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Jean-Louis-Paul Denucé (1824–1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique
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ANNPLA-1182; No. of Pages 5 Annales de chirurgie plastique esthétique (2015) xxx, xxx—xxx
Disponible en ligne sur
ScienceDirect www.sciencedirect.com
HISTOIRE
Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique ´ (1824—1889): A forgotten pioneer Jean-Louis-Paul Denuce of plastic surgery K.W. Marck a, D. Martin b,* a b
ˆ lle 24, 9084 BT, Goutum, Les Pays Bas De Po 35, avenue des Pins, 13013 Marseille, France
Rec¸u le 3 juillet 2015 ; accepte´ le 15 octobre 2015
MOTS CLÉS Histoire de la chirurgie plastique ; Naissance des concepts ; Denucé ; France ; Histoire du XIXe siècle
KEYWORDS Plastic surgery history; Concept formation; Denucé; France; History of the nineteenth century
Résumé Les auteurs se proposent de rechercher les origines de la pensée conceptuelle menant au choix rationnel d’une technique opératoire, démarche intellectuelle essentielle de la chirurgie plastique. La pensée conceptuelle dans notre spécialité débuta dans le milieu du XIXe siècle avec les premières représentations des techniques utilisables à cette époque dans lesquelles le couple Von Ammon/Baumgarten, Szymanowski et Denucé prirent un rôle prépondérant. Ces quatre auteurs et leur travail vont être présentés avec une spéciale attention à Jean-Paul Denucé, chirurgien Bordelais, le moins connu des quatre. # 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary The authors propose to define as main characterization of plastic reconstructive surgery the conceptual thinking that leads to a rational choice of an operative treatment. Conceptual thinking in plastic surgery started halfway the nineteenth century with the first schematic representations of the operative procedures available at that time, in which Von Ammon and Baumgarten, Szymanowski and Denucé played a prominent role. These four authors and their works are presented with special attention for the less known of them, Jean-Paul Denucé, surgeon in Bordeaux. # 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Martin). http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.10.001 0294-1260/# 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Pour citer cet article : Marck KW, Martin D. Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.10.001
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K.W. Marck, D. Martin
Une des importantes caractéristiques de la chirurgie plastique est de raisonner par concepts pour avoir une vue aussi large que possible des problèmes et choisir la solution la plus adaptée. On peut considérer que trois concepts basiques mènent à une décision opératoire. Le premier est le concept d’espace lié à celui du déplacement : la fermeture d’une perte de substance va se faire par un lambeau local (avancement, transposition et retournement de type lambeau charnière) ou un lambeau à distance (pédiculé ou libre) en fonction de sa taille et de sa position. Le deuxième est défini par l’anatomie avec la nécessité de préserver la vascularisation du lambeau. Le troisième est normatif et moral : le chirurgien va devoir faire appel à la technique laissant le moins de séquelles compte tenu de ses avantages et de ses inconvénients (« reconstructive ladder »). Bien entendu, d’autres concepts additionnels peuvent influencer la décision finale comme par exemple la nécessité de recourir à des procédés en plusieurs étapes pour réaliser, par exemple, une autonomisation ou une préfabrication.
