Intoxication accidentelle mortelle par hydrogène sulfuré

Intoxication accidentelle mortelle par hydrogène sulfuré

Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 24 (2005) 1302–1304 http://france.elsevier.com/direct/ANNFAR/ Cas clinique Intoxication accidentel...

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Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 24 (2005) 1302–1304 http://france.elsevier.com/direct/ANNFAR/

Cas clinique

Intoxication accidentelle mortelle par hydrogène sulfuré Fatal outcome of an hydrogen sulfide poisoning E. Querellou a,*, M. Jaffrelot a, D. Savary b, C. Savry c, J.-P. Perfus b a

Samu-Smur, 29, boulevard Tanguy-Prigent, 29609 Brest, France b Samu-Smur, 74, rue des Marquisats, 74000 Annecy, France c Réanimation polyvalente, centre hospitalier de Bretagne Sud, 56100 Lorient, France Reçu le 24 février 2005 ; accepté le 27 avril 2005 Disponible sur internet le 09 juin 2005

Résumé Nous rapportons l’observation d’une intoxication mortelle par exposition au gaz sulfure d’hydrogène chez une professionnelle travaillant dans un égout. Ce cas, exceptionnel, a été associé à une intoxication modérée de deux secouristes. Le décès est survenu par asystolie et œdème pulmonaire massif. L’examen autopsique a mis en évidence des lésions diffuses de nécrose pulmonaire alvéolaire. Ce gaz soufré est un toxique lésionnel direct et systémique, issue de la décomposition de matière organique. Le mécanisme lésionnel direct est peu connu. Sur le plan systémique il exerce sa toxicité au niveau de l’oxygénation cellulaire. Il est hautement diffusible, ce qui le rend particulièrement dangereux. Il présente à basse concentration une odeur caractéristique d’œuf pourri qui doit alerter les secouristes. Il est inodore à haute concentration ce qui rend possible le cas d’intoxication grave. Une intoxication massive entraîne une défaillance cardiocirculatoire instantanée et un décès rapide. Des mesures de prévention d’accident secondaire sont indispensables pour les équipes de secours agissant dans le cadre d’intoxication respiratoire collective par port d’appareils respiratoires adaptés. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract We report a case of fatal outcome poisoning by massive exposure to hydrogen sulfide of a sewer worker. This rare event was associated with a moderate intoxication of two members of the rescue team. The death was due to asystole and massive lung oedema. Autopsy analysis showed diffuse necrotic lesions in lungs. Hydrogen sulfide is a direct and systemic poison, produced by organic matter decomposition. The direct toxicity mechanism is still unclear. The systemic toxicity is due to an acute toxicity by oxygen depletion at cellular level. It is highly diffusable and potentially very dangerous. At low concentration, rotten egg smell must trigger hydrogen sulfide suspicion since at higher concentration it is undetectable, making intoxication possible. In case of acute intoxication, there is an almost instantaneous cardiovascular failure and a rapid death. Hydrogen sulfide exposure requires prevention measures and more specifically the use of respiratory equipment for members of the rescue team. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Hydrogène sulfuré ; Accident du travail mortel ; Égoutier ; Prévention Keywords: Hydrogen sulfid; Fatal accident at work; Sewer Worker; Prevention

1. Introduction L’hydrogène sulfuré –H2S- est un gaz incolore présent à l’état naturel, d’odeur d’œuf pourri caractéristique, respon* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Querellou). 0750-7658/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annfar.2005.04.024

sable d’intoxication rare et potentiellement mortelle. L’intoxication est classiquement décrite chez les égoutiers et en milieu industriel carbopétrochimique. En France du fait d’une législation très stricte, les intoxications demeurent exceptionnelles. L’hydrogène sulfuré est un toxique fonctionnel proche des cyanures, doublé d’une toxicité lésionnelle directe dosedépendante. La diffusion rapide du gaz ainsi que son carac-

