Intoxication par les bromures et fausse hyperchlorémie

Intoxication par les bromures et fausse hyperchlorémie

Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 19 : 363–6 © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765800002057/SCO Cas cliniq...

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Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 19 : 363–6 © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765800002057/SCO

Cas clinique

Intoxication par les bromures et fausse hyperchlorémie G. Hardy1, P. Saviuc1, V. Danel1*, J.L. Lafond2, M. Mallaret3 1

Unité de toxicologie clinique et toxicovigilance, service de médecine interne, 38043 Grenoble cedex 9, France ; 2 laboratoire de biochimie C, 38043 Grenoble cedex 9, France ; 3 laboratoire de pharmacologie et toxicologie, centre régional de pharmacovigilance, laboratoire de pharmacologie et toxicologie, centre hospitalier, BP 217, 38043 Grenoble cedex 9, France

RE´SUME´ Une pseudo-hyperchlorémie a permis de suspecter une intoxication par les bromures chez une femme de 36 ans, hospitalisée à plusieurs reprises pour des troubles neuropsychiatriques. Le suivi de la chlorémie a été effectué pendant 16 jours par potentiométrie, colorimétrie et coulométrie, afin d’apprécier l’importance de l’interférence analytique liée aux bromures. La patiente a été traitée avec succès par un apport de chlorure de sodium. © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

une quinzaine en France. Nous rapportons un cas d’intoxication par le bromo-galactogluconate de calcium (Calcibronatt, Novartis Pharma SA). Les concentrations plasmatiques des chlorures et des bromures ont été mesurées par différentes méthodes pendant plus de deux semaines.

bromures / intoxication / hyperchlorémie

Une femme de 36 ans, aux antécédents de dépression et d’alcoolisme, était hospitalisée une première fois pour errance sur la voie publique. Elle était confuse, agressive et avait des hallucinations. La chlorémie initiale à 156 mmol·L–1 (mesurée par potentiométrie directe sur Vitros 700TM Ortho Clinical Diagnostics) était recontrôlée à 113 mmol·L–1 (mesurée par colorimétrie sur SMAC IITM Bayer Diagnostics). La natrémie était normale. L’hémogramme, l’enzymologie hépatique et l’ECG étaient sans particularités. Le diagnostic de bouffée délirante était retenu et la malade était transférée en psychiatrie. Une semaine plus tard, elle était à nouveau hospitalisée pour une altération de l’état général. Elle était dénutrie, amaigrie (39 kg pour 1,60 m), déshydratée, et avait une hyperthermie à 38 °C. La fréquence cardiaque était de 110 b·min–1 et la pression artérielle systolique de 90 mmHg. L’examen neurologique mettait en évidence une désorientation, des hallucinations, des propos incohérents, des pupilles intermédiaires réactives, une dysarthrie et une force musculaire diminuée. Le résultat de la chlorémie plasmatique mesurée par le laboratoire de garde était

ABSTRACT Bromide poisoning and false hyperchloraemia. A 36-year-old female patient was admitted at three different times for neuropsychiatric disorders. No diagnoses were made during the first two hospital stays. A pseudohyperchloraemia allowed the diagnosis of bromide poisoning during her third hospital stay. Chloraemia was measured over 16 days by potentiometric, colorimetric and coulometric methods, in order to assess the analytical interferences caused by bromides. Results are reported and discussed. Bromide poisoning was treated by saline diuresis. © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS bromide / poisoning / hyperchloraemia

L’intoxication par les bromures est rare. Une trentaine de cas ont été publiés ces dernières années, dont Reçu le 3 septembre 1999 ; accepté après révision le 25 janvier 2000. *Correspondance et tirés à part.