L’origine de la conceptualisation Sachant que notre spécialité procède de schémas et d’abstractions nous nous sommes proposé de remonter à l’origine de cette rationalisation. En revoyant l’historique de la chirurgie plastique, il apparaît que trois publications ont contribué à la conceptualisation des techniques opératoires. La première fut écrite par Von Ammon et Baumgarten en 1842 pour répondre à une question mise au concours par la Société de médecine de Gand [1]. Elle était formulée en ces termes : « Décrire tout ce qui est relatif à l’Autoplastique ; en poser les règles générales et spéciales, et s’attacher surtout à l’appréciation raisonnée des cas spéciaux d’Autoplastique
déjà acquis à la science, en établissant les règles à suivre dans les cas ou des restaurations pourraient être pratiquées ». Ils gagnèrent la médaille d’or (Fig. 1). Les auteurs créèrent un certain ordre dans le chaos des procédures opératoires décrites, mais leur classification avait toutefois certaines incohérences et leur travail manquait d’illustration. Beaucoup plus connu et très bien documenté était le manuel de chirurgie opératoire Lehrbuch der operativen Chirurgie [2] de Julius Alphonse Nicolai Szymanowski (1829—1868), Professeur de chirurgie à Kiev (Fig. 2). Szymanowski présente différents principes pour fermer une perte de substance, différents types de lambeaux et classifie les defects cutanés en 5 formes géométriques de base. Il présente ainsi un échantillon de techniques opératoires qu’il va discuter ensuite de façon exhaustive, fonction de la localisation anatomique des manques tissulaires. Le livre est illustré, essentiellement de sa main, de centaines de schémas. La troisième publication qui donne une vue schématique de la chirurgie plastique est celle de Jean-Paul Denucé [3] intitulée : Considérations sur l’autoplastie et sur les méthodes et les procédés opératoires qui la constituent, sortie en 1855. Cette publication est la moins connue dans l’histoire de notre profession, et oubliée par les auteurs modernes.
Biographie de Jean-Paul Denucé Jean-Louis-Paul Denucé est né à Ambarès, près de Bordeaux le 21/1/1824 (Fig. 3). Il devint interne des hôpitaux de Paris en 1847 et puis assistant d’anatomie à la faculté de Paris en 1851. Nommé Professeur adjoint de clinique chirurgicale en 1853 (un poste d’enseignant qui pourrait correspondre actuellement à celui de maître de conférence), il passa son doctorat en 1854. Il devient professeur titulaire en 1858 puis professeur de clinique chirurgicale et enfin doyen
Figure 1 Couverture de l’ouvrage : Die plastische Chirurgie nach Ihrenbisherigen Leistungen kritisch dargestellt deVon Ammon et Baumgarten (1842) présentant leur médaille d’or. Pour citer cet article : Marck KW, Martin D. Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.10.001
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Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique
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Figure 2 Julius Szymanowski (1829—1868), Professeur à Kiev et auteur de Lehrbuch der operativen Chirurgie (1870).
de la faculté de Bordeaux succédant à M.H. Gintrac. En 1865, il devient professeur et doyen honoraire. Membre titulaire ou associé de nombreuses sociétés savantes, il fut promu chevalier de la légion d’honneur en 1869 et mourut le 18/3/ 1889 d’une maladie chronique [4]. Une rue de Bordeaux porte actuellement son nom ainsi qu’un amphithéâtre de la faculté de médecine.
L’œuvre scientifique de Denucé a fait l’objet d’une dissertation par Jean Pierre Denis Compans en 1890 [9].
¨uvre scientifique
Considérations sur l’autoplastie. . .
Denucé écrivit de nombreuses publications dans les domaines de la chirurgie générale, de l’obstétrique et de l’anatomie. Très prolifique, il publia sur le traitement de l’anévrisme artériel, sur des sujets orthopédiques (pseudarthrose, ankylose, la résection du coccyx), et sur des méthodes opératoires (hystérectomie, résection maxillaire, ablation de l’œil). Il écrivit aussi sur des sujets comme le furoncle, l’anthrax et la dracunculose, causée par le filaire de Médine. Il gagna grâce à son traité clinique sur l’inversion utérine [5] le prix Hugier de l’académie de médecine. Il s’est intéressé aussi au traitement des tumeurs bénignes et malignes de la langue, du palais, de la région nasopharyngienne, de la glande parotide et du sein. C’est en fait ses travaux anatomiques sur les muscles qui le feront passer à la postérité. Son nom restera dans la littérature médicale moderne suite à la description du ligament carré (de Denucé) qu’il fit en 1854 dans un traité exhaustif sur l’anatomie du coude et les luxations radio-cubitales [6]. Ce ligament est tendu entre le col du radius et l’ulna. Il décrivit aussi, en 1857, l’ancêtre de la couveuse sous forme d’un berceau incubateur à double paroi remplie d’eau chaude [7,8]. Au total, en dehors de son ouvrage sur les autoplasties de 1855 lorsqu’il avait 31 ans, il ne semble avoir écrit aucune autre publication dans le domaine de la chirurgie plastique.
