M~d Mal Infect. 1990; 2 0 hors s~rie : 83-88
ISOLEMENT ET IDENTIFICATION DES BACTERIES ANAEROBIES STRICTES. Principaux germes isol s de produits pathologiques. A. S E D A L L I A N *
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es bact~ries ana~robies sont responsables d'une grande vari~t~ d'infections localis~es ou g~n~ralis~es. Dans plus de 80% des cas il s'agit d'une infection mixte, associant bact~ties a~robies ou facultatives ou ana~robies strictes (5). La plupart de ces bact~ries se d~veloppent lentement. Leur isolement et leur identification demandent un certain d~lai. Leur mise en ~vidence, malgr~ de meilleures conditions de culture, reste toujours d~licate. Nous indiquons dans le tableau I les principales localisations des infections t~ ana~robies (4). Un certain nombre d'indices permettent de suspecter leur presence : mauvaise odeur des ~chantillons, presence de gaz dans la l~sion, localisation de la suppuration (abc~.s sous maxillaire ou cervical, pleur~sie purulente, l~ritonite, abc~s de la sphere gyn~colo-
gique). Les ~checs sont frequents, et on ne peut cultiver ces bact~ries alors que leur presence est suspect~e. Les principales causes de ces ~checs sont : mauvais pr~l~vements, mauvaises conditions de transport et m~thodes de culture inad~quates.
LES METHODESDE PRI~LEVEMENT ET DE TRANSPORT La plupart des suppurations tl bact~ries ana@robies si~gent au voisinage d'une flore commensale (flore buccale, intestinale ou vaginale). I1 est primordial d'~'citer toute contamination de l'~chantillon. Une lois le pr~l~vement r~alis~ il importe de conserver l'ana~robiose et d'emp~cher la dessiccation lors du transport au laboratoire. Certes les ana~robies responsables sont semi a~rotol~rants. Cependant en atmosphere a~robie leur nombre diminue en quelques heures et c o m m e g~n~ralement dans les infections mixtes ils sont associ@s t~ des bact~ries a~robies ou ana@robies facultatives, ces derni@res se d~velopperont rapidement et emp@cheront la mise en ~vidence des bact~ries ana~robies strictes. (11) II est possible de prot~ger les ana~robies en plagant les ~chantillons imm~diatement dans un milieu de transport r~ducteur. (1)
LESMI~THODESD'ORIENTATIONRAPIDE
* Laboratoire de Bact~riologie, Centre Hospitalier, F-74010 Annecy.
Une fois arriv@ au laboratoire la mise en culture doit ~tre rapidement r~alis~e. Les diff~rentes bact~ries ana~robies vivent en symbiose entre elles et certaines se d~veloppent lentement. Leur isolement et leur identification par les m~thodes classiques demandent donc un certain d~lai, de quelques jours t~ quelques semaines. Nous indiquons dans le tableau II le schema d'isolement des ana~robies des produits pathologiques. II existe plusieurs categories d'~l~ment d'orientation, les unes sont tr~s simples, d'autres mettent en oeuvre des techniques plus sophistiqu~es. Diverses m~thodes sont propos~es :
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La chromatographie gaz liquide (GLC). Depuis Iongtemps on connait l'int~r~t de la d~termination clu type fermentaire comme ~l~ment d'identification des bact~ries ana~robies. Diff(~rents auteurs ont essay~ de mettre ~ profit ces connaissances pour poser directement sur les pr~l~vements le diagnostic des infections ana~robies (8). Suivant les auteurs la correlation entre les r~sultats bact~riologiques et l'analyse chromatographique est de 83% ~ 90%. L'association de plusieurs de ces proc~d~s d'orientation rapide am~liore la valeur du diagnostic pr~somptif. Pour Philipps (8) l'association Gram et GLC r~v~le les ana~robies dans 96% des cas. Ces m~thodes d'orientation fournissent rapidement des renseignements precis sur la presence des ana~robies dans un pr~l~vement et sur la nature du germe majoritaire dans cette suppuration : Bacteroides fragilis sera recherch~ par immunofluorescence dans tous les pr~l~vements p~riton~aux et intra-abdominaux, Fusobacterium necrophorum et Fusobacterium nucleatum seront recherch&s par GLC devant tout pr&l~vement des voies respiratoires. Clostridium difficile sera d~tect~ soit par agglutination de particules de latex, soit par GLC. Les bact&ries pigment~es en noir ( Prevotella ou Porphyromonas) seront d~tect~es par immunofluorescence dans les prfil&vements abdominaux, g~nitaux ou pleuropulmonaires. Nous indiquons dans le tableau III les principaux ana~robies rencontres selon la nature du pr~l~vement.