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tère inodore à forte concentration, exposent les secouristes au risque d’intoxication grave. Nous rapportons le cas d’une intoxication involontaire mortelle chez une professionnelle travaillant dans un égout associée à une contamination secondaire modérée des secouristes. 2. Observation Au mois de mai 2000, le Smur prenait en charge une femme de 25 ans sortie d’une conduite d’égout verticale en arrêt cardioventilatoire. L’extraction était réalisée par un témoin en apnée, protégé d’un simple masque. La victime travaillait au fond de la conduite et effectuait des prélèvements. La patiente ne répondant pas aux appels, l’alerte était donnée cinq minutes après. À l’arrivée de l’équipe médicale, les gestes élémentaires de survie n’avaient pas été réalisés. L’examen clinique retrouvait une contusion peu importante en regard de la région frontale gauche, une pâleur généralisée, une mydriase bilatérale aréactive, des pétéchies des paupières supérieures, et l’apparition à 20 minutes de prise en charge d’abondantes sécrétions mousseuses rosâtres endotrachéales. La patiente était déclarée décédée après 20 minutes de réanimation devant une asystolie constante. Sur le lieu d’intervention, une odeur d’œuf pourri était d’emblée constatée par l’ensemble des intervenants du secours, gênante au point de motiver le recouvrement de la conduite d’égout et un déplacement de la victime. Dans les suites de l’intervention deux secouristes présentaient une kératoconjonctivite isolée d’une durée de 24 heures. Une analyse toxicologique de l’air environnant la bouche d’égout retrouvait un taux de 106 ppm et un taux supérieur à 120 ppm au fond de la conduite — limite supérieure de l’analyseur utilisé par la cellule chimique des sapeurs pompiers. L’examen post-mortem autopsique de la victime retrouvait des plages de nécrose pulmonaire disséminées de tailles variables — inframillimétrique à cinq millimètres — sans autres lésions retrouvées. 3. Discussion Nous décrivons une intoxication mortelle à l’H2S, compliquée d’une intoxication associée, chez les secouristes. Il s’agit d’un accident peu décrit dans la littérature francophone [1,2]. L’H2S est un dérivé organique utilisé par les industries carbopétrochimiques [3]. Il peut se former naturellement, par décomposition des matières organiques. En présence de bactéries protistes sulforéductrices, dans des conditions particulières de température et pression, de grandes quantités d’H2S peuvent être produites [4,5]. L’H2S est un gaz incolore, inflammable, d’odeur caractéristique d’œuf pourri, plus lourd que l’air [3]. Cette odeur caractéristique était constatée par l’ensemble des 15 personnes présentes sur le site. Le taux en surface était faible, 106 ppm, et important au fond de la conduite, supérieur à 120 ppm. La pénétration de l’H2S dans l’organisme peut se faire par voie respiratoire ou entérale. Les intoxications sont exclusi-

