Urgences
(1995)
0 Elsevier,
XIV, 213-215
Paris
Toxicologic
Intoxication aigue s&&e par les organophosphorbs. &ude toxicocin6tique et klectroenc6phalographique C Landierl, ‘Service
P Ernouf2,
de r@animation polyvalente, ‘laboratoire de foxicologie, (Rep
P O’Byrnel,
Samu-Smur, CHG C/-/W Bretonneau,
Y Furet2,
M Codjia’
Blois, mail Pierre-Chariot 2, bd Tonne@, 37044
le 19 ~ulllet 1995 ; accept6
le 27juillet
41016 Blois Tours Cedex
Cedex
;
1995)
R&sum@ - L’intoxication aigue par les insecticides organophosphores a un pronostic lie au relargage du toxique a partir du tissu adipeux. Nous decrivons le cas d’un patient hospitalise a la 5e heure dune ingestion de 10 g de parathion avec un coma et des alterations s&&es electroencepholographiques notees a la phase precoce de I’intoxication, ce qui, a notre connaissance, n’a jamais ete decrit. De plus, nous avons regulierement dose dans les urines les paranitrophenol, metabolite du parathion, et nous avons constate un relargage tardif avec un pit au 34e jour de I’intoxication. La surveillance de ce metabolite urinaire peut Qtre utile afin d’objectiver une reintoxication endogene et de faciliter le sevrage ventilatoire. organophosphorxis
/ parathion
I paranitrophkiol
I EEG
Summary - Acute human organophosphate poisoning has a prognosis linked to release of the toxin from adipose tissues. We report a patient treated five hours after ingestion of IO g of parathion with highly abnormal EEG in the early phase of poisonning, to our knowledge not previously described. In addition, regular mesurement of serum cholinesterase and paranitrophenol, the urinary metabolite of parathion, revealed late release of the toxin with a pit on day 34. Monitoring of the urinary metabolite could help with the decision concerning ventilator-y weaning. organophosphate
/ parathion
/ paranitrophenol
/ EEG
aigue par les insecticides organophosphor& est de pronostic variable selon le mode d’absorption (inhalation, ingestion, ou passage transcutane), la nature des produits et les quantites absorbees. Nous rapportons le cas d’un patient victime d’une intoxication aigue volontaire par ingestion de 10 g de parathion, pris en charge a la 5e heure et chez qui nous avons effect& une etude cinetique de la reactivation des cholinesterases plasmatiques et de I’elimination du metabolite urinaire.
L’intoxication
CAS CLINIQUE Le patient, 55 ans, 80 kg, est hospitalise dans le service de reanimation pour un coma ayant necessite une reanimation cardiorespiratoire par le Smur. Ses antecedents sont une cardiopathie dilatee, une hypertension arterielle et des troubles du rythme auriculaire. Son traitement habitue1 est : Zerecor@, Renitece, Lasilix@, digoxine, Mediator@, Prandiole.
Lors de la prise en charge par l’equipe prehospitaIi&e, le patient etait dans le coma avec un score de Glasgow de 3 points, la pression arterielle syytolique etait de 80 mmHg, le pouls de 50 batt/minet les pupilles en position intermediaire, reactives. II a recu 1 mg d’atropine, la trachee a ete intubee, les poumons ventiles, puis il a ete admis dans le service de reanimation. A I’entree, la temperature etait de 35,2”C. La pression arterielle systolique de 140 mmHg apres avoir re u 4 mg d’atropine. Le pouls etait de 73 battlmin-‘, puns reapparaissait une bradycardie sinusale a 50 batt/min-’ L’examen clinique retrouvait un myosis serre ; il etait note une hypersecretion trancheobronchique et une sudation intense generalisee. Le bilan biologique etait saris particularite, le scanner cerebral etait normal, I’electroencephalogramme
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C Landier et al
-_
Fig 2. kythrocyte docholinestkrase phenol (PARA).
b
Fig 1. EEG B I’admission (a), le premier jour (b), la premiere semaine (c).