d u p u s est souvent tr~s ~vocateur : pus abondant d'odeur naus~abonde. - L ' e x a m e n du frottis apr~s coloration par la m~thode de Gram : la flore bact~rienne est abortdante et polymorphe associant des bacilles a Gram n~gatif, Gram positif et des cocci. Les polynucl~aires peuvent ~tre tr~s altar,s et parfois on a l'impression qu'ils sont absents. Devant un frottis, trois aspects peuvent se rencontrer : • soit le pus est tr~s ~vocateur avec une flore polymorphe typique. Ce schema repr~sente 60% des suppurations. • le deuxi~me aspect est moins ~vocateur ; la flore est peu abondante mais associant plusieurs categories de bact~ries, les polynucl~aires abondants plus ou moins altar,s. Environ 20 ~ 30% des suppurations correspondent ~ cet aspect. • dans 10 ~ 15% des cas l'examen direct n'est pas ~vocateur, les cultures sont monomicrobiennes. - Les techniques d ' o r i e n t a t i o n peuvent faire appel a l'immunofluorescence ~ l'aide de s~rum sp~cifique anti Bacteroides fragilis par exemple ou anti bact~ries pigment~es en noir. Pour Bacteroides fragilis la sensibilit~ de cette m~thode est de 96%, la sp~cificit~ de 90% (10). Pour les bact~ries pigment~es en noir la sensibilit~ est de 82%, la sp~cificit~ de 83% (10). - L'aspect
I S O L E M E N T ET I D E N T I F I C A T I O N DES ANAEROBIES
L'isolement des ana~robies reste une m~thode d~licate. II existe cependant les milieux de cultures s~lectifs permettant d'isoler facilement ces bact~ries. Les bases g~Ios~es sont soit du Schaedler au sang, soit du Columbia au sang enrichi avec h~mine et vitamine K. Les principaux milieux s~lectifs sont le milieu Kanamycine (75 g/ml) ou (N~omycine) + Vancomycine (7,5 g/ml). Ce milieu convient tr~s bien pour les bacilles Gram n~gatifs et le milieu au ph~nyl~thyl alcool (4,2 g / 1 0 0 ml) pour les cocci Gram positifs et les bacilles Gram positifs. L'ana~robiose est r~alis~e soit dans des jarres avec des sachets lib~rant CO2 et H2 avec un catalyseur, soit dans des chambres ana~robies avec m~lange gazeux (C02 + N2 + H2). Les boites sont plac~es pendant 48 heures en ana~robiose ~ 36-370C. Elles sont lues une premiere fois au bout de 48 heures, puis remises ~ incuber pour 5 jours suppl~mentaires et lues une deuxi~me fois. Les colonies sont reprises sur g~Iose au sang pour v~rifier leur puret~ et leur ana~robiose. C'est l'~tape la plus d~licate : la purification (tableau II).
Parmi les autres techniques propos~es, on peut utili-
ser l'agglutination de particules de latex sensibilisaes. Cette technique a ~t~ test~e pour Clostridium difficile. Elle d~tecte presque tous les Clostridium, par contre elle ne permet pas de connaitre si la souche est toxinog~ne.
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Les colonies pures sont identifi~es. II existe actuellement des galeries rapides identifiant les bact~ries en 4 heures grace ~ des caract~res enzymatiques (Rapid ANA, ATB 32 A, Microscan). Ces techniques sont tr~s int~ressantes, mais n~cessitent un tr~s fort inoculum. La lecture est souvent d~licate. Aussi nous pr~f~rons utiliser une s~rie de tests : test d'orientation, fermentation des sucres, caract~res enzymatiques et dans certains cas nous compl~tons l'identification par GLC : Tests d'orientation : il s'agit de la classique colo-
ration de Gram, mobilit~ des bact~ries entre lame et lamelle, la pousse en presence de bile ou de vert brillant (Anaerodisc* Bio M~rieux). - .La fermentation des sucres : nous utilisons la galerie API 20 ANA, l'inoculum doit ~tre assez fiche (n°3 de Mac Farland). Recherche des caract~res enzymatiques en utilisant soit Rapid ANA soit ATB 32 A. -
- E n f i n la chromatographie gaz liquide : nous l'utilisons pour compl~ter l'identification d'un Fuso-
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bacterium, d'un Peptostreptococcus, ou d'un bacille Gram positif (Propionibacterium, Actinomyces ou Eubacterium). D'apr@s les r~sultats de ces diff~rentes galeries nous pouvons identifier les ana~robies.
