poisoning; cardio-circulatory toxicity; convulsions
Introduction L’oxétorone (Nocertone, laboratoires Sanofi-Aventis), commercialisée en France depuis 1974, est considérée comme un médicament majeur dans le traitement de fond de la migraine.[1,2,3] Dérivé tétracyclique des oxépines, elle possède des propriétés anti-sérotoninergiques, anti-histaminiques et antiémétiques.[4] Bien que peu fréquentes, les intoxications aiguës par l’oxétorone posent un réel problème d’évaluation de risque et de prise en charge en raison du peu de données disponibles. La seule publication d’intoxication aiguë bien documentée,[5] permet de redouter une toxicité aiguë identique à celle des antidépresseurs à effet stabilisant de membrane.[6] Une mise à jour de la section surdosage de sa monographie (suite à une révision, en 2005, de son autorisation de mise sur le marché) évoque enfin, bien que de façon peu explicite, ce risque. Cette section souligne toujours en 1re intention, un hypothétique risque de syndrome parkinsonien sévère (de type neuroleptique) jamais rapporté à ce jour. Nous avons analysé rétrospectivement les cas d’intoxication aiguë portés à la connaissance du centre antipoison de Lyon de novembre 1999 à février 2006.
Observations De novembre 1999 à février 2006, 12 cas d’intoxication volontaire par l’oxétorone ont fait l’objet d’un appel au centre antipoison de Lyon. Dans tous les cas, il s’agissait d’un adulte jeune
(15 à 40 ans) et les doses supposées ingérées étaient inférieures ou égales à 30 comprimés (1800 mg). La plus petite dose restée asymptomatique a été de 8 comprimés (480 mg). Quatre des 5 patients ayant ingéré 10 comprimés (600 mg) ont présenté une somnolence, éventuellement associée à une bradycardie (1 cas) ou à une tachycardie (1 cas). Une patiente de 20 ans, pour laquelle l’importance de l’intoxication n’a pu être précisée, a présenté un malaise nocturne avec chute. Parmi les 5 patients pour lesquels la dose supposée ingérée était de 30 comprimés, 3 ont présenté une somnolence, associée dans 1 cas à l’enregistrement électrocardiographique de pauses cardiaques prolongées (de l’ordre de 10 secondes), et 2 ont présenté un coma ayant nécessité une assistance respiratoire. Parmi ces 2 patients, une femme de 40 ans a présenté un élargissement du complexe QRS associé à une instabilité hémodynamique, suivi d’un épisode convulsif et d’un accès de tachycardie ventriculaire. L’évolution a été favorable sous traitement symptomatique ; la recherche et le dosage d’oxétorone n’ont pu être réalisés mais un screening toxicologique étendu (impliquant notamment la recherche de tricycliques, de chloroquinine et de digitalique) n’a relevé que la présence de benzodiazépines.
Discussion L’oxétorone (figure 1) est indiquée dans le traitement de fond de la migraine. Elle est disponible sous forme de comprimés dosés à 60 mg et conditionnés par boite de 30 unités. La posologie habituelle est de 60 à 120 mg par jour, sans dépasser 180 mg. La durée du traitement est normalement de plusieurs mois. Elle peut être associée aux traitements de la crise migraineuse constituée sur laquelle elle est dépourvue d’effet. Les principaux mécanismes proposés pour rendre compte d’une action antimigraineuse préventive sont une action antagoniste au niveau des récepteurs sérotoninergiques 5HT2 , la modulation de l’extravasation protéique plasmatique, un effet sur l’activité aminergique centrale et/ou des propriétés stabilisantes de membrane au niveau de canaux voltage-dépendants.[7] Dans le cas de l’oxétorone, seule une action anti-sérotoninergique et modulatrice de l’activité aminergique centrale a pu être démontrée.[4] Aucune évaluation d’un quelconque effet stabilisant de membrane n’est disponible. Les données de pharmacocinétique sont discordantes. D’après les laboratoires Labaz ayant assuré le développement et la commercialisation initiale de l’oxétorone, l’administration orale d’une dose unique de 60 mg d’oxétorone s’accompagnerait d’un pic plasmatique de 0,44 ng/ml, atteint en 4 heures et la demi-vie plasmatique serait de l’ordre de 24 heures.[8,9] Une autre étude pharmacocinétique a mis en évidence, dans les mêmes conditions chez 6 sujets volontaires sains, une concentration plasmatique d’oxétorone non métabolisée de 78 ng/ml, 30 minutes
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Intoxication aiguë par oxétorone
Fig. 1. Formule développée de l’oxétorone.