Bien que tenant une petite place dans l’ensemble de ses publications, son ouvrage Considérations sur l’autoplastie, et sur les méthodes et les procédés opératoires qui la constituent se doit de retrouver sa place dans les documents fondateurs de notre spécialité. Relativement court, 27 pages, il ne contient qu’une illustration (Fig. 4) présentant 22 figures, qui illustrent les procédés de la méthode par glissement. Son prologue commence par une citation de Blandin tirée de son ouvrage de 1836 [10] : « Les méthodes et les procédés opératoires de l’autoplastie sont si nombreux, si variés, leur application a été si multipliée, que presque tous les auteurs jusqu’ici ont reculé devant la généralisation de ces faits, et qu’on se demande vraiment, au premier abord, si ce travail est possible ». Denucé postule que depuis cette citation, rien n’avait changé et se proposait de combler cette lacune. Il propose deux fondements au concept d’autoplastie :
Figure 3 Professeur Denucé, Professeur de clinique chirurgicale infantile et d’orthopédie à l’université de Bordeaux, chirurgien de l’hôpital des enfants (année inconnue).
l’extensibilité des téguments ; la propriété que possèdent les téguments de pouvoir s’unir par cicatrisation entre eux et avec les parties sous-jacentes. Ensuite, il définit six moyens autoplastiques généraux :
Pour citer cet article : Marck KW, Martin D. Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.10.001
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K.W. Marck, D. Martin
Figure 4 Lithographie avec les 22 figures qui illustrent l’ouvrage de Jean-Paul Denucé : considérations sur l’autoplastie, et sur les méthodes et les procédés opératoires qui la constituent (1855).
la traction ; le relâchement des parties molles (flexion d’un membre ou de la tête pour mettre les berges de la plaie en contact) ; le décollement ; l’excision ; les incisions directes, latérales et angulaires ; la transposition. Puis deux moyens autoplastiques spéciaux : la méthode par glissement ; la méthode par lambeau. Il propose ensuite une classification des pertes de substance en fonction de leur forme :
elliptique ; triangulaire ; quadrangulaire ; polygonale ou multi-angulaire.
le procédé par duplicature (terme d’origine) pour reconstituer par exemple la sous-cloison du nez, le procédé par dédoublement pour réparer par exemple une fistule vésico-vaginale avec un lambeau charnière, le procédé par enroulement (« destiné à combler un orifice anormal. Le lambeau est disséqué, roulé sur sa surface libre, et enfoncé, en forme de bouchon, dans l’orifice »), le procédé par rotation ; la méthode utilisant des lambeaux à distance avec trois variantes : le rapprochement forcé de type Tagliacozzi (mise en contact d’un lambeau brachial avec la région nasale), l’enjambement (un court pédicule permet de passer en pont au dessus d’une zone de peau saine comme le lambeau frontal dans les reconstructions du nez), la migration successive qui consiste à réparer une perte de substance aux dépens de parties éloignées, à l’aide d’une série de transpositions par voie de contiguïté.