L’acetylcholinesterase plasmatique etait egalement basse a 235 UI/I-’ (normes de 1 900 $I 3 800 UIK’). L’alcoolemie etait nulle ainsi que la barbitemie ; la quinidinidemie etait a 1 ,I 6 mg/l-’ et la digoxinemie a 0,63 ~g/l“. Le patient a recu alors 400 mg de pralidoxime et le traitement par atropine a ete poursuivi. L’interrogatoire de I’entourage permettait d’identifier le toxique comme etant 100 ml de Rhodiatox 1990, correspondant a 10 g de parathion, ingeres 5 heures plus tot. Le patient est jardinier municipal. L’evolution a ete marquee par une reaction pancreatique transitoire et une cholecystite alithiasique drainee par voie percutanee le 22e jour. L’extubation n’a ete possible qu’au 33e jour. Le patient est sorti du service le 36e jour, sans sequelle somatique, avec un electromyogramme normal. Un dosage des acetylcholinesterases sanguines et des pseudocholinesterases plasmatiques a regulierement ete effect&, ainsi qu’un dosage du paranitrophenol urinaire, metabolite du parathion, qui peut etre en principe recherche dans les urines dans les 48 heures suivant I’absorption [7]. L’evolution des EEG a montre (fig 1) : - Jl : activite de base symetrique, de tres faible amplitude, constituee par une activite delta de frequence 2 a 4 cycles par seconde, discontinue ; - J2 : activite de base constituee par un rythme de frequence 10 a 11 cycles par seconde, peu ample, peu abondant, surchargee par des rythmes rapides diffus, de bas voltages, tres abondants ; - J7 : activite de base symetrique constituee par un rythme theta de frequence 5 a 6 cycles par seconde, surchargee par des rythmes rapides. La cidtique urinaire du paranitrophknol (fig 2) a montre une @ascension au 34e jour contemporaine d’un ralentissement de la reactivation des cholinesterases.
acetyl cholinestkrase (P-CHO) et niveaux
(A-CHO), urinaires
&rum pseude paranitro-
DISCUSSION Les insecticides organophosphores bloquent les sites esterasiques des cholinesterases par inhibition competitive formant un compose stable dont I’hydrolyse est lente. Le parathion n’est toxique qu’apres oxydation hepatique, le transformant en paraoxon ; celui-ci, apres fixation sur les sites des cholinesterases, lib&e le paranitrophenol, mesurable dans les urines. La symptomatologie clinique de I’intoxication est due a un exces d’acetylcholine au niveau de la membrane postsynaptique qui, selon les sites, produit [12] : - sur le systeme nerveux central, un coma areflexique, une atteinte des centres respiratoires et vasomoteurs et occasionnellement des convulsions ; - au niveau des recepteurs nicotiniques postganglionnaires sympathiques, parasympathiques et medulosurrenaliens, un syndrome associant hypertension tachycardie et mydriase en cas de predominance sympathique, ou une majoration du syndrome muscarinique en cas de predominance parasympathique (cas le plus frequent) ; - au niveau des recepteurs muscariniques postganglionnaires des fibres parasympathiques, un syndrome associant hypersalivation, hypersecretion tracheobronchique, douleurs abdominales, diarrhee, bradycardie, hypotension, myosis, et plus rarement incontinence vesicale et rectale ainsi qu’un priapisme ; - enfin, au niveau de lajonction neuromusculaire, des fasciculations et des paralysies musculaires. Par ailleurs, ces produits ont une toxicite lice aux solvants petroliers frequemment employ& (inhalation et osdeme pulmonaire lesionnel). Le diagnostic de I’intoxication, evoque devant I’association hypersecretion, bradycardie, myosis, est confirme biologiquement par le dosage des acetylcholinesterases, les secondes permet-
Intoxication
tant un meilleur reflet de I’evolution de I’intoxication [2,8]. Les symptomes apparaissent quand le taux des acetylcholinesterases est abaisse de moitie ; I’intoxication est severe pour des taux de moins de 10% des valeurs normales [l 11. Les symptomes peuvent persister un mois [7], mais I’evolution est habituellement favorable en une dizaine de jours, et la guerison complete [2,7,11]. Deux a quatre semaines peuvent etre necessaires pour que les pseudocholinesterases reviennent a leur niveau initial [l]. Un syndrome intermediaire a ete decrit avec paralysie transitoire des groupes musculaires proximaux des bras, des muscles moteurs innerves par les nerfs craniens et des muscles respiratoires alors que les symptomes cholinergiques ont disparu. II apparait entre la 24e et la 96e heure et disparait totalement au-dela du 1 8e jour [5]. II est explique par une inhibition persistante des cholinesterases au niveau de la plaque motrice. II nest pas specifique d’un toxique [4]. Le traitement est symptomatique : intubation et ventilation ar-tificielle en cas de trouble de la conscience effou de