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vement respiratoires du fait de l’altération précoce du goût des liquides contaminés, dès 0,07 µg/l [3]. L’H2S est détecté au niveau olfactif à des taux de 0,1 ppm. Il existe une sidération olfactive pour des taux de 100 à 150 ppm [6]. Cette sidération est en partie responsable des intoxications graves et collectives, par exposition brutale à de hautes concentrations non détectées par l’odorat. Les intoxications sont modérées à sévères pour des taux compris entre 50 à 500 ppm, graves pour des taux compris entre 500 et 1000 ppm et massives au-delà [3,6]. L’H2S est un toxique lésionnel et systémique. L’atteinte lésionnelle directe est initialement ORL, responsable de lésions ophtalmiques, de toux, puis secondairement pulmonaire, responsable d’œdème pulmonaire lésionnel, de mécanisme peu connu [7]. Les lésions oculaires, décrites chez les secouristes, et les lésions de nécroses pulmonaires de la victime seraient en rapport avec une atteinte toxique lésionnelle directe [7]. L’atteinte systémique est liée à la diffusion de l’ion sulfhydrile -SH– — dans la circulation générale, qui inhibe le fonctionnement de la chaîne mitochondriale cellulaire en se fixant sur le fer ferrique -Fe3+ — du cytochrome oxydase. Cette inhibition entraîne une anoxie cellulaire, une acidose lactique et une transformation de l’hémoglobine en sulfméthémoglobine. Une neurotoxicité directe est décrite, en rapport avec une importante liposolubilité et une hyperpolarisation des canaux sodium–potassium inhibant le fonctionnement cellulaire neuronal [6,8]. La présence d’un hématome frontal gauche isolé est un argument en faveur d’une perte de connaissance brutale, décrite par les professionnels sous l’aphorisme « coup de plomb des vidangeurs » ou « knock-down » des anglo-saxons [9]. La perte de connaissance, de nature épileptique probable, et l’arrêt cardiocirculatoire seraient en rapport avec une diffusion systémique massive et précoce du toxique [3,10]. Le diagnostic positif de l’intoxication se fait par dosage sanguin des ions sulfhydriles, pour un taux supérieur à 1 mg/l. Un dosage des ions thiosulfates sanguins permet un diagnostic a posteriori en présence d’un décès suspect, inexpliqué [11]. Ces deux dosages n’ont pas été réalisés. Cette observation pose le problème de la prévention primaire et secondaire de ce type d’intoxication, mais aussi de la difficulté de prise en charge spécifique d’un toxique peu connu des professionnels médicaux, urgentistes et réanimateurs. La gravité de l’intoxication à l’H2S est parfaitement établie dans la littérature et la plupart des descriptions d’accident collectif retrouvent une mortalité immédiate importante. Dans une revue de 152 expositions est rapporté un taux de 53 % d’intoxications sévères, associées à un taux de mortalité de 5,3 % [12]. Il existe un risque constant d’accident associé chez les secouristes [13,14]. Le traitement des intoxications au sulfure d’hydrogène comprenait l’administration de nitrite d’amyle par voie inhalée, en ventilation spontanée, suivie d’une injection intraveineuse lente de nitrite de sodium à la dose de 300 mg (0,33 m/kg) au mieux dans les cinq minutes suivant l’exposition [15]. Ces agents méthémoglobinisants préviendraient la formation de sulfhémoglobine et amé-

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lioreraient le transport d’oxygène. Ils préviendraient aussi la survenue des séquelles neurologiques postanoxiques [14]. Ces traitements ne sont plus disponibles en France depuis les années 1950 et ce protocole historique ne peut plus être appliqué. Une oxygénation sous FiO2 100 % est, de fait, le seul traitement disponible. Un recours à une oxygénothérapie hyperbare peut être proposé [16]. La gravité de cette intoxication donne toute son importance aux mesures préventives. Des détecteurs sensibles à un seuil de 0,1 ppm existent dans les laboratoires à risques. Des analyseurs portables sensibles à un seuil de 0,1 ppm peuvent être utilisés par les équipes de pompiers des cellules mobiles d’interventions chimiques [17]. Les taux maximums de détection autorisés sont de 1000 ppm [18]. La prévention des accidents secondaires passe par une sensibilisation des équipes Smur qui ne doivent pas s’exposer lors d’un contexte évocateur. Un environnement suspect doit être exploré par des professionnels secouristes munis de dispositif respiratoire isolant avec pression positive respiratoire dès qu’une odeur d’œuf pourri est perçue [19].

Références [1] [2] [3] [4]

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4. Conclusion

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L’intoxication à l’H2S est exceptionnelle et potentiellement mortelle. Irritant à faible concentration, ce toxique inhibe la respiration cellulaire à forte dose. L’exposition grave est rendue possible par le caractère inodore des fortes concentrations associées à la rapidité de diffusion du gaz. Une intervention dans un contexte évocateur doit être réalisée par des professionnels entraînés au port d’appareil respiratoire spécifique. Notre observation rappelle qu’une méconnaissance du risque chez les professionnels peut être responsable de décès, et d’accident associé chez les secouristes.

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