Discussion Finalement, il classifie les procédés opératoires en trois groupes : la méthode par glissement (fermeture directe) qui selon la forme de la perte de substance nécessitera ou non des contre-incisions ; la méthode utilisant des lambeaux contigus avec quatre variations :
Le texte de Denucé est concis sans détail superflu. Il définit des concepts encore en vigueur actuellement. Leur présentation schématique est plus cohérente que celle de Von Ammon et Baumgarten et sa classification géométrique des pertes de substance est complètement innovante. L’illustration de Denucé présente une valeur didactique évidente. On peut cependant noter une petite erreur : la
Pour citer cet article : Marck KW, Martin D. Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.10.001
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Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique méthode utilisant des lambeaux est classée à la fois dans les moyens généraux et les moyens spéciaux. Nous lui pardonnerons. Sa publication a été très critiquée en Allemagne [11]. Apres un résumé détaillé Streubel conclut qu’elle n’a pas d’intérêt et présente de colossales lacunes. La plus importante est que l’auteur ne se réfère pas assez à la littérature allemande. De plus, il n’arrive pas à fournir une schématisation didactique des indications chirurgicales. Par ailleurs, il a occulté des méthodes récemment décrites pour se focaliser sur des principes obsolètes. Szymanowski, pour sa part est beaucoup moins critique lorsqu’il se réfère dans son ouvrage à la publication de Denucé [2]. Dans son introduction il reconnaît les mérites de l’ouvrage de notre collègue et se donne pour but de concrétiser les règles abstraites de Denucé à travers des centaines d’illustrations. Szymanowski adhère donc à la philosophie de Denucé dont il utilise la classification géométrique. L’Américain John Staige Davis le cite [12] en 1919 dans son ouvrage Plastic Surgery, its principles and practice comme un chirurgien européen influent. Par contre, Converse [13] n’en parle plus dans son ouvrage Plastic Reconstructive Surgery pas plus que Santoni-Rugiu et Sykes dans leur A History of Plastic Surgery, sorti en 2007 [14]. Denucé semble donc avoir été oublié. . . jusqu’à ce jour. En résumé, nous pouvons dire que la pensée conceptuelle qui caractérise notre profession a trouvé son origine au milieu du dix-neuvième siècle à travers les publications de Von Ammon et Baumgarten, Denucé et Szymanowski. Elles ne peuvent être séparées les unes des autres et présentent chacune leur intérêt, formant ensemble le point de départ de la chirurgie plastique conceptualisée.
Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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Remerciements Remerciements au Jorine Ploegh-Lussing et Robert van Poppelen pour leur aide dans la rédaction et leur travail sur les illustrations.
Références [1] Ammon, von FA, Baumgarten M. Die plastische chirurgie nach ihrenbisherigen leistungen kritisch dargestellt. Berlin: Verlag von G. Reimer; 1842. [2] Szymanowski von J. Lehrbuch der operativen chirurgie. Erster theil. Braunschweig: FriedriechVieweg und Sohn; 1870. [3] Denucé JLP. Considerations sur l’autoplastie, et sur les méthodes et les procédés opératoires qui la constituent. Archives générales de médecine, volume II, série V, tome 6. Paris: Labé; 1855: 402—28. [4] Rapport annuel du secrétaire général (nécrologie P. Denucé). Mem Bull Soc Med Chir 1890;2—5 [Bordeaux]. [5] Denucé P. Traité clinique de l’inversion utérine. Paris: J-B Baillière et fils; 1883. [6] Denucé P. Mémoire sur les luxations du coude. Paris: Germer Baillière; 1854. [7] Denucé P. Berceau incubateur pour les enfants nés avant terme. J Med Bordeaux 1857;2:723—4. [8] Cone TE. The first published report of an incubator for use in the care of the premature infant (1857). Am J Dis Child 1981;135: 658—60. [9] Compans JPD. Denucé, son oeuvre scientifique. Bordeaux: Cadoret; 1890 [Dissertation]. [10] Blandin PF. Autoplastie ou restauration des parties du corps. Paris: Germer Baillière; 1836: 92. [11] Streubel. 418. Die Autoplastik, ihre methoden und operationsweisen; von Prof. Denucézu Bordeaux. Schmidt’s Jahrbücher der in- undausländischengesammten. Medicin 1856;90:228—35. [12] Davis JS. Plastic surgery, its principles and practice. Philadelphia: P. Blakiston’s Son & Co; 1919: 4. [13] Converse JM. Reconstructive plastic surgery. Philadelphia: W.B. Saunders Company; 1964. [14] Santoni-Rugiu P, Sykes PJ. A history of plastic surgery. Berlin: Springer; 2007.