Les bacilles Gram n~gatifs lls sont classes en 5 grands groupes en fonction de leur pousse en presence de bile, de vert brillant, de pigment noir sur sang laqu~ ou de presence d'acide butyrique c o m m e produit du m~tabolisme (tableau IV) (6, 9): Groupe I : bacilles glucidol~iques non inhibgs par la bile. Ce sont les Bacteroides du groupe fragilis, d'apr~s la fermentation des sucres (rhamnose, tr~halose, saccharose) et presence ou absence d'indole, on identifie les principales esp~ces : B. fragilis,
B. thetaiotaomicron, B. distasonis, B. uniformis, B. vulgatus. - Groupe II : ce sont des bacilles glucidolytiques inhib~s par la bile et le vert brillant, pigment~s ou non en noir. Ces bact~ries font partie du genre Prevotella (13) (anciennement Bacteroides du groupe oralis-melaninogenicus). Pour ridentification compl~te des esp~ces de ce groupe la recherche des caract~res enzymatiques est indispensable (P. oris, P. buccae, P. oralis, P. buccalis, P. veroralis, P. oulo-
lyticus ou B. gracilis, d'autres sont mobiles et incurv~es comme Wollinella. Groupe V : il s'agit des bact~ries non inhib~es par le vert brillant et pr~sentant de i'acide butyrique comme produit de fermentation du glucose il s'agit des bact~ries appartenant au genre Fusobacterium. Les principales esp~ces rencontr~es sont F. n ucleaturn, E necrophorum, E varium, E mortiforum, F naviforme. L e s
cocci Gram positifs
Les cocci ana~robies Gram positifs isol~s dans les produits pathologiques accompagnent presque tou]ours les autres ana~robies. Dans les infections mixtes la plupart des esp~ces sont rang~es dans un seul genre : Peptostreptococcus. Cependant il est facile de les s~parer en deux groupes distincts d'apr~s leur sensibilit~ th la novobiocine' : les esp~ces appartenant t~ rancien genre Peptococcus sont r~sistantes. Les autres esp~ces sont au contraire sensibles t~ cet antibiotique. La distinction des esp~ces est bas~e sur la chromatographie gaz liquide et sur les caract~res enzymatiques (tableau V), (3, 6).
Les bacilles Gram positifs non sporul6s lls forment un vaste groupe, difficile th identifier. II est cependant important de pouvoir s~parer les principaux genres. Nous indiquons dans le tableau VI les principaux caract~res permettant de distinguer les esp~ces les plus fr~quemment isol~es (6). De .rares esp~ces jouent un r61e pathog~ne : Propionibacterium acnes est un contaminant classique des cultures ana~robies. Pourtant ce germe est de plus en plus souvent isol~ d'ost~omy~lites ou de l~sions osseuses (en un an nous avons eu 3 cas de destruction osseuse due t~ cette bact~rie. Les autres esp~ces sont Actinomyces israelii et Actinomyces meyerii rencontres dans les ad~nophlegmons du cou, clans les
rum, P. bivia, P. disiens, P. intermedia, P. melaninogenica, P. Ioeschii, P. denticola). - Groupe III : ce groupe correspond aux bact~ries pigment~es en noir sur milieu au sang laqu~ non glucidolytique et actueilement class~es dans le genre Porphyromonas (12) : P. gingivalis, P. endodonta-
lis, P. asaccharolytica. - Groupe IV : ce sont des bact~ries inhib~es par la bile, le vert brillant, asaccharolytique, non pigment~. Certaines sont corrodantes comme B. ureo-
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CONCLUSION
abc~s du cerveau, dans des l~sions osseuses. Enfin
Eubacterium lentum est isol~ essentiellement dans Les ana~robies restent des bact~ries redoutables. Leur r~sistance 8 certains antibiotiques (B~talactamine) leur permet de s'adapter. On les rencontre toujours avec la m~me fr~quence dans les produits pathologiques; les esp~ces rencontr~es sont les m~mes, mais avec des variations selon les ann~es, dues probablement ~ rusage des antibiotiques. C'est ainsi qu'il y a une dizaine d'ann~es Fusobacterium nucleatum ~tait une esp~ce rarement isol~e, et depuis l'utilisation de la josamycine elle est retrouv~e aussi bien dans les infections de l'appareil respiratoire mais ~galement dans les infections de la sphere gyn~cologique.
les infections respiratoires. Les bacilles Gram positifs sporul~s : Clostridium Deux esp~ces jouent un r61e de tout premier plan : C. perfringens toujours redoutable dans les plaies souill~es, dans les ent~rocolites du vieillard et Clostridium difficile dans les colites pseudomembraneuses et les diarrh~es post antibiotiques (7). (Tableau VII). C1ostridium difficile est un germe redoutable dans les services de r~animation, de canc~rologie, dans les unit~s de g~riatrie et il importe de r~aliser des ~tudes ~pid~miologiques. Nous utilisons 8 Annecy un groupage bas~ sur r~tude des prot~ines apr~s ~lectrophor~se sur ge! de polyacrylamide pour suivre les ~pid~mies dans les unit~s de soins.
Une autre esp~ce ana~robie devient avec les ann~es de plus en plus fr~quente, c'est Clostriclium difficile
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du f a t / d e l'utilisation de c(}phalosporine de 3 ~'e g~n(}ration. Leur isolement reste d~licat, m a t s leur identification a ~t~ g r a n d e m e n t simplifi~e g r a c e t~ la commercialisa-
tion de tests rapides pr~ts t~ l'emploi. Certaines esp~ces sont rencontr(}es pr~f~rentiellement d a n s cerrains t y p e s de pr~l~vements (tableau VII), ce qui factlite g r a n d e m e n t le diagnostic d'orientation.
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