depression ventilatoire, decontamination digestive et perfusion d’atropine. L’utilite du pralidoxime, reactivateur des cholinesterases, dans les 24 a 36 premieres heures, a ete suggeree bien que certains doutent de son eff icacite [6]. L’intoxication chez notre patient est particulierement severe : coma avec score de Glasgow a 3, etat de choc cardiogenique et encombrement respiratoire majeur necessitant une intubation et une ventilation controlee d’emblee. Le syndrome muscarinique, antagonise par I’atropine, a persiste 30 jours, et les fasciculations, traitees symptomatiquement par midazolam puis diazepam, ont dure 23 jours. Le metabolite urinaire a ete retrouve 40 jours apres I’intoxication. Les reactions pancreatiques et vesiculaires sont attribuees au syndrome d’hypersecretion. Enfin, ce patient avait une atteinte neurologique majeure associee a une alteration importante de I’electroencephalogramme. La severite de cette intoxication peut etre lice aux faits suivants : - le patient n’a ete pris en charge que tardivement (P heure), ce qui a permis une plus grande absorption digestive ; - le parathion, organophosphore tres lipophile, est particulierement toxique (DL 50 chez le rat de 13 mg/kg-1), le patient en a absorbe 10 g ; - de plus, il semble y avoir eu chez ce patient un important stockage adipeux responsable de la persistance des troubles cliniques et biologiques. Certains auteurs proposent I’idee d’un stockage digestif du toxique dont I’effet serait majore par I’action de I’atropine, qui ralentit la vidange enterale [9] ; cependant, une evolution diphasique a ete rapportee lors dune intoxication par voie per-
aigue
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severe
cutanee [lo] et les biopsies graisseuses mettent en evidence le toxique [9, lo]. L’activite enzymatique des cholinesterases chez ce patient a Qte decroissante jusqu’au l!Se jour mais leur reactivation est diphasique avec un ralentissement a J30, precede a J20 dune modification de I’elimination urinaire de paranitrophenol, alors que les fonctions hepatiques et r&ales sont sables, ce qui signe un relargage prolonge (fig 2). D’autre part, l’electroencephalogramme du patient etait alter+ a la phase aigue de I’intoxication, ce qui, a notre connaissance, n’a jamais ete rapporte jusqu’alors, meme si certaines modifications non specifiques sont d&rites [3] ; ce travail rappotte une anomalie electroencephalographique au d&ours d’une intoxication aigue par les organophosphores. D’autre part, il illustre la necessite de surveiller longuement, tant sur le plan clinique que sur le plan biologique, I’evolution des patients compte tenu des risques de relargage tardifs a partir d’un stock adipeux. Quand il est realisable, le dosage urinaire du toxique met en evidence un relargage, permettant ainsi d’accroitre la securite de sevrage ventilatoire, la biopsie graisseuse &ant de realisation plus delicate tant sur le plan clinique que sur le plan biologique. RtFhENCES 1 Anon E. Organophosphate poisonrng. C//n Toxicol 1979;15:189-91 2 Aron CK, Goldfrank LR, Bresnitz GA et al. Insectrcides : organophosphates and carbamates. In : Go/&rank’s Toxicologic Emergencies. East Norwalk Connecticut : Appelon and Lange ed, 1990:679-89 3 Bernard PG. EEG and Pesticides. C/in Electroencephalogr 1989;20:2 4 De Bleecker J, Vogelaers D, Ceuterick C. Van Den Neucker K, Willems J, De Reuck J. Intermediate syndrom due to prolonged parathion poisoning. Acfa Neural Stand 1992;86:421-4 5 De Bleecker J, Willems J, Van Den Neucker K, De Reuck J, Vooelaers D. Prolonged toxicity with intermediate syndram-after combinate-parathion and methyl parathion ooisonina. C/in Toxicoll992;30:333-45 6 De Silva-HJ, Wijewickrema R, Senayake N. Does pralidoxime affect outcome of management in acute organophosphorus poisoning? Lancet 1992;339:1136-8 7 Ellehorn MJ, Barceloux DG. Diagnosis and treatement of human poisoning. In Medical Toxicology. New York : Elsevier ed 1988: 1070-l 03 8 Haddad LM. Organophosphates and other insecticides. In Haddad LM, Winchester JF, 2nd ed. Clinical management ofpoisoning and drug overdose. Philadelphia WB : Saunders Company 1990: 1078-87 9 Martinez-chuecos J, Jurado M, Gimenez M, Martinez D. Menendez M. Experience with hemoperfusion for organophosphate poisoning. Crit Care Med 1992;20:1538-43 10 Merrill DG, Mihm FG. Prolonged toxicity of organophosphate poisonnmg. Crit Care Med 1982;10:550-1 11 Minton NR, Murray VSG. A review of organophosphate poisoning. Med Tox~col Adv Drug Exp 1988;3:350-75 12 Routier RJ, Lipman J. NBrown K. Difficulty In weanrng from respiratory support in a patient with the intermediate syndrome of organophosphate poisoning. Crit Care Med 1989;17:1075-6