Pour citer cet article : Marck KW, Martin D. Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.10.001
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Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique ´ (1824—1889): A forgotten pioneer Jean-Louis-Paul Denuce of plastic surgery K.W. Marck a, D. Martin b,* a b
ˆ lle 24, 9084 BT, Goutum, Les Pays Bas De Po 35, avenue des Pins, 13013 Marseille, France
Rec¸u le 3 juillet 2015 ; accepte´ le 15 octobre 2015
MOTS CLÉS Histoire de la chirurgie plastique ; Naissance des concepts ; Denucé ; France ; Histoire du XIXe siècle
KEYWORDS Plastic surgery history; Concept formation; Denucé; France; History of the nineteenth century
Résumé Les auteurs se proposent de rechercher les origines de la pensée conceptuelle menant au choix rationnel d’une technique opératoire, démarche intellectuelle essentielle de la chirurgie plastique. La pensée conceptuelle dans notre spécialité débuta dans le milieu du XIXe siècle avec les premières représentations des techniques utilisables à cette époque dans lesquelles le couple Von Ammon/Baumgarten, Szymanowski et Denucé prirent un rôle prépondérant. Ces quatre auteurs et leur travail vont être présentés avec une spéciale attention à Jean-Paul Denucé, chirurgien Bordelais, le moins connu des quatre. # 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary The authors propose to define as main characterization of plastic reconstructive surgery the conceptual thinking that leads to a rational choice of an operative treatment. Conceptual thinking in plastic surgery started halfway the nineteenth century with the first schematic representations of the operative procedures available at that time, in which Von Ammon and Baumgarten, Szymanowski and Denucé played a prominent role. These four authors and their works are presented with special attention for the less known of them, Jean-Paul Denucé, surgeon in Bordeaux. # 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Martin). http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.10.001 0294-1260/# 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Pour citer cet article : Marck KW, Martin D. Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.10.001
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K.W. Marck, D. Martin
Une des importantes caractéristiques de la chirurgie plastique est de raisonner par concepts pour avoir une vue aussi large que possible des problèmes et choisir la solution la plus adaptée. On peut considérer que trois concepts basiques mènent à une décision opératoire. Le premier est le concept d’espace lié à celui du déplacement : la fermeture d’une perte de substance va se faire par un lambeau local (avancement, transposition et retournement de type lambeau charnière) ou un lambeau à distance (pédiculé ou libre) en fonction de sa taille et de sa position. Le deuxième est défini par l’anatomie avec la nécessité de préserver la vascularisation du lambeau. Le troisième est normatif et moral : le chirurgien va devoir faire appel à la technique laissant le moins de séquelles compte tenu de ses avantages et de ses inconvénients (« reconstructive ladder »). Bien entendu, d’autres concepts additionnels peuvent influencer la décision finale comme par exemple la nécessité de recourir à des procédés en plusieurs étapes pour réaliser, par exemple, une autonomisation ou une préfabrication.
L’origine de la conceptualisation Sachant que notre spécialité procède de schémas et d’abstractions nous nous sommes proposé de remonter à l’origine de cette rationalisation. En revoyant l’historique de la chirurgie plastique, il apparaît que trois publications ont contribué à la conceptualisation des techniques opératoires. La première fut écrite par Von Ammon et Baumgarten en 1842 pour répondre à une question mise au concours par la Société de médecine de Gand [1]. Elle était formulée en ces termes : « Décrire tout ce qui est relatif à l’Autoplastique ; en poser les règles générales et spéciales, et s’attacher surtout à l’appréciation raisonnée des cas spéciaux d’Autoplastique
déjà acquis à la science, en établissant les règles à suivre dans les cas ou des restaurations pourraient être pratiquées ». Ils gagnèrent la médaille d’or (Fig. 1). Les auteurs créèrent un certain ordre dans le chaos des procédures opératoires décrites, mais leur classification avait toutefois certaines incohérences et leur travail manquait d’illustration. Beaucoup plus connu et très bien documenté était le manuel de chirurgie opératoire Lehrbuch der operativen Chirurgie [2] de Julius Alphonse Nicolai Szymanowski (1829—1868), Professeur de chirurgie à Kiev (Fig. 2). Szymanowski présente différents principes pour fermer une perte de substance, différents types de lambeaux et classifie les defects cutanés en 5 formes géométriques de base. Il présente ainsi un échantillon de techniques opératoires qu’il va discuter ensuite de façon exhaustive, fonction de la localisation anatomique des manques tissulaires. Le livre est illustré, essentiellement de sa main, de centaines de schémas. La troisième publication qui donne une vue schématique de la chirurgie plastique est celle de Jean-Paul Denucé [3] intitulée : Considérations sur l’autoplastie et sur les méthodes et les procédés opératoires qui la constituent, sortie en 1855. Cette publication est la moins connue dans l’histoire de notre profession, et oubliée par les auteurs modernes.