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retenus par les auteurs de cette observation), la patiente comateuse et tachycarde lors de la prise en charge, a présenté, 3 heures après l’ingestion, des anomalies électrocardiographiques avec élargissement du complexe QRS, bradycardie, puis arrêt cardiaque récupéré par une réanimation immédiate associée à l’administration de 500 ml de lactate de sodium molaire. L’épisode a rapidement été suivi d’une crise convulsive régressive sous clonazépam. L’évolution a été favorable. La seule autre publication disponible relate la survenue d’un tableau clinique cholinergique en relation avec une intoxication volontaire par un insecticide organophosphoré dans un contexte de co-ingestion de 12 comprimés d’oxétorone et de 30 mg de bromazépam.[16]
Conclusion Fig. 2. Formule développée de la doxépine.
après l’ingestion.[10] Les résultats de cette seconde étude sont plus en accord avec les taux plasmatiques mesurés 6 heures après la prise volontaire de 40 comprimés.[5] L’oxétorone serait liée aux protéines plasmatiques à plus de 85 %.[10] La fraction métabolisée en partie par glucuro- et suflo-conjugaison dépasserait 95 % et il existe au moins 4 principaux métabolites dont la structure chimique et l’activité pharmacologique éventuelle n’ont pas été élucidées.[8] Une étude conduite in vitro sur microsomes hépatiques de rat conclut à une métabolisation de la chaîne latérale de l’oxétorone identique à celle de la doxépine (figure 2),[11] antidépresseur à effet stabilisant de membrane qui, bien que tricyclique, présente des analogies structurelles avec l’oxétorone. L’élimination se fait en partie par voie rénale. L’oxétorone est généralement bien tolérée. Ses principaux effets indésirables sont la somnolence, fréquente en début de traitement, et la survenue d’une diarrhée.[12,13] Parmi les effets rares, un cas de colite lymphocytaire,[14] une hyperprolactinémie et/ou une galactorrhée[12,15] et la récidive de crises comitiales chez 2 patients épileptiques bien équilibrés[12] ont été rapportés. Les données de toxicité animale mettent en évidence le potentiel convulsivant de la molécule chez le rat et la souris, à des doses très largement supérieures aux doses préconisées en thérapeutique. La DL50 per os chez la souris et le rat est respectivement de 350 et 475 mg/kg. A des doses de 200 à 220 mg/kg, il n’a été observé qu’une sédation motrice. Aucune donnée de toxicité cardiaque n’est disponible. Une seule publication fait état de l’ingestion volontaire isolée de 40 comprimés d’oxétorone (1800 mg) chez une patiente de 37 ans.[5] Alors que les taux plasmatiques (1600-1800 ng/ml) étaient très supérieurs aux taux thérapeutiques probablement voisins de 78 ng/ml[10] (et donc a fortiori aux taux de 0,4 à 1,2 ng/ml c 2007 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique
Heureusement peu fréquentes, les intoxications aiguës par l’oxétorone exposent au risque de coma, de troubles cardiovasculaires (notamment élargissement du complexe QRS) et de convulsions. La faible diffusion géographique du médicament (commercialisation limitée à la France et à la Belgique), ainsi que sa tolérance apparemment satisfaisante à dose thérapeutique sont probablement à l’origine de l’extrême pauvreté de la littérature. Un seul cas bien documenté d’intoxication aiguë sévère isolée a été publié à ce jour. Une observation tout à fait comparable, parmi les rares cas d’intoxication aiguë par l’oxétorone rapportés au centre antipoison de Lyon, confirme le potentiel toxique de cette molécule.
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Correspondance et offprints : Christine Payen, Centre Antipoison, Centre de Pharmacovigilance, 162 avenue Lacassagne, 69424 Lyon Cedex 03, France. E-mail :
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