OBSERVATION

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Figure 1. Évolution de la chlorémie et de la concentration plasmatique des bromures en mmol·L–1 selon différentes méthodes de dosage.

jugé incohérent et n’était pas communiqué. L’examen tomodensitométrique était normal. L’état clinique s’améliorait au quatrième jour, permettant la sortie de la patiente. Six mois plus tard, à la suite d’un malaise sur la voie publique avec chute et traumatisme crânien, elle était une nouvelle fois hospitalisée dans un hôpital périphérique. Elle était somnolente, obnubilée avec une mydriase bilatérale réactive. La fréquence cardiaque était de 80 b·min–1 et la pression artérielle de 120/60 mmHg. L’hémogramme et l’ECG étaient sans particularités. La chlorémie était égale à 109 mmol·L–1 (mesurée par coulométrie, AstraTM Beckman). Les troubles de la conscience s’aggravant, la patiente était alors transférée dans le service de neurochirurgie. Elle était en coma agité (score de Glasgow = 4) avec une hypertonie généralisée et des réflexes vifs ; il n’y avait pas de signes de localisation. Les radiographies du crâne, la tomodensitométrie et l’artériographie cérébrales étaient normales. L’ionogramme montrait alors une chlorémie à 222 mmol·L–1 (mesurée par potentiométrie indirecte sur Hitachi 717TM), des bicarbonates à 50 mmol·L–1, une natrémie à 144 mmol·L–1 et une créatininémie à 92 µmol·L–1. Le trou anionique était négatif. Le pH était à 7,31 et la PaCO2 à 53 mmHg. L’anamnèse permettait d’apprendre la consommation quotidienne

d’environ 15 cp de Calcibronatt depuis un mois, alors que la posologie recommandée est de un à deux comprimés par jour. La concentration plasmatique des bromures mesurée par potentiométrie (électrode au chlorure d’or) était égale à 37,5 mmol·L–1 (soit 3 g·L–1). Le traitement comportait la ventilation mécanique, la réhydratation et un apport de NaCl (12 à 14 g·j–1). La patiente sortait du coma à j4 et un délire persistait jusqu’à j6, date à laquelle l’examen neurologique était strictement normal. La figure 1 résume l’évolution de la chlorémie selon différentes méthodes de mesures, parallèlement à l’évolution de la concentration plasmatique des bromures. Ponctuellement, quelques résultats de dosages de bromures ont été confirmés par chromatographie ionique ou chromatographie liquide haute performance couplée à une détection par spectrophotométrie en ultraviolet (figure 1). La demi-vie plasmatique d’élimination des bromures a été dans cette observation d’environ cinq jours. La quantité de bromures éliminés par les urines en 15 jours a été estimée à 80 grammes. COMMENTAIRES En 1999, environ 35 spécialités contenant des bromures figuraient dans le Vidalt. Le Calcibronatt est

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la spécialité la plus fortement dosée. Il contenait 5,65 mmol de brome par comprimé jusqu’en 1991 et 3,77 mmol depuis lors. L’incidence de l’intoxication par les bromures était estimée à moins de un pour un million aux États-Unis en 1990 [1]. Elle est très probablement sous-estimée du fait des particularités cliniques et analytiques en cas d’intoxication. Celle-ci est suffisamment rare pour ne pas être systématiquement évoquée. De plus, étant souvent pris en automédication, le Calcibronatt n’est pas mentionné par les patients, qui le considèrent comme anodin. L’intoxication peut simuler un grand nombre de pathologies neurologiques, psychiatriques et infectieuses, souvent dans un contexte de perturbation de l’état général [2, 3]. Une éruption cutanée est constatée dans 25 % des cas [2]. La résolution des symptômes neurologiques est habituelle en quelques jours [2], ce qui interrompt généralement l’enquête étiologique. L’élévation souvent importante de la chlorémie, alors que la natrémie et le pH sont normaux, définit la pseudo-hyperchlorémie. Elle est associée à un trou anionique abaissé ou « négatif ». Elle est due à une interférence analytique par réaction croisée des bromures et des chlorures [4, 5]. Le dosage des bicarbonates peut aussi être perturbé [5]. Après une résorption digestive quasi complète, les bromures sont distribués dans les liquides extracellulaires. Le rein élimine alors préférentiellement les chlorures et réabsorbe les bromures tout en maintenant constant le taux d’halogénures dans les liquides extracellulaires [1, 6] ; il y a accumulation des bromures. La demi-vie spontanée d’élimination plasmatique des bromures est de 12 jours [7]. Les différentes méthodes de dosage de la chlorémie mesurent en fait les halogénures totaux, ce qui est normalement sans conséquence puisque les chlorures représentent plus de 99 % d’entre eux. Trois méthodes de dosage sont fréquemment utilisées : la coulométrie, la potentiométrie et la colorimétrie. La coulométrie (AstraTM, électrode au nitrate d’argent) mesure au mieux le vrai taux d’halogénures qu’il y ait ou non des bromures : c’est la méthode de référence. Avec la colorimétrie (SMAC IITM, l’interférence est modérée. La potentiométrie directe ou indirecte (électrode « sélective ») présente la plus forte interférence analytique (222 mmol·L–1 sur Hitachi 717TM, 232 mmol·L–1 sur Vitros 700TM, contre