Biographie de Jean-Paul Denucé Jean-Louis-Paul Denucé est né à Ambarès, près de Bordeaux le 21/1/1824 (Fig. 3). Il devint interne des hôpitaux de Paris en 1847 et puis assistant d’anatomie à la faculté de Paris en 1851. Nommé Professeur adjoint de clinique chirurgicale en 1853 (un poste d’enseignant qui pourrait correspondre actuellement à celui de maître de conférence), il passa son doctorat en 1854. Il devient professeur titulaire en 1858 puis professeur de clinique chirurgicale et enfin doyen
Figure 1 Couverture de l’ouvrage : Die plastische Chirurgie nach Ihrenbisherigen Leistungen kritisch dargestellt deVon Ammon et Baumgarten (1842) présentant leur médaille d’or. Pour citer cet article : Marck KW, Martin D. Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.10.001
+ Models
ANNPLA-1182; No. of Pages 5
Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique
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Figure 2 Julius Szymanowski (1829—1868), Professeur à Kiev et auteur de Lehrbuch der operativen Chirurgie (1870).
de la faculté de Bordeaux succédant à M.H. Gintrac. En 1865, il devient professeur et doyen honoraire. Membre titulaire ou associé de nombreuses sociétés savantes, il fut promu chevalier de la légion d’honneur en 1869 et mourut le 18/3/ 1889 d’une maladie chronique [4]. Une rue de Bordeaux porte actuellement son nom ainsi qu’un amphithéâtre de la faculté de médecine.
L’œuvre scientifique de Denucé a fait l’objet d’une dissertation par Jean Pierre Denis Compans en 1890 [9].
¨uvre scientifique
Considérations sur l’autoplastie. . .
Denucé écrivit de nombreuses publications dans les domaines de la chirurgie générale, de l’obstétrique et de l’anatomie. Très prolifique, il publia sur le traitement de l’anévrisme artériel, sur des sujets orthopédiques (pseudarthrose, ankylose, la résection du coccyx), et sur des méthodes opératoires (hystérectomie, résection maxillaire, ablation de l’œil). Il écrivit aussi sur des sujets comme le furoncle, l’anthrax et la dracunculose, causée par le filaire de Médine. Il gagna grâce à son traité clinique sur l’inversion utérine [5] le prix Hugier de l’académie de médecine. Il s’est intéressé aussi au traitement des tumeurs bénignes et malignes de la langue, du palais, de la région nasopharyngienne, de la glande parotide et du sein. C’est en fait ses travaux anatomiques sur les muscles qui le feront passer à la postérité. Son nom restera dans la littérature médicale moderne suite à la description du ligament carré (de Denucé) qu’il fit en 1854 dans un traité exhaustif sur l’anatomie du coude et les luxations radio-cubitales [6]. Ce ligament est tendu entre le col du radius et l’ulna. Il décrivit aussi, en 1857, l’ancêtre de la couveuse sous forme d’un berceau incubateur à double paroi remplie d’eau chaude [7,8]. Au total, en dehors de son ouvrage sur les autoplasties de 1855 lorsqu’il avait 31 ans, il ne semble avoir écrit aucune autre publication dans le domaine de la chirurgie plastique.
Bien que tenant une petite place dans l’ensemble de ses publications, son ouvrage Considérations sur l’autoplastie, et sur les méthodes et les procédés opératoires qui la constituent se doit de retrouver sa place dans les documents fondateurs de notre spécialité. Relativement court, 27 pages, il ne contient qu’une illustration (Fig. 4) présentant 22 figures, qui illustrent les procédés de la méthode par glissement. Son prologue commence par une citation de Blandin tirée de son ouvrage de 1836 [10] : « Les méthodes et les procédés opératoires de l’autoplastie sont si nombreux, si variés, leur application a été si multipliée, que presque tous les auteurs jusqu’ici ont reculé devant la généralisation de ces faits, et qu’on se demande vraiment, au premier abord, si ce travail est possible ». Denucé postule que depuis cette citation, rien n’avait changé et se proposait de combler cette lacune. Il propose deux fondements au concept d’autoplastie :
Figure 3 Professeur Denucé, Professeur de clinique chirurgicale infantile et d’orthopédie à l’université de Bordeaux, chirurgien de l’hôpital des enfants (année inconnue).
l’extensibilité des téguments ; la propriété que possèdent les téguments de pouvoir s’unir par cicatrisation entre eux et avec les parties sous-jacentes. Ensuite, il définit six moyens autoplastiques généraux :
Pour citer cet article : Marck KW, Martin D. Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.10.001
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Figure 4 Lithographie avec les 22 figures qui illustrent l’ouvrage de Jean-Paul Denucé : considérations sur l’autoplastie, et sur les méthodes et les procédés opératoires qui la constituent (1855).
la traction ; le relâchement des parties molles (flexion d’un membre ou de la tête pour mettre les berges de la plaie en contact) ; le décollement ; l’excision ; les incisions directes, latérales et angulaires ; la transposition. Puis deux moyens autoplastiques spéciaux : la méthode par glissement ; la méthode par lambeau. Il propose ensuite une classification des pertes de substance en fonction de leur forme :
elliptique ; triangulaire ; quadrangulaire ; polygonale ou multi-angulaire.
le procédé par duplicature (terme d’origine) pour reconstituer par exemple la sous-cloison du nez, le procédé par dédoublement pour réparer par exemple une fistule vésico-vaginale avec un lambeau charnière, le procédé par enroulement (« destiné à combler un orifice anormal. Le lambeau est disséqué, roulé sur sa surface libre, et enfoncé, en forme de bouchon, dans l’orifice »), le procédé par rotation ; la méthode utilisant des lambeaux à distance avec trois variantes : le rapprochement forcé de type Tagliacozzi (mise en contact d’un lambeau brachial avec la région nasale), l’enjambement (un court pédicule permet de passer en pont au dessus d’une zone de peau saine comme le lambeau frontal dans les reconstructions du nez), la migration successive qui consiste à réparer une perte de substance aux dépens de parties éloignées, à l’aide d’une série de transpositions par voie de contiguïté.