109 mmol·L–1 en coulométrie dans notre observation). Ainsi, une chlorémie élevée par méthode potentiométrique, normale par méthode colorimétrique ou mieux coulométrique, est un très fort argument d’interférence analytique, en particulier par des halogénures, tels que les bromures. La figure 1 illustre cette interférence analytique. D’autres interférences ont été décrites (thiocyanates [8]). Les chlorures, en permettant d’augmenter l’élimination urinaire des bromures, paraissent être le traitement logique de l’intoxication [2, 9]. Dans le cas présenté, la charge chlorée a permis de réduire la demi-vie d’élimination à cinq jours. L’élimination peut encore être accélérée par l’utilisation d’un diurétique tel que le furosémide [10]. L’hémodialyse permet d’abaisser la demi-vie à 1–2 heures [9], mais il existe un rebond des concentrations plasmatiques dû à la redistribution des bromures. La même problématique est rencontrée lors de l’intoxication par le lithium [11]. L’hémodiafiltration a été proposée dans un cas d’intoxication avec signes neurologiques majeurs ; les auteurs n’ont pas noté de remontée des concentrations plasmatiques [12]. CONCLUSION Cette observation permet de rappeler le polymorphisme clinique de l’intoxication par les bromures. La pseudo-hyperchlorémie peut être mise en défaut selon la technique de mesure. REMERCIEMENTS Ils s’adressent à Madame le Pr. J. Alary (laboratoire de bromatologie, faculté de médecine de Grenoble) et à Madame F. Vincent (laboratoire de pharmacologie et de toxicologie, CHU de Grenoble) pour leur contribution à l’analyse toxicologique. RE´ FE´ RENCES 1 Bowers GN, Onoroski M. Hyperchloremia and the incidence of bromism in 1990. Clin Chem 1990 ; 36 : 1399-403. 2 Moses H, Klawans HL. Bromide intoxication. In: Vinken PJ, Bruyn GW, eds. Handbook of clinical neurology. Amsterdam: Elsevier ; 1979. p. 291-318. 3 Bonnotte B, Jolimoyn C, Pacaud A, Belleville Y, Allain P, Chevet D. Hyperchlorémie factice révélatrice d’intoxication par le brome. Presse Med 1997 ; 26 : 852-4. 4 Pressac M, Jardel C, Durand D, Aymard P. Interference of bromide in determination of serum chloride. Clin Chem 1987 ; 33 : 415-6.

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5 Komaiko W, Hussain S, Brecher M, Bissel M. Positive interference with Ektachem chloride and carbon dioxide methods by bromide-containing drugs. Clin Chem 1988 ; 34 : 429-30. 6 Rauws AG. Pharmacokinetics of bromide ion – an overview. Fd Chem Toxic 1983 ; 21 : 379-82. 7 Soremark R. The biological half-life of bromide ions in human blood. Acta Physiol Scand 1960 ; 50 : 119-23. 8 Skrobala D, Legras A, Cirimele V, Furet Y, Lacaud JL, Brechot JF. Intoxication aux thiocyanates : une cause de fausse hyperchlorémie. Presse Med 1995 ; 24 : 1622. 9 Wieth JO, Funder J. Comparison of forced halogen turnover and haemodiaysis. Lancet 1963 ; ii : 327-9.

10 Millns JL, Rogers RS. Furosemide as an adjunct in the therapy of bromism and bromoderma. Dermatologica 1978 ; 156 : 111-9. 11 Jaeger A, Sauder P, Kopferschmitt J, Tritsch L, Flesch F. When should dialysis be performed in lithium poisoning? A kinetic study of 14 cases of lithium poisoning. J Toxicol Clin Toxicol 1993 ; 31 : 429-47. 12 Floriot C, Tiberghien F, Wagschal G, Muret P, Muret P, Delacour JL, et al. Intérêt de l’hémodiafiltration (HDF) dans les intoxications graves par le brome. Réanim Urg 1993 ; 2 : 685.