Discussion Finalement, il classifie les procédés opératoires en trois groupes : la méthode par glissement (fermeture directe) qui selon la forme de la perte de substance nécessitera ou non des contre-incisions ; la méthode utilisant des lambeaux contigus avec quatre variations :
Le texte de Denucé est concis sans détail superflu. Il définit des concepts encore en vigueur actuellement. Leur présentation schématique est plus cohérente que celle de Von Ammon et Baumgarten et sa classification géométrique des pertes de substance est complètement innovante. L’illustration de Denucé présente une valeur didactique évidente. On peut cependant noter une petite erreur : la
Pour citer cet article : Marck KW, Martin D. Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.10.001
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ANNPLA-1182; No. of Pages 5
Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique méthode utilisant des lambeaux est classée à la fois dans les moyens généraux et les moyens spéciaux. Nous lui pardonnerons. Sa publication a été très critiquée en Allemagne [11]. Apres un résumé détaillé Streubel conclut qu’elle n’a pas d’intérêt et présente de colossales lacunes. La plus importante est que l’auteur ne se réfère pas assez à la littérature allemande. De plus, il n’arrive pas à fournir une schématisation didactique des indications chirurgicales. Par ailleurs, il a occulté des méthodes récemment décrites pour se focaliser sur des principes obsolètes. Szymanowski, pour sa part est beaucoup moins critique lorsqu’il se réfère dans son ouvrage à la publication de Denucé [2]. Dans son introduction il reconnaît les mérites de l’ouvrage de notre collègue et se donne pour but de concrétiser les règles abstraites de Denucé à travers des centaines d’illustrations. Szymanowski adhère donc à la philosophie de Denucé dont il utilise la classification géométrique. L’Américain John Staige Davis le cite [12] en 1919 dans son ouvrage Plastic Surgery, its principles and practice comme un chirurgien européen influent. Par contre, Converse [13] n’en parle plus dans son ouvrage Plastic Reconstructive Surgery pas plus que Santoni-Rugiu et Sykes dans leur A History of Plastic Surgery, sorti en 2007 [14]. Denucé semble donc avoir été oublié. . . jusqu’à ce jour. En résumé, nous pouvons dire que la pensée conceptuelle qui caractérise notre profession a trouvé son origine au milieu du dix-neuvième siècle à travers les publications de Von Ammon et Baumgarten, Denucé et Szymanowski. Elles ne peuvent être séparées les unes des autres et présentent chacune leur intérêt, formant ensemble le point de départ de la chirurgie plastique conceptualisée.
Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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Remerciements Remerciements au Jorine Ploegh-Lussing et Robert van Poppelen pour leur aide dans la rédaction et leur travail sur les illustrations.
Références [1] Ammon, von FA, Baumgarten M. Die plastische chirurgie nach ihrenbisherigen leistungen kritisch dargestellt. Berlin: Verlag von G. Reimer; 1842. [2] Szymanowski von J. Lehrbuch der operativen chirurgie. Erster theil. Braunschweig: FriedriechVieweg und Sohn; 1870. [3] Denucé JLP. Considerations sur l’autoplastie, et sur les méthodes et les procédés opératoires qui la constituent. Archives générales de médecine, volume II, série V, tome 6. Paris: Labé; 1855: 402—28. [4] Rapport annuel du secrétaire général (nécrologie P. Denucé). Mem Bull Soc Med Chir 1890;2—5 [Bordeaux]. [5] Denucé P. Traité clinique de l’inversion utérine. Paris: J-B Baillière et fils; 1883. [6] Denucé P. Mémoire sur les luxations du coude. Paris: Germer Baillière; 1854. [7] Denucé P. Berceau incubateur pour les enfants nés avant terme. J Med Bordeaux 1857;2:723—4. [8] Cone TE. The first published report of an incubator for use in the care of the premature infant (1857). Am J Dis Child 1981;135: 658—60. [9] Compans JPD. Denucé, son oeuvre scientifique. Bordeaux: Cadoret; 1890 [Dissertation]. [10] Blandin PF. Autoplastie ou restauration des parties du corps. Paris: Germer Baillière; 1836: 92. [11] Streubel. 418. Die Autoplastik, ihre methoden und operationsweisen; von Prof. Denucézu Bordeaux. Schmidt’s Jahrbücher der in- undausländischengesammten. Medicin 1856;90:228—35. [12] Davis JS. Plastic surgery, its principles and practice. Philadelphia: P. Blakiston’s Son & Co; 1919: 4. [13] Converse JM. Reconstructive plastic surgery. Philadelphia: W.B. Saunders Company; 1964. [14] Santoni-Rugiu P, Sykes PJ. A history of plastic surgery. Berlin: Springer; 2007.
Pour citer cet article : Marck KW, Martin D. Jean-Louis-Paul Denucé (1824—1889) : un pionnier oublié de la chirurgie plastique. Ann Chir Plast Esthet (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.10.001